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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
© France-Spiritualités™






IV – Le Pantheisticon de Toland et les sodalités socratiques

La rapide propagation de la maçonnerie dans l'Europe entière et l'importance qu'elle prit en peu d'années prouvent que les quelques hommes qui fondaient la loge d'Angleterre en 1717 et écrivaient les constitutions de 1723 n'étaient pas isolés dans le monde, et sans ramifications ni précédents.

      Desaguliers, Georges Payne, Anderson, appartenaient par leurs écrits et leurs relations à l'école philosophique, qui est connue sous le nom des déistes anglais,et dont les plus célèbres représentants furent Bolingbrooke, Collins, Wolston, Tindall, Toland.

     Ce dernier avait déjà publié une foule d'écrits où il attaquait à fond le christianisme, niait la divinité de Jésus-Christ et posait les thèses de la religion naturelle. Arrivé à la fin de sa vie, il imprima secrètement, en 1720, et répandit avec grand mystère un livre étrange écrit en latin et intitulé Pantheisticon (20). Il est dédié lectori philomatho et philalethi, expressions dont nous verrons l'origine un peu plus loin. Toland y décrit les réunions des sodalités socratiques.

      Les confrères s'assemblent aux solstices et aux équinoxes pour célébrer des banquets d'où les profanes, même les serviteurs, sont rigoureusement exclus.

      « Là, dit-il, ne s'embarrassant ni des cultes ni des lois de leur patrie, ils discourent, avec le plus libre jugement, des choses sacrées, comme on les appelle, et des profanes, après avoir au préalable mis de côté certains préjugés. » Les rituels de ces réunions sont presque mot pour mot ceux des tenues de table des loges actuelles, et les discours du Président ont une frappante analogie avec les allocutions que les tuileurs maçonniques mettent dans la bouche des vénérables et des orateurs. On en jugera par quelques passages :


LE PRÉSIDENT (21)

      Faites silence. Que cette réunion (et il n'y a rien qu'on n'y doive penser, dire, faire) soit consacrée à la vérité, à la liberté, à la santé, triple objet des vœux des sages.


L'ASSISTANCE

      Et maintenant et toujours.


LE PRÉSIDENT

      Appelons-nous égaux et frères.


L'ASSISTANCE

      Confrères aussi et amis.


PRÉSIDENT

      Loin de nous la contention, l'envie et l'opiniâtreté.


L'ASSISTANCE

      Que parmi nous règnent la docilité, la science et l'urbanité.


LE PRÉSIDENT

      Aimons les jeux et les ris.


L'ASSISTANCE

      Que les muses et les grâces nous soient propices.


LE PRÉSIDENT

      Ne jurons par la parole de personne.


L'ASSISTANCE

      Non, fût-ce par la parole de Socrate lui-même.
      Nous exécrons toute Hierotechnie.


LE PRÉSIDENT

      Afin pourtant que, sous les auspices d'autorités convenables (la liberté restant toujours sauve), sous les auspices des meilleurs des hommes, nous accomplissions tout selon les rites, écoutez, très chers confrères, les paroles de Marcus Porcius Caton, le très grave censeur, telles que les rapporte Cicéron, le très saint Père de la Patrie, dans le treizième chapitre du Traité de la vieillesse...


L'ASSISTANCE

      Nous sommes dévoués à la vérité et à la liberté, afin de pouvoir être délivrés de la tyrannie et de la superstition. [...]


LE PRÉSIDENT

      Scrutons les causes des choses, afin de vivre joyeux et de mourir tranquilles.


L'ASSISTANCE

      Afin de rendre l'âme, délivrés de toute crainte, sans être exaités par la joie, sans être abattus par la tristesse.


LE PRÉSIDENT


      Afin de nous moquer des terreurs du vulgaire et des fictions des chartatans, chantons des vers d'Ennius. [...]


LE PRÉSIDENT

      Ecartez le profane vulgaire.


L'ASSISTANCE

    Tout est fermé et sûr.


LE PRÉSIDENT

      Dans le monde, toutes les choses sont l'Un et l'Un est Tout en toutes choses.


L'ASSISTANCE

     Ce qui est Tout en toutes choses, c'est Dieu, éternel et immense, ni en'gendré, ni périssable.


LE PRÉSIDENT

      C'est en lui que nous vivons, que nous mourons et que nous existons.


L'ASSISTANCE

      De lui est né tout être, et tout être retournera ensuite à lui, car il est pour toutes choses le principe et la un.


LE PRÉSIDENT

      Chantons un hymne sur la nature et l'Universel.


LE PRÉSIDENT ET L'ASSISTANCE

      Quel qu'il soit, l'Universel anime, forme, nourrit, accroît, crée toutes choses ; il ensevelit et reçoit en soi toutes choses ; de toutes choses il est le père ; c'est en lui que toutes choses, qui sortent de lui, retournent finalement et périssent. [...]


L'ASSISTANCE

      Pour bien vivre, la vertu suffit seule et devient à elle-même une ample récompense.


LE PRÉSIDENT

      Ce qui est honnête, cela seul est bien.


L'ASSISTANCE
      Et il n'y a d'utile que ce qui est louable.


LE PRÉSIDENT

      Mainenant il faut lire distinctement le Canon philosophique et vous y devez, très chers Frères, prêter la plus scrupuleuse attention.


L'ASSISTANCE

      Si la contemplation de la nature est agréable, très utile en est la science ; c'est pourquoi nous sommes attentifs, nousréfléchirons et jugerons. [...]


L'ASSISTANCE

      Nous ouvrons nos oreilles et nous élevons nos cœurs.


LE PRÉSIDENT

      [Il lit le passage si connu de la République de Cicéron sur la loi naturelle, qui commence par ces mots : Est quidem vera lex recta ratio, etc.]


