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La Demoiselle aux yeux verts

Maurice Leblanc
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II – INVESTIGATIONS

La mort de miss Bakefield, l'attaque sauvage des trois personnages masqués, l'assassinat probable des deux voyageurs, la perte de ses billets de banque, tout cela ne pesa guère dans l'esprit de Raoul auprès de l'inconcevable vision qui l'avait heurté en dernier lieu. La demoiselle aux yeux verts ! La plus gracieuse et la plus séduisante femme qu'il eût jamais rencontrée surgissant de l'ombre criminelle ! La plus rayonnante image apparaissant sous ce masque ignoble du voleur et de l'assassin ! La demoiselle aux yeux de jade, vers qui son instinct d'homme l'avait jeté dès la première minute, et qu'il retrouvait en blouse tachée de sang, avec une face éperdue, en compagnie de deux effroyables meurtriers, et, comme eux, pillant, tuant, semant la mort et l'épouvante !

      Bien que sa vie de grand aventurier, mêlé à tant d'horreurs et d'ignominies, l'eût endurci aux pires spectacles, Raoul (continuons de l'appeler ainsi puisque c'est sous ce nom qu'Arsène Lupin joua son rôle dans le drame), Raoul de Limézy demeurait confondu devant une réalité qu'il lui était impossible de concevoir et, en quelque sorte, d'étreindre. Les faits dépassaient son imagination.

      Dehors, c'était le tumulte. D'une gare toute proche, la gare de Beaucourt, des employés accouraient, ainsi qu'un groupe d'ouvriers occupés aux réparations de la voie. Il y avait des clameurs. On cherchait d'où venait l'appel.

      Le contrôleur trancha les liens de Raoul, tout en écoutant ses explications, puis il ouvrit une fenêtre du couloir et fit signe aux employés.

      – Par ici ! Par ici !

      Se retournant vers Raoul, il lui dit :

      – Elle est morte, n'est-ce pas, cette jeune femme ?

      – Oui... étranglée. Et ce n'est pas tout... deux voyageurs à l'autre extrémité.

      Ils allèrent vivement au bout du couloir.

      Dans le dernier compartiment, deux cadavres. Aucune trace de désordre. Sur les filets, rien. Pas de valise. Pas de colis.

      A ce moment les employés de la gare essayaient d'ouvrir la portière qui desservait la voiture de ce côté. Elle était bloquée, ce qui fit comprendre à Raoul les raisons pour lesquelles les trois bandits avaient dû reprendre le même chemin du couloir et s'enfuir par la première porte.

      Celle-ci, en effet, fut trouvée ouverte. Des gens montèrent. D'autres sortaient de la passerelle à soufflet, et déjà l'on envahissait les deux compartiments, lorsqu'une voix forte proféra d'un ton impérieux :

      – Que l'on ne touche à rien !... Non, monsieur, laissez ce revolver où il est. C'est une pièce à conviction extrêmement importante. Et puis il est préférable que tout le monde s'en aille. La voiture va être détachée, et le train repart aussitôt. N'est-ce pas, monsieur le chef de gare ?

      Dans les minutes de désarroi, il suffit que quelqu'un parle net, et sache ce qu'il veut, pour que toutes les volontés éparses se plient à cette énergie qui semble celle d'un chef. Or, celui-là s'exprimait puissamment, en homme accoutumé à ce qu'on lui obéisse. Raoul le regarda et fut stupéfait de reconnaître l'individu qui avait suivi miss Bakefield et abordé la demoiselle aux yeux verts, l'individu auquel il avait demandé du feu, bref, le bellâtre pommadé, celui que l'Anglaise appelait M. Marescal. Debout à l'entrée du compartiment où gisait la jeune fille, il barrait la route aux intrus et les refoulait vers les portes ouvertes.

      – Monsieur le chef de gare, reprit-il, vous avez l'obligeance, n'est-ce pas, de surveiller la manœuvre ? Emmenez avec vous tous vos employés. Il faudrait aussi téléphoner à la gendarmerie la plus proche, demander un médecin, et prévenir le Parquet de Romillaud. Nous sommes en face d'un crime.

