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813

Maurice Leblanc
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PREMIÈRE PARTIE – LA DOUBLE VIE D'ARSÈNE LUPIN
CHAPITRE V – M. LENORMAND SUCCOMBE

1

A six heures du soir, M. Lenormand rentrait dans son cabinet de la Préfecture de police.

      Tout de suite il manda Dieuzy.

      – Ton bonhomme est là ?

      – Oui.

      – Où en es-tu avec lui ?

      – Pas bien loin. Il ne souffle pas mot. Je lui ai dit que, d'après une nouvelle ordonnance, les étrangers étaient tenus à une déclaration de séjour à la Préfecture et je l'ai conduit ici, dans le bureau de votre secrétaire.

      – Je vais l'interroger.

      Mais à ce moment un garçon survint.

      – C'est une dame, chef, qui demande à vous parler tout de suite.

      – Sa carte ?

      – Voici.

      – Mme Kesselbach ! Fais entrer.

      Lui-même il alla au-devant de la jeune femme et la pria de s'asseoir. Elle avait toujours son même regard désolé, sa mine maladive et cet air d'extrême lassitude où se révélait la détresse de sa vie.

      Elle tendit le numéro du Journal, en désignant à l'endroit de la petite correspondance la ligne où il était question du sieur Steinweg.

      – Le père Steinweg était un ami de mon mari, dit-elle, et je ne doute pas qu'il ne sache beaucoup de choses.

      – Dieuzy, fit Lenormand, amène la personne qui attend... Votre visite, madame, n'aura pas été inutile. Je vous prie seulement, quand cette personne entrera, de ne pas dire un mot.

      La porte s'ouvrit. Un homme apparut, un vieillard à collier de barbe blanche, à figure striée de rides profondes, pauvrement vêtu, l'air traqué de ces misérables qui roulent à travers le monde en quête de la pitance quotidienne.

      Il resta sur le seuil, les paupières clignotantes, regarda M. Lenormand, sembla gêné par le silence qui l'accueillait, et tourna son chapeau entre ses mains avec embarras. Mais soudain il parut stupéfait, ses yeux s'agrandirent, et il bégaya :

      – Madame... madame Kesselbach.

      Il avait vu la jeune femme.

      Et rasséréné, souriant, sans plus de timidité, il s'approcha d'elle avec un mauvais accent :

      – Ah ! je suis content... enfin ! je croyais bien que jamais... j'étais étonné... pas de nouvelles là-bas... pas de télégramme... Et comment va ce bon Rudolf Kesselbach ?

      La jeune femme eut un geste de recul, comme frappée en plein visage, et, d'un coup, elle tomba sur une chaise et se mit à sangloter.

      – Quoi ! eh bien, quoi ? fit Steinweg.

      M. Lenormand s'interposa aussitôt.

      – Je vois, monsieur, que vous ignorez certains événements qui ont eu lieu récemment. Il y a donc longtemps que vous êtes en voyage ?

      – Oui, trois mois... J'étais remonté jusqu'aux mines. Ensuite, je suis revenu à Capetown, d'où j'ai écrit à Rudolf. Mais en route j'ai accepté du travail à Port-Saïd. Rudolf a reçu ma lettre, je suppose ?

      – Il est absent. Je vous expliquerai les raisons de cette absence. Mais. auparavant, il est un point sur lequel nous voudrions quelques renseignements. Il s'agit d'un personnage que vous avez connu, et que vous désigniez dans vos entretiens avec M. Kesselbach sous le nom de Pierre Leduc...

      – Pierre Leduc ! Quoi ! Qui vous a dit ? Le vieillard fut bouleversé. Il balbutia de nouveau :

      – Qui vous a dit ? Qui vous a révélé ?

      – M. Kesselbach.

      – Jamais ! c'est un secret que je lui ai révélé, et Rudolf garde ses secrets surtout celui-ci...

      – Cependant il est indispensable que vous nous répondiez. Nous faisons actuellement sur Pierre Leduc une enquête qui doit aboutir sans retard, et vous seul pouvez nous éclairer, puisque M. Kesselbach n'est plus là.

      – Enfin, quoi, s'écria Steinweg, paraissant se décider, que vous faut-il ?

      – Vous connaissez Pierre Leduc ?

      – Je ne l'ai jamais vu, mais depuis longtemps... je suis possesseur d'un secret qui le concerne. A la suite d'incidents inutiles à raconter, et grâce à une série de hasards, j'ai fini par acquérir la certitude que celui dont la découverte m'intéressait vivait à Paris dans le désordre, et qu'il se faisait appeler Pierre Leduc, ce qui n'est pas son véritable nom.

      – Mais le connaît-il, lui, son véritable nom ?

      – Je le suppose.

      – Et vous ?

      – Moi, je le connais.

      – Eh bien, dites-le-nous.

      Il hésita, puis violemment :

      – Je ne le peux pas... je ne le peux pas...

      – Mais pourquoi ?

