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La Franc-Maçonnerie en France depuis 1725

Louis Amiable
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DEUXIÈME PARTIE
Le Grand Orient de France au XIXème siècle



1830 à 1848

      Et cependant, malgré ces grands et nobles exemples, l'esprit de servilisme que l'Empire et la Restauration avaient substitué au grand souffle de dignité et d'honneur qui animait les fiers maçons du dix-huitième siècle, se révéla à nouveau parmi quelques-uns de ceux qui avaient l'honneur de diriger le Grand Orient ; et quelques uns de ces maçons, qui ont bien mérité d'être oubliés, se crurent autorisés, et peut-être le furent-ils, à offrir la Grande Maîtrise au duc d'Orléans. Le roi Louis-Philippe s'y opposa, et les flagorneurs en furent pour leur courte honte. – Cet oubli de toute dignité, ce témoignage d'abaissement eurent pour sanction et pour conséquence la retraite d'un grand nombre de maçons. Les plus brillants entrèrent dans les fonctions publiques et beaucoup d'autres à l'esprit généreux et militant, découragés par la pusillanimité du pouvoir directeur du Grand Orient, abandonnèrent une institution qui, dans ses principaux représentants, se montrait incapable de donner aucune auxiliarité aux tendances libérales qui s'affirmaient au dehors avec une grande énergie.

      En 1831, le Grand Orient avait perdu plus de 80 ateliers, et il n'avait réussi à constituer que quatre Loges nouvelles : deux en France, deux aux Antilles.

      On songea alors à réviser la Constitution ; et l'on nomma une commission chargée d'élaborer un projet de révision. Cette commission, dite Commission des Douze, déposa son rapport le 24 mars 1832.

      C'est une nouvelle époque critique pour la Maçonnerie. Les idées socialistes font leur entrée dans le monde des Esprits et des penseurs. C'est le Saint-Simonisme qui ouvre ses grandes assises, et qui appelle les hommes à constituer ce grand levier d'émancipation et de puissance, l'association.

      C'est la République qui s'organise avec le concours de maçons qui seront en grand nombre dans les Sociétés politiques résolues à combattre et à renverser un gouvernement sans prestige, sans libéralisme, sans grandeur. Voici venir les insurrections républicaines de 1832 et de 1834, et derrière elles, la loi fameuse de 1834 contre la liberté de la presse et contre le droit de réunion et d'association. Le pouvoir directeur du Grand Orient croyant trouver dans son obséquiosité vis-à-vis de l'autorité politique, un préservatif contre les dispositions hostiles de l'administration au regard de la Maçonnerie, se faisait, plus qu'il ne convenait, soumis et humble devant la police, n'ayant d'ailleurs qu'un sentiment insuffisant de la puissance redoutable de notre institution. – Quelques-uns de ses chefs s'étaient affolés jusqu'à proposer de faire reconnaître le Grand Orient comme société d'utilité publique, livrant ainsi, dans leur inconscience, la noble et indépendante institution à l'arbitraire du Pouvoir. – Mais le Grand Orateur Bouilly, un nom qu'il faut retenir pour l'honorer, combattit avec la dernière énergie cet acte d'abandon et de désertion, et la proposition fut repoussée. – Enfin, ce parti rétrograde qui s'était jusqu'en 1839 maintenu au Pouvoir, en persécutant les Loges, en comprimant hors de toute raison les tendances libérales de leurs plus brillantes personnalités, sentit tellement son impopularité, qu'il céda la place aux hommes animés de l'esprit de liberté, qui promulguèrent enfin le 4 janvier 1839, les nouveaux Statuts si longtemps attendus. Ce fut un vrai réveil d'activité pour les Loges, et un renouveau dans l'administration. On reconstituait la bibliothèque, on réunissait les anciennes archives. On favorisait la création de publications maçonniques, tel que le Globe (1839-1842) ; et tout en s'efforçant de ramener la Maçonnerie dans le domaine des idées, seul champ d'action où elle puisse exercer une action utile et qui lui soit propre, elle essayait, en 1840, par l'initiative de la Loge La Clémente Amitié, de fonder à Paris une Maison de Secours destinée à recevoir, abriter et à secourir, pendant un temps déterminé, les maçons malheureux. Le Grand Orient s'appropria l'idée, il la façonna par l'étude et l'expérience ; et quelqu'imparfaite qu'elle soit encore, elle a rendu et rend chaque jour de vrais services.

      En 1843, le Grand Orient créa un organe de publicité, le Bulletin trimestriel, destiné à porter au sein des ateliers les travaux importants d'une Commission permanente qui étudiait les questions morales et les questions d'intérêt général maçonnique.

      Ce Bulletin fut une des plus heureuses innovations administratives du Grand Orient. Il devint le lien réel et effectif de toutes les Loges, et le centre administratif de tous les ateliers.

      Voici, d'ailleurs, les termes de l'arrêté pris par le Grand Orient, le 15 décembre 1843 :

      « Après avoir entendu le rapport de la Commission des trois Chambres administratives chargées de l'examen des propositions soumises au Grand Orient par plusieurs ateliers de la correspondance et par quelques-uns de ses membres ;

      Considérant que ces observations dictées en général par un véritable désir de contribuer à la prospérité de la franc-maçonnerie s'appliquent principalement à la partie morale de l'Institution, et qu'il est impossible de leur donner suite, ainsi qu'à toutes celles qui pourront être faites à l'avenir dans les mêmes vues ; que, dans ce but, il est nécessaire d'avoir des séances spéciales consacrées à leur examen, et dans lesquelles serait en même temps discutés tous les hauts intérêts de l'Ordre.