      – De trois assassinats, rectifia le contrôleur. Deux hommes masqués se sont enfuis, deux hommes qui m'ont assailli.

      – Je sais, dit Marescal. Les ouvriers de la voie ont aperçu des ombres et sont à leur poursuite. Au haut du talus, il y a un petit bois et la battue s'organise tout autour et le long de la route nationale. S'il y a capture, nous le saurons ici.

      Il articulait les mots durement, avec des gestes secs et une allure autoritaire.

      Raoul s'étonnait de plus en plus et, du coup, reprenait tout son sang-froid. Que faisait là le pommadé ? et qu'est-ce qui lui donnait cet aplomb incroyable ? N'arrive-t-il pas souvent que l'aplomb de ces personnages provienne justement de ce qu'ils ont quelque chose à cacher, derrière leur façade brillante ?

      Et comment oublier que Marescal avait suivi miss Bakefield durant tout l'après-midi, qu'il la guettait avant l'heure du départ, et qu'il se trouvait là, sans doute, dans la voiture numéro quatre, à l'instant même où se machinait le crime ? D'une voiture à l'autre, la passerelle..., la passerelle par où les trois bandits masqués avaient surgi, et par où l'un des trois, le premier, avait pu retourner... Celui-là, n'était-ce pas le personnage qui maintenant « crânait » et commandait ?

      La voiture s'était vidée. Il ne restait plus que le contrôleur. Raoul essaya de rejoindre sa place. Il en fut empêché.

      – Comment, monsieur ! dit-il, certain que Marescal ne le reconnaissait pas. Comment ! mais j'étais ici, et je prétends y revenir.

      – Non, monsieur, riposta Marescal, tout endroit où un crime a été commis appartient à la justice, et nul n'y peut pénétrer sans une autorisation.

      Le contrôleur s'interposa.

      – Ce voyageur fut l'une des victimes de l'attaque. Ils l'ont ligoté et dépouillé.

      – Je regrette, dit Marescal. Mais les ordres sont formels.

      – Quels ordres ? fit Raoul irrité.

      – Les miens.

      Raoul se croisa les bras.

      – Mais enfin, monsieur, de quel droit parlez-vous ? Vous êtes là qui nous faites la loi avec une insolence que les autres personnes peuvent accepter, mais que je ne suis pas d'humeur à subir, moi.

      Le bellâtre tendit sa carte de visite, en scandant d'une voix pompeuse :

      – Rodolphe Marescal, commissaire au service des recherches internationales, attaché au ministère de l'Intérieur.

      Devant de pareils titres, avait-il l'air de dire, on n'a qu'à s'incliner. Et il ajouta :

      – Si j'ai pris la direction des événements, c'est d'accord avec le chef de gare, et parce que ma compétence spéciale m'y autorisait.

      Raoul, quelque peu interloqué, se contint. Le nom de Marescal, auquel il n'avait pas fait attention, éveillait subitement dans sa mémoire le souvenir confus de certaines affaires où il lui semblait que le commissaire avait montré du mérite et une clairvoyance remarquable. En tout cas, il eût été absurde de lui tenir tête.

      « C'est de ma faute, pensa-t-il. Au lieu d'agir du côté de l'Anglaise et de remplir son dernier vœu, j'ai perdu mon temps à faire de l'émotion avec la fille masquée. Mais tout de même, je te repincerai au détour, le pommadé, et je saurai comment il se peut que tu sois dans ce train, à point nommé, pour t'occuper d'une affaire où les deux héroïnes sont justement les jolies femmes de tantôt. En attendant, filons doux. »

      Et, d'un ton de déférence, comme s'il était fort sensible au prestige des hautes fonctions :

      – Excusez-moi, monsieur. Si peu parisien que je sois, puisque j'habite le plus souvent hors de France, votre notoriété est venue jusqu'à moi, et je me rappelle, entre autres, une histoire de boucles d'oreilles...

      Marescal se rengorgea.

      – Oui, les boucles d'oreilles de la princesse Laurentini, dit-il. Ce ne fut pas mal en effet. Mais nous tâcherons de réussir encore mieux aujourd'hui, et j'avoue qu'avant l'arrivée de la gendarmerie, et surtout du juge d'instruction, j'aimerais bien pousser l'enquête à un point où...

