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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
© France-Spiritualités™






VIII – La propagande antisociale et antichrétienne au XVIème siècle

Un écrivain franc-maçon fort perspicace a dit que le protestantisme était la moitié de la maçonnerie. Cela revient à dire que la franc-maçonnerie a appliqué dans l'ordre politique, et tend à réaliser de nos jours dans l'ordre économique, les principes que le Protestantisme a d'abord posés dans l'ordre religieux.

      Non seulement c'est en Angleterre que la maçonnerie s'est constituée sous sa forme moderne, en 1717 ; mais c'est en Hollande, dans l'Allemagne du Nord, plus tard aux Etats-Unis, qu'elle a eu toujours, non par son théâtre d'opérations, – ce sont les Etats catholiques, monarchies et républiques, qu'elle poursuit avant tout de sa haine, – mais ce que nous pourrions appeler ses centres de formation et ses places de retraite.

      Or, une tradition ancienne et fort vraisemblable fait remonter l'origine de la secte aux premiers temps du protestantisme. Elle est relatée dans l'Essai sur l'esprit et l'influence de la Réformation de Luther, par Ch. de Villers, ouvrage qui remporta le prix de l'Institut en l'an IX (43).

      « Il est plus que probable, dit l'auteur dans le chapitre intitulé Sociétés secrètes, Francs-Maçons, Rose-Croix, Mystiques, Illuminés, que des sociétés secrètes existaient avant les réformateurs et que c'est sous cette forme que les restes des Wiklefistes s'étaient perpétués en Angleterre et en Ecosse, ceux des Hussites en Bohême, ceux des Albigeois en France. » M. de Villers ajoute que la franc-maçonnerie s'est formée en Saxe, parmi les sectateurs de la Réforme, que le signe de détresse était destiné à leur permettre de se reconnaître et de s'épargner, quand ils étaient engagés dans des armées opposées. Au début, les protestants pouvaient seuls faire partie des loges, et les plus anciens statuts en excluent les catholiques. Toutefois l'auteur reconnaît que l'on n'a pas retrouvé de titres irrévocablement à l'abri de la critique, où il en soit fait mention avant 1610. « Ces conjectures sur l'origine des francs-maçons se trouvent développées très savamment dans deux ouvrages allemands, l'un de M. Buhle, l'autre de M. de Murr (44). »

      Les études récentes sur le XVIème siècle rendent cette opinion de plus en plus vraisemblable.

      Au milieu des convoitises à l'endroit des biens du clergé que les prédicants de la Réforme suscitaient chez les princes, la noblesse et les riches bourgeoisies urbaines, et de la révolte contre le joug disciplinaire de l'Eglise, il y avait des esprits logiques et passionnés à la fois, qui allaient droit aux conséquences extrêmes des principes posés et voulaient nettement la destruction du christianisme positif et le changement de tout l'ordre social.

      Tels étaient les Anabaptistes, qui se mêlèrent si perfidement à l'insurrection des paysans de Souabe, et qui plus tard couvrirent de leurs sociétés secrètes l'Allemagne, la Hollande, l'Angleterre, pour préparer la grande insurrection de Lubeck et de Munster en 1534-1535. Aux lecteurs français qui ne pourraient pas suivre cette histoire dans le grand ouvrage du Dr Janssen Geschichte des deutschen Volkes seit dem Ausgange des Mittelalters (t. II et t. III), nous recommandons les deux volumes de M. Alexandre Weill, Histoire de la grande Guerre des paysans et Histoire de la Guerre des Anabaptistes écrits d'après les documents du temps et dans un esprit tout à fait favorable à ces sectaires. Ces deux ouvrages montrent que les Anabaptistes avaient dès lors tous les principes religieux et civils de la Maçonnerie. Quant à leurs procédés, Bodin, dans Les Six livres de la République, signale précisément l'emploi qu'ils faisaient des conventicules secrets.

      En 1552, lorsque les princes protestants firent appel à l'alliance française, et qu'à leur demande Henri II envahit la Lorraine, l'armée de ce prince répandit sur son passage un manifeste imprimé en allemand, dans lequel elle était présentée comme venant rendre la liberté aux peuples de la Germanie et en tête duquel on voyait le mot de liberté en exergue et un bonnet entre deux poignards (45). Les Français n'étaient pour rien dans le choix de ces étranges emblèmes. Les émissaires de l'électeur Maurice de Saxe avaient été seuls à rédiger ce manifeste. Mais n'est-il pas frappant de voir qu'ils donnent comme signes de reconnaissance à leurs coreligionnaires les emblèmes qui devaient être ceux des jacobins ?

      Les pamphlétaires calvinistes de la seconde moitié du XVIème siècle ont le ton, les idées et les expressions propres aux plus violents écrivains des années qui ont précédé la Révolution. Tel est entre autres un libelle intitulé : Le Réveille matin des Français et de leurs voisins,composé par Eusèbe Philaldelphe Cosmopolite en forme de dialogues, à Edimbourg [Genève], de l'imprimerie de Jacques James, 1574, 2 parties en un volume in-8°. Cet opuscule est de Théodore de Bèze ou de Barnaud. Il soutient la thèse de la souveraineté du peuple dans ce qu'elle a de plus absolu. Il engage la reine Elisabeth à se défaire de Marie Stuart, et exhorte les Français à se mettre en république et à tuer leur roi (p. 142). Les hommes, dit-il, perdent leur liberté parce qu'ils ne savent pas la défendre, et il déplore que le peuple français ne sente pas son mal ! Les personnages de ces dialogues portent les noms d'Alithie, Philalethie, l'Historiographe, le Politique. Mais ce qui est particulièrement significatif, c'est le nom pris par le pamphlétaire lui-même, le Philadelphe cosmopolite. Ce seront les titres distinctifs des principales loges du XVIIIème siècle. Comment ne pas croire à la transmission d'une organisation réelle comme à celle des doctrines ?

