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La Cagliostro se venge

Maurice Leblanc
© France-Spiritualités™






PREMIÈRE PARTIE – LE SECOND DES DEUX DRAMES
IV – L'INSPECTEUR GOUSSOT ATTAQUE

Le déjeuner qu'offrit Raoul et auquel assista Félicien Charles réjouit fort M. Rousselain qui se répandait en compliments et en exclamations.

      – Ah ! cette langouste !... Ah ! ce sauternes !... Et cette poularde !...

      – Je connaissais votre faible, monsieur le juge d'instruction, lui dit Raoul d'Averny.

      – Ouais ! Et par qui ?

      – Par un de mes amis, Boisgenêt, qui assistait à cette fameuse affaire du château d'Orsacq, où vous avez fait merveille.

      – Moi ? J'ai laissé les choses suivre leur cours.

      – Oui, je connais votre théorie. Quand il y a drame passionnel, ce sont les acteurs du drame eux-mêmes, qui, par le déchaînement de leurs passions, dissipent peu à peu les ténèbres.

      – Absolument, et c'est grand dommage qu'il n'en soit pas de même aujourd'hui. Vol d'argent, vol de collier... aucun intérêt.

      – Qui sait ? Il y a eu piège tendu à Elisabeth Gaverel.

      – Oui, le piège de l'escalier rompu. Mais, vraiment, est-ce que vous croyez beaucoup à cette machination ? Est-ce que vous croyez à deux affaires distinctes ?

      – Surtout, monsieur le juge d'instruction, ne voyez pas en moi un détective amateur imbu de ses petits talents... Non... J'ai beaucoup lu...

      Jamais de romans policiers : cela m'assomme... Mais la Gazette des Tribunaux... et des récits de crimes réels. Et j'ai tiré de mes lectures une certaine expérience, et des vues... parfois justes... parfois tout à fait erronées... et qui, à l'occasion, me permettent de bavarder à tort et à travers... et d'épater des policiers de second ordre... comme ce brave inspecteur Goussot. La vérité, c'est que tout cela est diablement obscur ! Il n'y a qu'une chose qui soit limpide, ajouta-t-il en riant, c'est que M. Philippe Gaverel ne veut pas qu'on le soupçonne de dissimuler des billets de banque. Et pourtant, admettons qu'on retrouve le sac de toile grise, à quoi cela lui servira-t-il s'il n'y a plus rien dedans ?

      – Certes, dit M. Rousselain, le premier soin du voleur sera de découdre le sac et de s'emparer du contenu. Aussi, il y aurait bien peu de chances de retrouver les billets.

      Félicien se taisait. Durant tout le repas, il avait écouté avec attention Raoul d'Averny, mais sans se mêler un instant à la conversation.

      Vers trois heures, M. Rousselain ramena ses deux compagnons dans le jardin des Clématites où ils retrouvèrent l'inspecteur principal.

      – Eh bien, monsieur l'inspecteur, du nouveau ?

      Goussot prit son air le plus détaché.

      – Peuh ! pas grand-chose. J'ai été prendre des nouvelles de M. Jérôme Helmas à la clinique, et j'ai parlé avec les médecins. Quoique sa vie ne soit pas en danger, on ne m'a pas permis de l'interroger à fond. Tout au plus a-t-il pu me dire que l'individu qui l'a suivi et attaqué, lui a semblé sortir de l'impasse qui conduit à l'étang.

      – Et le couteau du crime ?

      – Impossible de le retrouver.

      – L'autre blessé ?

      – Son état reste toujours grave et l'on n'ose pas encore se prononcer.

      – Aucun renseignement sur lui ?

      – Aucun.

      L'inspecteur principal fit une pause, puis laissa tomber distraitement :

      – Cependant... j'ai fini par établir, à son propos, un fait assez curieux.

      – Ah ! lequel ?

      – Eh bien, cet individu, qui devait être attaqué la nuit, était entré dans ce jardin, hier.

      – Que dites-vous ? Dans ce jardin ?

      – Ici même.

      – Mais comment ?

