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Le Nouvel Homme

Louis-Claude Saint-Martin
© France-Spiritualités™






Colombe


55.

      Objets mensongers, puissances illusoires, puissances destructives, en vain vous réunirez vos efforts contre le nouvel homme ; sa pensée croîtra malgré vous : sa vertu ne sera point sujette à décliner, et à se détruire, comme celle de tous les êtres composés ; elle suivra la ligne de l'infini. C'est quand notre pensée est descendue par le crime, qu'elle a rencontré des bornes. C'est là où la ligne de l'infini s'est trouvée rompue. Heureuses bornes dans notre infortune ! Heureuse rupture ! Amour, c'est par là que tu as abrégé notre séjour dans l'abîme. Toutes les régions de l'univers ne sont-elles pas contiguës ? L'arbre qui a le pied caché dans la terre, participe, par ses rameaux, à toutes les actions de l'atmosphère. La pensée de l'homme enseveli dans les ténèbres de son corps, pourquoi ne participerait-elle pas à toutes les actions de son atmosphère céleste ?

      Tristes rejetons de la postérité humaine, vous êtes tous solidaires. Les douleurs de vos frères ne sauraient vous être étrangères. S'ils sont dans l'atmosphère corrompue, leurs influences doivent se communiquer jusqu'à votre demeure ; et vous avez alors la double tâche de vous défendre de la corruption, et de poursuivre votre croissance.

      Où sont-ils ceux qui, du sein même de leur prison, ont obtenu de pouvoir purifier l'atmosphère, et rendre la santé à leurs frères ? Où sont ceux qui ont les yeux ouverts sur l'abîme, et que la prière y plonge pour en arracher les malheureux ?

      Consolez-vous hommes de paix, vous n'êtes pas non plus séparés de ceux de vos frères qui habitent une atmosphère pure ; la mort ne sépare que le méchant ; c'est à lui d'attendre que l'on vienne lui apporter des secours ; parce qu'en lui ôtant son enveloppe de mensonge, on lui a ôté ce qui était tout pour lui. Souvenez-vous de la parabole du mauvais riche ; il aurait désiré que Lazare eût pu seulement tremper son doigt dans ses abîmes, pour en tempérer l'ardeur dévorante, et cette consolation lui est refusée. Mais l'homme juste n'est jamais un instant sans que le doigt de Dieu ne se trempe dans son atmosphère ; aussi, tel que l'épi au milieu du champ il voit sans sourciller la faux du moissonneur tout renverser autour de lui, et s'approcher pour le renverser à son tour ; il sait qu'en quittant cette terre il entre dans l'atmosphère de la pureté, et que là, des yeux plus perçants encore que ceux de l'impie, le visiteront avec vigilance pour le préserver, et l'aider à son insu.

      L'enfant au berceau ne connaît pas la main qui le soigne, le sein qui l'allaite. Malgré sa faiblesse et son ignorance, il n'est point abandonné, il ne manque de rien. Pourrions-nous être plus abandonnés que lui ? Il ne repousse point la main qui le soigne, ni le sein qui l'allaite ; nous n'avons pas besoin d'une autre science que la sienne. Voilà pourquoi il est écrit : "Si vous devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ; quiconque s'humiliera et se rendra petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux, et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que je viens de dire, c'est moi-même qu'il reçoit."

      C'est pour cela que le nouvel homme plonge sans cesse dans son humilité profonde, dira avec David (Psaume 43:16) : "J'ai devant les yeux ma confusion tout le jour, et la honte qui paraît sur mon visage me couvre entièrement... Notre âme est humiliée jusqu'à la poussière, et notre ventre est comme collé à la terre. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous pour la gloire de votre nom."

      Il lui dira dans sa sainte confiance : "Seigneur, ne permettez pas que vos ennemis nous traitent comme ils ont traité autrefois la ville de Sion ; cette ville qu'ils appelaient la répudiée, et dont ils disaient : Est-ce là cette Sion qui n'a plus personne qui la recherche ?" (Jérémie 30:17).