      – Je n'en ai pas le droit. Tout le secret est là. Or, ce secret, quand je l'ai dévoilé à Rudolf, il y a attaché tant d'importance qu'il m'a donné une grosse somme d'argent pour acheter mon silence, et qu'il m'a promis une fortune, une vraie fortune, pour le jour où il parviendrait, d'abord à retrouver Pierre Leduc, et ensuite à tirer parti du secret.

      Il sourit amèrement :

      – La grosse somme d'argent est déjà perdue. Je venais prendre des nouvelles de ma fortune.

      – M. Kesselbach est mort, prononça le chef de la Sûreté.

      Steinweg bondit.

      – Mort ! est-ce possible ! non, c'est un piège. Madame Kesselbach, est-il vrai ?

      Elle baissa la tête.

      Il sembla écrasé par cette révélation imprévue, et, en même temps, elle devait lui être infiniment douloureuse, car il se mit à pleurer.

      – Mon pauvre Rudolf, je l'avais vu tout petit... il venait jouer avec moi à Augsbourg... Je l'aimais bien. Et invoquant le témoignage de Mme Kesselbach :

      – Et lui aussi, n'est-ce pas, madame, il m'aimait bien ? il a dû vous le dire... son vieux père Steinweg, comme il m'appelait.

      M. Lenormand s'approcha de lui, et, de sa voix la plus nette :

      – Ecoutez-moi. M. Kesselbach est mort assassiné... Voyons, soyez calme... les cris sont inutiles... Il est mort assassiné, et toutes les circonstances du crime prouvent que le coupable était au courant de ce fameux projet. Y aurait-il quelque chose dans la nature de ce projet qui vous permettrait de deviner ?...

      Steinweg restait interdit. Il balbutia :

      – C'est de ma faute... Si je ne l'avais pas lancé sur cette voie

      Mme Kesselbach s'avança suppliante.

      – Vous croyez... vous avez une idée... Oh ! je vous en prie, Steinweg..

      – Je n'ai pas d'idée... je n'ai pas réfléchi, murmura-t-il... il faudrait que je réfléchisse...

      – Cherchez dans l'entourage de M. Kesselbach, lui dit Lenormand... Personne n'a été mêlé à vos conférences à ce moment-là ? Lui-même n'a pu se confier à personne ?

      – A personne.

      – Cherchez bien.

      Tous deux, Dolorès et M. Lenormand, penchés sur lui, attendaient anxieusement sa réponse.

      – Non, fit-il, je ne vois pas...

      – Cherchez bien, reprit le chef de la Sûreté, le prénom et le nom de l'assassin ont comme initiale un L et un M.

      – Un L, répéta-t-il... je ne vois pas... un L... un M...

      – Oui, les lettres sont en or et marquent le coin d'un étui à cigarettes qui appartenait à l'assassin.

      – Un étui à cigarettes ? fit Steinweg avec un effort de mémoire.

      – En acier bruni... et l'un des compartiments intérieurs est divisé en deux parties, la plus petite pour le papier à cigarettes, l'autre pour le tabac.

      – En deux parties, en deux parties, redisait Steinweg, dont le souvenirs semblaient réveillés par ce détail. Ne pourriez-vous me montrer cet objet ?

      – Le voici, ou plutôt en voici une reproduction exacte, dit Lenormand en lui donnant un étui à cigarettes.

      – Hein ! Quoi !... fit Steinweg en prenant l'étui.

      Il le contemplait d'un œil stupide, l'examinait, le retournait en tous sens, et soudain il poussa un cri, le cri d'un homme que heurte une effroyable idée. Et il resta là, livide, les mains tremblantes, les yeux hagards.

      – Parlez, mais parlez donc, ordonna M. Lenormand.

      – Oh ! fit-il comme aveuglé de lumière, tout s'explique...

      – Parlez, mais parlez donc...

      Il les repoussa tous deux, marcha jusqu'aux fenêtres en titubant, puis revint sur ses pas, et se jetant sur le chef de la Sûreté :

      – Monsieur, monsieur l'assassin de Rudolf, je vais vous le dire... Eh bien...

      Il s'interrompit.

      – Eh bien ?... firent les autres.

      Une minute de silence. Dans la grande paix du bureau, entre ces murs qui avaient entendu tant de confessions, tant d'accusations, le nom de l'abominable criminel allait-il résonner ? Il semblait à M. Lenormand qu'il était au bord de l'abîme insondable, et qu'une voix montait, montait jusqu'à lui... Quelques secondes encore et il saurait...

      – Non, murmura Steinweg, non, je ne peux pas...

      – Qu'est-ce que vous dites ? s'écria le chef de la Sûreté, furieux.

      – Je dis que je ne peux pas.

      – Mais vous n'avez pas le droit de vous taire ! La justice exige.

      – Demain, je parlerai, demain... il faut que je réfléchisse... Demain je vous dirai tout ce que je sais sur Pierre Leduc... tout ce que je suppose à propos de cet étui... Demain, je vous le promets...

      On sentait en lui cette sorte d'obstination à laquelle se heurtent vainement les efforts les plus énergiques. M. Lenormand céda.

      – Soit. Je vous donne jusqu'à demain, mais je vous avertis que si demain vous ne parlez pas, je serai obligé d'avertir le juge d'instruction.

