PREMIÈRE PARTIE
Chapitre III
Maçonnerie des femmes : les félicitaires, les chevaliers de l'ancre, les fendeurs,
le rite d'adoption, l'ordre de la persévérance, les nymphes de la rose,
les philochoréites, les dames du Mont-Thabor
PROPAGATION DE LA MAÇONNERIE HORS DES ILES BRITANNIQUES. France : Les premières loges. Leur organisation. Graves abus. Heureuse influence. Les Juifs exclus de l'initiation. Les Jésuites. Ballet comique qu'ils font représenter. Maçonnerie des femmes : les félicitaires, les chevaliers de l'ancre, les fendeurs, le rite d'adoption, l'ordre de la persévérance, les nymphes de la rose, les philochoréites, les dames du Mont-Thabor. Premiers grands-maîtres des loges françaises. Anarchie dans la maçonnerie. Fondation de la Grande-Loge de France. Allemagne : Introduction de la franc-maçonnerie. La Grande-Loge de Saxe. Frédéric-le-Grand. Le prince de Bayreuth. Les Grandes-Loges aux Trois-Globes et Royale-York à l'Amitié. Belgique. Hollande : Documents prétendus de 1535 et de 1637. Etablissement d'une grande-loge nationale. Espagne. Portugal Russie : Les loges sous l'impératrice Anne. Catherine II protège la société. Progrès de la maçonnerie dans cet empire. Elle y prend une tendance politique. Italie. Suisse. Suède. Danemark. Pologne. Bohême. Turquie. Perse : Askéry-Khan. Zadé-Meerza. Hindoustan : Le prince Omdit-ul-Omra Bahauder. Afrique. Océanie. Amérique : Canada. Etats-Unis : Warren. Lafayette. Solennités maçonniques. Franklin. Washington. Dissensions à New-York. Inauguration du canal de l'Erié. Fête maçonnique à la mémoire d'Adams et de Jefferson. Haïti. Brésil : Don Pédro. Schisme. Vénézuéla. Mexique : Les Escoceses et les Yorkinos. Le ministre Poinsett. Texas.
Vers 1730, fut instituée la
franc-maçonnerie des femmes. On ignore quel en fut l'inventeur ; mais elle fit sa première apparition en France, et c'est bien évidemment un produit de l'
esprit français. Les formes de cette maçonnerie n'ont toutefois été fixées définitivement qu'après 1760, et elle ne fut reconnue et sanctionnée par le
corps administratif de la maçonnerie qu'en l'année 1774. Elle affecta d'abord divers noms et divers rituels, qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. En 1743, elle avait des
emblèmes et un vocabulaire nautiques ; et les surs faisaient le voyage fictif de l'île de la Félicité
sous la voile des
frères et
pilotées par eux. C'était alors l'
ordre des Félicitaires, qui comprenait les grades de
mousse, de
patron, de
chef-d'escadre et de
vice-amiral et avait pour
amiral, c'est-à-dire pour grand-maître, le
frère de Chambonnet, qui en était l'auteur. On faisait jurer au récipiendaire de garder le secret sur le cérémonial qui accompagnait l'
initiation. Si c'était un homme, il faisait serment « de ne jamais entreprendre le mouillage dans aucun port où déjà se trouverait à l'ancre un des vaisseaux de l'ordre. » Si c'était une femme, elle promettait « de ne point recevoir de vaisseau étranger dans son port, tant qu'un vaisseau de l'ordre y serait à l'ancre . » Elle prêtait serment assise à la place du chef-d'escadre, ou président, qui, durant cette formalité, se mettait à ses genoux. Une scission de cet ordre donna naissance, en 1745, à l'