      Vous disiez au peuple choisi : "Mais un jour tous ceux qui vous dévorent seront dévorés ; tous vos ennemis seront emmenés captifs, ceux qui vous détruisent seront détruits ; et j'abandonnerai au pillage tous ceux qui vous pillent". Si vous avez promis de traiter favorablement votre peuple et son temple qui n'étaient à vos yeux qu'un peuple temporel, et qu'un temple figuratif ; si vous avez promis de faire revenir les captifs qui habitaient dans les tentes de Jacob, et d'avoir compassion de ses maisons ; si vous avez dit : la ville sera rebâtie sur sa montagne et le temple sera fondé de nouveau comme il était auparavant, quel espoir ne doit donc point avoir l'âme de l'homme qui est votre véritable peuple et votre véritable temple ?... Aussi j'attendrai sans inquiétude, et rempli de foi comme David (Ps. 44:4) que, vous qui êtes le très puissant, vous ceigniez votre épée sur votre cuisse, que vous vous signaliez par votre gloire et votre majesté.

      Il lui dira : Je ne doute point que vous ne mettiez en consécration l'opération et les œuvres de mes mains, et que mes mains ne deviennent comme gonflées par l'abondance de la justice, et par le zèle de votre service ; je ne doute point que vous ne mettiez en consécration l'opération intérieure de mon désir et de mon amour, et qu'ils ne deviennent semblables à votre désir et à votre amour. Je ne doute point que vous ne mettiez en consécration mon intelligence, et ma conception, et que vous ne les rendiez propres à recevoir dans leur pureté les vifs rayons de votre lumière, et de votre vérité, parce que vous avez fait l'âme de l'homme pour être votre voie et votre organe ; et que toute souillée, et tout impure qu'elle puisse être, vous ne dédaignez pas de vous plonger dans ses souillures pour la purifier, et afin qu'après avoir passé en elle dans votre humiliation et votre souffrance, vous y passiez dans votre joie et dans votre gloire.

      Et vous, hommes aveugles, hommes égarés, s'il vous restait le moindre vestige de sentiment sur la nature de votre être et sur sa destination, ne verseriez-vous pas des larmes de sang sur vos insensibilités passées ? Ne seriez-vous pas tourmentés de la honte d'avoir accumulé dans la voie du Seigneur tant de décombres et tant de puissants obstacles, et ne seriez-vous pas pressés du désir d'épargner au Seigneur ces terribles et violentes épreuves auxquelles vous avez exposé son amour ?

      Voilà ces puissances illusoires, ces puissances destructives dont le nouvel homme s'est séparé, et dont vous devez vous séparer comme lui, si vous voulez comme lui, devenir les serviteurs et les amis du Seigneur, au lieu de devenir ses adversaires. Prêtez-vous à l'action divine ; elle ne vous demande que de ne pas vous opposer à elle, et pour ce simple abandon de votre part, elle va se livrer à vous tout entière, et laisser en vous des témoignages vivants de son zèle. Elle va s'étendre dans tous les canaux de votre être, et se mouvoir dans votre esprit, comme la nature se meut dans votre être passager et sensible.

      C'est ce mouvement de l'action divine qui a préparé la naissance du nouvel homme, et c'est aussi ce mouvement de 1'action divine qui l'a opérée ; puisqu'il n'y a rien dans l'ordre des choses de l'esprit où le mouvement de l'action divine ne doive présider. Cette naissance du nouvel homme a été pour lui, comme ce jour qu'Abraham désira voir avec ardeur, qu'il eut le bonheur de voir, et dont il se réjouit (Jean 8:56), et c'est là aussi ce que signifiait cette parole du Réparateur à ses disciples (Luc 10:24). Je vous déclare que beaucoup de prophètes et de rois ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l'on point vu, et entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu. Car de même que, nul ne connaît qui est le fils que le père ; ni qui est le père que le fils ; de même, nul ne connaît qui est le nouvel homme que l'action divine, ni qui est l'action divine que le nouvel homme, ou celui à qui il a donné le pouvoir de le révéler.

