PREMIÈRE PARTIE
Chapitre IV
PERSÉCUTIONS : Edits des Etats-Généraux de Hollande Arrestations Conversion des juges
Sentence de Châtelet de Paris Le duc d'Antin Condamnations
Ordonnances des magistrats de Berne et de Dantzig Les inquisiteurs de Florence
Bulle de Clément XII Le parlement de Paris refuse de l'enregistrer
Ecrit brûlé à Rome Le duc de Lorraine Procès à Malte Bulle de Benoît XIV
PERSÉCUTIONS : Edits des Etats-Généraux de Hollande. Arrestations. Conversion des juges. Sentence de Châtelet de Paris. Le duc d'Antin. Condamnations. Ordonnances des magistrats de Berne et de Dantzig. Les inquisiteurs de Florence. Bulle de Clément XII. Le parlement de Paris refuse de l'enregistrer. Ecrit brûlé à Rome. Le duc de Lorraine. Procès à Malte. Bulle de Benoît XIV. Prédications fanatiques à Aix-la-Chapelle, à Munich. Violences graves. L'inquisition d'Espagne. Procès du frère Tournon. Curieuse sentence. Les frères Coustos, Mouton et Bruslé, jugés par les inquisiteurs de Lisbonne. Affreuse tortures. Intervention du roi d'Angleterre, Georges II. Délivrance. Le divan de Constantinople. Le marquis de Tannucci, à Naples. Fête d'adoption. Mort d'une récipiendaire. Interdiction de la maçonnerie. Intrigue de Tannucci. Nouvel édit contre la maçons. Le frère Lioy. La reine Caroline. Les assemblées maçonniques défendues en Belgique. Société des Mopses. Marie-Thérèse d'Autriche. Joseph II. Esprit des loges belges. Révolution française. Ecrits de Lefranc, Robison, Cadet-Gassicourt, Barruel, Proyard. François II et la diète de Ratisbonne. Renouvellement des édits contre les maçons. Cruautés exercées envers eux en Portugal. Bill du parlement d'Angleterre. La maçonnerie en France pendant la terreur. Chute de Napoléon. Nouveaux édits. Rétablissement de l'inquisition d'Espagne. Sanglantes exécutions. Les frères Alava, Quatero, Cordova, Lavrillana, etc. Le missionnaire Guyon à Montauban. Révolution de Juillet. La loge les Amis de la Vérité. Banquet offert à Lafayette. Tendances politiques des loges. Défenses faites aux maçons allemands de s'affilier et de correspondre avec leurs frères de France.
C'est en Hollande que la franc-maçonnerie fut, pour la première fois, l'objet des recherches de l'autorité. Dès 1734, le clergé
catholique avait répandu mille bruits défavorables sur son compte, et avait ameuté contre elle les classes
ignorantes de la population. Le 16
octobre 1735, des maçons venus d'Angleterre étaient assemblés, à Amsterdam, dans une maison située vers le milieu du Stil-Steeg, qu'ils avaient louée pour y tenir loge, lorsqu'une foule de fanatiques envahit le lieu de leurs séances, brise tous les meubles servant aux réceptions, et se livre sur leurs personnes mêmes aux actes de la plus brutale violence. Cependant cet événement ne découragea pas les
frères ; et, s'imaginant qu'en se couvrant de la protection d'un nom respecté, ils dissiperaient les fâcheuses préventions qu'ils avaient inspirées, ils annoncèrent, le 03 novembre suivant, par la voie des journaux, l'installation solennelle de la loge, sous la présidence du trésorier-général du prince d'
Orange. Mais cette annonce ne produisit pas l'effet qu'ils s'en étaient promis ; on la considéra, au contraire, comme une insulte et une bravade. Les Etats-Généraux s'en émurent. Ils firent procéder à une enquête, et rendirent, par suite, le 30 du même mois, un édit par lequel, tout en reconnaissant que la conduite des francs-maçons ne présentait rien de dangereux pour la tranquillité publique et qui s'éloignât des devoirs de loyaux sujets, ils n'en interdisaient pas moins les assemblées de cette société, pour prévenir les mauvaises conséquences qui pourraient en résulter.
