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La Cagliostro se venge

Maurice Leblanc
© France-Spiritualités™






PREMIÈRE PARTIE – LE SECOND DES DEUX DRAMES
X – « MOI, COMTESSE DE CAGLIOSTRO, J'ORDONNE... »

Par un dimanche de lourde chaleur, Raoul s'arrêta dans une rue de Chatou, la petite ville qui touche au Vésinet. Une maison à deux étages, située entre cette rue et un jardin potager qui longeait la Seine, offrait des chambres meublées en location. Il passa devant le café que tenait la gérante, monta au second, et suivit un couloir à demi obscur jusqu'à ce qu'il aperçût la chambre numéro 5. La clef était sur la porte. Ayant frappé, comme on ne répondait pas, il entra sans bruit.

      Faustine, assise sur le pauvre lit de fer qui composait, avec une commode, deux chaises et une table, tout le mobilier de l'humble chambre mansardée, Faustine dormait.

      Elle n'avait pas quitté le Vésinet, sa volonté implacable de vengeance la retenant dans la région où Simon Lorient était mort. A la clinique, on l'avait gardée comme infirmière adjointe, mais, la place étant mesurée, elle avait pris une chambre au dehors. Elle y venait coucher chaque soir et s'y enfermait le dimanche.

      Ce jour-là, elle avait dû s'endormir en travaillant à son corsage, car ses épaules étaient dénudées, son corsage reposait sur ses genoux, et elle avait encore son dé et une aiguillée de fil. Par-dessus les arbres du jardin, on apercevait, dans le cadre de la fenêtre, un doux paysage de fleuve.

      Des quantités de journaux, tous dépliés, s'étalaient autour d'elle, sur le lit, sur la table, ce qui prouvait avec quelle attention elle suivait les événements de ces derniers jours. De loin, Raoul put lire des titres : « Arrestation du frère de Simon Lorient. Premier interrogatoire. » « Les deux frères seraient les fils du vieux Barthélemy. »

      Il contempla de nouveau Faustine. Elle lui parut aussi belle que dans l'animation et l'élan de la vie, plus belle peut-être, avec la pureté de ses traits pacifiés. Et il évoquait la magnifique Phryné du sculpteur Alvard.

      Cependant, un rayon de soleil se glissa par la fenêtre, entre deux nuages. Sans la quitter du regard, Raoul approcha doucement et attendit que le rayon parvînt sur la figure endormie, sur les yeux clos. Quand elle en fut gênée, elle souleva lentement ses paupières alourdies de longs cils.

      Elle n'eut pas le temps de s'éveiller que Raoul l'avait déjà saisie aux épaules. Il l'étendit sur le lit et l'enveloppa dans les couvertures, immobilisant les bras et les jambes.

      – Pas un cri ! pas un mot, mâchonna-t-il.

      – Lâche ! Lâche ! gémit-elle, exaspérée et cherchant à s'affranchir de l'étreinte.

      Il lui plaqua la main sur la figure.

      – Tais-toi. Je ne viens pas en ennemi. Tu n'as rien à craindre si tu m'obéis.

      Elle se débattait furieusement, tout en continuant à l'insulter, malgré la main rigide qui lui fermait la bouche. Mais, peu à peu sa résistance faiblit et, penché sur elle, il répéta :

      – Je ne viens pas en ennemi... je ne viens pas en agresseur. Mais je veux que tu m'écoutes et que tu me répondes. Sinon, tant pis pour toi.

      Il l'avait reprise aux épaules et la tenait renversée. Penché sur elle, il lui dit, à voix basse :

      – J'ai vu le frère de Simon, Thomas Le Bouc. J'ai causé longtemps avec lui. Il m'a révélé ce qu'il savait de la vérité sur Félicien. Le reste, c'est à toi de me le dire. Tu me connais, Faustine, je ne céderai pas. Ou bien tu parleras, et tout de suite, tu entends, tout de suite... ou bien... ou bien...

      Son visage descendait vers le visage farouche et terrifié. Les lèvres de Faustine se dérobèrent aux lèvres qui s'en approchaient.

      – Parle, Faustine, parle, dit-il d'une voix qui s'altérait.

      Elle vit, tout près des siens, les yeux implacables de Raoul. Elle eut peur.

      – Laissez-moi, murmura-t-elle, vaincue.

      – Tu parleras ?

      – Oui.

      – Maintenant ?... Sans détour et sans réserve ?

      – Oui.

      – Jure-le sur la tête de Simon Lorient.