      Considérant, en outre, que pour rendre ces discussions utiles et profitables à tous, il importe aussi de créer un moyen de publicité maçonnique qui puisse répandre la lumière qui en naîtra ;

      Le F:. Orat:., entendu dans ses conclusions favorables, – Le Grand Maître arrête :

      Article premier. – A l'avenir, indépendamment des séances indiquées par les statuts généraux, le Grand Orient aura quatre tenues extraordinaires par an, lesquelles seront exclusivement consacrées à la discussion des affaires d'un intérêt général pour l'Ordre. Ces séances sont fixées au deuxième vendredi des mois de janvier, avril, juillet, octobre.

      Art. 2. – Une Commission spéciale est instituée pour l'examen de toutes les questions d'intérêt général dont pourrait être saisi le Grand Orient, et sur lesquelles elle devra présenter un rapport à chacune des séances extraordinaires ci-dessus. Cette Commission, nommée par le Grand Orient, est composée de 9 officiers pris en nombre égal dans chacune des trois chambres administratives, de trois députés et de trois présidents d'atelier : elle sera renouvelée par tiers d'année en année. Les membres sortants seront rééligibles.

      Art. 3. – II est créé un Bulletin trimestriel qui contiendra le résumé des travaux du Grand Orient, et notamment des discussions et délibérations qui auront eu lieu dans les tenues générales fixées par l'art. 1er. Il pourra contenir, en outre, en entier ou par extraits, les morceaux d'architecture adressés par les ateliers et par les maçons, et mentionner tous les faits importants qui se passeront dans la franc-maçonnerie française et étrangère. »

      Ce Bulletin, d'abord trimestriel, parut tous les deux mois à partir de 1847 ; il était envoyé gratuitement aux Loges ; mais les nécessités financière s'obligèrent l'administration à supprimer la gratuité, et c'est, depuis ce temps, que l'abonnement annuel fut fixé à 6 francs pour Paris ; 7 francs pour les départements, 8 francs pour l'étranger. Il est actuellement de 5, de 6 et de 7 francs.

      Ce bon exemple donné par le pouvoir central du Grand Orient suscita dans les Loges, non seulement de Paris, mais des départements une émulation et une activité qui attestaient la profonde vitalité de l'institution. Le Grand Orient eut dû se féliciter, semble-t-il, de cet excellent résultat. Il n'en fut rien : le régime de juillet touchait à sa fin : Tout annonçait le détachement de la nation et le discrédit irrémédiable du Gouvernement. Au sein de la Maçonnerie, on s'occupait de réformer l'organisme de l'institution, comme au dehors on s'occupait d'amender l'organisation politique.

      C'était le cas d'encourager les Loges dans ces pacifiques et utiles travaux : Cela fit peur, au contraire, aux pusillanimes directeurs du Grand Orient, que leur affolement poussa aux plus étranges violences, contre les écrivains maçonniques les plus distingués, les FF:. Ragon et Clavel, et contre les Loges départementales qui voulaient dans des congrès régionaux discuter les questions les plus intéressantes de la vie maçonnique et de la vie profane.

      Ce qui n'empêchera pas ces Directeurs, après la révolution de février qui compte parmi ses combattants et ses morts tant des nôtres, de recommencer comme leurs prédécesseurs de l'Empire, de la Restauration et de 1830, les mêmes obséquiosités et les mêmes adulations au pouvoir politique nouveau.

      Mais un phénomène étrange, sans précédent dans notre institution basée sur la raison, le libre examen, la science, se produisit à la veille de la révolution de février. Un frère Blanchet, esprit mystique, émit au sein de la Commission permanente l'idée bizarre de relever la Maçonnerie en lui restituant le caractère religieux qui lui est propre. – En vue de ce relèvement, il proposait de n'admettre dans l'Ordre que des personnes pouvant payer des cotisations élevées : « Par là, seulement, disait-il, nous obtiendrons les moyens de répandre les bienfaits de la charité morale et de la charité matérielle ; et en exerçant envers les frères malheureux cette délégation de la bienfaisance suprême, nous rendrons à la divinité le culte le plus digne d'elle ; et à la Maçonnerie le caractère religieux qui lui est propre.....

      « La maçonnerie est véritablement une religion, mais une religion qui, dans sa morale, les comprend toutes et n'en exclut aucune, admettant avant tout la Divinité dans sa croyance. Elle correspond à une puissance philosophique sans laquelle il n'y aurait ni culte, ni croyance, et qui est en même temps une religion. »

      C'est là un langage que je ne comprends pas, autorisé que je suis à croire, par l'obscurité de l'expression, que l'orateur ne se comprend pas lui-même.

      Un tel état d'esprit était d'ailleurs un reflet du courant profane : C'était à la veille du 24 février et de ces manifestations perfides où le clergé catholique, dans son amour désordonné de la Révolution, bénissait bruyamment, en les maudissant dans sa haine secrète, les arbres de la Liberté, et préparait la trahison et l'égorgement de la République en adaptant à ses cantiques au sans-culotte Jésus les airs républicains de la Marseillaise, du Chant du Départ, du Chant des Girondins.

      Quoiqu'il en soit, et malgré l'adhésion donnée par le Grand Orient lui-même à ce fol écart d'imagination, la proposition n'eut pas de suite immédiate ; et peu de jours après, le Grand Maître adjoint, au nom du Grand Orient de France, portait à nos FF:. Crémieux, Garnier Pagès, Pagnerre, membres du Gouvernement provisoire, revêtus pour la circonstance de leurs insignes maçonniques, l'expression de la joie de la Maçonnerie française, et sa chaleureuse adhésion au régime démocratique qui avait repris notre glorieuse devise : Liberté, égalité, fraternité.




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