      – A un point, approuva Raoul, où ces messieurs n'auraient plus qu'à conclure. Vous avez tout à fait raison, et je ne continuerai mon voyage que demain, si ma présence peut vous être utile.

      – Extrêmement utile, et je vous en remercie.

      Le contrôleur, lui, dut repartir, après avoir dit ce qu'il savait. Cependant, la voiture était rangée sur une voie de garage et le train s'éloigna.

      Marescal commença ses investigations, puis avec l'intention évidente d'éloigner Raoul, il le pria d'aller jusqu'à la station et de chercher des draps pour recouvrir les cadavres.

      Raoul, empressé, descendit, longea la voiture, et se hissa au niveau de la troisième fenêtre du couloir.

      « C'est bien ce que je pensais, se dit-il, le pommadé voulait être seul. Quelque petite machination préliminaire. »

      Marescal en effet avait un peu soulevé le corps de la jeune Anglaise et entrouvert son manteau de voyage. Autour de sa taille, il y avait une petite sacoche de cuir rouge. Il dégrafa la courroie, prit la sacoche, et l'ouvrit. Elle contenait des papiers, qu'il se mit à lire aussitôt.

      Raoul, qui ne le voyait que de dos et ne pouvait ainsi juger, d'après son expression, ce qu'il pensait de sa lecture, partit en grommelant :

      – T'auras beau te presser, camarade, je te rattraperai toujours avant le but. Ces papiers m'ont été légués et nul autre que moi n'a droit sur eux.

      Il accomplit la mission dont il était chargé et, lorsqu'il revint avec la femme et la mère du chef de gare, qui se proposaient pour la veillée funèbre, il apprit de Marescal qu'on avait cerné dans le bois deux hommes qui se cachaient au milieu des fourrés.

      – Pas d'autre indication ? demanda Raoul.

      – Rien, déclara Marescal, soi-disant un des hommes boitait et l'on a recueilli derrière lui un talon coincé entre deux racines. Mais c'est un talon de soulier de femme.

      – Donc, aucun rapport.

      – Aucun.

      On étendit l'Anglaise. Raoul regarda une dernière fois sa jolie et malheureuse compagne de voyage, et il murmura en lui-même :

      « Je vous vengerai, miss Bakefield. Si je n'ai pas su veiller sur vous et vous sauver, je vous jure que vos assassins seront punis. »

      Il pensait à la demoiselle aux yeux verts et il répéta, à l'encontre de la mystérieuse créature, ce même serment de haine et de vengeance. Puis, baissant les paupières de la jeune fille, il ramena le drap sur son pâle visage.

      – Elle était vraiment belle, dit-il. Vous ne savez pas son nom ?

      – Comment le saurais-je ? déclara Marescal, qui se déroba.

      – Mais voici une sacoche...

      – Elle ne doit être ouverte qu'en présence du Parquet, dit Marescal qui la mit en bandoulière sur son épaule et qui ajouta :

      – Il est surprenant que les bandits ne l'aient pas dérobée.

      – Elle doit contenir des papiers...

      – Nous attendrons le Parquet, répéta le commissaire. Mais il semble, en tout cas, que les bandits qui vous ont dévalisé, vous, ne lui aient rien dérobé à elle... ni ce bracelet-montre, ni cette broche, ni ce collier...

      Raoul conta ce qui s'était passé, et il le fit d'abord avec précision, tellement il souhaitait collaborer à la découverte de la vérité. Mais, peu à peu, des raisons obscures le poussant à dénaturer certains faits, il ne parla point du troisième complice et ne donna des deux autres qu'un signalement approximatif, sans révéler la présence d'une femme parmi eux.

      Marescal écouta et posa quelques questions, puis laissant une des gardes, emmena l'autre dans le compartiment où gisaient les deux hommes.

      Ils se ressemblaient tous deux, l'un beaucoup plus jeune, mais tous deux offrant les mêmes traits vulgaires, les mêmes sourcils épais, et les mêmes vêtements gris, de mauvaise coupe. Le plus jeune avait reçu une balle en plein front, l'autre dans le cou.