      En effet, cette action divine et le nouvel homme sont unis par les liens les plus indissolubles ; il ne peut rien sans elle, puisqu'elle est la plénitude universelle, mais elle ne peut rien sans lui puisqu'il est son agent de prédilection ; c'est pourquoi il peut dire : Mon père m'a remis toutes choses entre les mains. Mais s'il se réjouit de ce que son père lui a mis toutes choses entre les mains, c'est moins parce que tous les esprits lui sont soumis par là, que parce que son nom est écrit dans le livre de vie. C'est parce que quiconque l'écoutera, écoutera son père ; c'est parce que telle est l'ardeur de son zèle pour la gloire de son père céleste, qu'il n'aperçoit aucune perspective plus consolante que celle de manifester les merveilles de ce père céleste qui l'a engendré et qui l'engendre continuellement. Aussi au seul éclat de la lumière dont brille ce nouvel homme, la mort et le néant s'enfuiront dans leurs ténèbres.

      C'est alors qu'il expliquera le nom du Seigneur en faisant éclater les merveilles. Car, ces merveilles se sont concentrées dans le nom du Seigneur depuis le moment fatal où s'est opérée la concentration universelle ; mais le nom du Seigneur ainsi concentré a été remis entre les mains du nouvel homme afin qu'il l'ouvrît, qu'il en répandît ses parfums dans les régions préparées à les recevoir, et que par le développement de ce nom il détruisît les barrières du crime, pour y substituer l'ordre, la mesure, et la perfection.

      Ce nouvel homme a aussi le pouvoir d'expliquer le nom du Réparateur puisqu'il ne peut expliquer le nom du père sans expliquer le nom du fils ; aussi en ouvrant ce nom il versera les consolations dans tout son être et dans sa propre terre, comme ce nom a versé les consolations dans la terre universelle.

      Le nouvel homme expliquera aussi le nom de l'esprit, puisqu'il ne peut expliquer le nom du père, et le nom du Réparateur sans expliquer le nom de celui qui est leur véritable et essentielle opération ; et c'est par l'explication de ce triple nom qu'il se rendra le fidèle serviteur du Seigneur, parce qu'il ne s'appliquera jamais à l'explication active de ce triple nom, sans être saisi d'une sainte frayeur que les canaux de son être ne soient pas assez purifiés pour que la vérité passe en lui sans y éprouver de la gêne et de la douleur.


56.

      Voici le tableau des degrés par lesquels le nouvel homme peut monter sur le trône de la gloire ; son être corporel est maintenu en activité et en harmonie par les éléments, les éléments sont opérés par leurs puissances, leurs puissances sont dirigées par les esprits des régions, les esprits des régions sont excités à leur œuvre par l'âme sensible et désirante du nouvel homme, son âme sensible et désirante est activée par l'esprit saint. Là, l'âme divine du nouvel homme reçoit une pétulante impulsion qui est l'aiguillon de feu et de vérité ; de là elle arrive au respect et à l'amour du fils, d'où elle s'élève à la sainte terreur du père qui la tient tout entière dans la sagesse, le zèle, et la vigilante opération, jusqu'à ce qu'elle soit réintégrée dans l'unité non subdivisée, où elle ne connaîtra que l'amour qui est le caractère essentiel et universel de celui qui est Dieu.

      Le nouvel homme ne monte ces degrés que dans un tremblement continuel, parce qu'il sait que le feu de l'esprit peut s'enflammer jusqu'à nos mauvaises substances, et que par conséquent rien n'est comparable aux précautions que nous devons prendre pour ne pas faire entrer Dieu en nous, sans avoir mis hors de nous toutes ces substances fausses et susceptibles de s'enflammer pour notre destruction, au lieu de s'enflammer pour notre véritable perfectionnement. D'ailleurs s'il n'en résulte pas toujours un si funeste embrasement, il en peut résulter au moins un terrible danger ; celui de ne pas recevoir l'action de l'esprit en nous dans son abondance et dans sa plénitude. Si vous voulez être parfait, disait le Réparateur au jeune homme de l'Evangile, allez, vendez ce que vous avez, et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et me suivez.