      – Eh bien, il a pénétré d'abord dans la villa en profitant de ce que M. Félicien Charles y pénétrait lui-même, lorsque celui-ci, après le meurtre de Mlle Elisabeth, a voulu voir sa sœur Rolande.

      – Et ensuite ?

      – Ensuite il s'est mêlé aux gens attirés par la détonation et qui s'introduisaient par tous les moyens possibles avant que l'ordre ne fût rétabli.

      – Vous êtes sûr ?

      – Les témoignages des personnes que j'ai interrogées à la clinique sont affirmatifs.

      – C'est sans doute, dit le juge d'instruction à Félicien, un hasard s'il a pénétré en même temps que vous ?

      – Je n'ai rien remarqué, dit Félicien.

      – Vous n'avez rien remarqué ? reprit Goussot.

      – Rien.

      – Bizarre. On vous a vu cependant parler avec lui.

      – Ça se peut, fit le jeune homme sans aucun embarras, j'ai parlé avec ceux qui étaient là, gendarmes, curieux.

      – Et vous n'avez pas noté un grand garçon, un genre de rapin, avec une cravate lavallière à pois blancs ?

      – Non... ou peut-être oui... je ne sais pas... j'étais si affolé.

      Il y eut une pause. Puis l'inspecteur Goussot poursuivit :

      – Vous habitez bien un petit pavillon dépendant de la propriété de M. d'Averny, ici présent ?

      – Oui.

      – Vous connaissez le jardinier ?

      – Certes.

      – Eh bien, ce jardinier prétend que, hier, au moment de la détonation, vous étiez assis dehors...

      – En effet.

      – Et que vous étiez assis avec un monsieur qui était déjà venu vous voir deux ou trois fois. Or, ce monsieur n'est autre que notre homme. Le jardinier l'a formellement reconnu à la clinique, il y a un instant.

      Félicien rougit, s'essuya le front, hésita et finit par répliquer : « Je ne savais pas qu'il s'agissait de lui. Je vous répète que j'étais tellement troublé que je ne saurais dire s'il est venu avec moi aux Clématites, et, non plus, s'il se trouvait avec moi dans la foule, hier.

      – Quel est le nom de votre ami ?

      – Ce n'est pas mon ami.

      – N'importe ! Quel est son nom ?

      – Simon Lorient. Il m'a abordé un jour où je peignais au bord du grand lac. Il m'a dit qu'il était peintre aussi, mais qu'il ne savait pas où placer ses œuvres, pour le moment, et qu'il cherchait du travail. Depuis, il voulait être présenté à M. d'Averny. Je le lui ai promis.

      – Vous l'avez vu souvent ?

      – Quatre ou cinq fois.

      – Quelle est son adresse ?

      – Il habite Paris. Je n'en sais pas davantage.

      Le jeune homme avait recouvré son aplomb à tel point que le juge d'instruction murmura :

      – Tout cela est fort plausible.

      Mais Goussot ne lâchait pas prise.

      – Donc, vous l'avez vu hier ?

      – Oui, près du pavillon que j'habite. Je croyais alors que M. d'Averny serait de retour, et Simon Lorient lui eût été présenté.

      – Et, plus tard, depuis le moment où j'ai fait évacuer le jardin ?

      – Je ne l'ai pas revu.

      – Cependant, il a continué de rôder, lui, autour des maisons qui bordent l'étang. Il a été dîner dans un caboulot voisin, et on est à peu près sûr de l'avoir aperçu hier soir, tout à côté d'ici. Il se dissimulait dans l'ombre.

      – Je n'en sais rien.

      – Que faisiez-vous, de votre côté ?

      – J'ai dîné dans mon pavillon, servi, comme chaque jour, par le concierge de M. d'Averny.

      – Ensuite ?

      – Ensuite, j'ai lu, et je me suis couché.

      – A quelle heure ?

      – Vers onze heures.

      – Et vous n'êtes pas ressorti ?

      – Non.

      – Vous en êtes certain ?

      – Certain.

      L'inspecteur Goussot se tourna vers un groupe de quatre personnes qu'il avait déjà interrogées. L'une de ces personnes, un monsieur d'un certain âge, s'avança.

      Goussot lui dit :

      – Vous habitez, n'est-ce pas, une des villas voisines ?

