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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
© France-Spiritualités™






I – Les traditions manichéennes et templières

Le rôle considérable qu'a eu la Maçonnerie dans la préparation de la Révolution française et dans sa propagation à travers le monde est un fait acquis aujourd'hui à l'histoire. Non seulement les loges ont été les foyers d'où se sont répandues dans les classes lettrées les idées antireligieuses et antisociales des Philosophes ; mais encore, elles ont fourni des centres de formation et des éléments de recrutement aux nombreuses sociétés secrètes, qui ont fait avorter le mouvement de réforme nationale et amené l'explosion révolutionnaire (1).

      Un autre problème historique fort intéressant est celui des origines de cette étrange société, qui se manifeste pour la première fois à Londres en 1717, mais qui prend dans peu d'années une prodigieuse extension et apparaît dès la première heure avec tout le programme doctrinal dont le XVIIIème siècle allait voir la réalisation.

      Elle avait évidemment des racines dans le passé.

      On a cherché son origine dans la tradition du gnosticisme, qui à traversé tout le moyen âge, où elle se manifesta par l'hérésie manichéenne des Albigeois et finit par s'emparer du puissant ordre du Temple. Les procès-verbaux des instructions dirigées contre les Templiers constatent chez eux des pratiques et des doctrines, dont l'identité avec les rites et les enseignements des hauts grades du XVIIIème siècle est frappante. Weishaupt et tous les esprits supérieurs de la secte n'ont cessé de recommander l'étude des doctrines gnostiques à ceux qui voulaient avancer dans la science maçonnique. S'appuyant sur ces rapprochements, Barruel et le P. Deschamps ont regardé les Manichéens et les Templiers comme les ancêtres des francs-maçons modernes. Ils eussent pu encore invoquer à l'appui de.leur thèse l'existence en Orient jusqu'à nos jours de la grande secte des Ismaéliens (2), qui date des premiers siècles du moyen-âge, et qui, après avoir bouleversé tout le monde de l'Islam et avoir pénétré lés Templiers, conserve encore actuellement une organisation hiérarchique, des procédés de propagande et une doctrine absolument analogue à celle de la maçonnerie européenne.

      La filiation doctrinale est incontestable. En est-il de même de la filiation historique ?

      Ce qui rend la question douteuse, c'est qu'on n'a pas constaté authentiquement jusqu'ici la pratique de hauts grades aux rites Templiers avant le milieu du XVIIIème siècle. C'est vers 1750 seulement qu'ils sont propagés en France, en Allemagne, et l'on a fabriqué à cette époque quantité de faux documents pour accréditer l'origine antique de ces nouveaux systèmes maçonniques (3). Or les fondateurs de ces grades pouvaient parfaitement en avoir puisé les éléments dans les divers procès des Templiers, qu'avait fait connaître l'ouvrage de Dupuy publié en 1654 (4).

      D'autre part, après la condamnation des TempIiers, on ne trouve plus que fort peu de mentions de l'hérésie manichéenne. On peut supposer que la confrérie des Frères pontifes, supprimée à Lyon en 1313 par l'autorité ecclésiastique pour de justes et raisonnables motifs, et qui avait pour emblème une croix accostée du soleil et de la lune, comme les Templiers (5), était sous l'influence de l'ordre coupable. Des Lucifériens sont encore signalés, en 1338, en Bohême et dans les pays du Rhin (6). On trouve, de 1324 à 1351, en Irlande, la trace d'un groupe d'hérétiques manichéens qui s'étaient recrutés chez les seigneurs anglais établis dans le pays et que protégeait de sa connivence l'archevêque anglais de Dublin. Le courageux évêque franciscain d'Ossory parvint, après de longues luttes et l'énergique intervention des papes Clément V, Benoît XII, Clément VI, à démasquer les coupables et à écraser ce foyer de corruption, où, comme chez les Templiers, le culte du démon était accompagné des pratiques les plus immorales (7).

      Mais, après ces dernières manifestations, nous ne trouvons plus en Europe de trace importante du Manichéisme. Les hérésies du XIVème et du XVème siècle sont, les unes, des déviations du mouvement franciscain : – Tels sont les Fraticelli, les Begghards, les Flagellants, sectes exaltées et désordonnées qui se recrutent dans la populace des villes et les déclassés du régime seigneurial. – Les autres sont le commencement du rationalisme et se manifestent d'abord dans les universités : ce sont les Lollards des bords du Rhin, les Wicklefistes et les Lollards anglais, les Hussites de Bohême. Le Protestantisme les revendique à bon droit comme ses ancêtres immédiats. Quant à la doctrine manichéenne, elle se perpétue obscurément dans les pratiques de la sorcellerie sous le nom de Vauderie. Elle ne s'est jamais complètement perdue. Quoique bien souvent la crédulité publique et aussi d'odieuses vengeances aient exagéré les prestiges attribués aux Vaudois du XVIème siècle, quoique souvent aussi leurs sabbats n'aient été que des réunions de débauche et de vices contre nature, on doit admettre qu'ils avaient quelque chose de réel. Comment le nier quand ils revivent dans les rites du culte diabolique des spirites et des médiums contemporains (8) ? Mais ces groupes-là ne nous paraissent pas avoir exercé d'influence sur le mouvement général des idées qui aboutit à l'explosion du Protestantisme. Après, ils s'enfoncent encore plus profondément dans les sentines souterraines du vice et du crime.