      Ces mots tombent en effet sur toutes les substances étrangères à notre être que nous devons vendre si nous voulons être parfaits, c'est-à-dire, si nous voulons que l'esprit circule en nous dans sa plénitude et dans sa parfaite abondance ; et alors sans sortir même de ce monde nous avons un trésor dans les cieux, ou plutôt les cieux apportent eux-mêmes leurs trésors en nous, et nous font part de leurs vivantes richesses, en nous faisant éprouver continuellement leur stimulante activité.

      Heureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu ! disait un de ceux qui se trouvaient un jour à table avec le Réparateur (Luc 14:15). Mais que lui dit le Réparateur pour lui montrer combien peu d'hommes savaient non seulement chercher l'esprit dans sa plénitude, mais même le laisser entrer en eux quand il se présentait, et vendre ce qu'ils avaient pour lui faire place ? Il lui rapporte la parabole du festin et du grand souper auquel un homme avait invité plusieurs personnes ; il lui rapporte comment toutes ces personnes s'excusèrent sous divers prétextes, l'un pour une maison qu'il vient d'acheter, l'autre pour une femme qu'il vient d'épouser, etc. Il lui rapporte comment il dit à son serviteur de faire entrer alors les pauvres, les estropiés, les aveugles, et même tous ceux qu'il rencontrera dans les chemins et le long des haies, parce qu'il veut que sa maison soit pleine.

      Il va même une autre fois jusqu'à louer l'industrie des enfants des hommes à la honte des enfants de lumière qui ne savent pas, comme eux, mettre leurs richesses à profit, et s'en faire des amis pour les temps de détresse. Car si cet économe était coupable par ses injustices, il était remarquable par son adresse, et par son industrie ; et c'était là tout ce que le Réparateur cherchait à réveiller dans l'esprit des hommes, afin qu'après avoir fait usage des dons qui étaient à leur disposition, il leur en fût confié de plus considérables.

      Il nous donnait même par là une instruction lumineuse sur la conduite que l'ennemi tient généralement envers tous les hommes ; il s'est rendu l'économe de nos facultés, et au lieu de diriger son administration au profit et à l'utilité du maître, il ne songe qu'à la sienne propre. Lors donc qu'il prévoit que le maître va lui faire rendre ses comptes et le chasser de son poste, il cherche à se ménager des personnes qui le reçoivent chez elles. Il fait venir chacun des débiteurs qui sont en nous, il dit au premier : "Combien devez-vous au maître ? Cent barils d'huile ? Reprenez votre obligation, asseyez-vous là, et faites-en vivement une de cinquante". Il dit à un autre : "Combien devez-vous ? Cent mesures de froment ? Reprenez votre obligation, et faites-en une de quatre-vingts".

      C'est ainsi que cet industrieux ennemi se conduit avec nous, cherchant à diminuer nos dettes à nos propres yeux, à diminuer notre confiance par des bienfaits injustes, et par une criminelle indulgence, et à nous lier à lui par notre faiblesse, et par l'art avec lequel il a soin d'atténuer nos obligations. Mais si la justice est imprescriptible, ni lui, ni nous ne pourrons jamais frauder les droits du maître, et d'après les paroles de ce maître, il est plus aisé que le ciel et la terre passent, que non pas qu'une seule lettre de la loi manque d'avoir son effet (Luc 16:17).

      Aussi on nous dira : Malheur à vous, Pharisiens, qui ressemblez à des sépulcres qui ne paraissent point, et que les hommes qui marchent dessus ne connaissent point. Parce que si nous écoutons l'ennemi, il aura soin de nous faire tenir net le dehors de la coupe et du plat, tandis que le dedans de nos cœurs sera plein de rapine et d'iniquité.

