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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
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Appendice I – De la Franc-Maçonnerie orientale ou de la secte des Ismaéliens

Un fait capital, mais très peu connu, est l'existence dans le monde musulman depuis le IXème siècle de l'ère chrétienne d'une grande société secrète dont les principes, l'organisation, les grades et les procédés de propagande sont absolument identiques à ceux da la franc-maçonnerie occidentale. C'est la secte des Ismaéliens. Elle était très répandue en Syrie à l'époque des Croisades et il est fort vraisemblable qu'elle séduisit un certain nombre de Templiers par le syncrétisme religieux et la licence absolue de mœurs qu'elle enseignait dans ses hauts grades (111).

      I. Nous allons mettre le lecteur à même d'en juger en analysant le long mémoire qu'a publié sur ce sujet le savant orientaliste Silvestre de Sacy. Il forme l'Introduction de L'Exposé de la religion des Druses, 2 vol. in-8°, Paris, 1838.

      La secte des Ismaéliens commença à se former d'abord comme une doctrine théologique, vers l'an 148 de l'hégire, c'est-à-dire vers 750 ap. J.-C. Elle ne reconnaissait que sept Imans au lieu des douze que vénèrent les musulmans orthodoxes. Le dernier, Mahmed fils d'Ismaïl, est bien supérieur selon elle à Mahomet : il n'est pas mort et doit un jour reparaître. Aussi cette secte est-elle connue également sous le nom de la doctrine de l'Imam caché. Cette croyance est exploitée par tous les ambitieux et tous les fanatiques. On trouve à ce sujet de longs détails dans les Prolégomènes historiques de l'historien africain Ibn Khaldoun, qui écrivait dans les dernières années du XIVème siècle (112).

      La nouvelle secte se recruta surtout chez les Schiites ou partisans d'Ali et s'est principalement propagée dans la partie orientale du monde de l'Islam. Vers 264 de l'hégire (878 ap. J.-C.), elle se constitua définitivement comme une grande société secrète, avec sa hiérarchie et une propagande organisée. Elle prit à cette époque le nom de secte des Karmates, mais elle est plus connue sous le nom de secte des Ismaéliens.

      Elle a été mêlée à toutes les révolutions de l'Orient. Les fameux Haschichins qui, dirigés par le Vieux de la montagne, faisaient trembler tous princes chrétiens et musulmans, étaient une branche de la secte ismaélienne. Ils étaient répandus dans l'Irac, la Syrie et la Perse (113).

      Les détails que donne Silvestre de Sacy sont empruntés à deux historiens égyptiens : Nowaïri (1280-1331) et Makrisi (1360-1442). Ce dernier a traité le sujet ex professo dans la Vie du khalife Fatimite Hakem.

      Les Ismaéliens appellent eux-mêmes leur doctrine la Science du sens intérieur. Elle consiste à regarder comme des allégories tous les préceptes de l'Islamisme. Ils cherchent à enrôler dans leur rang non seulement des Schiites, mais encore des Musulmans Sunnites, des Dualistes, des Chrétiens et jusqu'à des Juifs. Les frères chargés de la propagande s'appellent les Daïs. Ils y consacrent leur vie, et les pratiques qui leur sont recommandées, dans l'instruction detaillée dont Nowaïri donne le texte authentique, sont absolument celles que Weishaupt, le fondateur des Illuminés, prescrivait aux frères insinuants. En s'adressant à des gens d'origine et de religion si diverses, ils doivent parler à chacun son langage et se présenter à eux comme animés du zèle le plus grand pour leur religion. Ils les persuaderont ainsi de recevoir successivement les grades de l'Ordre. Ils doivent en outre se rendre habiles dans l'art des prestiges pour accroître leur influence.

      Il y a neuf degrés successifs d'initiation ; à chacun un nouveau serment de garder le secret est exigé.

      Le but de la secte se dévoile peu à peu.

      Les cinq premiers degrés d'initiation ne contiennent que des données à la rigueur conciliables avec l'Islam, mais qui ébranlent peu à peu la foi du nouvel adepte en tournant ses idées vers les sens allégoriques et mystiques du Koran au lieu du sens traditionnel et pratique. Au sixième degré « auquel on ne passe point que le prosélyte ne soit bien affermi dans la croyance de tout ce qu'on lui a enseigné précédemment et qu'on ne se soit bien assuré de sa discrétion et de son silence, le daï enseigne aux prosélytes que les observances légales de la prière, de la dîme, du pèlerinage, de la pureté légale, etc., n'ont été établies que comme des énigmes par des philosophes d'entre les prophètes et les Imans : qu'ils n'ont vu dans ces pratiques qu'un moyen de tenir le commun des hommes dans la dépendance, de les exciter aux actions qui peuvent être utiles à la société, de les empêcher, en les distrayant ainsi, de se faire tort les uns aux autres et de commettre des brigandages sur la terre. En même temps, néanmoins, on témoigne beaucoup de vénération pour les auteurs de ces institutions et on vante la profonde sagesse qui leur a inspiré ces lois...

