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Les précurseurs de la Franc-Maçonnerie

au XVIème et au XVIIème siècle
Claudio Jannet
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XV – Le judaïsme et la Société chrétienne au XVIème siècle

Le peuple juif a joué dans l'histoire du monde un rôle si considérable qu'on ne peut pas le trouver étranger à la constitution de la franc-maçonnerie et plus tard à sa propagation. Nous ne partageons pas l'opinion répandue depuis quelques années, qui voit dans la maçonnerie la manifestation d'une grande société secrète juive qui aurait traversé tout le Moyen-Age et qui depuis lors aurait dirigé souverainement les loges. La maçonnerie ne serait ainsi qu'une forme de la juiverie. Le P. Deschamps, qui a étudié tout ce qui touche aux sociétés secrètes avec tant de sagacité, n'a jamais partagé cette opinion, et, tout récemment, le savant abbé Lémann l'a réfutée dans son beau livre L'Entrée des Israélites dans la société française et les Etats chrétiens (75).

      Mais, tout en repoussant ces exagérations, nous croyons que les juifs ont été un des facteurs importants de la secte secrète antichrétienne, qui se constitue au XVIème et au XVIIème siècle, et qu'ils ont toujours eu depuis lors une grande importance dans sa direction politique. Nous allons en indiquer les preuves.

      Les études que l'on fait aujourd'hui sur le rôle économique des juifs au Moyen-Age ne doivent pas faire perdre de vue l'influence considérable que leurs écoles et leur littérature n'ont jamais cessé d'exercer dans les siècles chrétiens. Ce n'était point sans raison que les conciles proscrivaient les livres talmudiques. Les faits si nouveaux qu'a groupés M. Saige sur la haute situation prise par les juifs au XIème siècle dans les pays du midi de la France, les études de l'abbé Douais sur les Albigeois, ont montré le rapport qui existe entre l'influence sociale et scientifique des juifs et le développement de l'hérésie néo-manichéenne dans ces pays. Les rabbins avaient aussi des écoles à Oxford, et c'est un docteur juif converti, Nicolas de Lyr a, qui, par ses Commentaires sur l'Ecriture, fut le premier inspirateur de Wyclef, et, par lui, de Jean Huss et de Luther, en sorte qu'on disait au XVIème siècle dans les écoles :

Si Lyra non lyrasset,
Lutherus non saltasset
(76).

      A la fin du XVème siècle, un mouvement général s'était produit contre les Juifs parmi les populations du Portugal, de l'Espagne, de la Provence, du Dauphiné, de l'Italie. On ne leur reprochait plus seulement leurs usures, comme dans les siècles précédents, on les accusait de répandre systématiquement au sein de la société chrétienne la perversion intellectuelle et la corruption morale, de pratiquer l'avortement, d'être des proxénètes (77). De là les dispositions renouvelées des conciles des siècles antérieurs, qui leur défendent l'exercice de la profession médicale, et interdisent aux chrétiens d'avoir avec eux des relations de société trop familières.

      Le mal était particulièrement grand à Florence, où la colonie juive depuis 1450 non seulement acquérait par l'usure des richesses énormes, mais encore pénétrait dans la haute société et exerçait une influence intellectuelle incontestable. L'un de ses représentants les plus distingués fut Alemanno, connu aussi sous le nom de Datylus, qui fut le professeur d'hébreu de Pic de la Mirandole. Quelques-uns de ses écrits récemment publiés montrent ses relations étroites avec les principaux nobles florentins.

      Marsile Ficin, le fondateur de l'Académie platonicienne dont nous avons parlé au § XIII, avait des relations très fréquentes et très intimes avec les rabbins juifs. Lui-même, quoique chanoine, écrit dans une de ses lettres : « Je me suis imposé pour règle de conduite de réciter trois fois par jour, le matin, le midi et le soir, le psaume 145, ce qui m'assurera, d'après les docteurs juifs, la béatitude éternelle (78). »

      Savonarole avait de trop justes raisons de tonner contre les Juifs et contre les chrétiens judaïsants.

      Les progrès foudroyants faits à cette époque par la puissance Ottomane dans la Méditerranée faisaient craindre aussi que les musulmans ne trouvassent des intelligences secrètes dans les Juifs, devenus très nombreux et disposant de grandes richesses (79). Quant à leurs doctrines sociales, elles ont été exprimées, dans les dernières années du XVème siècle, par le fameux ministre des rois d'Espagne et de Naples, Abravanel. Il attaque violemment dans ses écrits le principe de la monarchie et exalte la forme républicaine de gouvernement comme la seule légitime. On en peut voir une analyse dans l'ouvrage d'un historien très favorable aux Juifs, le comte Beugnot, qui ne peut en dissimuler la violence révolutionnaire (80). Elle justifie ce jugement porté par son contemporain, Nicolas Antonio : Christiani nominis si quis alis infestissimus hostis ac pervertissimus veri calumniator (81). «

      Or Abravanel, ainsi que tous les Juifs chassés d'Espagne et plus tard de Naples, trouva un accueil empressé à Venise. Le Sénat les imposa de force au peuple, qui voyait leur établissement de mauvais œil, et interdit la prédication dans le territoire de la République au bienheureux Bernardino de Feltri, parce qu'il mettait en garde contre eux les populations (82). Comme les aristocraties financières des villes d'Allemagne (83), celle de Venise était gagnée de cœur aux Juifs. « Le duc Hercule d'Este accueillit aussi les Juifs à Ferrare avec beaucoup d'empressement, et on remarquera que sa cour fut, en Italie, un des premiers foyers du protestantisme. »