      – Oui, au-delà du potager de M. Philippe Gaverel.

      – Cette villa est longée, d'un côté, par un passage public qui permet à tout le monde d'atteindre l'étang ?

      – Oui.

      – Or, vous m'avez déclaré que, vers minuit trois quarts, comme vous étiez à prendre l'air à votre fenêtre, vous avez vu quelqu'un qui ramait sur l'étang et qui est venu atterrir au bout du passage. Ce quelqu'un a rapproché la barque de votre propriété et l'y a attachée à son poteau habituel. C'était la vôtre dont il s'était servi. Vous avez reconnu le promeneur, n'est-ce pas ?

      – Oui. Il y avait quelques nuages qui se sont écartés. La lune l'a frappé en plein visage. Alors, il s'est jeté dans la partie obscure. C'était M. Félicien Charles. Il est resté dans le passage un assez long moment.

      – Ensuite ?

      – Ensuite, je ne sais pas. Je me suis couché et endormi.

      – Vous affirmez que c'était M. Félicien Charles, ici présent ?

      – Je crois pouvoir l'affirmer, sans crainte d'erreur.

      L'inspecteur Goussot dit à Félicien :

      – Par conséquent, vous avez passé la nuit dehors et non dans votre lit ?

      Félicien répliqua fermement :

      – Je n'ai pas quitté ma chambre.

      – Si vous n'avez pas quitté votre chambre, comment se peut-il qu'on vous ait vu descendre de barque et vous poster dans l'impasse, et ensuite que M. Helmas ait cru discerner que son agresseur venait de cette impasse ?

      – Je n'ai pas quitté ma chambre, répéta Félicien.

      M. Rousselain avait gardé le silence, un peu gêné d'avoir pris un repas à la même table que ce jeune homme qui se défendait si mal. Il regarda Raoul d'Averny, lequel avait écouté sans mot dire non plus, et tout en étudiant Félicien.

      Raoul intervint aussitôt :

      – En attendant, monsieur l'inspecteur, que l'enquête vérifie tous ces racontars et leur attribue leur véritable signification, puis-je savoir où vous voulez en venir à l'égard de Félicien Charles ?

      Goussot riposta :

      – Je n'ai d'autre but que de réunir les éléments de la vérité.

      – Monsieur l'inspecteur, on réunit toujours ces éléments selon l'idée générale d'une vérité que l'on croit déjà pressentir.

      – Je n'ai aucune idée.

      – Si. Dans le cas actuel, il résulterait de votre interrogatoire : 1° que vous vous occupez surtout du second drame, c'est-à-dire du vol des billets de banque et des deux agressions nocturnes ; 2° que, Félicien étant dehors, cette nuit, s'est servi de la barque pour pénétrer dans le jardin de l'Orangerie et chercher le sac de toile grise contenant les billets, et ensuite que, vers une heure du matin, tapi dans l'ombre, il a pu suivre un instant plus tard le fiancé de la victime, M. Jérôme Helmas, et l'attaquer, cela pour on ne sait quelles raisons. Et, au fond de vous, il est clair que vous vous demandez s'il ne fut pas aussi l'agresseur de l'autre blessé, Simon Lorient.

      – Je ne me demande rien, monsieur, dit Goussot sèchement, et je n'ai pas l'habitude qu'on me questionne.

      – Je me permets seulement de remarquer, continua Raoul d'Averny, que vos soupçons semblent associer Félicien Charles et Simon Lorient. En ce cas, s'ils étaient de connivence, comment Félicien Charles pourrait-il être à la fois le complice et l'agresseur de Simon Lorient ?

      Goussot ne répondit pas. Raoul haussa les épaules.

      – De telles présomptions ne tiennent pas debout.

      Mais le silence de l'inspecteur mettait fin à la scène. Debout sur le perron, très belle dans ses vêtements de deuil, Rolande avait écouté.

      Elle saisit le bras de son oncle. Ils allaient à la clinique auprès de Jérôme Helmas.

      Raoul n'insista pas. Au bout d'un moment, il dit à Félicien :

      – Rentrons.

      Et il salua le juge d'instruction.


