PREMIÈRE PARTIE
Introduction
Loges d'adoption Mme de Xaintrailles reçue franc-maçon.
Signes extérieurs de la franc-maçonnerie. Esprit de prosélytisme des maçons. Proposition d'un profane. Le cabinet des réflexions. Description de la loge. Places, insignes et fonctions des officiers. Ouverture des travaux d'apprenti. Les visiteurs. Les honneurs maçonniques. Réception du profane. Discours de l'orateur : dogmes, morale, règles générales de la franc-maçonnerie, rites, organisation des Grandes-Loges et des Grands-Orients, etc. Clôture des travaux d'apprenti. Banquets. Loges d'adoption. Mme de Xaintrailles reçue franc-maçon. Pose de la première pierre et inauguration d'un nouveau temple. Installation d'une loge et de ses officiers. Adoption d'un louveteau. Cérémonie
funèbre. Réception de compagnon. Réception de maître. Interprétation des symboles maçonniques. Les hauts grades. Carré mystique. Appendice : statistique universelle de la franc-maçonnerie. Calendrier. Alphabet. Abréviations. Protocoles. Explication des gravures.
La loi maçonnique exclut impérieusement les femmes de la participation aux mystères. Cependant les Français ont transigé avec cette loi. A côté de la vraie maçonnerie, ils ont créé une maçonnerie de convention, spécialement consacrée aux femmes, qui remplissent toutes les fonctions et ne dédaignent pas d'admettre les hommes dans leurs assemblées. C'est ce qu'on appelle la
maçonnerie d'adoption. Celle-ci, comme l'autre, a ses épreuves, ses grades, ses secrets, ses insignes. Mais ce sont là les prétextes des réunions ; le but, c'est le banquet, dont elles sont toujours accompagnées, et le bal, qui en est inséparable.
La salle où se tient le banquet est partagée
en quatre
climats. L'orient s'appelle
Asie ; l'occident,
Europe
; le sud,
Afrique ; le nord,
Amérique. La table est en fer-à-cheval. Tout s'y trouve rangé comme dans les banquets d'hommes. La présidente a le titre de
grande-maîtresse ; elle est assistée par un grand-maître, et siège au climat d'Asie. La
sur inspectrice, assistée du
frère inspecteur, et la
sur dépositaire, secondée du
frère dépositaire, occupent les deux extrémités du fer-à-cheval, la première, dans la région d'Amérique ; l'autre, dans la région africaine.
Les loges d'adoption ont aussi une langue à part. On y appelle le temple,
Eden ; les portes,
barrières ; le procès-verbal,
échelle. On nomme
lampe, le verre ;
huile rouge, le vin ;
huile blanche, l'
eau ; les bouteilles et les carafes,
cruches.
Garnir la lampe, c'est verser du vin dans son verre ;
souffler la lampe, c'est boire ;
exalter par cinq, ou
faire son devoir par cinq, c'est exécuter la batterie manuelle.
L'
ordre consiste à placer les deux mains sur sa poitrine, la droite sur la gauche, les deux pouces réunis et formant le
triangle. L'acclamation est
Eva ! répété cinq fois.
On porte les santés à peu près de la
même façon que dans les loges d'hommes. La grande-maîtresse se sert également du
maillet pour appeler l'attention de l'assemblée. Les annonces se transmettent aussi par l'entremise des officiers et des
officières qui tiennent la place des surveillants. On fait garnir les lampes, et on les fait aligner ; et, quand tout est convenablement disposé, la grande-maîtresse s'exprime comme il suit : « Mes
frères et mes surs, la santé que je vous propose est celle de... En l'honneur d'une santé qui nous est aussi chère, soufflons nos lampes par cinq. La main droite à la lampe ! Haut la lampe ! Soufflez la lampe ! En avant la lampe ! Posez la lampe ! Un, deux, trois, quatre cinq ! » La grande-maîtresse et tous les assistants, à son exemple, portent quatre fois la lampe sur le cur, et au temps cinq, la posent ensemble avec bruit sur la table. Ensuite, on
exalte par cinq, c'est-à-dire qu'on frappe cinq coups dans ses mains, en poussant chaque fois l'acclamation
Eva !
Bien que la loi qui interdit aux femmes l'accès des
loges soit absolue, elle a pourtant été enfreinte un fois dans une
circonstance assez remarquable. La loge des
Frères Artistes, présidée par le
frère Cuvelier de Trie, donnait une fête d'adoption. Avant l'introduction des femmes, les
frères avaient ouvert leurs travaux ordinaires. Au nombre des visiteurs qui attendaient dans les pas perdus, se trouvait un jeune officier en uniforme de chef d'escadron. On lui demande son diplôme. Après avoir hésité quelques instants, il remet un papier plié à l'
expert, qui, sans l'ouvrir, va le porter à l'orateur. Ce papier était un brevet d'aide-de-camp, délivré à madame de
Xaintrailles, femme du général de ce nom, qui, à l'exemple des demoiselles de Fernig et d'autres héroïnes républicaines, s'était distinguée dans les guerres de la révolution, et avait gagné ses grades à la pointe de son
épée. Lorsque l'orateur
lut à la loge le contenu de ce brevet, l'étonnement fut général. Les
esprits s'exaltèrent, et il fut spontanément décidé que le premier grade, non de la maçonnerie d'adoption, mais de la vraie maçonnerie, serait conféré séance tenante à une femme qui, tant de fois, avait manifesté des vertus toutes viriles, et avait mérité d'être chargée de missions importantes, qui exigeaient autant de courage que de discrétion et de prudence. On se rendit aussitôt près de Mme de
Xaintrailles, pour lui faire part de la décision de la loge, et lui demander si elle acceptait une faveur sans exemple jusqu'alors. Sa réponse fut affirmative. « Je suis homme pour mon pays, dit-elle ; je serai homme pour mes
frères. » La réception eut lieu avec la réserve convenable ; et, depuis cette époque, Mme de
Xaintrailles assista souvent aux travaux des loges.