      Il sonna, et prenant l'inspecteur Dieuzy à part :

      – Accompagne-le jusqu'à son hôtel... et restes-y... je vais t'envoyer deux camarades... Et surtout, ouvre l'œil et le bon. On pourrait essayer de nous le prendre.

      L'inspecteur emmena Steinweg, et M. Lenormand, revenant vers Mme Kesselbach que cette scène avait violemment émue, s'excusa :

      – Croyez à tous mes regrets, madame... je comprends à quel point vous devez être affectée.

      Il l'interrogea sur l'époque où M. Kesselbach était rentré en relations avec le vieux Steinweg et sur la durée de ces relations. Mais elle était si lasse qu'il n'insista pas.

      – Dois-je revenir demain ? demanda-t-elle.

      – Mais non, mais non. Je vous tiendrai au courant de tout ce que dira Steinweg. Voulez-vous me permettre de vous offrir mon bras jusqu'à votre voiture... Ces trois étages sont si durs à descendre.

      Il ouvrit la porte et s'effaça devant elle. Au même moment des exclamations se firent entendre dans le couloir, et des gens accoururent, des inspecteurs de service, des garçons de bureau...

      – Chef ! Chef !

      – Qu'y a-t-il ?

      – Dieuzy !

      – Mais il sort d'ici...

      – On l'a trouvé dans l'escalier.

      – Mort ?

      – Non, assommé, évanoui...

      – Mais l'homme ?... l'homme qui était avec lui ?... le vieux Steinweg ?...

      – Disparu...

      – Tonnerre !...



2

      Il s'élança dans le couloir, dégringola l'escalier, et, au milieu d'un groupe de personnes qui le soignaient, il trouva Dieuzy étendu sur le palier du premier étage.

      Il aperçut Gourel qui remontait.

      – Ah ! Gourel, tu viens d'en bas ? Tu as rencontré quelqu'un ?

      – Non, chef...

      Mais Dieuzy se ranimait, et tout de suite, les yeux à peine ouverts, il marmotta :

      – Ici, sur le palier, la petite porte...

      – Ah ! bon sang, la porte de la septième chambre ! s'écria le chef de la Sûreté... J'avais pourtant bien dit qu'on la ferme à clef... Il était certain qu'un jour ou l'autre (1)...

      Il se rua sur la poignée.

      – Eh parbleu ! Le verrou est poussé de l'autre côté, maintenant.

      La porte était vitrée en partie. Avec la crosse de son revolver, il brisa un carreau, puis tira le verrou et dit à Gourel :

      – Galope par là jusqu'à la sortie de la place Dauphine...

      Et, revenant à Dieuzy :

      – Allons, Dieuzy, cause. Comment t'es-tu laissé mettre dans cet état ?

      – Un coup de poing, chef...

      – Un coup de poing de ce vieux ? mais il ne tient pas debout...

      – Pas du vieux, chef, mais d'un autre qui se promenait dans le couloir pendant que Steinweg était avec vous, et qui nous a suivis comme s'il s'en allait, lui aussi... Arrivé là, il m'a demandé si j'avais du feu... J'ai cherché ma boîte d'allumettes... Alors il en a profité pour m'allonger son poing dans l'estomac... Je suis tombé, et, en tombant, j'ai eu l'impression qu'il ouvrait cette porte et qu'il entraînait le vieux...

      – Tu pourrais le reconnaître ?

      – Ah ! oui, chef... un gaillard solide, la peau noire... un type du Midi, pour sûr...

      – Ribeira... grinça M. Lenormand, toujours lui !... Ribeira, alias Parbury. Ah ! le forban, quelle audace !... Il avait peur du vieux Steinweg... il est venu le cueillir, ici même, à ma barbe !...

      Et, frappant du pied avec colère :

      – Mais, cristi, comment a-t-il su que Steinweg était là, le bandit ! Il n'y a pas quatre heures, je le pourchassais dans les bois de Saint-Cucufa et maintenant le voici !... Comment a-t-il su ?... Il vit donc dans ma peau ?...

      Il fut pris d'un de ces accès de rêverie où il semblait ne plus rien entendre et ne plus rien voir. Mme Kesselbach, qui passait à ce moment, le salua sans qu'il répondît.

      Mais un bruit de pas dans le couloir secoua sa torpeur.

      – Enfin, c'est toi, Gourel ?...

      – C'est bien ça, chef, dit Gourel, tout essoufflé. Ils étaient deux. Ils ont suivi ce chemin, et ils sont sortis par la place Dauphine. Une automobile les attendait. Il y avait dedans deux personnes, un homme vêtu de noir avec un chapeau mou rabattu sur les yeux...

      – C'est lui, murmura M. Lenormand, c'est l'assassin, le complice de Ribeira-Parbury. Et l'autre personne ?

      – Une femme, une femme sans chapeau, comme qui dirait une bonne... et jolie, paraît-il, rousse.

      – Hein ? quoi ! tu dis qu'elle était rousse ?

      – Oui.