ordre des chevaliers et des chevalières de l'Ancre, qui n'était qu'une épuration du premier et qui en avait conservé les formules. Deux ans plus tard, en 1747, le chevalier Beauchaine, le plus fameux et le plus zélé des
vénérables inamovibles de
Paris, le même qui avait établi sa loge dans un cabaret de la rue
Saint-Victor, à l'enseigne du
Soleil d'or, qui y couchait et y donnait pour six francs, dans une seule séance, tous les grades de la maçonnerie, institua l'
ordre des Fendeurs, dont les cérémonies étaient calquées sur celles de la coterie des charbonniers, une des nombreuses branches des
compagnons du devoir. La loge avait le nom de
chantier ; elle était censée représenter une
forêt. Le président s'appelait
père-maître ; les
frères et les surs prenaient le titre de
cousins et de
cousines, et le récipiendaire était qualifié de
briquet. Ces réunions eurent une vogue extraordinaire. Elles avaient lieu dans un vaste
jardin situé dans le quartier de la Nouvelle-France, hors de
Paris. Les gens de cour, hommes et femmes, s'y rendaient en foule, bras
dessus, bras
dessous, vêtus de blouses ou de jupons de
bure, les pieds chaussés de lourds sabots, et s'y livraient à tous les éclats et à tout le sans-façon de la gaieté populaire
(46). D'autres sociétés
androgynes succédèrent à
celle-là : tels furent les ordres de la
Coignée, de la
Centaine, de la
Fidélité, dont les formes se rapprochaient davantage de celles de la
franc-maçonnerie ordinaire.
La maçonnerie d'adoption proprement dite se forma la dernière. A ce que nous en avons rapporté dans notre introduction, nous ajouterons qu'elle se compose de quatre grades, appelés l'
apprentissage, le
compagnonnage, la
maîtrise, la
maîtrise parfaite, et que les
emblèmes de ces grades sont puisés dans la Bible, et commémorent successivement le péché originel, le
déluge, la confusion de la tour de Babel, etc.
Une fois arrêtés définitivement, les
rites d'adoption se répandirent de la France dans la plupart des autres pays de l'
Europe et jusqu'en Amérique. Les maçons les accueillirent partout avec empressement, comme un moyen honnête de faire participer leurs femmes et leurs filles aux plaisirs qu'ils goûtaient dans leurs fêtes mystérieuses. Les banquets et les bals qui accompagnaient ces réunions étaient toujours l'occasion de nombreux actes de
charité. Ils devinrent le rendez-vous de la plus haute société. Plusieurs de ces assemblées furent entourées d'un éclat qui leur mérite une place dans l'
histoire.
Tout ce que
Paris comptait de notabilités dans les lettres, dans les arts et dans la noblesse, se portait en foule, en 1760, à la loge d'adoption qu'avait fondée le comte de
Bernouville à la Nouvelle-France, et à celles que plusieurs autres seigneurs tenaient, vers la même époque, dans leurs hôtels.
Il y eut à
Nimègue, dans l'
hiver de 1774, une
réunion de ce genre, présidée par la princesse d'
Orange et par le prince de Waldeck. L'élite de la noblesse hollandaise assistait à la fête. Du produit d'une souscription qui y fut ouverte, on fonda un hospice en faveur des malheureux.