      On nous dira : Malheur à vous, docteurs de la loi, qui chargez les hommes de fardeaux insupportables, et qui ne voudriez pas les avoir touchés du bout du doigt. Parce que plus mauvais que ce serviteur à qui le maître avait remis sa dette, et qui sortant de là, étrangle son débiteur pour s'en faire payer, nous aurons eu l'injustice de nous payer nous-mêmes de ce qui ne nous était pas dû, et que nous n'aurons point payé ce que nous devions.

      On nous dira : Malheur à vous qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués ; ainsi vous témoignez assez que vous consentez à ce qu'ont fait vos pères, puisqu'ils ont tué les prophètes, et que vous leur bâtissez des tombeaux. Parce que nous aurons servi nous-mêmes de tombeaux à ces prophètes, étouffant la voix qu'ils ne cessent de nous faire entendre, et que même nous leur aurons servi d'assassins et de meurtriers.

      On nous dira : Malheur à vous qui vous êtes saisis de la clef de la science, et qui n'y étant point entrés vous-mêmes, l'avez encore fermée à ceux qui voulaient y entrer. Parce que, semblables aux faux docteurs, nous aurons couru par mer et par terre pour chercher en nous des approbateurs, sous prétexte d'y chercher des prosélytes, et que quand nous les aurons trouvés, nous les rendrons cent fois plus coupables qu'auparavant ; et parce que non seulement nous ne serons point entrés avec eux dans l'esprit de vérité, mais encore nous l'aurons empêché d'entrer en nous, malgré toutes les sollicitations que nous ne cessons d'en recevoir de sa part.

      Nouvel homme, nouvel homme, viens dissiper ces sombres nuages ; nous t'avons vu tout à l'heure expliquer le nom du père, expliquer le nom du fils, expliquer le nom de l'esprit, c'est-à-dire, développer activement toutes les merveilles renfermées dans ces riches trésors. Pour quelle raison nous as-tu expliqué ou développé tous ces trésors ? C'est que ces trésors se sont eux-mêmes expliqués ou développés sur toi, c'est qu'ils ont fait briller sur ta tête le signe éclatant de leur lumière, et qu'ils ont embrasé de leur feu tout ton être ; c'est qu'ils ont expliqué et développé le germe sacré qui te constitue, et qu'ils ont rendu la voix à cette pierre fondamentale qui est en toi, et sur laquelle l'éternel Dieu des êtres a promis de fonder son église ; c'est qu'ils ont rendu la voix à tout ce qui te compose, afin que tout ce qui te compose pût célébrer la gloire du Seigneur, à l'image de la créature universelle qui dans chacun de ses mouvements, à chacun des actes de son existence, manifeste la puissance et la glorieuse domination de l'éternel souverain des êtres.

      Qui est-ce qui pourrait soutenir la vue de la majesté de l'homme, s'il se montrait ainsi expliqué et développé par l'active influence des puissants trésors dont il est né pour être la fidèle expression, et dont il est sans cesse environné ! Qui est-ce qui pourrait soutenir l'éclat de la majesté de Dieu qui serait en lui, et qui le rendrait comme une parole universelle se promenant perpétuellement depuis l'orient jusqu'à l'occident, et depuis l'occident jusqu'à l'orient, afin que tout soit plein du nom du Seigneur, et que tous les sentiers de la vie et de la justice soient sans cesse éclairés de la lumière et de la vérité, dans la crainte que ceux qui s'y présenteraient pour y marcher ne fussent exposés aux pièges et aux embûches de l'ennemi qui ne tend qu'à retarder les pas de l'armée d'Israël vers la cité sainte ?

      N'oublions plus que telle est la tâche de la postérité humaine, et que c'est pour cela que le nouvel homme s'appelle aussi fils de Dieu. Car, il a fallu pour qu'il devînt un nouvel homme que les puissances suprêmes se rassemblassent, se concentrassent dans leur force et dans leur unité, et qu'elles se résolussent à prononcer hautement leur nom sur lui.