      Monsieur Lenormand se retourna d'un élan, descendit l'escalier quatre à quatre, franchit les cours et déboucha sur le quai des Orfèvres.

      – Halte ! cria-t-il.

      Une Victoria à deux chevaux s'éloignait. C'était la voiture de Mme Kesselbach. Le cocher entendit et arrêta. Déjà M. Lenormand avait bondi sur le marchepied :

      – Mille pardons, madame, votre aide m'est indispensable. Je vous demanderai la permission de vous accompagner... Mais il nous faut agir rapidement. Gourel, mon auto... Tu l'as renvoyée ?... Une autre alors, n'importe laquelle.

      Chacun courut de son côté. Mais il s'écoula une dizaine de minutes avant qu'on ramenât une auto de louage. M. Lenormand bouillait d'impatience. Mme Kesselbach, debout sur le trottoir, chancelait, son flacon de sels à la main.

      Enfin ils s'installèrent.

      – Gourel, monte à côté du chauffeur et droit sur Garches.

      – Chez moi ! fit Dolorès stupéfaite.

      Il ne répondit pas. Il se montrait à la portière, agitait son coupe-file, se nommait aux agents qui réglaient la circulation des rues. Enfin, quand on parvint au Cours-la-Reine, il se rassit et prononça :

      – Je vous en supplie, madame, répondez nettement à mes questions. Vous avez vu Mlle Geneviève Ernemont, tantôt vers quatre heures ?

      – Geneviève... oui... je m'habillais pour sortir.

      – C'est elle qui vous a parlé de l'insertion du Journal, relative à Steinweg ?

      – En effet.

      – Et c'est là-dessus que vous êtes venue me voir ?

      – Oui.

      – Vous étiez seule pendant la visite de Mlle Ernemont ?

      – Ma foi, je ne sais pas... Pourquoi ?

      – Rappelez-vous. L'une de vos femmes de chambre était là ?

      – Peut-être... comme je m'habillais...

      – Quel est leur nom ?

      – Suzanne... et Gertrude.

      – L'une d'elles est rousse, n'est-ce pas ?

      – Oui, Gertrude.

      – Vous la connaissez depuis longtemps ?

      – Sa sœur m'a toujours servie... et Gertrude est chez moi depuis des années... C'est le dévouement en personne, la probité...

      – Bref, vous répondez d'elle ?

      – Oh ! absolument.

      – Tant mieux... tant mieux !

      Il était sept heures et demie, et la lumière du jour commençait à s'atténuer quand l'automobile arriva devant la maison de retraite. Sans s'occuper de sa compagne, le chef de la Sûreté se précipita chez le concierge.

      – La bonne de Mme Kesselbach vient de rentrer, n'est-ce pas ?

      – Qui ça, la bonne ?

      – Oui, Gertrude, une des deux sœurs.

      – Mais Gertrude n'a pas dû sortir, monsieur, nous ne l'avons pas vue sortir.

      – Cependant quelqu'un vient de rentrer.

      – Oh ! non, monsieur, nous n'avons ouvert la porte à personne, depuis... depuis six heures du soir.

      – Il n'y a pas d'autre issue que cette porte ?

      – Aucune. Les murs entourent le domaine de toutes parts, et ils sont hauts.

      – Madame Kesselbach, dit M. Lenormand à sa compagne, nous irons jusqu'à votre pavillon.

      Ils s'en allèrent tous les trois. Mme Kesselbach, qui n'avait pas la clef, sonna. Ce fut Suzanne, l'autre sœur, qui apparut.

      – Gertrude est ici ? demanda Mme Kesselbach.

      – Mais oui, madame, dans sa chambre.

      – Faites-la venir, mademoiselle, ordonna le chef de la Sûreté.

      Au bout d'un instant, Gertrude descendit, avenante et gracieuse avec son tablier blanc orné de broderies. Elle avait une figure assez jolie, en effet, encadrée de cheveux roux.

      M. Lenormand la regarda longtemps sans rien dire, comme s'il cherchait à pénétrer au-delà de ces yeux innocents. Il ne l'interrogea pas. Au bout d'une minute, il dit simplement :

      – C'est bien, mademoiselle, je vous remercie. Tu viens, Gourel ?

      Il sortit avec le brigadier et, tout de suite, en suivant les allées sombres du jardin, il dit :

      – C'est elle.

      – Vous croyez, chef ? Elle a l'air si tranquille !

      – Beaucoup trop tranquille. Une autre se serait étonnée, m'aurait demandé pourquoi je la faisais venir. Elle, rien. Rien que l'application d'un visage qui veut sourire à tout prix. Seulement, de sa tempe, j'ai vu une goutte de sueur qui coulait le long de son oreille.

      – Et alors ?

      – Alors, tout cela est clair. Gertrude est complice des deux bandits qui manœuvrent autour de l'affaire Kesselbach, soit pour surprendre et pour exécuter le fameux projet, soit pour capter les millions de la veuve. Sans doute l'autre sœur est-elle aussi du complot. Vers quatre heures, Gertrude, prévenue que je connais l'annonce du Journal et qu'en outre j'ai rendez-vous avec Steinweg, profite du départ de sa maîtresse, court à Paris, retrouve Ribeira et l'homme au chapeau mou, et les entraîne au Palais de Justice où Ribeira confisque à son profit le sieur Steinweg.