      La lacune entre les francs-maçons de 1717 et les Templiers du commencement du XIVème siècle reste donc jusqu'à présent presque complète. Nous disons jusqu'à présent ; car nous croyons que la mémoire de beaucoup de faits et de bien des personnages fort actifs en leur temps a disparu de l'histoire. Des découvertes dans les archives inépuisables du moyen-âge pourraient apporter à cette question des éléments nouveaux. En attendant, le plus sûr nous a paru de prendre pour point de départ la première manifestation de la secte des francs-maçons, qui se produit à Londres en 1717, et de rechercher, en remontant le cours des temps, les points de contact qui la relient aux ennemis du christianisme et de l'ordre social dans les deux siècles précédents.


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(1)  A toutes les preuves qu'a réunies le P. Deschamps dans son grand ouvrage Les Sociétés secrètes et la Société (6ème édition, 1882, Séguin à Avignon et Oudin à Paris) , livre II, chap. IV, V, VI, et livre III, chap. I et II, nous ajouterons le plan élaboré par Mirabeau en 1776 dans le Mémoire du fère Arcesilas sur un ordre secret à établir au sein de la franc-maçonnerie. Ce mémoire a d'abord paru dans les Mémoires de Mirabeau par Lucas de Montigny, et a été reproduit en 1882 dans la revue La Révolution française. Il met à nu le complot révolutionnaire et les moyens d'action qu'il trouvait dans les loges, où alors tant d'honnêtes gens étaient exploités par d'habiles meneurs.

(2)  Voyez à la fin de ce travail l'appendice n°1 sur la secte des Ismaéliens.

(3)  Parmi ces documents apocryphes, nous rappellerons seulement la charte de transmission des pouvoirs de Larmenius, prétendu successeur de Jacques Molay, publiée par Grégoire, Histoire des sectes religieuses, 2ème édition, t. II, p. 399 et suiv. ; le Leviticon ou exposé des principes fondamentaux de la doctrine des chrétiens primitifs, Paris, in-8°, 1831 ; Die Geheimstatuten des Ordens der Tempelherren nach der Abschrift eines vorgeblich im Vatikaniscen Archive befindlichen Manuscriptes, herausgeben von Dr Merzdorf, in-8°, Halle, 1877. La fausseté de ces documents a été absolument démontrée par le docteur Hans Prutz dans son important ouvrage Geheimlehre une Geheimstatuten des Tempelherren Ordens, in-8°, Berlin, 1879. Sur la formation des hauts grades, l'ouvrage le plus sûr est Die Entstehung der Rittergraden in der Freimaurerei um die Mitte des XVIII Jahrhunderts nach den ætesten freimaurerischen Hand- und Druckschriften bearbeitet von br:. G. A. Schiffmann, in-8°, Leipsig, 1882.
      Dès leur fondation, les francs-maçons avaient cherché à se rattacher aux anciens ordres militaires du moyen-âge. « Les frères dans les pays étrangers, dit Anderson dans Le Livre des Constitutions, édition de 1723, p. 82, ont ainsi découvert que la plupart des anciens ordres nobles et sociétés maçonniques ont tiré leurs devoirs et règlements des francs-maçons, ce qui prouve qu'il est le plus ancien ordre sur la terre. » Cette assertion, répétée encore dans l'édition de 1738 et dans la traduction allemande de 1741, a été supprimée dans les éditions postérieures.

(4)  Traité concernant l'histoire de France sçavoir la condamnation des Templiers... par Pierre du Puy, Paris, chez Mathieu Dupuys, libraire, 1654, in-4°. Plusieurs autres éditions furent publiées avant la fin du siècle.

(5)  Voyez l'article de M. J. Vaesen, dans la Revue catholique des Institutions et du droit de 1877.

(6)  Voyez Loiseleur, La Doctrine secrète des Templiers, et Hans Prutz, op. cit.

(7)  A contemporary narrative of the proceedings against dame Alyce Kyteler prosecuted for sorcery in 1324 by Richard de Lederede, bishop of Ossory, edited by Thomas Wright, London, Camden Society, in-8°, 1843 et les documents publiés, par le P. Theiner. Vetera monumenta Hibernorum et Scotorum historiam illustrantium, Romæ, 1864, in-fol., n° 413, 531, 532, 570, 571, 598, 599 ; Cf. Baronius, Annales Ecclesiastici ad annum 1335.

(8)  Voyez la bulle de Jean XXII en 1326 Super illius specula contre ceux qui sacrifiaient aux démons. Voyez Bourquelot, Les Vaudois au XVème siècle, dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 2ème série, t. III ; l'introduction de Thomas Wright à la publication mentionnée dans la note précédente ; César Cantu, Histoire des Italiens, t. VI, p. 348, t. VIII, p. 352 et suiv. (traduction française).




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