Au mépris de cette ordonnance, une loge, composée
d'ailleurs de personnes honorables, continua de se réunir dans une maison
particulière d'Amsterdam. Les magistrats en ayant été informés, firent cerner la maison et arrêter toute la loge. Le lendemain, réunis à la
Stadhuis, ils interrogèrent le
vénérable et les surveillants sur l'objet de leurs assemblées et sur l'
essence même de l'institution à laquelle ils appartenaient. Les
frères se renfermèrent à cet égard dans des généralités ; mais ils offrirent de donner l'
initiation à un des magistrats, qui ne manquerait pas ensuite d'attester que le secret de la maçonnerie ne voilait rien que la morale la plus sévère ne pût approuver sans restriction. Les magistrats souscrivirent à cette offre ; et, après avoir ordonné la mise en
liberté provisoire des
frères arrêtés, ils désignèrent, pour être
initié, le secrétaire de ville, qui fut immédiatement admis à la connaissance des mystères. De retour à la Stadhuis, il en rendit un compte si avantageux que, non seulement l'affaire n'eut pas d'autres suites, mais encore que les magistrats
prirent un vif intérêt à la loge et s'y firent successivement recevoir. Depuis lors, l'exercice de la franc-maçonnerie n'a plus été entravé dans les Provinces-Unies.
Le clergé
catholique ne cessait pas pour cela de se montrer hostile aux maçons. Fort des censures ecclésiastiques fulminées
contre eux en 1738, ses
prédications redoublèrent d'énergie ; et des loges d'Amsterdam, de
Nimègue et de La
Haye se virent en butte à des sévices graves de la part de malheureux que l'
anathème prononcé du haut de la chaire avait fanatisés. En 1740, un
prêtre refusa des billets de confession à deux jeunes officiers, parce qu'ils avaient avoué qu'ils étaient membres d'une loge. Cet événement fit du bruit, et beaucoup de pamphlets furent publiés pour et contre la maçonnerie. Il fallut que les Etats-Généraux intervinssent pour mettre fin à cette polémique, qui commençait à aigrir fortement les
esprits. Ils défendirent aux ecclésiastiques de questionner leurs pénitents sur le fait de la maonnerie, et ordonnèrent au
prêtre qui avait été l'origine de tous ces débats de délivrer aux deux officiers les billets de confession qu'il leur avait refusés.
Vers la même époque, les réunions maçonniques éveillaient en France la sollicitude des magistrats. Le 10 septembre 1737, le commissaire de police, Jean de Lespinay, instruit qu'il devait se tenir une assemblée très nombreuse de
freys-masons chez Chapelot, marchand de vins, à la Rapée, à l'enseigne de
Saint-Bonnet, s'y transporta, accompagné de Viéret, exempt de robe courte, et de quelques soldats, dans l'intention de
dissoudre l'assemblée. Arrivé sur les neuf heures et demie du soir, il y vit, suivant les termes de son rapport, « un très grand nombre de personnes, la plupart desquelles avaient toutes des tabliers de peau blanche devant eux et un cordon de soie bleue qui passait dans le col, au bout duquel il y avait attaché, aux uns, une
équerre ; aux autres, une
truelle ; à d'autres, un
compas, et autres outils servant à la maçonnerie. » Les avenues étaient occupées « par un très grand nombre de laquais et de carrosses, tant bourgeois, de remise que de place. » Soit que les
dispositions qu'il apportait ne fussent pas bien hostiles, soit que l'affluence qu'il apercevait lui inspirât quelques craintes sur les suites de la rigueur qu'il pourrait déployer, Lespinay ne pénétra pas dans le salon où les
frères étaient réunis, et il remarqua
de loin seulement qu'une table y était dressée et qu'il y avait une grande quantité de couverts. Cependant il crut de son devoir de représenter du moins aux personnes qui lui semblèrent faire partie de la société « que de telles assemblées étaient prohibées par les
dispositions générales des ordonnances du royaume et des arrêts des parlements. » La plupart de ceux à qui il s'adressa se retranchèrent dans l'
ignorance où ils étaient du texte de la loi, et protestèrent qu'en se réunissant ainsi « ils ne soupçonnaient pas qu'ils fissent rien de répréhensible. » Mais les réponses que reçut le commissaire ne furent pas toutes aussi modérées : le
duc d'
Antin, qui survint, le rudoya violemment et lui ordonna de se retirer
(51). Quelques considérations que pût faire valoir ensuite, pour sa justification, le cabaretier Chapelot, il fut assigné à l'audience de la
chambre de police du
Châtelet du 14 du même mois, où, n'ayant pas comparu, il fut condamné par Hérault, lieutenant de police, à mille livres d'amende. En outre, son cabaret fut muré et demeura
fermé pendant six mois. Toutefois les maçons n'en continuaient pas moins leurs assemblées. Hérault se crut alors obligé de sévir contre eux-mêmes. Le 27 décembre 1738, il se rendit en personne à l'hôtel de
Soissons, rue des Deux-Ecus, s'empara de plusieurs
frères, parmi un plus grand nombre qui célébraient la tête de l'ordre, et les fit enfermer dans les prisons du For-l'
Evêque. Ces mesures ayant été sans effet, la
chambre de police du
Châtelet rendit, le 05
juin 1744, une sentence renouvelant les défenses faites aux francs-maçons de se former en loges, et interdisant aux propriétaires de maisons et aux cabaretiers de les recevoir, à peine de trois mille francs d'amende. En exécution de cette sentence, le commissaire Lavergée se transporta, le 08
juin 1745, à l'hôtel de
Soissons, où des
frères étaient occupés à faire une réception, dispersa les membres et saisit les meubles et les ustensiles de la loge. L'hôtelier, nommé Le Roy, fut condamné quelques
jours après à une amende de trois mille livres.
