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Henri Cornélis Agrippa

Sa vie et son oeuvre d'après sa correspondance
Joseph Orsier
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PREMIÈRE PARTIE – LA VIE ET L'ŒUVRE D'AGRIPPA
Chapitre VII


Depuis longtemps, Agrippa se sentait attiré vers la France : il y avait passé quelque temps dans sa jeunesse, il avait étudié à l'Université de Paris, qu'il n'avait quittée qu'à regret au milieu de nombreux amis. A Lyon également, il avait des amis professant pour lui une admiration sans borne qui avaient pris un soin tout particulier de sa renommée de médecin, si bien qu'au moment de son arrivée à Lyon il y reçut un accueil des plus bienveillants. Si la cour avait été à Paris, Agrippa y serait sans doute accouru, si désireux qu'il était de se pousser et de faire étalage de ses connaissances ; la cour étant alors à Lyon, c'est là qu'il vint directement. Il y arriva dans les deux ou trois premiers jours de mai 1524, au moment où François Ier portait le deuil du Chevalier Bayard que les Impériaux venaient d'arquebuser à Romagnano (42). Les affaires du roi ne prospéraient pas à cette époque et le sublime vagabond de Cologne eut à subir le contrecoup de ces royales vicissitudes. D'une lettre de lui à Chapuys, datée de Lyon du 03 mai 1524, je traduis ces passages caractéristiques : Au milieu des hasards les plus divers, au milieu de tous les risques du sort, nous sommes enfin arrivés à Lyon. Dans cette ville où je puis jouir auprès d'anciens amis des plaisirs de l'intimité, dans cette ville où je vais trouver largement appuis, occasions et moyens de réussir, je commence enfin à trouver l'honneur, la gloire et la fortune. J'ai laissé aussi à Fribourg des amis que je n'oublierai jamais. Au reste j'attends du roi un envoyé qui doit me remettre en or le prix de ma pension ; même j'ai déjà reçu de son trésorier quelques pièces d'or à couronne pour m'installer chez moi... Notre fils Haymon vous reste, nous vous le recommandons... Je vous prie de ne pas négliger mes tableaux, car dans peu de temps je vous enverrai de l'argent pour les racheter et pour qu'ils me soient restitués (43)... »

      Agrippa semblait, en effet, être parvenu à une situation meilleure. Présenté à la cour de France par Symphorien Bullioud, lyonnais, alors évêque de Bazas (44), il fut nommé médecin de la reine-mère, et il entra en relations avec Jehan Perréal, peintre du roi, avec Denis Turin, Guillaume Cop et André Briau, médecins du roi, avec le père Jehan de la Grève, cordelier de Saint-Bonaventure de Lyon, et enfin avec Jehan Chapelain, médecin comme lui de Louise de Savoie, pour lequel il ne cessa de conserver la plus vive amitié.

      Pour Agrippa ce titre de médecin de la reine-mère n'était qu'un titre qui en cachait un autre. La mère de François Ier était, comme toutes les femmes de luxe et de passion, crédule et superstitieuse : il est certain qu'elle n'avait pas été sans avoir entendu parler de l'aptitude de son nouveau médecin à la divination, et le champ était fertile pour les devins. On sait combien la reine-mère était mêlée à la politique ; on sait aussi pourquoi fut pendu Semblançay. Agrippa eut donc fort peu à s'occuper de la santé de Louise de Savoie, qui se portait à merveille. Ce qu'elle voulait de lui c'était une continuelle pronostication du succès de son fils qui guerroyait autour de Pavie contre Bourbon. Au cours d'une lettre à Chapuys, du 21 mai 1525, Agrippa avoue « qu'il a beaucoup à dire sur les événements courants, mais que cela ne lui est point permis depuis qu'il a été admis aux secrets conseils de la Princesse... » c'est avec une véritable répugnance qu'il se prête au rôle de devin qu'elle veut lui faire jouer. Il réclame un meilleur usage des facultés que la nature lui a départies et repousse (si l'on en croit sa correspondance) les propositions qu'on lui fait, de lire dans les astres ou dans les cornues la destinée de tel ou tel personnage de la cour, fût-il roi, duc ou prince (45). Cette indépendance de caractère ne plut que médiocrement à la reine-mère qui avait d'autant plus sujet de s'en étonner qu'Agrippa ne s'était pas montré si récalcitrant (et elle le savait) envers le Connétable. Il faut dire ici, pour que l'on saisisse bien le caractère du savant bohême, qu'il n'y a chez lui ni enthousiasme politique, ni patriotisme, ni délicatesse. Pour peu qu'on lui offrît des honneurs dont il était avide et de l'argent dont il manquait toujours, il était prêt à toutes les besognes, à servir n'importe quel parti, mais il n'aimait pas qu'on le prît pour un nécromancien. Il n'était ni Allemand, ni Suisse, ni Flamand, ni Français, ni Espagnol ; il était tout cela à la fois selon que le vent de la fortune soufflait de l'un ou de l'autre côté. Le XVIème siècle n'était-il pas plein de ces aventuriers pour qui le mot patrie était absolument inconnu ? On vendait ses services, ses capacités, son courage, son intelligence et même ses vertus à tel ou tel prince, suivant qu'on enchérissait. Celui qui payait le mieux était le mieux servi. Louise de Savoie ne payait pas ; quant à François Ier, il avait d'autres soucis en face du plus redoutable et du plus tenace adversaire qu'ait jamais eu roi de France.


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(42)  Le 30 avril 1524.

(43)  Epist., III, 58.

(44)  1480-1533. Il fut évêque de Glandève (1509), de Bazas (1515), de Soissons en 1528, mais il fut chargé surtout de missions diplomatiques. Nommé gouverneur du Milanais par Louis XII, il fut ensuite envoyé à Jules II pour terminer quelques différends ; il assista aux conciles de Pise et de Latran et fut chargé par François Ier de diriger les deux assemblées relatives, d'une part, au connétable et, d'autre part, aux conditions de la paix de Madrid. Agrippa eut de fréquentes correspondances avec ce prélat (Epist., IV, 9, 14, 15, 22, 24, 31, 39, 47, 49, 53, 66, 69, 74, toutes lettres de 1526), et il lui dédia sa Dehortatio gentilis theologiæ en 1526.

(45)  Epist., III, 68.




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