      La Hollande fut un des pays ou les Juifs expulsés d'Espagne et de Portugal se réfugièrent en plus grand nombre. Ils furent reçus à Amsterdam avec autant de faveur qu'à Venise. Ils y eurent non seulement une grande position commerciale, mais encore ils en firent un centre d'études très important et y établirent de nombreuses imprimeries (84). C'est dans ce milieu que les Rose-Croix, on l'a vu, établirent, au XVIIème siècle, un de leurs principaux foyers et que la Maçonnerie a toujours eu plus tard un de ses grands centres. C'est encore de la Hollande que nous verrons tout à l'heure les Juifs pénétrer en Angleterre.

      Le judaïsme agit dès cette époque sur les chrétiens par la double tendance qui se manifeste dans son sein et que nous retrouverons représentée dans la Maçonnerie la kabbale et le rationalisme.

      La kabbale orientale avait été conservée pendant tout le Moyen-Age par les Juifs (85). Au XVème siècle, ce sont eux qui l'enseignent à Pic de la Mirandole et à Reuchlin. En Espagne, ils constituent, à partir de 1480, une secte d'Hermétistes judéo-chrétiens (86). Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'en présence de pareils dangers, l'inquisition, institution moins encore religieuse que nationale, ait réclamé si ardemment leur expulsion (87).

      Les Rose-Croix dérivent directement de la kabbale juive.

      Depuis Averrhoës, une sorte de rationalisme se développait aussi dans les écoles juives et, au XVIIème siècle, il était devenu prédominant chez les Juifs d'Amsterdam et d'Angleterre.

      Il est curieux de constater que les influences juives avaient pénétré subrepticement à la même époque dans l'Eglise russe. Vers 1470, un juif de Kiew, nommé Skavia, avait propagé dans les monastères et le haut clergé une hérésie, qui consistait à présenter la venue du Messie, le dogme de la résurrection des corps comme de pures allégories. Le patriarche Zozime était infecté de ces opinions, d'autant plus dangereuses que les adeptes restaient dans l'Eglise et en observaient en apparence toutes les pratiques. Joseph de Volosk donne des détails très précis sur l'extension de cette hérésie et sur sa répression au commencement du XVIème siècle (88).

      Par de tous autres procédés, les Juifs allaient pénétrer dans le coeur de la société chrétienne.


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(75)  Un vol. in-8°, Lecoffre, Paris et Lyon, 1886.

(76)  Margoliouth, History of the Jews in Great Britain (3 vol. in-12, London, 1851), t. I, pp. 282 et suiv.

(77)  Voyez les bulles des papes Calixte III en 1456, Paul IV en 1555 et Pie V en 1569, et l'opuscule de Simon Majolus d'Asti évêque de Voltura (1520-1597) de perfidia Iudœrum dans ses Dies Caniculares sive Colloquia viginti sex physica, t. III, Moguntiæ, 1609. Voyez aussi le travail de M. Prudhomme sur Les Juifs en Dauphiné, dans le t. XVII, 3ème série, du Bulletin de l'Académie delphinale, Grenoble, 1881, in-8°.

(78)  Voyez Les Savants juifs à Florence à l'époque de Laurent de Médicis, par M. Joseph Perles, dans la Revue des Etudes juives, t. XII, 1886.

(79)  Ce point de vue fut surtout celui qui détermina l'expulsion des Juifs d'Espagne et de Portugal. Le sentiment populaire força véritablement la main aux rois. Voyez Balmes, Catholicisme comparé au Protestantisme, traduction française, t. II, pp. 173-178.

(80)  Histoire des Juifs d'Occident, 3ème partie, pp; 219-226.

(81)  Cité par Amador de los Rios, Histoire des Juifs d'Espagne, traduction par Magnabal, p. 414.

(82)  Beugnot, Histoire des Juifs d'occident, 1ère partie, et Revue des Etudes juives de 1882, t. V, pp. 219 et suiv. Le fameux jurisconsulte Alciat, dont nous avons déjà parlé, prit la défense des Juifs dans plusieurs consultations. Voyez Amador de los Rios, Les Juifs d'Espagne, p. 185, et notre Etude sur le crédit populaire et les banques en Italie du XVème au XVIIème siècle, in-8°, Paris, Larose et Forcel, 1885.

(83)  Janssen, Geschichte des deutschen Volkes, Freiburg, 1879, t. I.

(84)  Voyez Amador de les Rios, Histoire des Juifs d'Espagne, traduction française par Magnabal, pp. 421 à 423.

(85)  Voyez Théodore Reinach, Histoire des Israëlites depuis leur dispersion, Paris, 1885, chap. IX, et Gougenot des Mousseaux, Les Juifs, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, Paris, 1859.

(86)  Voyez Saint-Yves d'Alveydre, La Mission des Juifs, chap. XX, pp. 861 et suiv.

(87)  Voyez Hefelé, Le Cardinal Ximenès et l'Eglise d'Espagne, traduction française, in-8°, 1860, chap. XVIII.

(88)  Voyez Karamasin, Histoire de la Russie, traduction française, t. VI, pp. 241 à 252, et p. 412.




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