      – Je le jure.

      Il l'abandonna aussitôt et s'éloigna vers la fenêtre, tournant le dos à la jeune femme.

      Quand elle se fut rajustée, il revint à elle, la considéra un instant, avec regret, comme une belle proie qui vous échappe, et le dialogue s'engagea, rapide et précis.

      – Thomas Le Bouc prétend que Félicien est mon fils.

      – Je ne connais pas Thomas Le Bouc.

      – Mais, par Simon Lorient, tu connaissais son père, le vieux Barthélemy ?

      – Oui.

      – Il avait confiance en toi ?

      – Oui.

      – Que savais-tu de sa vie secrète ?

      – Rien.

      – Et de la vie de Simon Lorient ? de ses projets ?

      – Rien.

      – Pas même leur machination contre moi ?

      – Non.

      – Cependant, ils t'ont dit que Félicien était mon fils.

      – Ils me l'ont dit.

      – Sans te donner de preuves ?

      – Je ne leur en ai pas demandé. Que m'importait ?

      – Mais il m'importe, à moi, fit Raoul, le visage contracté. Il faut que je sache s'il est mon fils ou s'il ne l'est pas. Est-ce une comédie qu'ils jouaient, en profitant de certains renseignements recueillis par hasard ? Ou bien une vérité qu'ils essayèrent de mettre à profit en me menaçant de parler ? Je ne peux pas vivre dans une telle incertitude... Je ne le peux pas...

      Elle parut s'étonner de l'émotion contenue que son accent trahissait. Cependant, elle dit encore, et avec plus de force :

      – Je ne sais rien.

      – Peut-être. Mais tu peux savoir, ou du moins me mettre à même de savoir.

      – Comment ?

      – Thomas Le Bouc affirme que Barthélemy t'a remis une petite pochette qui contenait des documents à ce propos.

      – Oui, mais...

      – Mais ?...

      – Un jour, après les avoir relus, ces documents, il les a brûlés, devant moi, sans en dire la raison. Il n'en a gardé qu'un seul, qu'il a glissé dans une enveloppe. Il a cacheté cette enveloppe et me l'a confiée.

      – Avec des instructions ?

      – Il m'a dit simplement : « Mettez ça de côté. On verra plus tard. »

      – Vous pouvez me la communiquer ?

      Elle hésita :

      – Pourquoi pas ? insista-t-il. Barthélemy est mort. Simon Lorient également. Et c'est Thomas Le Bouc qui m'a tout révélé.

      Elle réfléchit longtemps, le front un peu plissé, le regard distrait. Puis, elle chercha dans un tiroir de la commode un buvard où il y avait des lettres. Parmi ces lettres, elle trouva une enveloppe qu'elle décacheta sans tergiverser et d'où elle sortit un bout de papier plié en deux.

      Elle voulait s'assurer d'abord de ce que signifiaient les quelques lignes écrites sur ce papier et si elle devait les communiquer.

      En lisant, elle eut un sursaut. Néanmoins, elle passa le papier à Raoul, sans mot dire.

      C'était une phrase – deux phrases plutôt – formulées comme ces ordres impérieux que quelque despote, quelque chef de bande, pourrait imposer à un subalterne. L'écriture était haute, lourde, empâtée, également appuyée partout. Comment Raoul n'eût-il pas reconnu, du premier abord, l'écriture de celle qu'il appelait jadis la créature infernale ? Et comment ne pas reconnaître la manière brutale et méprisante dont elle avait toujours donné ses ordres les plus monstrueux ?

      Trois fois, il relut les lignes effroyables :

      « Faire de l'enfant un voleur, un criminel si possible. Plus tard, l'opposer à son père. »

      Et le paraphe, hautain, balafré d'une double épée.


      La pâleur de Raoul frappa la jeune femme, une pâleur qui provenait d'une souffrance inexprimable, de terreurs ressuscitées, de toute l'angoisse d'un passé qui mêlait au présent la menace la plus tragique. Avec quelle curiosité, presque sympathique à ce moment, elle observait la face tourmentée et l'effort violent qu'il faisait pour se maîtriser !

      – La haine... la vengeance... scanda-t-il ; tu comprends ça, toi, Faustine... Mais cette femme-là, c'était autre chose que de la haine et de la vengeance... C'était le besoin, la volupté du mal... Quel monstre d'orgueil et de méchanceté !... Aujourd'hui encore, tu vois son œuvre... Cet enfant qu'on élève contre moi pour en faire un criminel... Rien ne m'effraie dans la vie. Mais je ne puis penser à elle sans épouvante. Et l'idée qu'il va falloir recommencer l'horrible lutte...