L'ASSISTANCE

      C'est par cette loi que nous voulons être régis et gouvernés et non point par les mensongères et superstitieuses fictions des hommes.


LE PRÉSIDENT

      Les lois imaginées ne sont ni claires, ni universelles, ni toujours les mêmes, ni jamais efficaces.


L'ASSISTANCE

      Elles ne sont donc utiles qu'à très peu, ou plutôt elles ne le sont à personne, si ce n'est à ceux-là seuls qui les interprètent.


LE PRÉSIDENT

      Cependant, prêtez l'oreille. (Il lit un passage du Traité de la Divination, où Cicéron s'élève contre la superstition, concluant que s'il faut propager la religion, qui est conforme à la connaissance de la nature, il est nécessaire de déraciner la superstition.


L'ASSISTANCE

      Le superstitieux ne veille ni ne dort tranquille ; ni il ne vit heureux, ni il ne meurt en sécurité ; vivant et mort, il devient la proie des prestolets.


LE PRÉSIDENT

      La durée de vie que la nature accorde à chacun.


L'ASSISTANCE

      Chacun doit en être content. [...]


LE PRÉSIDENT

      Comme la naissance a été pour nous le commencement de toutes choses, ainsi la mort sera le terme.


L'ASSISTANCE

      Comme rien ne nous a concernés avant la naissance, rien non plus ne nous concernera après la mort. [...]


LE PRÉSIDENT

      L'opinion seule et la outume exigent une pompe funèbre et des funérailles.


L'ASSISTANCE

      Il faut donc les mépriser pour nous, mais non les négliger pour les autres.


      On s'est demandé si ces cérémonies bizarres et ces réunions ont existé réellement ou bien sont des conceptions de l'imagination de Toland. Le Panthéisticon lui-même les présente comme chose parfaitement réelle. Il y est dit en propres termes : « Beaucoup de membres de cette société se trouvent à Paris, d'autres à Venise, dans toutes les villes hollandaises, principalement à Amsterdam, et même, dût-on s'en étonner, dans la cour de Rome. Mais le plus grand nombre est à Londres. » Et il ajoute, pour mieux préciser : « Je ne parle, bien entendu, ni de l'Académie royale de Londres ni de l'Académie qui est à Paris. » (p. 42.) Chacune de ces indications doit être retenue ; d'autres indices, nous le verrons, en confirment la vérité.

      A la fin de son livre, Toland dévoile la tactique qui va être adoptée dans les loges : « On reproche, dit-il, aux Philosophes d'avoir une doctrine double, une qu'ils accommodent aux dogmes vulgairement reçus et une entre eux esotérique. Mais ils font très sagement, car autrement le monstre de la superstition les dévorerait. Ils ont donc raison d'avoir une chose dans la pensée et les entretiens privés, une autre dans les discours publics et dans la vie extérieure. » (pp. 75 à 80.)

      Les sodalités socratiques de Londres, siège principal de la secte, sont les loges maçonniques, qui venaient précisément d'affirmer leur existence. Qu'on n'objecte pas une prétendue opposition entre le panthéisme de Toland et le déisme qu'elles affectent. Ce déisme est purement négatif ; il n'a d'autre signification que de nier la Trinité et la Révélation, les deux vérités fondamentales du Christianisme, et de poser en thèse la liberté de penser absolue pour tout homme (22). C'est une concession aux habitudes intellectuelles des adeptes, comme le grand architecte de l'Univers l'est aujourd'hui chez certaines fractions de la Maçonnerie. Actuellement encore, dans les rituels du rite Ecossais ancien accepté, qui a le plus conservé la physionomie du XVIIIème siècle, le déisme et le panthéisme se coudoient et se confondent constamment, sans que les meneurs de la secte y attachent aucune importance (23).

      On n'a qu'à relire dans le tome I de l'ouvrage du Père Deschamps (Livre I, Les Doctrines de la Franc-Maçonnerie) les nombreux extraits des rituels maçonniques du XVIIIème siècle et de la première moitié de ce siècle-ci et l'on sera frappé d'y retrouver non seulement les mêmes doctrines mais même des phrases entières du Panthéisticon (24).

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(20)  En voici le titre complet : Pantheisticon sive Formula celebrandæ sodalitatis socraticæ in tres particulas divisa ; quae Pantheistarum sive sodalium continent 1° mores et axiomata, 2° numen et philosophiam, 3° libertatem et non fallentem legem neque fallendam. Prætermittitur de antiquis et novis eruditorum sodalitatibus ut et de universo infinito et æterno diatriba. Subjicitur de duplici Pantheistarum philosophia sequenda ac de viri optimi et ornatissimi idea dissertatiuncula, Cosmopoli, MDCCXX, in-8°.

(21)  Nous nous servons ici de la traduction qu'a publiée de quelques-uns de ces passages M. Nourrisson dans la Revue de France du 30 novembre 1876. Mais nous traduisons par président le mot latin modiperator, dont se sert Toland. Elle a beaucoup plus d'analogie avec l'expression anglaise de master of lodge que l'expression de Roi du festin, par laquelle M. Nourrisson l'a rendue.

(22)  Sur les relations de Toland avec la franc-maçonnerie, voyez l'Allgemeines Handbuch der Freimaurerei (2ème édition, Leipzig,1867), V°, Deismus.

(23)  Voyez sur le vrai caractère des constitutions de 1723 de la grande loge anglaise et leur identité avec la doctrine des Libertins, des articles fort remarquables du frère Schwalbach dans la Bauhütte de Leipzig de juillet de 1885.

(24)  Depuis lors, au moins en France et en Allemagne, les rituels ont été modifiés dans leur forme pour les harmoniser avec le langage du Positivisme et du Naturalisme.




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