      Marescal, qui affectait la plus grande réserve, les examina longuement, sans même les déranger de leur position, fouilla leurs poches, et les recouvrit du même drap.

      – Monsieur le commissaire, dit Raoul, à qui la vanité et les prétentions de Marescal n'avaient pas échappé, j'ai l'impression que vous avez déjà fait du chemin sur la voie de la vérité. On sent en vous un maître. Vous est-il possible en quelques mots ?...

      – Pourquoi pas ? dit Marescal, qui entraîna Raoul dans un autre compartiment. La gendarmerie ne va pas tarder, et le médecin non plus. Afin de bien marquer la position que je prends, et de m'en assurer le bénéfice, je ne suis pas fâché d'exposer au préalable le résultat de mes premières investigations.

      « Vas-y, pommadé, se dit Raoul. Tu ne peux pas choisir un meilleur confident que moi. »

      Il parut confus d'une telle aubaine. Quel honneur et quelle joie ! Le commissaire le pria de s'asseoir et commença :

      – Monsieur, sans me laisser influencer par certaines contradictions ni me perdre dans les détails, je tiens à mettre en évidence deux faits primordiaux, d'une importance considérable, à mon humble avis. Tout d'abord, ceci. La jeune Anglaise, comme vous la désignez, a été victime d'une méprise. Oui, monsieur, d'une méprise. Ne vous récriez pas. J'ai mes preuves. A l'heure fixée par le ralentissement prévu du train, les bandits qui se trouvaient dans la voiture suivante (je me rappelle les avoir entraperçus de loin et je les croyais même au nombre de trois) vous attaquent, vous dépouillent, attaquent votre voisine, cherchent à la ficeler... et puis brusquement, lâchent tout et s'en vont plus loin, jusqu'au compartiment du bout.

      « Pourquoi cette volte-face ?... Pourquoi ? Parce qu'ils se sont trompés, parce que la jeune femme était dissimulée sous une couverture, parce qu'ils croient se ruer contre deux hommes et qu'ils aperçoivent une femme. D'où leur effarement. “Crénom, en voilà une garce !” et d'où leur éloignement précipité. Ils explorent le couloir et découvrent les deux hommes qu'ils recherchaient... les deux qui sont là. Or, ces deux-là se défendent. Ils les tuent à coups de revolver et les dépouillent au point de ne rien leur laisser. Valises, paquets, tout est parti, jusqu'aux casquettes... Premier point nettement établi, n'est-ce pas ? »

      Raoul était surpris, non pas de l'hypothèse, car lui-même l'avait admise dès le début, mais que Marescal eût pu l'apercevoir avec cette acuité et cette logique.

      – Second point..., reprit le policier, que l'admiration de son interlocuteur exaltait.

      Il tendit à Raoul une petite boîte d'argent finement ciselée.

      – J'ai ramassé cela derrière la banquette.

      – Une tabatière ?

      – Oui, une tabatière ancienne... mais servant d'étui à cigarettes. Sept cigarettes, tout juste, que voici... tabac blond, pour femme.

      – Ou pour homme, dit Raoul, en souriant..., car enfin il n'y avait là que des hommes.

      – Pour femme, j'insiste...

      – Impossible !

      – Sentez la boîte.

      Il la mit sous le nez de Raoul. Celui-ci, après avoir reniflé, acquiesça :

      – En effet, en effet... un parfum de femme qui met son étui à cigarettes dans son sac, avec le mouchoir, la poudre de riz et le vaporisateur de poche. L'odeur est caractéristique.

      – Alors ?

      – Alors je ne comprends plus. Deux hommes ici que nous retrouvons morts... et deux hommes qui ont attaqué et se sont enfuis après avoir tué.

      – Pourquoi pas un homme et une femme ?

      – Hein ! Une femme... Un de ces bandits serait une femme ?

      – Et cette boîte à cigarettes ?

      – Preuve insuffisante.

      – J'en ai une autre.

      – Laquelle ?

      – Le talon... ce talon de soulier, que l'on a ramassé dans les bois, entre deux racines. Croyez-vous qu'il en faut davantage pour établir une conviction solide relativement au second point que j'énonce ainsi : deux agresseurs, dont un homme et une femme.

