22.
Si nous pénétrions davantage dans
l'industrieuse sagesse de notre
Dieu, nous suspendrions bientôt nos
murmures contre les obstacles que nous rencontrons dans notre région
terrestre. Tous ces obstacles, toutes ces difficultés, nous sont
envoyés pour différer cette explosion divine, dont nous
sommes si peu dignes, que, je le répète, nous chercherions
à nous cacher dans les cavernes de la terre, si l'on nous en
laissait connaître le moindre aperçu, avant notre terme. En même temps,
ils servent à développer en nous toutes ces unités
partielles dont nous avons parlé précédemment,
et qui doivent nous aider à rétablir nos relations avec
notre principe, et à nous rendre de nouveau son image. Car ce
serait en vain que nous croirions nous être rendus de nouveau son image,
si nous n'avons pas porté toutes nos unités jusqu'à
la mesure où elles peuvent atteindre ; puisque c'est le complément,
et la juste mesure de ces unités qui peut seule nous rendre les
traits de notre ancienne ressemblance avec notre principe.
Regardons-nous donc ici-bas comme dans un lieu
de préparation, où l'on demande de nous que nous rendions
à nos facultés, les
dispositions qui leur sont absolument
nécessaires pour pouvoir être employées à l'uvre.
Travaillons sans cesse à ce que l'unité de notre foi devienne
propre à transporter les
montagnes, à ce que l'unité
de notre dépouillement devienne insensible aux privations, à
ce que l'unité de notre
charité nous mette en état
de
brûler, et de donner notre vie pour nos
frères, à ce
que l'unité de notre courage nous donne les moyens de subjuguer
tout ce qui est matière ; combat dans lequel nous avons si beau
jeu, puisque la matière est indifférente, et prend toutes
les formes que nous voulons lui donner. Enfin, exerçons continuellement
toutes les unités de nos vertus, et de nos dons spirituels, et
ne doutons pas que lorsqu'elles auront atteint une mesure approuvée
par la sagesse, elles ne reçoivent de sa main le complément dont
elles seront capables.
Mais gardons-nous de vouloir agir avant cette heureuse
époque, et par les mouvements de notre impatience. Avant de croire
aux
fruits de la loi, il faut commencer par croire à la loi ;
car, selon l'
Evangile,
comment croire au réparateur si l'on
ne croit pas d'abord à Moise, et à la loi qui ont parlé
de ce réparateur ? Or la loi de l'homme de l'
esprit est de
ne pas faire un mouvement dans la carrière supérieure,
sans que ce mouvement ne soit ordonné, et précédé
par une parole, qui devient pour lui ce que Moïse, et les prophètes
étaient pour les appelés, et les élus à
la loi de grâce. Et si l'homme ne croit pas que telle doit être sa marche
respectueuse, et soumise, il ne croirait pas davantage aux merveilles
que désirerait son impatience, parce que c'est de ces merveilles-là
que la parole doit prophétiser.
Loin donc de nous lamenter sur les obstacles, et
sur les lenteurs auxquelles nous sommes heureusement condamnés,
remercions la providence qui nous fournit par là l'occasion de
recevoir avec avantage tous les
fruits de la loi, lorsque les temps
de cette loi seront accomplis ; remercions-la de ce qu'elle nous fournit
par là l'occasion de nous procurer une situation, ou une manière
d'être assez utilement préparée, pour que lorsque l'heure
de la naissance du nouvel homme est arrivée, on ne puisse pas
nous appliquer directement à nous-mêmes, ce que Siméon
dit à la naissance du Réparateur : savoir que
cet enfant
était né pour la ruine de plusieurs.
Car si ce nouvel homme naissait jamais pour notre
ruine au lieu de naître pour notre salut, comment pourrions-nous jamais
entrevoir et connaître le royaume qui ne peut se montrer réellement
qu'à ce nouvel homme, et à cet
enfant chéri conçu
en nous par l'
esprit du Seigneur ?
Telle est cette unité intérieure
à laquelle correspondent toutes nos unités particulières
et sur laquelle l'unité universelle attend avec encore plus d'impatience
que nous, qu'elle puisse se reposer en paix. Telle est cette mine inépuisable
dans laquelle il n'y a point de richesses que nous ne puissions trouver
; mais qui est devenue comme étrangère à celui
même qui en est le propriétaire, parce que les hommes avides
des sciences externes ont porté à l'extérieur toutes
les facultés de leur
esprit, au lieu de les porter sur cet intérieur
qui leur eût tout appris, et leur eût prodigué tous les trésors.
Par cette marche imprudente, ils ont laissé
fermer cette mine par les décombres qui y tombent journellement,
et elle est devenue tellement couverte qu'ils n'ont plus cru à
son existence et ont fait ensuite tous leurs efforts pour nous empêcher
d'y croire à notre tour, et de chercher à la travailler.
Les plus sages d'entre eux ont cru qu'en bâtissant
des temples au Seigneur avec des pierres taillées par des instruments
de métal, et façonnés par eux, ils avaient rempli les
plans divins au sujet du culte, et des
hommages que la divinité
attend des mortels ; ils n'ont pas vu que c'était de ce temple
impérissable qu'elle attendait le triomphe de sa gloire ; de
ce temple où les instruments matériels sont tout à
fait inutiles soit pour tailler
les pierres, soit pour les tirer
des carrières, soit pour les transporter, soit enfin pour
les poser à demeure dans la place qu'elles doivent occuper dans
l'édifice.