      Faustine se rapprocha de lui et hésita, puis déclara sourdement :

      – Le passé ne recommencera pas... La comtesse de Cagliostro est morte.

      Raoul sauta vers elle et, tout pantelant :

      – Qu'est-ce que tu dis ?... Elle est morte ?... Comment le sais-tu ?

      – Elle est morte.

      – Il ne suffit pas d'affirmer. Tu l'as vue ? Tu l'as connue ?

      – Oui.

      Il s'exclama :

      – Tu l'as connue ! Est-ce possible ! Comme c'est étrange ! Deux ou trois fois, je me suis demandé si tu n'étais pas son émissaire... si tu ne continuais pas son œuvre de destruction contre moi.

      Elle secoua la tête.

      – Non. Elle ne m'a jamais rien dit.

      – Parle.

      – J'étais tout enfant. Il y a quinze ans... Des gens l'ont conduite dans mon village de Corse et l'ont installée dans une petite maison. Elle était à moitié folle, mais une folie douce, tranquille. Elle m'attirait chez elle, gentiment. Elle ne causait jamais... Elle pleurait beaucoup, des larmes qu'elle n'essuyait pas. Elle était encore belle... mais une maladie l'a rongée, très vite... et, un jour, il y a six ans... j'ai fait la veillée près de son lit de mort.

      – Tu es sûre ? dit-il, bouleversé d'émotion. Qui t'a révélé son nom ?

      – On le savait, dans le village... Et, en outre...

      – En outre ?...

      – Je l'ai su par le vieux Barthélemy et par Simon Lorient, qui la cherchaient partout et qui l'ont trouvée là, un peu avant sa mort. C'est alors, durant ces quelques semaines, que nous nous sommes aimés, Simon et moi. Et il m'a emmenée à Paris...

      – Pourquoi la cherchaient-ils ?

      Après un moment d'indécision, elle expliqua :

      – Je vous ai dit déjà que je ne savais rien de la vie secrète de Simon et de son père... Aujourd'hui je comprends qu'ils ont accompli des choses mauvaises, mais ils me les cachaient ; cependant, peu à peu, par bribes, j'ai deviné l'histoire de Félicien... pas tout, car eux-mêmes ne savaient pas tout.

      Raoul demanda :

      – Barthélemy l'a bien trouvé dans une ferme du Poitou ?

      – Oui.

      – Déposé par la Cagliostro ?

      – Ce n'est pas très sûr... Simon pensait que peut-être son père avait fabriqué la lettre trouvée par le mécanicien.

      – Cependant, cet ordre que tu as là... cet ordre écrit certainement par la Cagliostro, d'où vient-il ?

      – Simon l'ignorait.

      – Mais l'ordre concernait bien l'enfant élevé par la fermière, c'est-à-dire Félicien Charles ?

      – Là encore, il y a doute. Barthélemy n'a rien précisé à ce sujet. Simon et lui avaient retrouvé la piste de la Cagliostro, et c'est ainsi qu'ils ont débarqué en Corse, inutilement d'ailleurs.

      – Donc, leur but ?...

      – Le but de Barthélemy fut toujours, je m'en rends compte aujourd'hui, de vous présenter un dossier prouvant que Félicien est votre fils.

      – Et par conséquent de tirer de moi de l'argent. Mais ce plan, Félicien en fut-il complice ? Est-ce d'accord avec eux, comme le prétend Thomas Le Bouc, qu'il a été amené chez moi ? Est-il devenu ce que voulait la Cagliostro ? Un escroc, un criminel ?

      – Je ne sais pas, dit-elle, d'une voix sincère. Cela faisait partie de leur vie secrète, et je n'ai jamais parlé avec Félicien Charles.

      – Il n'y a donc plus que lui qui puisse me renseigner, dit Raoul, et c'est lui que je dois interroger pour comprendre toute l'aventure.

      Il fit une pause et acheva :

      – C'est moi qui ai fait arrêter Thomas Le Bouc, d'accord avec lui, d'ailleurs. Il embrouille l'instruction et démolit les charges accumulées contre Félicien. Si, comme je l'espère, il est libéré, il ne risque pas de se heurter à ta vengeance, Faustine ?

      – Non, fit-elle avec netteté. Non, s'il n'est pas la cause de la mort de Simon ; cela domine tout pour moi. Il m'est impossible de vivre en dehors de cette idée de vengeance. Il me semble que Simon n'aura de paix dans la mort que si le crime est puni.