      Il réfléchit et conclut :

      – Tout cela nous prouve : 1° l'importance qu'ils attachent à Steinweg et la frayeur que leur inspirent ses révélations ; 2° qu'une véritable conspiration est ourdie autour de Mme Kesselbach ; 3° que je n'ai pas de temps à perdre, car la conspiration est mûre.

      – Soit, dit Gourel, mais il y a une chose inexplicable. Comment Gertrude a-t-elle pu sortir du jardin où nous sommes et y entrer à l'insu des concierges ?

      – Par un passage secret que les bandits ont dû pratiquer récemment.

      – Et qui aboutirait sans doute, fit Gourel, au pavillon de Mme Kesselbach ?

      – Oui, peut-être, dit M. Lenormand, peut-être... Mais j'ai une autre idée...

      Ils suivirent l'enceinte des murs. La nuit était claire, et si l'on ne pouvait guère discerner leurs deux silhouettes, ils voyaient suffisamment, eux, pour examiner les pierres des murailles et pour s'assurer qu'aucune brèche, si habile qu'elle fût, n'avait été pratiquée.

      – Une échelle, sans doute ?... insinua Gourel.

      – Non, puisque Gertrude passe en plein jour. Une communication de ce genre ne peut évidemment pas aboutir dehors. Il faut que l'orifice en soit caché par quelque construction déjà existante.

      – Il n'y a que les quatre pavillons, objecta Gourel, et ils sont tous habités.

      – Pardon, le troisième pavillon, le pavillon Hortense, n'est pas habité.

      – Qui vous l'a dit ?

      – Le concierge. Par peur du bruit, Mme Kesselbach a loué ce pavillon, lequel est proche du sien. Qui sait si, en agissant ainsi, elle n'a pas subi l'influence de Gertrude ?

      Il fit le tour de la maison. Les volets étaient fermés. A tout hasard, il souleva le loquet de la porte : la porte s'ouvrit.

      – Ah ! Gourel, je crois que nous y sommes. Entrons. Allume ta lanterne... Oh ! le vestibule, le salon, la salle à manger... c'est bien inutile. Il doit y avoir un sous-sol, puisque la cuisine n'est pas à cet étage.

      – Par ici, chef... voici l'escalier de service.

      Ils descendirent, en effet, dans une cuisine assez vaste et encombrée de chaises de jardin et de guérites en jonc. Une buanderie, servant aussi de cellier, y attenait et présentait le même désordre d'objets entassés les uns par-dessus les autres.

      – Qu'est-ce qui brille, là, chef ?

      Gourel, s'étant baissé, ramassa une épingle de cuivre à tête de perle fausse.

      – La perle est toute brillante encore, dit Lenormand, ce qui ne serait point, si elle avait séjourné longtemps dans cette cave. Gertrude a passé ici, Gourel.

      Gourel se mit à démolir un amoncellement de fûts vides, de casiers et de vieilles tables boiteuses.

      – Tu perds ton temps, Gourel. Si le passage est là, comment aurait-on le loisir, d'abord de déplacer tous ces objets, et ensuite de les replacer derrière soi ? Tiens, voici un volet hors d'usage qui n'a aucune raison sérieuse d'être accroché au mur par ce clou. écarte-le.

      Gourel obéit.

      Derrière le volet, le mur était creusé. A la clarté de la lanterne, ils virent un souterrain qui s'enfonçait.



3

      – Je ne me trompais pas, dit M. Lenormand, la communication est de date récente. Tu vois, ce sont des travaux faits à la hâte et pour une durée d'ailleurs limitée... Pas de maçonnerie. De place en place deux madriers en croix et une solive qui sert de plafond, et c'est tout. Ça tiendra ce que ça tiendra, mais toujours assez pour le but qu'on poursuit, c'est-à-dire...

      – C'est-à-dire quoi, chef ?

      – Eh bien, d'abord pour permettre les allées et venues entre Gertrude et ses complices... et puis, un jour, un jour prochain, l'enlèvement ou plutôt la disparition miraculeuse, incompréhen­sible de Mme Kesselbach.

      Ils avançaient avec précaution pour ne pas heurter certaines poutres, dont la solidité ne semblait pas inébranlable. A première vue, la longueur du tunnel était de beaucoup supérieure aux cinquante mètres tout au plus qui séparaient le pavillon de l'enceinte du jardin. Il devait donc aboutir assez loin des murs, et au-delà d'un chemin qui longeait le domaine.

      – Nous n'allons pas du côté de Villeneuve et de l'étang, par ici ? demanda Gourel.

      – Du tout, juste à l'opposé, affirma M. Lenormand.

      La galerie descendait en pente douce. Il y eut une marche, puis une autre, et l'on obliqua vers la droite. A ce moment ils se heurtèrent à une porte qui était encastrée dans un rectangle de mœllons soigneusement cimentés. M. Lenormand l'ayant poussée, elle s'ouvrit.