      En route, Raoul d'Averny demeura taciturne. Arrivé devant sa villa, il conduisit le jeune homme dans un petit cabinet de travail qui s'ouvrait en arrière des salons, sur un coin de jardin isolé par des haies.

      Là, il le fit asseoir et lui dit :

      – Vous ne m'avez jamais demandé pourquoi je vous avais écrit de venir me voir.

      – Je n'ai pas osé, monsieur.

      – Par conséquent, vous ne savez pas pourquoi je vous ai offert de décorer cette villa et d'y habiter ?

      – Non.

      – Vous n'êtes pas curieux ?

      – J'ai craint d'être indiscret. Vous ne m'interrogiez pas.

      – Si. Je vous ai questionné sur votre passé. Vous m'avez dit que vos parents étaient morts depuis des années et que la vie était dure pour vous. Mais j'ai senti une telle réserve, un tel désir de ne rien révéler sur vous-même que je n'ai pas insisté. Depuis, on ne s'est guère parlé, vous et moi, ce qui fait que, somme toute, je ne vous connais pas. Aujourd'hui...

      Après une pause, où il parut hésiter, il conclut assez brusquement :

      – Aujourd'hui, il semble que vous êtes compromis dans une mauvaise affaire, ou du moins qu'il vous est difficile d'expliquer le rôle que vous y avez joué, peut-être à votre insu. Voulez-vous vous confier à moi sans réticence ?

      Félicien expliqua :

      – Vous ne sauriez croire, monsieur, à quel point je vous suis reconnaissant de tout ce que vous avez fait pour moi. Mais je n'ai rien à confier.

      – Je ne déteste pas votre réponse, dit Raoul. A votre âge, et dans les circonstances où vous vous trouvez, il faut savoir se débrouiller tout seul. Si vous êtes coupable de quelque chose, tant pis pour vous. Si vous êtes innocent, la vie vous récompensera.

      Félicien se leva et s'approcha de Raoul d'Averny.

      – Que croyez-vous donc, monsieur ?

      Raoul l'observa un bon moment. Les yeux du jeune homme clignotaient, le visage manquait de franchise. Il prononça :

      – Je ne sais pas.

      L'enterrement d'Elisabeth Gaverel eut lieu le lendemain. Rolande marcha vaillamment jusqu'au cimetière et ne détourna pas ses yeux de la tombe ouverte.

      Sur le cercueil, elle garda son bras tendu et chuchota des mots que l'on n'entendit point, des mots certes par quoi elle disait à sa sœur tout son désespoir et lui jurait de rester fidèle à son souvenir.

      Elle s'en alla au bras de son oncle. Celui-ci eut une longue conversation avec M. Rousselain. Si accablé qu'il fût, il ne voulut pas démordre de son système.

      – Pas un seul billet de banque, monsieur le juge, mais des lettres et des documents précieux. Je donne mission à la justice de mettre la main sur le sac de toile grise qui les contient. Et c'est ainsi que je rédigerai tantôt, avant mon départ pour le Midi, une plainte au Parquet.

      Raoul d'Averny, lui, se promena autour de l'étang, puis, assis sur une borne, il acheva la lecture des journaux du matin.

      L'un d'eux, informé évidemment par quelque reporter audacieux et habile, qui, la veille, caché on ne sait où, avait pu entendre et voir, l'un d'eux donnait tous les détails de l'instruction et relatait le troublant interrogatoire dirigé par Goussot contre Félicien Charles.

      – Allez donc travailler dans ces conditions ! bougonna d'Averny avec mauvaise humeur.

      Il regagna sa propriété, d'où il aperçut Félicien qui travaillait. Rentrant chez lui, il traversa le vestibule, et passa dans cette petite pièce où il aimait réfléchir et rêvasser.

      Une femme l'y attendait, sans chapeau, vêtue d'une robe très simple, avec un foulard rouge autour du cou – une inconnue, qui restait debout, montrant un magnifique visage tourmenté d'expressions diverses, où il y avait de la douleur, du désarroi, de la colère, de l'hostilité...

      – Qui êtes-vous ?...

      – La maîtresse de Simon Lorient.




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