En 1775, la loge de
Saint-Antoine, à
Paris,
établit une loge d'adoption dont la présidence fut déférée à la
duchesse de Bourbon. Au mois de mai, la grande-maîtresse fut installée avec une pompe extraordinaire. Le
duc de
Chartres, depuis
duc d'
Orléans, alors grand-maître de la maçonnerie française, tenait les travaux. On remarquait, parmi les assistants, les
duchesses de
Luynes et de Brancas, la comtesse de
Caylus, la vicomtesse de
Tavannes, et beaucoup d'autres surs du plus haut rang. La quête fut abondante, et servit principalement à tirer de prison de pauvres familles qui y étaient détenues pour mois de nourrice. La
duchesse de Bourbon présida encore, en 1777, une fête donnée par la loge de
la Candeur, et à laquelle
assistaient la
duchesse de
Chartres, la princesse de
Lamballe, les
duchesses de
Choiseul-Gouffier, de
Rochechouart, de Loménie, de Nicolaï, la comtesse
de
Brienne ; les
marquises de Rochambeau, de Béthizy et de
Genlis. A une
loge d'adoption, tenue en 1779, sous la présidence de la même sur,
on fit une quête extraordinaire en faveur d'une famille indigente de province,
qui, dans sa naïve confiance, avait jeté à la poste une demande
de secours avec cette simple suscription : « A Messieurs les francs-maçons
de
Paris. » Dans la même année, la loge d'adoption de
la Candeur s'intéressa particulièrement à l'infortune d'un
frère titré, qui, victime d'une haine de famille, se trouvait réduit
à la plus affreuse misère. A la sollicitation de cette loge, Louis XVI accorda à son protégé une gratification de mille livres, huit cents francs de pension et une lieutenance dans un régiment. Les loges des
Neuf Surs, sous la présidence de
Mme Helvétius ; du
Contrat social, présidée par la princesse de
Lamballe, célébrèrent aussi des fêtes brillantes, dans lesquelles les joies du festin et du bal ne firent pas oublier l'infortune.
Sous l'empire, les fêtes d'adoption ne jetèrent pas un moindre éclat. En 1805, la loge des
Francs-Chevaliers, de
Paris, se transporta à
pour y tenir une loge d'adoption. La baronne Diétrick y remplit les fonctions de grande-maîtresse, et l'
impératrice Joséphine voulut bien y assister. Une fête non moins remarquable eut lieu à
Paris, en 1807, dans la Loge de
Sainte-Caroline, sous la présidence de la
duchesse de Vaudemont. L'assemblée était des plus nombreuses. On y remarquait le prince Cambacérès, le comte Régnault de
Saint-Jean d'Angély, la princesse de
Carignan, les comtesses de Girardin, de Roncherolles, de Croix-Mard, de
Montchenu, de
Laborde, de
Narbonne, de La Ferté-Mun, d'Ambrugeac, de
Bondy, etc.
De toutes les fêtes d'adoption qui furent célébrées à
Paris sous la restauration et au nombre desquelles il faut citer celles que donnèrent, en 1820, les loges du
rite de
Misraïm, sous la présidence du comte Muraire et de la
marquise de Fouchécour, et, en 1826,
la Clémente Amitié, présidée par le
duc de
Choiseul et la comtesse de Curnieu, la plus remarquable, sans contredit, est celle qui eut lieu le 09
février 1819, dans l'hôtel de
Villette, rue du faubourg
Saint-Honoré, 30. La loge avait pour titre :
Belle et Bonne ; elle était tenue par le comte de
Lacépède et par la
marquise de
Villette, nièce de Voltaire. Belle et
Bonne était le surnom affectueux que la
marquise avait reçu de ce grand homme. Lorsqu'en 1778, à son
initiation dans la maçonnerie, le
vénérable Lalande lui avait remis les gants de femme qu'il est d'usage de donner au
néophyte, Voltaire les avait pris, et se tournant vers le
marquis de
Villette, il les lui avait remis, en disant : « Puisque ces gants sont destinés à une personne pour laquelle on me suppose un attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belle et
Bonne. » Tout ce que la France comptait alors de notabilités dans le parlement, les sciences et les arts, dans la carrière militaire et administrative, d'
illustres étrangers, le prince royal de Wurtemberg et l'ambassadeur de Perse, entre autres, assistaient à la séance de la loge de
Belle et Bonne. Outre l'élite des surs françaises, la
duchesse de la Rochefoucault, notamment, on y voyait aussi lady Morgan et plusieurs autres surs étrangères, distinguées par leur naissance ou par leurs talents. Le buste de Voltaire y fut solennement inauguré. La sur Duchesnois
lut, en l'honneur de l'
illustre écrivain, une ode que Marmontel avait composée et à laquelle le
frère de
Jouy avait ajouté deux strophes adaptées à la fête du
jour ; elle déposa sur le buste de Voltaire la même
couronne dont son front avait été ceint au Théâtre-Français, en 1778, par la célèbre tragédienne Clairon ; puis, avec le concours du
frère Talma, elle récita la belle et terrible scène de la double confidence dans
dipe. Beaucoup d'autres artistes se firent pareillement entendre, et une abondante collecte termina dignement la séance. A la suite, il y eut un bal qui se prolongea une partie de la nuit
(47).