      – Une seconde, Gourel, dit-il en s'arrêtant... réfléchissons... il vaudrait peut-être mieux rebrousser chemin.

      – Et pourquoi ?

      – Il faut penser que Ribeira a prévu le péril, et supposer qu'il a pris ses précautions au cas où le souterrain serait démasqué. Or, il sait que nous fouillons le jardin. Il nous a vus sans doute entrer dans ce pavillon. Qui nous assure qu'il n'est pas en train de nous tendre un piège ?

      – Nous sommes deux, chef.

      – Et ils sont vingt, eux.

      Il regarda. Le souterrain remontait, et il marcha vers l'autre porte, distante de cinq à six mètres.

      – Allons jusqu'ici, dit-il, nous verrons bien.

      Il passa, suivi de Gourel auquel il recommanda de laisser la porte ouverte, et il marcha vers l'autre porte, se promettant bien de ne pas aller plus loin. Mais celle-ci était close, et, bien que la serrure parût fonctionner, il ne parvint pas à ouvrir.

      – Le verrou est mis, dit-il. Ne faisons pas de bruit et revenons. D'autant que, dehors, nous établirons, d'après l'orientation de la galerie, la ligne sur laquelle il faudra chercher l'autre issue du souterrain.

      Ils revinrent donc sur leurs pas vers la première porte, quand Gourel, qui marchait le premier, eut une exclamation de surprise.

      – Tiens, elle est fermée...

      – Comment ! mais je t'avais dit de la laisser ouverte.

      – Je l'ai laissée ouverte, chef, mais le battant est retombé tout seul.

      – Impossible ! nous aurions entendu le bruit.

      – Alors ?...

      – Alors... alors... je ne sais pas...

      Il s'approcha.

      – Voyons... il y a une clef... Elle tourne. Mais de l'autre côté il doit y avoir un verrou...

      – Qui l'aurait mis ?

      – Eux parbleu ! derrière notre dos. Ils ont peut-être une autre galerie qui longe celle-ci... ou bien ils étaient restés dans ce pavillon inhabité... Enfin, quoi, nous sommes pris au piège.

      Il s'acharna contre la serrure, introduisit son couteau dans la fente, chercha tous les moyens, puis, en un moment de lassitude, prononça :

      – Rien à faire !

      – Comment, chef, rien à faire ? En ce cas, nous sommes fichus ?

      – Ma foi... dit-il.

      Ils retournèrent à l'autre porte, puis revinrent à la première. Elles étaient toutes deux massives, en bois dur, renforcées par des traverses somme toute indestructibles.

      – Il faudrait une hache, dit le chef de la Sûreté... ou tout au moins un instrument sérieux... un couteau même, avec lequel on essaierait de découper l'emplacement probable du verrou... Et nous n'avons rien.

      Il eut un accès de rage subit, et se rua contre l'obstacle, comme s'il espérait l'abolir. Puis, impuissant, vaincu, il dit à Gourel :

      – Ecoute, nous verrons ça dans une heure ou deux... Je suis éreinté... je vais dormir... Veille, pendant ce temps-là... Et si l'on venait nous attaquer...

      – Ah ! si l'on venait, nous serions sauvés, chef... s'écria Gourel en homme qu'eût soulagé la bataille, si inégale qu'elle fût.

      M. Lenormand se coucha par terre. Au bout d'une minute il dormait.

      Quand il se réveilla, il resta quelques secondes indécis, sans comprendre, et il se demandait aussi quelle était cette sorte de souffrance qui le tourmentait.

      – Gourel, appela-t-il... Eh bien ! Gourel ?

      N'obtenant pas de réponse, il fit jouer le ressort de sa lanterne, et il aperçut Gourel à côté de lui qui dormait profondément.

      « Qu'est-ce que j'ai à souffrir ainsi ? pensait-il... de véritables tiraillements... Ah ça ! mais j'ai faim ! tout simplement... je meurs de faim ! Quelle heure est-il donc ? »

      Sa montre marquait sept heures vingt, mais il se rappela qu'il ne l'avait pas remontée. La montre de Gourel ne marchait pas davantage.

      Celui-ci cependant s'étant réveillé sous l'action des mêmes souffrances d'estomac, ils estimèrent que l'heure du déjeuner devait être largement dépassée, et qu'ils avaient déjà dormi une partie du jour.

      – J'ai les jambes tout engourdies, déclara Gourel, et les pieds comme s'ils étaient dans de la glace... Quelle drôle d'impression !

      Il voulut se frictionner et reprit :

      – Tiens, mais ce n'est pas dans la glace qu'ils étaient mes pieds, c'est dans l'eau... Regardez, chef... Du côté de la première porte c'est une véritable mare...

      – Des infiltrations, répondit M. Lenormand. Remontons vers la seconde porte, tu te sécheras...

      – Mais qu'est-ce que vous faites donc, chef ?

      – Crois-tu que je me laisserai enterrer vivant dans ce caveau ?... Ah ! non, je ne suis pas encore d'âge... Puisque les deux portes sont fermées, tâchons de traverser les parois.