      L'entretien était terminé. Raoul tendit la main à Faustine, qui refusa la sienne.

      – Soit, dit-il. Je sais que vous ne donnez ni votre confiance ni votre amitié, mais ne soyons pas ennemis, Faustine. Quant à moi, je vous remercie d'avoir parlé...


      Raoul, qui avait réintégré le Clair-Logis, n'en sortit plus que pour de courtes promenades au Vésinet ou dans les environs immédiats. Plusieurs fois, il aperçut Jérôme Helmas qui semblait avoir renoncé à son voyage dans la montagne et qui se dirigeait vers les Clématites ou qui en revenait. Il le vit même en compagnie de Rolande Gaverel. Les deux jeunes gens marchaient l'un près de l'autre, dans une avenue, silencieux.

      Raoul les salua, de loin. Il n'eut pas l'impression que Rolande fût désireuse de lui parler.

      Un jour, Raoul fut convoqué par le juge d'instruction, qu'il trouva fort perplexe, car Thomas Le Bouc se cantonnait dans le cercle de défense extrêmement étroit que Raoul lui avait assigné. Il ne commettait pas une erreur. Ses affirmations ne variaient point, et les habiletés de M. Rousselain ne le prenaient jamais en défaut. « J'ai fait ceci... j'ai fait cela... Pour le reste, je ne sais rien. »

      – Tout se tient dans leurs déclarations, celles de Le Bouc comme celles de Félicien Charles, dit M. Rousselain avouant son embarras. Ou bien des phrases toutes faites, et toujours les mêmes, ou bien des partis pris de silence. Pas une fissure par où puisse filtrer un peu de lumière. On dirait des leçons apprises. Savez-vous l'impression que j'éprouve, monsieur d'Averny ? Eh bien, tout se passe comme si une force supérieure essayait de substituer Thomas Le Bouc à Félicien Charles.

      M. Rousselain regardait Raoul, lequel pensa :

      – Pas si bête, le bonhomme !

      Et M. Rousselain continuait :

      – Est-ce bizarre, hein ! Je commence à ne plus croire que Félicien soit coupable. Mais je n'accepte pas encore l'idée que Le Bouc, qui s'accuse, ait accompli cette promenade nocturne sur l'étang. J'ai fait venir le propriétaire de la barque. Je l'ai confronté avec Félicien et avec Le Bouc. Il est moins affirmatif. Alors ?

      Il ne quittait pas Raoul des yeux. Raoul hochait la tête, ayant l'air d'approuver. A la fin, le juge prononça, déplaçant tout à coup la conversation :

      – Vous êtes très prisé en haut lieu, monsieur d'Averny. Vous le saviez ?

      – Bah ! fit Raoul, j'ai eu l'occasion de rendre quelques services à ces messieurs.

      – Oui, on m'a dit ça... sans aucun détail, d'ailleurs.

      – Un jour ou l'autre, quand vous aurez le temps, monsieur le juge, je vous les donnerai, ces détails. Ma vie n'a pas manqué d'un certain pittoresque.


      Somme toute, les événements paraissaient tourner dans le bon sens, et certains problèmes étaient élucidés. Ainsi le rôle de Faustine n'avait plus rien de mystérieux, un lien très fragile l'avait attachée jadis à la Cagliostro, et le hasard de son amour pour Simon Lorient, en la conduisant en France, l'avait mêlée à son insu, et de loin, aux combinaisons du vieux Barthélemy et de son fils. C'était simplement une amoureuse, sans autre but, désormais, que de venger l'homme qu'elle avait aimé.

      D'autre part, la mort certaine de la Cagliostro réjouissait Raoul, et rien ne permettait de croire que l'ordre abominable signé par elle autrefois s'appliquât à Félicien. Dès lors, l'entreprise qui n'aurait pu réussir, à l'encontre de Raoul, que sous la direction de la Cagliostro, ne devait plus, forcément, poursuivie par des hommes de second plan comme Barthélemy et ses fils, qu'aboutir à un résultat négatif et absurde. De fait, Raoul d'Averny se trouvant tout à coup en face d'un garçon qui était peut-être son fils, ou peut-être ne l'était pas, ne possédait, maintenant que le destin avait supprimé Barthélemy et Simon Lorient, aucun moyen d'atteindre une vérité que, selon toute vraisemblance, personne au monde ne connaissait.