      Au septième degré, on enseigne le dualisme : on détourne le prosélyte du dogme de l'unité de Dieu et on lui persuade que le titre de créateur et l'œuvre de la création appartiennent à deux êtres. Au surplus, dans leur système, la production des substances corporelles n'est point une véritable création ce n'est que conformation et disposition. Voilà pourquoi quand un Daï enrôle un Dualiste, il lui confère immédiatement ce degré.

      Au huitième degré, le daï enseigne au prosélyte que ce qui caractérise un prophète véridique, ce ne sont point, comme on le dit communément, les miracles, mais l'établissement de certaines institutions politiques qui forment un gouvernement bien constitué, de principes sages dont se compose un système de philosophie, la formation d'un système de religion que les hommes adoptent sur l'autorité de ce prophète. Après cela on enseigne qu'Abraham, Moïse, Jésus et tous les autres prophètes ne sont que des prophètes instituteurs de politique et d'observances légales, qui ont reçu les leçons des prophètes de la philosophie tels que Platon et autres philosophes du même genre et qu'ils n'ont institué leurs religions que pour conduire les hommes à la doctrine des prophètes de la philosophie... Le daï donne à la parole de Dieu, à la résurrection, à la fin du monde, au jugement dernier, à la distribution des récompenses et des châtiments, un sens tout particulier, qui n'a rien de commun avec ce qu'entendent par ces choses ceux qui professent la croyance de l'unité de Dieu. Tout cela, suivant eux, ne signifie autre chose que les révolutions des astres et de l'univers qni se succèdent périodiquement les unes aux autres, la production et la destruction de toutes choses suivant la disposition et la combinaison des éléments. En admettant ces dogmes, dit Nowaïri, on renonce nécessairement à toute religion fondée sur l'autorité d'une mission prophétique, quelle qu'elle soit, et ceux qui les adoptent ne peuvent plus être comptés que parmi les matérialistes et les dualistes.

      Le neuvième degré d'initiation est ainsi décrit par Makrisi :

      « Quand le prosélyte a acquis toutes les connaissances dont nous avons parlé jusqu'ici, on l'applique alors à examiner les choses qui existent et à rechercher leur nature et leurs définitions suivant la méthode des philosophes et d'après leurs livres.

      Ceux qui parviennent à ce degré d'instruction adoptent quelques-uns des systèmes reçus par les infidèles, qui croient à l'éternité des principes élémentaires des substances.

      Tout ce que nous avons exposé précédemment des moyens que l'on emploie dans les premiers degrés de l'instruction n'a pour effet que de faire abandonner au prosélyte les religions fondées sur la révélation et sur une mission prophétique. Ce moyen est également bon à l'égard de toutes les religions, comme une sorte de préparation énigmatique.

      Par l'usage de l'interprétation allégorique on détourne le sens des paroles de chaque religion pour l'accommoder à cette nouvelle doctrine, ayant soin de se conformer à ce qui plaît au prosélyte, quelle que soit la religion à laquelle il appartienne.

      On enseigne an prosélyte que les divers Imams sont très inférieurs à Mahmed, fils d'Ismaïl, le chef et docteur de la dernière période. Aucun d'eux n'a ni fait aucun miracle ni reçu de Dieu aucune révélation pour la communiquer aux hommes, comme le prétendent ceux qui tiennent à la doctrine littérale et extérieure. [...] On n'est donc point obligé de se conformer à ces lois, si ce n'est autant que cela est nécessaire pour maintenir l'ordre et pour la conservation des intérêts mondains. Quant à l'homme qui connaît, il n'est nullement obligé de pratiquer ces lois. La connaissance dont il est en possession lui suffit ; car c'est là la vérité certaine à laquelle on doit tendre. En dehors de cette connaissance, toutes les ordonnances légales ne sont que comme des ballots et des fardeaux imposés aux infidèles, aux gens qui ignorent les causes et le but de ces ordonnances. Cette doctrine s'étend également à toutes les lois qui défendent l'usage de certaines choses.

      Souvent l'adepte qui est parvenu connaissance de tout cela embrasse les opinions de Manès ou dit fils de Dais ou Barbesane ; tantôt il adopte le système des mages, tantôt celui d'Aristote ou de Platon, le plus souvent il emprunte de chacun de ces systèmes quelques idées qu'il mêle ensemble. [...]