      Une à une il détachait les pierres qui faisaient saillie à hauteur de sa main, dans l'espoir de pratiquer une autre galerie qui s'en irait en pente jusqu'au niveau du sol. Mais le travail était long et pénible, car, en cette partie du souterrain, les pierres étaient cimentées.

      – Chef... chef... balbutia Gourel, d'une voix étranglée...

      – Eh bien ?

      – Vous avez les pieds dans l'eau.

      – Allons donc ! Tiens, oui... Ma foi, que veux-tu !... on se séchera au soleil.

      – Mais vous ne voyez donc pas ?...

      – Quoi ?

      – Mais ça monte, chef, ça monte...

      – Qu'est-ce qui monte ?

      – L'eau...

      M. Lenormand sentit un frisson qui lui courait sur la peau. Il comprenait tout d'un coup. Ce n'était pas des infiltrations fortuites, mais une inondation habilement préparée et qui se produisait mécaniquement, irrésistiblement, grâce à quelque système infernal.

      – Ah ! la fripouille, grinça-t-il... Si jamais je le tiens, celui-là !

      – Oui, oui, chef, mais il faut d'abord se tirer d'ici, et pour moi...

      Gourel semblait complètement abattu, hors d'état d'avoir une idée, de proposer un plan.

      M. Lenormand s'était agenouillé sur le sol et mesurait la vitesse avec laquelle l'eau s'élevait. Un quart de la première porte à peu près était couvert, et l'eau s'avançait jusqu'à mi-distance de la seconde porte.

      – Le progrès est lent, mais ininterrompu, dit-il. Dans quelques heures, nous en aurons par-dessus la tête.

      – Mais c'est effroyable, chef, c'est horrible, gémit Gourel.

      – Ah ! dis donc, tu ne vas pas nous ennuyer avec tes jérémiades, n'est-ce pas ? Pleure si ça t'amuse, mais que je ne t'entende pas.

      – C'est la faim qui m'affaiblit, chef, j'ai le cerveau qui tourne.

      – Mange ton poing.

      Comme disait Gourel, la situation était effroyable, et, si M. Lenormand avait eu moins d'énergie, il eût abandonné une lutte aussi vaine. Que faire ? Il ne fallait pas espérer que Ribeira eût la charité de leur livrer passage. Il ne fallait pas espérer davantage que les frères Doudeville pussent les secourir puisque les inspecteurs ignoraient l'existence de ce tunnel.

      Donc, aucun espoir ne restait... aucun espoir que celui d'un miracle impossible...

      – Voyons, voyons, répétait M. Lenormand, c'est trop bête, nous n'allons pas crever ici ! Que diable ! il doit y avoir quelque chose... éclaire-moi, Gourel.

      Collé contre la seconde porte, il l'examina de bas en haut, dans tous les coins. Il y avait de ce côté, comme de l'autre probablement, un verrou, un énorme verrou. Avec la lame de son couteau il en défit les vis, et le verrou se détacha.

      – Et après ? demanda Gourel.

      – Après, dit-il, eh bien, ce verrou est en fer, assez long, presque pointu... ça ne vaut certes pas une pioche, mais, tout de même, c'est mieux que rien... et...

      Sans achever sa phrase, il enfonça l'instrument dans la paroi de la galerie, un peu avant le pilier de maçonnerie qui supportait les gonds de la porte. Ainsi qu'il s'y attendait, une fois traversée la première couche de ciment et de pierres, il trouva la terre molle.

      – A l'ouvrage ! s'écria-t-il.

      – Je veux bien, chef, mais expliquez-moi...

      – C'est tout simple, il s'agit de creuser, autour de ce pilier, un passage de trois ou quatre mètres de long qui rejoindra le tunnel au-delà de la porte et nous permettra de filer.

      – Mais il faudra des heures, et pendant ce temps l'eau monte.

      – Eclaire-moi, Gourel.

      L'idée de M. Lenormand était juste et, avec un peu d'effort, en attirant à lui et en faisant tomber dans le tunnel la terre qu'il attaquait d'abord avec l'instrument, il ne tarda pas à creuser un trou assez grand pour s'y glisser.

      – A mon tour, chef ! dit Gourel.

      – Ah ! ah ! tu reviens à la vie ? Bien, travaille... Tu n'as qu'à te diriger sur le contour du pilier.

      A ce moment l'eau montait jusqu'à leurs chevilles. Auraient-ils le loisir d'achever l'œuvre commencée ? A mesure qu'on avançait elle devenait plus difficile, car la terre remuée les encombrait davantage, et, couchés à plat ventre dans le passage, ils étaient obligés à tout instant de ramener les décombres qui l'obstruaient.

      Au bout de deux heures, le travail en était peut-être aux trois quarts, mais l'eau recouvrait leurs jambes. Encore une heure, elle gagnerait l'orifice du trou qu'ils creusaient.

      Cette fois, ce serait la fin.

      Gourel, épuisé par le manque de nourriture, et de corpulence trop forte pour aller et venir dans ce couloir de plus en plus étroit, avait dû renoncer. Il ne bougeait plus, tremblant d'angoisse à sentir cette eau glacée qui l'ensevelissait peu à peu.