Peu de temps après l'établissement du
rite d'adoption, il se forma à
Versailles une nouvelle société, qui prétendait à une antique origine. Celle-ci, dont le formulaire mystérieux s'est perdu, s'appelait l'
ordre des chevaliers et des dames de la Persévérance. Elle avait pour fondateurs la comtesse de Potoska, quelques autres
dames de la cour, le comte de Brotowski et le
marquis de
Seignelay, et ne remontait pas, en réalité, au delà de 1769. Les inventeurs racontaient le plus sérieusement du monde et avec une bonhomie parfaite que l'ordre avait été institué dans le royaume de Pologne, à une époque très reculée ; qu'il y avait existé sans interruption dans le plus profond secret ; et qu'il avait été introduit récemment en France par des
Polonais de distinction. La comtesse de Potoska, qui avait imaginé cette
fable, sollicita son parent, Stanislas, roi de Pologne, alors réfugié en
France, de se prêter à la supercherie. Le monarque y consentit de bonne grâce et poussa même la plaisanterie jusqu'à tracer, dans une lettre de sa propre main, l'
histoire circonstanciée de l'ordre, depuis ses premiers temps supposés, affirmant qu'il était encore en grand honneur en Pologne. Le moyen de nier l'ancienneté de cet ordre, lorsqu'elle était attestée par un si haut personnage ! Aussi tous les doutes qu'elle avait d'abord inspirés s'évanouirent-ils à partir de ce moment. Rulhières, à qui l'on doit une
histoire de la Pologne, et qui se targuait de posséder mieux que personne les
annales de ce pays, était au nombre des plus crédules. Il eut la malheureuse vanité de faire parade de son érudition gasconne au sujet de l'ordre de la Persévérance, un
jour qu'il rencontra dans le Palais-Royal
la comtesse de
Caylus, une des
dames qui avaient contribué à l'établissement de cette société. Il lui dit qu'il avait découvert une foule de particularités curieuses de l'
histoire de l'ordre ; qu'il était certain, par exemple, que le comte de Palouski l'avait restauré en Pologne au milieu du
XVème siècle, et que, dans la suite, Henri III en avait été nommé grand-maître, lorsqu'il fut appelé
au trône de Pologne, etc. « Vraiment ! repartit la comtesse. Et où,
bon
Dieu ! avez-vous trouvé toutes ces belles choses ? Dans de vieilles
chroniques
polonaises qui m'ont été communiquées par des
bénédictins. Qui les ont fabriquées ? Non pas ! Ce sont des
frères de leur ordre qui les leur ont envoyées de Varsovie tout exprès pour moi, sachant que je suis très curieux de tout ce qui touche à l'
histoire de ce pays. Eh bien ! chevalier, dit en riant la comtesse, ils auront à faire pénitence pour un si gros mensonge. Je puis vous le dire à vous, qui sûrement n'irez pas le répéter, car, après tout, le secret que je garde depuis si longtemps finirait par m'étouffer : sachez donc que l'
histoire de l'ordre de la Persévérance n'est qu'une
fable, et que vous voyez devant vous une des personnes qui l'ont imaginée. » Elle donna alors à Rulhières les détails que nous avons rapportés plus haut. Le chevalier, un peu confus, n'eut garde de se vanter de l'aventure ; la comtesse ne fut pas si discrète. Quoiqu'il eût à se reprocher cette petite fraude historique, l'ordre de la Persévérance n'en accomplissait pas moins une tâche louable : il répandait d'abondantes aumônes, et s'attachait particulièrement à secourir les pauvres femmes en couches.