En
Suisse, dans la même année, le gouvernement
de Berne rendait, le 03 mars, une ordonnance qui enjoignait aux bourgeois et aux
autres sujets de la république d'abjurer les engagements qu'ils pouvaient
avoir pris à titre de francs-maçons ; interdisait, dans toute l'étendue
du territoire bernois, les pratiques de la franc-maçonnerie ; et statuait
que les contrevenants seraient frappés d'une amende de cent écus
blancs, et privés, le cas échéant, de leurs emplois, charges
ou bénéfices. Cet édit étant, par la suite, tombé
en désuétude, les magistrats de Berne le renouvelèrent en
1769 et en 1782. Une pareille mesure fut prise en 1785 par les autorités
de
Bâle, qui firent
fermer deux loges existant à cette époque
dans le canton.
Les magistrats municipaux de l'Allemagne s'appliquèrent avec une égale vigueur à interdire et à
dissoudre les assemblées maçonniques ; et, comme leurs premières tentatives n'obtinrent pas le résultat qu'ils en avaient espéré, ils recoururent finalement aux moyens les plus rigoureux. C'est ainsi que les autorités de Dantzig, entre autres, publièrent, le 03
octobre 1763, un édit qui « défendait à tout citoyen, aubergiste, cabaretier ou autre, de tolérer à l'avenir, en aucune manière, les assemblées de la société maçonnique et de laisser s'établir aucune loge, sous peine d'emprisonnement » ; et « ordonnait à tous les habitants de dénoncer les
vénérables, dignitaires ou servants de loges ; les lieux d'assemblées, ceux où étaient déposés les archives, caisses, ustensiles et meubles maçonniques, promettant de tenir secrets les noms des dénonciateurs, etc. »
Après avoir subi les poursuites des autorités civiles, la franc-maçonnerie se vit en butte à des attaques d'autant plus redoutables qu'elles se couvraient des intérêts du
ciel.
Quelques loges s'étaient établies vers 1737 à Florence. Jean Gaston, dernier grand-duc de la maison de Médicis, prit ombrage de leurs réunions et publia un édit qui les défendait. A sa mort, cependant, qui eut lieu peu de temps après, les loges continuèrent de s'assembler. Le clergé de Florence, qui n'était pas étranger à la mesure prise par Gaston, dénonça les francs-maçons
à
Clément XII , comme propageant des doctrines condamnables. Le
saint-père envoya en conséquence un inquisiteur, qui fit arrêter
et jeter dans les cachots beaucoup de membres de l'association maçonnique.
Le 04 des
calendes de mai de l'année
suivante, le pape lança contre cette association une
bulle d'excommunication,
dans laquelle il est dit : « Nous avons appris, et le
bruit public
ne nous a pas permis d'en douter, qu'il s'était formé une certaine
société... sous le nom de francs-maçons... dans laquelle
sont admises indifféremment des personnes de toutes
religions et de toutes
sectes, qui, sous les dehors
affectés d'une
probité naturelle
qu'on y exige et dont on se contente, se sont établi certaines lois, certains
statuts qui les lient les uns aux autres, et qui, en particulier, les obligent,
sous les plus sévères peines, en vertu d'un serment prêté
sur les Saintes-Ecritures, à garder un secret inviolable sur tout ce qui
se passe dans leurs assemblées. Mais comme le
crime se découvre
de lui-même,... ces assemblées sont devenues si
suspectes
aux fidèles, que tout homme de bien regarde aujourd'hui comme un
pervers
quiconque s'y fait adopter. Si leurs actions étaient irréprochables,
les franc-maçons ne se déroberaient pas avec tant de soin à
la lumière... Ces associations sont
toujours nuisibles à
la tranquillité de l'Etat et au salut des
âmes ; et, à ce
titre, elles ne peuvent s'accorder avec les lois civiles et
canoniques. »
Par ces considérations, la
bulle enjoignait aux
évêques, aux
prélats, aux supérieurs et ordinaires des lieux de procéder
contre les francs-maçons, et de les punir « des peines qu'ils méritent, à titre de gens
très suspects d'hérésie ; ayant recours, s'il en était besoin, à l'assistance du
bras séculier. » Et comme si cette manière de parler n'était pas assez intelligible, le
cardinal Firrao, dans son édit de publication du 14
janvier 1739, voulant éviter toute
équivoque, l'interprète dans les termes suivants : « Que personne n'ose se réunir, s'assembler et s'agréger, en aucun lieu, dans ladite société... ni se trouver présent à de telles assemblées, sous
peine de mort et de confiscation des biens, à encourir irrémissiblement et
sans espérance de grâce (52). » Par le même édit, il était défendu à tous propriétaires de recevoir des réunions maçonniques, sous peine de voir leurs maisons démolies ; il était ordonné à toutes personnes qu'on aurait engagées à se faire
initier de dénoncer à son
Eminence et le nom des gens qui leur auraient fait cette proposition et les lieux où se tenaient les assemblées des maçons, à peine, pour les contrevenants, d'être frappés d'une amende de mille écus d'or et d'être envoyés aux
galères !