      Oui, Seigneur, c'est en prononçant votre nom sur l'homme de désir que vous renouvelez tout son être, et c'est en prononçant votre nom sur lui que vous le rendez à nouveau votre image, votre ressemblance, et votre propriété, comme ces substances sur lesquelles nous apposons nos sceaux et nos signes pour faire connaître celui à qui elles appartiennent ; l'homme ne devient ainsi votre image et votre ressemblance que parce qu'en prononçant votre nom sur lui, vous rassemblez aussi son propre nom dans son essence et dans son unité, et qu'ainsi vous le rendez susceptible d'opérer dans son enceinte la manifestation des merveilles que vous opérez dans l'universalité de tous les règnes et de toutes les régions.

      Aussi ne soyons pas étonnés que ce nouvel homme ne permette plus un seul mouvement à sa volonté, puisqu'il est la pensée du Seigneur, et qu'il ne se croit pas le droit de disposer de la pensée du Seigneur.

      Ne soyons pas étonnés que l'illusion et les ténèbres n'aient aucun accès près de lui puisqu'il a toujours à leur répondre : "Je suis une pensée du Seigneur, je ne puis vous écouter, je ne puis me livrer à vous, puisque j'appartiens à celui dont je suis la pensée, et que si je disposais de moi je ne serais plus sa pensée et que par conséquent, je ne serais plus rien".

      Ne soyons pas étonnés non plus que tout son être, non seulement devienne brillant et lumineux comme les astres du firmament, mais même qu'il soit tout plein d'yeux comme les roues d'Ezéchiel, puisqu'il doit surveiller tout ce qui l'approche avec de mauvais desseins, et éclairer tout ce qui vient près de lui avec la soif de la lumière.

      Ne soyons point étonnés, dis-je, qu'il ait un œil sur chacun de ses yeux, sur chacune de ses oreilles, sur chacune de ses mains, sur chacun de ses pieds, sur son cœur, et sur sa langue ; car c'est le signe de son activité, de sa vigilance, et de sa pénétration ; c'est enfin là le sel qu'il doit selon la loi de Moïse, répandre et mêler à tous ses sacrifices.


57.

      Le moment s'avance où le salut des nations va faire son entrée dans Jérusalem. Déjà il est à Jéricho où le publicain Zachée va, pour remédier à sa petitesse, s'élever sur un sycomore afin de pouvoir contempler celui dont il attend tout ; déjà l'esprit du nouvel homme a pénétré tous les publicains qui sont en lui, ils ne se bornent point à une foi inactive et morte, mais ils descendent promptement de dessus leur arbre, et reçoivent avec joie ce nouvel homme qui leur demande à loger chez eux ; leur foi fait éclater en eux d'autres vertus, et ils disent au nouvel homme : Nous allons donner la moitié de notre bien aux pauvres, et si nous avons fait tort à quelqu'un en quoi que ce soit, nous lui en rendrons quatre fois autant. C'est ce qui leur mérite de la part du nouvel homme ces douces paroles : Cette maison a reçu aujourd'hui le salut, parce que celui-ci est aussi d'Abraham ; car le fils de l'homme est venu pour chercher, et pour sauver ce qui était perdu. Puis s'entretenant avec eux, le nouvel homme leur rapporte la parabole des dix talents, et leur en enseigne le vrai sens.

      Il leur apprend que si l'âme de l'homme est dépositaire des sept puissances sacramentelles qui sont les canaux de la vie de l'esprit, elle l'est aussi des dix sources de cette même vie spirituelle qui ne peut couler dans ces canaux de l'esprit qu'après être sortie de la fontaine éternelle à laquelle l'âme de l'homme est unie par une alliance indissoluble.

      Il leur enseigne que ces dix sources avaient été fermées pour nous par le crime, et que nous ne pouvions être régénérés, qu'autant que nous en avions recouvré la jouissance ; que les marcs d'argent que le maître avait distribués à ses serviteurs, étaient pour les aider à faire rouvrir, pour eux, ces sources salutaires et indispensables à notre existence.