      Dans son magistral ouvrage, Les Huguenots et les Gueux, M. Kervyn de Lettenhove l'a montré, par des citations nombreuses tirées de leurs correspondances et de leurs discours, dans le dernier tiers du XVIème siècle, les ministres calvinistes soutenaient les principes de l'égalité sociale et de la souveraineté populaire les plus avancés et poursuivaient l'établissement d'une république fédérative dans toute l'Europe, qui eût été gouvernée par les consistoires. Il relate un fait bien caractéristique.

      « D'autres correspondances, dit-il, s'échangent entre les ministres qui sont en Flandre et ceux qui dirigent les communautés de réfugies flamands établies Londres, à Maidstone, à Ipswich. On reconnaît les lettres de ministres de la West-FIandre à l'équerre apposée sur leur cachet (archives de l'Eglise réformée flamande à Londres, bibliothèque de Guildhall) conformément à la tradition, qui, sans remonter plus haut, attribue aux apôtres de la Réforme la fondation des rites secrets de la franc-maçonnerie (46). »

      M. Kervyn de Lettenhove ajoute en note :

      « Un document d'une authenticité fort douteuse attribue à Coligny, à Melanchton et à Jacques Utenhove, la fondation de la franc-maçonnerie à Cologne en 1535. Les premières loges auraient été établies à Edimbourg, à Venise, à Madrid, à Gand. »

      Nous avons reproduit la Charte de Cologne dans les récentes éditions de l'ouvrage Les Sociétés secrètes et la Société. Elle est aujourd'hui généralement regardée comme apocryphe. Mais des découvertes ultérieures pourraient changer l'opinion dominante sur ce document. En le laissant complètement de côté, les faits que nous rapprochons dans cette étude constituent un ensemble d'indices très sérieux de nature à faire attribuer aux premiers réformateurs sinon la création de la franc-maçonnerie, au moins l'organisation de groupes secrets et communiquant entre eux avec le dessein de renverser à fond la société chrétienne.

      La propagande profondément impie et presque athée, qui se faisait sous le couvert du protestantisme, a laissé un écho caractéristique dans le Journal d'un gentilhomme du Cotentin, G. de Gouberville. En 1562, il raconte comment il cheminait avec un tabellion, Jehan France, avancé dans les idées nouvelles :

      « Et, comme nous parlions de la religion et des oppinions qui sont aujourd'hui entre les hommes en grande controversie et contradiction, ledict France dit par ses propres mots : « – Qui m'en croyra, on fera ung Dieu tout nouveau, qui ne sera ne papiste, ne huguenot, affin qu'on ne dye plus : ung tel est papisten ung tel luthérien, ung tel est hérétique, ung tel est huguenot.

      Le cahier de la Noblesse de la Tourraine pour les Etats généraux de Tours, en 1560, se plaignant de la « propagande que faisaient les athéistes, anabaptistes, ariens (c'est-à-dire les sociniens), libertins et autres semblables monstres (47), » réclame contre eux une répression énergique (48). C'est d'autant plus significatif qu'en même temps la noblesse de Touraine demande la liberté du culte pour les réformés. Plus tard, en 1578, R. Benoist, curé de Saint-Eustache à Paris, signale le travail souterrain des athéistes qui « voudraient bien piller, ravager et meigner on meignoner tout ce qu'il y a de fond soit en l'Eglise ou en la sécularité et temporalité, ne se souciant s'il vient de Dieu ou du diable, s'il faut ainsi parler (49). »

      Le clairvoyant curé de Paris voyait où allait la secte, et le brave gentilhomme campagnard de Normandie avait exactement retenu sa formule.


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(43)  Nous avons sous les yeux la 5ème édition publiée à Paris en 1851, un vol. in-12.

(44)  Eph. von Murr Über die wahren Ursprunf der Rosen Kreuzer und der Freimaurer Ordens nebst eine Geschichte der Tempelherrenordens, in-8°, Leipzig et Francfort, 1803. Buhle, Über den Ursprung und die Schicksale der Orden der Rosen Kreuzer und Freimaurer, 1804.

(45)  Voyez Janssen, Geschichte des deutschen Volkes, t. III, p. 655.

(46)  Les Huguenots et les gueux, Bruxelles, 1884, t. V, pp. 430-431.

(47)  Journal manuscrit d'un sire de Gouberville, publié par l'abbé Tollemer, 2ème édition in-12, 1880, p. 747.

(48)  Des Etats généraux et autres assemblées nationales, in-8°, 1789, La Haye, t. XI, p. 168.

(49)  De l'institution et abus survenu ès confrairies populaires, par R. Benoit, Angevin, Paris, 1578, in-8°.




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