      La clairvoyance de Marescal agaçait Raoul. Il se garda de le montrer et fit, entre ses dents, comme si l'exclamation lui échappait :

      – Vous êtes rudement fort !

      Et il ajouta :

      – C'est tout ? Pas d'autres découvertes ?

      – ! dit l'autre en riant, laissez-moi souffler !

      – Vous avez donc l'intention de travailler toute la nuit ?

      – Tout au moins jusqu'à ce qu'on ait amené les deux fugitifs, ce qui ne saurait tarder, si l'on se conforme à mes instructions.

      Raoul avait suivi la dissertation de Marescal de l'air bonasse d'un monsieur qui, lui, n'est pas rudement fort, et qui s'en remet aux autres du soin de débrouiller une affaire à laquelle il ne saisit pas grand-chose. Il hocha la tête, et prononça, en bâillant :

      – Amusez-vous, monsieur le commissaire. Pour moi, je vous avouerai que toutes ces émotions m'ont diablement démoli et qu'une heure ou deux de repos...

      – Prenez-les, approuva Marescal. N'importe quel compartiment vous servira de couchette... Tenez celui-ci... Je veillerai à ce que personne ne vous dérange... et quand j'aurai fini, je viendrai m'y reposer à mon tour.

      Raoul s'enferma, tira les rideaux et voila le globe lumineux. A ce moment, il n'avait pas une idée nette de ce qu'il voulait faire. Les événements, très compliqués, ne prêtaient pas encore une solution réfléchie, et il se contenterait d'épier les intentions de Marescal et de résoudre l'énigme de sa conduite.

      « Toi, mon pommadé, se disait-il, je te tiens. Tu es comme le corbeau de la fable : avec des louanges on te fait ouvrir le bec. Du mérite, certes, du coup d'œil. Mais trop bavard. Quant à mettre en cage l'inconnue et son complice, ça m'étonnerait beaucoup. C'est là une entreprise dont il faudra que je m'acquitte personnellement. »

      Or il advint que, dans la direction de la gare, un bruit de voix s'éleva, qui prit assez vite des proportions de tumulte. Raoul écouta. Marescal s'était penché et criait, par une fenêtre du couloir, à des gens qui approchaient :

      – Qu'y a-t-il ? Ah ! parfait, les gendarmes... Je ne me trompe pas, n'est-ce pas ?

      On lui répondit :

      – Le chef de gare m'envoie vers vous, monsieur le commissaire.

      – C'est vous, brigadier ? Il y a eu des arrestations ?

      – Une seule, monsieur le commissaire. Un de ceux que l'on poursuivait est tombé de fatigue sur la grand-route, tandis que nous arrivions à un kilomètre d'ici. L'autre a pu s'échapper.

      – Et le médecin ?

      – Il faisait atteler, à notre passage. Mais il avait une visite en chemin. Il sera là d'ici quarante minutes.

      – C'est le plus petit des deux que vous avez arrêté, brigadier ?

      – Un petit tout pâle... avec une casquette trop grande... et qui pleure... et qui fait des promesses : « Je parlerai, mais à M. le juge seulement... Où est-il, M. le juge ? »

      – Vous l'avez laissé à la station, ce petit-là ?

      – Sous bonne garde.

      – J'y vais.

      – Si ça ne vous contrarie pas, monsieur le commissaire, je voudrais d'abord voir comment ça s'est passé dans le train.

      Le brigadier monta, avec un gendarme... Marescal le reçut en haut des marches, et tout de suite le conduisit devant le cadavre de la jeune Anglaise.

      « Tout va bien, se dit Raoul, qui n'avait pas perdu un mot du dialogue. Si le pommadé commence ses explications, il y en a pour un bout de temps. »

      Cette fois il voyait clair dans le désordre de son esprit, et discernait les intentions vraiment inattendues qui surgissaient brusquement en lui, à son insu pour ainsi dire, et sans qu'il pût comprendre le motif secret de sa conduite.

      Il baissa la grande glace et se pencha sur la double ligne des rails. Personne. Aucune lumière.

      Il sauta.




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