      Ainsi s'écoulèrent trois semaines. Un matin, Raoul apprit que Félicien bénéficiait d'un non-lieu.

      A onze heures, par téléphone, Félicien lui demanda l'autorisation de venir prendre ses affaires dans la journée.

      Après le déjeuner, Raoul, errant autour du grand lac, avisa Rolande et Jérôme assis sur un banc de l'île. Il faisait un beau temps de mois d'août, allégé par une brise du nord qui ne remuait même pas les branches des arbres.

      Pour la première fois, Raoul vit que les deux jeunes gens causaient. Jérôme, surtout, parlait avec animation. Rolande écoutait, répondit brièvement, puis écoutait de nouveau, les yeux fixés sur des fleurs qu'elle tenait à la main.

      Ils se turent. Au bout d'une minute, Jérôme, se tournant vers la jeune fille, prononça de nouveau quelques paroles. Elle hocha la tête, le regarda et sourit légèrement.

      Raoul retourna au Clair-Logis sans trop se presser, mais avec quelque émotion à l'idée de retrouver cet inconnu qui prenait soudain tant de place dans sa vie, et vers lequel aucun élan ne le jetait. Sa sympathie pour Félicien n'avait jamais été très vive : elle l'était moins encore, maintenant que le jeune homme pouvait peut-être invoquer certains droits à sa tendresse.

      En tout cas, il n'admettait pas que Félicien se bornât à reprendre ses affaires et à lui serrer la main. Non. Il voulait d'abord une explication avec lui et ensuite la reprise d'une vie commune où il pourrait l'étudier à loisir. Il ne s'agissait pas encore de savoir si Félicien était son fils ou ne l'était pas, mais si Félicien voulait se présenter à lui comme son fils. En un mot, Félicien était-il complice de Barthélemy et de Simon Lorient ? Félicien avait-il participé au complot ? Toutes les preuves concordaient pour l'affirmative. La preuve formelle, seuls les actes et les paroles du jeune homme pouvaient la lui donner.

      – M. Félicien est arrivé ? demanda-t-il au jardinier.

      – Il y a un quart d'heure, monsieur.

      – En bonne santé ?

      – M. Félicien semblait assez agité. Il s'est enfermé tout de suite dans le pavillon.

      – Bizarre..., murmura d'Averny.

      Il courut au pavillon.

      La porte était verrouillée.

      Inquiet, il fit le tour, secoua la fenêtre de sa chambre, ne put l'ouvrir et prêta l'oreille. A l'intérieur, s'élevaient des gémissements.

      Il cassa une des vitres et tourna l'espagnolette. Puis il enjamba d'un bond, écartant les rideaux dans son élan.

      Félicien était agenouillé contre une chaise, la tête basse, et plaquait sur son cou un mouchoir taché de sang. Par terre, près de lui, un revolver.

      – Blessé ! s'écria Raoul.

      Le jeune homme essaya de répondre, mais s'évanouit.

      Raoul s'agenouilla vivement, écouta le cœur, examina la blessure, mania le revolver et se dit :

      « – Il a voulu se tuer. Mais son bras a tremblé et ce ne sera pas très grave. »

      Tout en le soignant, il regardait le pâle visage de Félicien et la foule des questions montait à ses lèvres : « Es-tu mon fils et le fils de Claire d'Etigues ? Es-tu un voleur et un criminel, complice des deux bandits morts ? Et pourquoi as-tu voulu te tuer, malheureux ? »

      Cinq minutes plus tard, les domestiques entouraient le blessé.

      – Silence là-dessus, n'est-ce pas ? ordonna Raoul.

      Il écrivit quelques lignes sur une feuille de papier à lettre :

      « Faustine,

      Félicien a tenté de se suicider. N'en soufflez mot à personne et venez le soigner. Je ne veux pas de docteur. Vous direz à la clinique qu'on a besoin d'une garde-malade.

      D'AVERNY
»


      Il cacheta et envoya son chauffeur à la clinique.

      Lorsque l'auto ramena Faustine, Raoul l'attendait devant la porte du pavillon.

      – Vous ne vous êtes jamais rencontrés, lui et vous, jadis ?

      – Non.

      – Simon Lorient ne lui parlait pas de vous ?

      – Non.

      – Est-ce qu'il n'est pas venu à la clinique durant les quelques jours où Simon luttait contre la mort ?

      – Oui. Mais il n'a pas fait attention à moi plus qu'à une autre infirmière.

      – Bien. Ne lui révélez pas qui vous êtes et pas davantage qui je suis.

      Elle entra.




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