En France, la
bulle et l'édit de publication ne produisirent
pas l'effet que s'en était promis le chef de l'
Eglise. Ils y furent, au contraire, l'objet des plus dures critiques ; et les personnes pieuses elles-mêmes les considérèrent comme des actes
immoraux et odieux. Le parlement de
Paris refusa formellement de les enregistrer.
Dans l'année même où ils paraissaient, un écrit apologétique de la franc-maçonnerie était publié à Dublin. Ce livre fut déféré à l'
inquisition romaine, qui, le 18
février 1739, le déclara hérétique et le condamna à être brûlé par la main du bourreau, sur la place de Sainte-Marie-sur-Minerve. La sentence fut exécutée quelques
jours après, à l'issue du service divin.
Cependant les persécutions continuaient en Toscane. Le 24 avril, un nommé Crudeli était arrêté à Florence, jeté dans les prisons de l'
inquisition, mis à la question, et condamné à un long emprisonnement, comme
suspect d'avoir donné asile à une loge de francs-maçons. Informées de ce qui s'était passé, les loges de l'Angleterre s'intéressèrent au sort de cet infortuné, obtinrent son élargissement et lui envoyèrent
un secours en
argent. D'autres maçons avaient été également
emprisonnés. Mais François-Etienne de Lorraine, le même qui
avait été
initié à La
Haye, en 1731, avait pris récemment possession du trône
grand-ducal : un des premiers actes de son règne fut de rendre à la
liberté tous les maçons que l'
inquisition retenait dans les cachots : il fit plus ; il concourut de sa personne à la fondation de plusieurs loges, tant à Florence que dans différentes villes de son
duché.
La plupart des autres souverains de l'Italie se montrèrent
moins rebelles aux volontés du saint-père. Le grand-maître de l'ordre de Malte, notamment, fit publier en 1740 la
bulle de
Clément XII, et interdit les réunions maçonniques. Un grand nombre d'habitants prirent, à cette occasion, le parti de s'éloigner de l'île. Néanmoins, les assemblées des loges continuèrent. L'
inquisition intervint ; mais le grand-maître, modérant la rigueur des sentences qu'elle avait rendues, se contenta d'exiler à
perpétuité six chevaliers qui avaient été pris en flagrant délit de maçonnerie. Dans le reste de l'Italie, les moines se livraient à des
prédications furibondes contre la société, et de nombreuses arrestations étaient opérées. Mais toutes ces violences n'entravaient pas les progrès de la maçonnerie, qui se propageait sur toute la surface du globe avec une rapidité que rien ne semblait pouvoir arrêter. En 1751, elle était pratiquée ouvertement en Toscane, à Naples, en Piémont et dans plusieurs autres parties de la péninsule italienne. A Rome même, il y avait des loges, et elles ne prenaient que faiblement le soin de se cacher.
Cet état de choses était un scandale pour la
majorité des membres du clergé ; et, comme
Benoît XIV, qui occupait alors le trône
pontifical, paraissait attacher peu d'importance à l'existence de la maçonnerie, son indifférence fut hautement
blâmée ; on l'accusa même de s'être fait recevoir maçon.
Pour imposer silence à toutes ces clameurs, il crut devoir donner une marque
ostensible de l'orthodoxie de ses doctrines, et, en conséquence, par une
bulle du 15 des
calendes de
juin, il renouvela l'excommunication fulminée par
Clément XII contre la société maçonnique.
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(51) Voyez planche n° 14.
(52) Che nessuno ardisca di radunarsi e congregarsi e di aggregarsi, in luogo alcuno, sotto le sudette società... nè di trovarsi presente a tali radunanze, sotto pena della morte e confiscazione de' beni, da incorrersi irremissibilmente, senza speranza di grazia.