      Il leur enseigne que chacun reçoit en raison du soin qu'il met à faire valoir ce talent, mais que celui-là seul a atteint le véritable but qui est parvenu à faire rouvrir pour lui ces dix sources, parce que ce n'est que par là qu'il est redevenu l'image, et la ressemblance parfaite de ce modèle parfait qui nous a formés pour le représenter.

      Il leur montre que pour être coupable, il n'est pas besoin de laisser perdre ce talent, de le dissiper, ou de le prostituer ; mais que même celui qui le laisse enfouir offense l'esprit, puisqu'il semble croire que l'esprit n'est pas actif, fécond, et générateur ; aussi il ne se contente pas de faire retirer le talent au paresseux, et de le donner à celui qui en avait gagné dix autres. Il condamne encore ce serviteur inutile, à être jeté dans les ténèbres extérieures ; mais pour ceux qui se déclarent ses ennemis, et qui ne veulent pas le reconnaître pour roi, il les fait exterminer en sa présence : loi sévère que le nouvel homme exerce sur lui-même, avec toute rigueur, sans quoi son règne ne s'établirait point.

      C'est en répandant de semblables instructions dans lui-même, qu'insensiblement il voit Jérusalem s'approcher de lui. Il dit alors à deux des siens : "Allez à ce village qui est devant vous, et vous y trouverez en arrivant une ânesse liée, et son ânon auprès d'elle, déliez-la, et me l'amenez. Que si quelqu'un vous dit quelque chose, dites-lui, que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il la laissera emmener ; afin que cette parole du prophète s'accomplisse, dites à la fille de Sion : voici votre roi qui vient à vous plein de douceur, monté sur une ânesse, et sur l'ânon de celle qui est sous le joug."

      Cette ânesse sous le joug, est aux yeux de l'homme universel l'ancienne alliance lévitique qui tenait l'homme dans les chaînes des lois, et des formalités cérémonielles des sacrifices de sang, et de l'immolation des victimes ; le poulain de cette ânesse, sur lequel personne n'a jamais monté, est aux yeux de l'homme universel, l'alliance nouvelle qui ne pouvait être apportée et établie que par la seule médiation du Réparateur, et qui n'aurait jamais été connue sans lui, mais qui ne pouvait cependant être manifestée qu'au sein de cette même loi lévitique, puisqu'elle en était comme la fille, attendu qu'il est écrit que le salut vient de Juifs.

      Aux yeux de l'homme particulier, l'ancienne alliance est l'image du vieil homme détenu sous le joug du temps, et de ses impérieux ministres. La seconde alliance est le nouvel homme, c'est cette âme divine dans sa pureté, et la seule sur qui le Réparateur pût se reposer pour faire son entrée dans Jérusalem ; aussi quels transports dans toutes les régions du nouvel homme, lorsque le Réparateur et lui se retrouvèrent ensemble dans ces rapports mutuels que nous n'aurions jamais dû perdre de vue !

      C'est alors que les habitants de cette ville sainte qui attendaient ce divin prophète, étendent leurs habits, et jettent des branches d'arbre sous ses pieds, "c'est alors que tous les disciples en foule commencent à louer Dieu à haute voix en disant : béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur. Paix soit dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts !" Les Pharisiens ont beau murmurer, et prier le maître de faire taire ses disciples ; il leur déclare que si ceux-ci se taisent, les pierres même parleront.

      Félicite-toi donc en effet, ô nouvel homme, de ce que le Réparateur a voulu accomplir en toi la promesse qu'il a faite à Abraham de ne jamais abandonner son peuple ; mais pleure sur le vieil homme, et sur tous ceux qu'il a subjugués, et dis-lui : "Ah, si tu avais reconnu au moins en ce jour qui t'est donné ce qui te pouvait apporter la paix ! Mais maintenant tout ceci est caché à tes yeux ; car il viendra un temps malheureux pour toi, que tes ennemis t'environneront de tranchées, qu'ils t'enfermeront, et te serreront de toutes parts, qu'ils te raseront, et te déchireront entièrement, toi, tes enfants qui sont dans tes murs, et qu'ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps auquel Dieu t'a visité."