Une association d'un tout autre genre fut établie, vers la même époque, sous le titre d'
ordre des chevaliers et des nymphes de la Rose. Le but qu'elle se proposait était la bienfaisance prise dans un sens fort restreint, et l'
amour du prochain y était circonscrit dans les limites les plus étroites. C'était tout simplement une réunion de plaisir qui s'était trompée de date, et qui appartenait, par ses tendances et par sa
composition, aux beaux
jours de la Régence. M. de
Chaumont, secrétaire particulier du
duc de
Chartres pour ce qui concernait la
franc-maçonnerie, était l'inventeur de cet ordre, qu'il avait imaginé pour complaire aux désirs du prince. La société avait son siège principal à
Paris, rue de Montreuil, à la Folie-Titon, petite maison de
Son Altesse ; elle avait aussi des succursales dans les hôtels de plusieurs seigneurs. La salle où se faisaient les réceptions s'appelait le
Temple de l'Amour. Les murs, ornés de guirlandes de
fleurs, étaient chargés d'écussons où étaient tracés des
emblèmes et des devises érotiques. L'assemblée était présidée par deux officiers de sexe différent, dont l'un avait le titre d'
hiérophante, et l'autre celui de
grande-prêtresse. Le premier recevait les hommes ; les femmes étaient
initiées par la seconde. Un chevalier, nommé
Sentiment, une nymphe nommée
Discrétion, deux introducteurs,
homme et femme, aidaient l'
hiérophante et la grande-prêtresse dans l'accomplissement,des réceptions. Les assistants se qualifiaient de
frères et de
surs. Les hommes avaient une
couronne de
myrte ; les femmes, une
couronne de
roses. L'
hiérophante et la grande-prêtresse portaient, en outre, un large ruban
rose sur lequel étaient brodées deux
colombes au centre d'une
couronne de
myrte. Au moment où les réceptions avaient lieu, la salle n'était éclairée que par une lanterne sourde que tenait à la main la sur Discrétion ; les réceptions achevées, le temple étincelait de la
clarté de mille bougies.
Voici de quelle manière s'opéraient ces réceptions, d'après le rituel de l'ordre, que nous copions textuellement :
« L'introductrice (si l'on admet une nymphe), et l'introducteur (si c'est un chevalier) les
dépouillent de leurs armes, bijoux ou
diamants ; leur couvrent les yeux ; les chargent de chaînes, et les conduisent à la porte du
Temple de l'
Amour, à laquelle on frappe deux coups. Le
frère Sentiment introduit les
néophytes, par l'ordre de l'
hiérophante ou de la grande-prêtresse. On leur demande leur nom, leur patrie, leur état, enfin ce qu'ils cherchent. Ils doivent répondre à cette dernière question : Le bonheur.
D. Quel âge avez-vous? R. (Si c'est un chevalier :) L'âge d'aimer. (Si c'est une nymphe :) L'âge de plaire et d'aimer.
Les candidats sont ensuite interrogés sur leurs sentiments
particuliers, leurs préjugés, leur conduite en matière de
galanterie, etc. Après les réponses, on ordonne que les chaînes dont ils sont chargés soient brisées, et remplacées par celles de l'
Amour. Alors des chaînes de
fleurs succèdent aux premières. Dans cet état, on commande le premier voyage. Le
frère Sentiment leur fait parcourir un chemin tracé par des nuds d'
amour, qui part du trône de la grande-prêtresse et vient aboutir, à l'autre extrémité de la salle, à la place occupée par le
frère Sentiment. Le second voyage est ordonné, et la même route est suivie en sens contraire. Si c'est une nymphe qui doit être admise, elle est conduite par la sur Discrétion, qui la couvre de son voile. Ces deux voyages terminés, les candidats s'approchent de l'
autel de l'
Amour, et s'engagent par le serment suivant :
« Je jure et je promets, au nom du maître de l'univers, dont le pouvoir se renouvelle sans cesse par le plaisir, son plus doux ouvrage, de ne jamais révéler les secrets de l'ordre de la
Rose. Si je manque à mes serments, que le mystère n'ajoute rien à mes plaisirs ! qu'au lieu des
roses du bonheur, je ne trouve jamais que les épines du repentir !
