Grand pourfendeur d'une Judéo-Maçonnerie dont l'objectivité
nous échappe, Monseigneur Jouin ne songeait qu'à rendre service,
même aux
Francs-Maçons. Nous lui devons, en effet, une publication
précieuse, reproduisant le texte original anglais, accompagné d'une
traduction française, de l'inappréciable
Livre
des Constitutions Maçonniques, paru à Londres en
1723, sous les auspices de la Grande Loge fondée en 1717. Edité
par la
Revue Internationale des Sociétés Secrètes
en 1930, cet ouvrage fait connaître, en les analysant, les documents corporatifs
anciens dont furent tirées les
Old Charges.
De vieilles chartes racontent, à leur façon,
l'
histoire de l'architecture et formulent les règles de conduite imposées
aux constructeurs privilégiés que furent jadis les
Freemasons.
Tout fut, nous est-il dit, pour le mieux avant
Anderson, ce besogneux
prédicateur
presbytérien, qui formula les principes subversifs de la
Maçonnerie
spéculative. Alors que les Maçons avaient été
jusque là les fils soumis de l'
Eglise, les voici révolutionnairement
affranchis de tout dogmatisme obligatoire, quel qu'il soit. Ils n'ont plus à
se conformer désormais qu'à la loi morale qu'observent tous les
hommes de bien, sans distinction de croyance, de race ou de nationalité.
Soyez des hommes
probes, loyaux, secourables, paisibles et respectueux de ce qui
est respectable ; ne vous préoccupez pas des convictions intimes d'autrui,
évitez toute controverse
religieuse ou politique et montrez-vous tolérants
à l'égard des opinions que vous ne partagez pas. Songez à
vous instruire en écoutant autrui avec bienveillance, en vous efforçant
de comprendre les motifs d'une manière de penser étrangère
à la vôtre. Ainsi vous éviterez tout sectarisme et vous fraterniserez
maçonniquement avec tous ceux qui rêvent d'une humanité harmonieuse,
unie dans un commun effort de réalisation du bien général.
Promulgué en 1723, cet
idéal valut à la
Franc-Maçonnerie
l'adhésion des meilleurs
esprits du
XVIIIème siècle. L'Angleterre,
il est vrai, ne tarda pas à désavouer Anderson et ceux qui l'avaient
inspiré, dont J. Th. Desaguliers, personnage considérable, responsable
du texte présenté par lui au
duc de
Montaigu. Cependant, le désaveu
anglais ne se produisit que sournoisement, en 1738, sous forme de modifications
apportées à la nouvelle édition du
Livre
des Constitutions ; mais depuis quinze ans, la Maçonnerie
s'était répandue au loin sur la foi de la rédaction primitive,
en laquelle on avait vu partout la charte fondamentale de la Maçonnerie
moderne.
De nos
jours, nous apprenons qu'il y eut erreur en 1723 et que toute la Maçonnerie non-anglaise procède de la fantaisie d'un pauvre diable, élucubrant au petit bonheur ! Telle est, en effet, la thèse soutenue dans le volume XLIII, deuxième partie des publications de la Loge
Quatuor Coronati
par l'
historien Lionel Vibert, secrétaire de ce célèbre
Atelier.
Ce F
:. n'est pas un Anderson dépourvu d'autorité : ce qu'il
écrit compte et nous ne pouvons négliger son appréciation
qui sonne le glas de la Maçonnerie telle que nous la comprenons. La prétendue erreur de 1723 fait à nos yeux la gloire la plus pure de notre institution, qui a voulu être universellement pacificatrice, en mettant fin aux querelles nées d'opinions divergentes. Comportons-nous bien les uns envers les autres, tout est là ! La simple politesse exige de nous le respect des convictions
sincères, que nous n'avons pas à combattre au nom d'une vérité, dont il serait présomptueux de notre part de nous attribuer la possession. Nos idées nous sont chères ; mais un autre penseur est en droit de tenir aux siennes, idées qu'il nous appartient de chercher à
comprendre, sans nous permettre de les condamner
a priori.
Dans ces conditions, la
Franc-Maçonnerie ne saurait être une communauté de croyance, impliquant adhésion à des dogmes, si larges soient-ils, du moment qu'ils sont discutables. Cherchez la vérité en toute indépendance, sans vous laisser arrêter par aucune formule restrictive : la
Vraie Lumière, celle que vous portez en vous, éclairera votre
esprit, pourvu que vous aimiez le bien, au point de vous identifier avec lui dans votre manière d'agir. Pour être un bon Maçon, il faut travailler avec ferveur et discernement à la construction du grand
Temple humanitaire, dont chaque homme est une pierre vivante, appelée à se tailler correctement elle-même. Ce travail commun est indépendant des
conceptions religieuses individuelles. Chacun est libre de conserver celles-ci ; mais le croyant
qui comprend bien l'Art élève sa
religion à la
hauteur de la
Franc-Maçonnerie et se garde bien de restreindre la Maçonnerie en l'emprisonnant dans l'étroitesse d'une confession déterminée.
Le Maçon chrétien est libre d'interpréter la Maçonnerie dans l'
esprit du Christianisme ; mais il ne doit pas empêcher un
Juif d'adapter de même l'enseignement maçonnique au Judaïsme, et ne pas trouver mauvais qu'un
Musulman, un Païen ou un Libre-penseur en usent de même,
chacun à sa façon. Nos
symboles ne sont pas impératifs : ils invitent à réfléchir et orientent l'
esprit qui cherche librement le vrai. C'est ce que suggérait Anderson en 1723 et nous n'avons pas l'impression qu'il se soit trompé.
Nous
prions donc le F
:. Lionel Vibert de revoir son
jugement. Peut-être s'est-il exprimé avec ambiguïté, d'où traduction inexacte de sa pensée. Comment admettre que tout notre Maçonnisme repose sur la lubie d'un rédacteur irresponsable, dont la rédaction aurait été approuvée à la légère ? C'est accuser la T
:. R
:. Grande-Loge de Londres d'une impardonnable étourderie et porter à son prestige un coup mortel. Les huits points de l'ultimatum de 1929, ne sont-ils pas à prendre plus au sérieux que la promulgation de 1723 ?
Oswald Wirth