      M. Lenormand, lui, travaillait avec une ardeur inlassable. Besogne terrible, œuvre de termite, qui s'accomplissait dans des ténèbres étouffantes. Ses mains saignaient. Il défaillait de faim. Il respirait mal un air insuffisant, et, de temps à autre, les soupirs de Gourel lui rappelaient l'épouvantable danger qui le menaçait au fond de sa tanière.

      Mais rien n'eût pu le décourager, car maintenant il retrouvait en face de lui ces pierres cimentées qui composaient la paroi de la galerie. C'était le plus difficile, mais le but approchait.

      – Ça monte, cria Gourel, d'une voix étranglée, ça monte.

      M. Lenormand redoubla d'efforts. Soudain la tige du verrou dont il se servait jaillit dans le vide. Le passage était creusé. Il n'y avait plus qu'à l'élargir, ce qui devenait beaucoup plus facile maintenant qu'il pouvait rejeter les matériaux devant lui.

      Gourel, fou de terreur, poussait des hurlements de bête qui agonise. Il ne s'en émouvait pas. Le salut était à portée de sa main.

      Il eut cependant quelques secondes d'anxiété en constatant, au bruit des matériaux qui tombaient, que cette partie du tunnel était également remplie d'eau – ce qui était naturel, la porte ne constituant pas une digue suffisamment hermétique. Mais qu'importait ! l'issue était libre... un dernier effort... Il passa.

      – Viens, Gourel, cria-t-il, en revenant chercher son compagnon.

      Il le tira, à demi mort, par les poignets.

      – Allons, secoue-toi, ganache, puisque nous sommes sauvés.

      – Vous croyez, chef ?... vous croyez ?... Nous avons de l'eau jusqu'à la poitrine...

      – Va toujours... Tant que nous n'en aurons pas par-dessus la bouche... Et ta lanterne ?

      – Elle ne va plus.

      – Tant pis.

      Il eut une exclamation de joie :

      – Une marche... deux marches !... Un escalier... Enfin !

      Ils sortaient de l'eau, de cette eau maudite qui les avait presque engloutis, et c'était une sensation délicieuse, une délivrance qui les exaltait.

      – Arrête ! murmura M. Lenormand.

      Sa tête avait heurté quelque chose. Les bras tendus, il s'arc-bouta contre l'obstacle qui céda aussitôt. C'était le battant d'une trappe, et, cette trappe ouverte, on se trouvait dans une cave où filtrait, par un soupirail, la lueur d'une nuit claire.

      Il renversa le battant et escalada les dernières marches.

      Un voile s'abattit sur lui. Des bras le saisirent. Il se sentit comme enveloppé d'une couverture, d'une sorte de sac, puis lié par des cordes.

      – A l'autre, dit une voix.

      On dut exécuter la même opération avec Gourel, et la même voix dit :

      – S'ils crient, tue-les tout de suite. Tu as ton poignard ?

      – Oui.

      – En route. Vous deux, prenez celui-ci... vous deux celui-là... Pas de lumière, et pas de bruit non plus... Ce serait grave ! depuis ce matin on fouille le jardin d'à côté... ils sont dix ou quinze qui se démènent. Retourne au pavillon, Gertrude, et, s'il y a la moindre chose, téléphone-moi à Paris.

      M. Lenormand eut l'impression qu'on le portait, puis, après un instant, l'impression qu'on était dehors.

      – Approche la charrette, dit la voix.

      M. Lenormand entendit le bruit d'une voiture et d'un cheval. On le coucha sur des planches. Gourel fut hissé près de lui. Le cheval partit au trot.

      Le trajet dura une demi-heure environ.

      – Halte ! ordonna la voix... Descendez-les. Eh ! le conducteur, tourne la charrette de façon que l'arrière touche au parapet du pont... Bien... Pas de bateaux sur la Seine ? Non ? Alors, ne perdons pas de temps... Ah ! vous leur avez attaché des pierres ?

      – Oui, des pavés.

      – En ce cas, allez-y. Recommande ton âme à Dieu, monsieur Lenormand, et prie pour moi, Parbury-Ribeira, plus connu sous le nom de baron Altenheim. Ça y est ? Tout est prêt ? Eh bien, bon voyage, monsieur Lenormand !

      M. Lenormand fut placé sur le parapet. On le poussa. Il sentit qu'il tombait dans le vide, et il entendit encore la voix qui ricanait :

      – Bon voyage !

      Dix secondes après, c'était le tour du brigadier Gourel.


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(1)  Depuis que M. Lenormand n'est plus à la Sûreté, eux malfaiteurs se sont enfuis par la même porte, après s'être débarrassés des agents qui les escortaient. La police a fait le silence sur cette double évasion. Pourquoi donc, si ce passage est indispensable, ne supprime-t-on pas de l'autre côté l'intuile verrou qui permet au fugitif de couper court à toute poursuite, et de s'en aller tranquillement par le couloir de la septième chambre civile et par la galerie de la première Présidence ?




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