      A l'instar du Réparateur, le nouvel homme va entrer dans son propre temple, en chasser à coups de fouets les changeurs et les vendeurs de colombes, en leur reprochant que de la maison de son père qui était une maison de prière, ils ont fait une caverne de voleurs. Si les princes des prêtres, les docteurs de la loi, et les sénateurs lui demandent par quelle autorité il fait ces choses, il ne leur répondra point, parce qu'ils ne peuvent pas dire si le baptême de Jean était des hommes, où s'il était du ciel ; parce qu'ils ne connaissent point l'union de l'âme humaine avec l'esprit du Seigneur, qui fait que le baptême de Jean tenait à la fois à ces deux mondes, et par là était l'image de l'autorité du Réparateur qui provenait aussi de la réunion des puissances de ces deux mondes.

      Car les docteurs de la loi sont trop ténébreux pour apercevoir ce concours, et l'âme humaine n'est pour eux qu'un instrument passif, semblable en tout aux êtres inanimés, et sans une action qui leur soit propre, et qui puisse, par analogie, s'unir à l'action de la Divinité. Aussi ne manqueront-ils pas de chercher à se saisir du nouvel homme qui, par toutes ses réponses, les fera sans cesse tomber en confusion ; mais comme ils appréhendent le peuple, ils enverront vers ce nouvel homme, des personnes qui contreferont les gens de bien, pour lui tendre des pièges, et le surprendre dans les paroles, afin de le livrer au magistrat, et au pouvoir du gouverneur.

      Ils lui demanderont donc s'il leur est permis ou non, de payer le tribut à César. Mais le nouvel homme, voyant leur malice, leur dira : "Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier. De qui est l'image et l'inscription qu'il porte ? De César ? Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu", réponse qui les rendra muets, et honteux, sans qu'ils percent cependant dans toute la profondeur qu'elle renferme ; car de même qu'ils n'ont pas pu dire si le baptême de Jean était des hommes ou s'il était du ciel, attendu qu'ils ne connaissent point les rapports de l'âme humaine avec Dieu, de même ils ne verront pas pourquoi ils doivent rendre à Dieu le tribut qui appartient à Dieu, puisqu'ils ignorent que le tribut n'est dû à Dieu que parce que l'âme humaine porte l'image de ce suprême souverain, comme le denier portait l'image et l'inscription de César.

      Ils ne s'en tiendront pas là. Ils enverront vers lui les Saducéens qui nient la résurrection. Ils s'approcheront de lui, et lui proposeront la question des sept maris. Mais comme les ténèbres des Saducéens, ne viennent que de ce que leur esprit n'est rempli que d'idées mortes, il leur fera connaître comment il est possible que la résurrection ait lieu sans que la difficulté qu'ils opposent, et qui les arrête, puisse avoir la moindre valeur.

      Il leur dira : "Les enfants de ce siècle-ci épousent des femmes, et les femmes des maris. Mais pour ceux qui seront jugés dignes d'avoir part au siècle à venir, et à la résurrection des morts, ni les hommes n'épouseront plus de femmes, ni les femmes de maris ; car, alors, ils ne pourront plus mourir, parce qu'ils deviendront égaux aux anges, et qu'étant enfants de la résurrection, ils seront enfants de Dieu ; et quant à ce que les morts doivent ressusciter un jour, Moïse le déclare assez lui-même, lorsqu'étant auprès du buisson il appelle le Seigneur le d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob ; or, Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants, parce que tous sont vivants devant lui."

      Voilà par quels moyens le nouvel homme repoussera sans cesse les insinuations, et les ruses de ses adversaires, et traversera ainsi la mort avec la vie. Car il est écrit qu'il passa au milieu l'eux. Mais ce sera toujours par les lumières de la raison, et de l'intelligence la plus saine, et la plus pure, qu'il saura s'en défendre, et les combattre ; car le nouvel homme est un être qui doit, à tout moment, faire développer en lui, et hors de lui les abondances de la justice, les abondances de la miséricorde, et les abondances de la lumière.




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