      Ce système d'instruction et ce plan de séduction furent arrêtés d'abord d'un commun accord entre les Daïs, avant qu'ils se séparassent pour exercer leur mission. Ensuite ils se séparèrent et se répandirent en divers pays où ils propagèrent leur doctrine et obtinrent plus ou moins de succès, à proportion de leur talent et de leurs efforts. Ce fut vers l'an 264 de l'hégire (872 ap. J.-C.) qu'ils firent le plus grand nombre de prosélytes en Syrie et en Perse. »

      Cette doctrine primitive éprouva dans la suite, dit M. Silvestre de Sacy, diverses altérations, et la secte se divisa en différentes branches depuis sa propagation dans le Magreb, l'Egypte, la Syrie. On changea particulièrement ce qui regardait Mahmed, fils d'Ismaïl, que l'on ferait d'abord reconnaître par l'Iman...

      Les doctrines des Ismaéliens furent adoptées par le khalife égyptien Hakhem, à la fin de sa vie (996-1021). Il devint un incrédule, disent les écrivains musulmans. Effectivement, il fit alors succéder une grande bienveillance pour les chrétiens et pour les juifs aux persécutions dont il les avait d'abord accablés.


      II. Le khalife Hakhem a été regardé par certains sectaires comme l'Iman caché. C'est encore la croyance des Druses, qui sont une branche de la secte ismaélienne. Leur culte est cependant mélangé d'autres éléments ; mais ils restent fidèles à l'idée fondamentale en rappelant eux-mêmes la Religion unitaire. Certaines de leurs superstitions, comme l'adoration de l'image d'un veau, rappellent le culte du Baphomet, pratiqué par les Templiers.

      Le savant Achille Laurent, dans Relation historique des affaires de Syrie, depuis 1840 jusqu'en 1842 (Paris, 1886, 2 vol. in-8°), t. I, p. 408 et suiv., dit que « le formulaire ou catéchisme des Druzes, est semblable aux livres des francs-maçons : il n'enseigne pas le fond de leur religion : on ne peut l'apprendre que des akals, qui n'en démontrent les mystères qu'après avoir fait subir des épreuves et fait faire des serments terribles. Il raconte plusieurs faits dont il fut témoin personnellement et qui montrent avec quelle rigueur le secret des initiations est gardé. [...]

      Les Druzes, ajoute-t-il, adorent le khalife Hakem comme un Dieu, sous la figure d'un veau (114). Les ministres de leur idole appartiennent indifféremment à l'un ou à l'autre sexe et sont appelés du nom de sages, en arabe akals pour les hommes et akalehs pour les femmes. [...] Tous les ans, à une époque déterminée, les akals et akalehs se réunissent dans l'endroit désigné pour leurs assemblées, pour y célébrer la fête des bougies. L'akal le plus âgé se met dans le coin d'honneur de la salle et fait à haute voix et à la clarté de plusieurs bougies une lecture qui a rapport au but de la réunion. Cette lecture terminée, il éteint les bougies, et alors chaque akal s'empare d'une akaleh, et les enfants qui naissent de cet acte religieux sont considérés comme prédestinés.


      III. En dehors de l'action des Ismaéliens sur les Templiers, qui est très vraisemblable (115), le plus profond mystère couvre les communications qui ont pu exister entre la secte orientale et la Maçonnerie occidentale.

      Ce que nous savons seulement par nos études personnelles et bien des communications particulières, c'est que la secte des Ismaéliens existe toujours en Orient ; qu'il y a aussi dans ces pays des sociétés secrètes ayant conservé la doctrine syncrétiste et ayant des initiations auxquelles elles admettent les chrétiens comme les musulmans ; que de nos jours plusieurs Européens, après y avoir été initiés dans leurs voyages dans le Levant, ont joui auprès des loges maçonniques, d'une considération due autant au haut degré de leur initiation qu'à la profondeur de leurs sentiments antichrétiens.


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(111)  Cette opinion est fort bien présentée dans l'Allgemeines Handbuch der Freimaurerei. Voyez Drusen.

(112)  Cet ouvrage a été traduit en français par M. de Slane, dans les Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XIX et XX.

(113)  Voyez von Hammer, Histoire de l'ordre des Assassins (traduction française, Paris, 1838, in-8°).

(114)  M. Silvestre de Sacy, Exposé de la religion des Druses, t. I, p. 232, dit que la prétendue idole des Druses était au contraire l'emblème d'Iblis, de l'ennemi ou du rival d'Hakem... C'est une innovation introduite dans la religion unitaire par le chef d'une secte hérétique.

(115)  Voyez von Hammer, Histoire de l'ordre des assassins, pp. 90 et 339.




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