Ce serment prononcé, on ordonne que les
néophytes
soient conduits dans les bosquets mystérieux, voisins du
Temple de l'
Amour. On donne aux chevaliers une
couronne de
myrte, aux nymphes une simple
rose. Pendant ce voyage, un orchestre nombreux exécute une marche tendre, avec des sourdines. On les conduit à l'
autel du Mystère, placé au pied du trône de l'
hiérophante ; là, des parfums sont offerts à
Vénus et à son fils. Si l'on reçoit un chevalier, il échange sa
couronne avec la
rose de la dernière sur admise. Si c'est une nymphe qu'on reçoit, elle échange sa
rose avec la
couronne du
frère Sentiment. L'
hiérophante lit des vers en l'honneur du
dieu du Mystère, après quoi il fait ôter le bandeau qui a couvert les yeux des candidats pendant toute la cérémonie. Une musique mélodieuse se fait entendre et vient
ajouter au charme du spectacle qu'offrent aux
initiés une réunion brillante et un lieu enchanteur. Pendant qu'on exécute cette musique, l'
hiérophante ou la grande-prêtresse donne aux
néophytes les signes de reconnaissance, qui se rapportent tous à l'
amour et au mystère. »
D'autres mystères suivaient, dont le rituel ne fait pas mention, mais qu'on a pu lire dans la chronique de l'époque.
Cette société de la
Rose, qui date de 1778, n'a eu qu'une briève existence. On n'en trouve aucune trace postérieurement
à 1782.
Une autre société, qui n'a d'analogie avec celle-ci que par le nom : l'
ordre des Philochoréites, ou
Amants du plaisir, fut instituée en 1808 au camp français, devant Orense, en Galice. De jeunes officiers en furent les inventeurs. Il avait pour objet de charmer les courts intervalles des combats par des réunions choisies de personnes des deux sexes, qu'embellissaient des divertissements et des fêtes. C'était une sorte de maçonnerie d'adoption, qui avait ses
initiations et ses mystères. Les loges prenaient le titre de cercles. Chaque chevalier portait un nom particulier : ainsi, M. Gustave de Damas s'appelait le chevalier du Défi-d'
Amour ; M. de
Noirefontaine, le chevalier des Nds. Les formules de la réception, dont le secret paraît avoir été
religieusement gardé, tenaient aux usages des cours d'
amour et aux cérémonies de la chevalerie. De l'armée d'Espagne, la société s'étendit aux armées françaises employées sur les autres points de l'
Europe, et à quelques garnisons de l'intérieur. Elle n'eut point d'établissement à
Paris. En 1814, elle avait tout à fait cessé d'exister.
Enfin, une dernière association, l'
Ordre des dames
écossaises de l'hospice du Mont-Thabor, qui avait beaucoup de ressemblance
avec la maçonnerie d'adoption ordinaire, fut fondée à
Paris, en 1810, par M. de Mangourit, qui s'en constitua le grand-maître. Elle avait pour grande-maîtresse Mme de Carondelet. Les instructions que recevaient les
néophytes, dans les divers grades dont se composait le système tendaient spécialement à les ramener vers les occupations auxquelles les institutions sociales ont particulièrement destiné les femmes, et à les prémunir contre l'oisiveté et la séduction qu'elle traîne à sa suite. « Donner du pain et du travail aux personnes de bonne conduite du sexe féminin qui en manquent ; les aider d'abord, les consoler ensuite, et les préserver, par des bienfaits et par l'espérance, de l'abandon des principes et du supplice du désespoir, » tel était le but de cette société, qui a fait beaucoup de bien, et qui s'est dissoute vers la fin de la restauration. Nous aurons occasion de revenir sur les réunions de femmes à propos de la maçonnerie de Cagliostro.
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(46) Voir
Appendice, n° 1.
(47) Voyez planche 10.