C'est donc à extraire
les pierres des
carrières, à les
tailler, à les
transporter,
à les poser à demeure dans la place qu'elles doivent occuper
dans l'édifice, que la sagesse et l'
esprit du Seigneur
s'occupent journellement à notre égard ; et les instruments
qu'ils emploient pour cela, ce sont les mêmes obstacles, et les mêmes
contrariétés spirituelles que nous rencontrons dans notre
carrière, et dont l'homme novice aux secrets de
Dieu ne connaît
pas assez le prix pour sentir qu'il n'y a pas une de ces épreuves
soutenues avec foi et courage, qui ne doive se terminer pour lui par
la naissance et le développement d'une unité ; et que
c'est par ces accumulations d'unités acquises par autant d'épreuves,
et de victoires, qu'il doit voir s'élever en lui le nouvel homme
ou l'édifice des élus.
Il ne soupçonne pas que cet édifice des
élus nous transforme en un véritable
ciel où habitent
à la fois tous les
esprits du Seigneur, toutes les puissances
du, Seigneur, tous les dons du Seigneur, toutes les vertus du Seigneur,
de manière que nous devenions une espèce de citadelle,
et de forteresse, toujours armée, toujours en défense
; toujours prête à veiller à la sûreté des habitants,
et à leur procurer tous les secours, et tous les avantages que
notre état de guerre nous permet d'espérer dans ce bas
monde.
Sans ces épreuves ou ces moyens d'acquérir
nos unités, mus serions rejetés hors de la place comme
autant de
bouches inutiles, et nous serions remis à la
discrétion des assaillants, C'est-à-dire à leur
rage et à leur fureur.
Armons-nous donc de courage, et de confiance quand
l'
esprit juge à propos d'employer ses instruments sur notre être
spirituel, et ne nous scandalisons point, ne nous rebutons point quelle
que soit la forme sous laquelle ces instruments se présentent,
et s'approchent de nous. Ayons continuellement devant les yeux le psaume
68:7-8, etc. :
Que ceux qui attendent après toi, ô Seigneur,
ne rougissent point à cause de moi, que ceux qui te cherchent
ne soient point confondus à mon sujet, ô Dieu d'Israël ! Parce
que c'est à cause de toi que j'ai supporté les reproches,
et que la honte a couvert ma face.
S'il est donc vrai que l'
esprit, que le Réparateur
lui-même se soient cachés et se cachent tous les
jours sous la
forme de ces instruments salutaires, ne les repoussons pas à
cause de l'âpreté ou de la bassesse des
couleurs qu'ils empruntent
; ne nous laissons point gagner par la confusion malgré leur
abjection ; parce que c'est à cause de
Dieu que la honte couvre
ainsi leur face, et que si nous manquons l'occasion qu'ils nous offrent
de partager un
jour la gloire qu'ils ont de vivre dans la grande unité,
en partageant avec eux, ici-bas, les fatigues, et les reproches qu'ils
essuient pour nous élever jusqu'à eux, nous ne jouirons
ni de la même communion qu'eux avec la grande unité, ni du développement
merveilleux de notre unité intérieure, ni de celui de
nos unités particulières ; c'est-à-dire, que nous
ne formerons point ce temple éternel dont l'homme trouve en soi
tous les matériaux.
23.
Quand les hommes considèrent les objets
soit naturels, soit artificiels qui se présentent à eux
pour la première fois, leur premier mouvement n'est-il pas de
se demander quel peut être l'emploi de ces objets et pour quelle fin
ils ont l'existence ? C'est par là qu'ils parviennent bientôt
à connaître quel est le but ou l'
esprit de toutes les choses
utiles, nécessaires ou agréables qui les environnent.
Pourquoi donc ne se demandent-ils pas avec le même soin quel doit être
l'emploi de l'homme ? Ou plutôt pourquoi leur répond-on si mal
lorsqu'ils font cette question ? C'est qu'ils sont encore faibles, et
comme dans l'enfance lorsqu'ils auraient
envie de s'interroger eux-mêmes,
et que ceux à qui ils s'adressent ensuite, sont tombés
même au-dessous de cet état d'enfance par rapport à cette
grande question.
Nous ne craignons point que l'
âme de l'homme désavoue
les sublimes réponses dont nous avons montré jusqu'à
présent qu'elle portait la source dans son propre sein. Plus
elle percera dans sa propre immensité, plus elle y trouvera de
nombreuses confirmations des titres précieux, et de la sainte
destination dont nous l'avons annoncée comme dépositaire
; et il n'y aura que l'homme léger, timide, aveugle et paresseux
qui méconnaîtra l'emploi pour lequel nous avons reçu l'existence.
Celui au contraire qui aura eu le courage de contempler
avec soin sa véritable
essence, qui aura distingué soigneusement
sa pensée d'avec l'être ténébreux dont nous sommes
accompagnés pour un temps, qui, enfin, se sera conduit avec cet
être inférieur, et subordonné comme avec ce serviteur
de l'Évangile qui, en arrivant des champs est obligé de
se ceindre, de préparer à manger à son maître,
et d'attendre que ce maître ait fini son repas pour prendre le sien,
c'est-à-dire, qui n'accordera jamais rien aux besoins de sa matière,
avant que son
esprit ne soit satisfait, comme étant le maître,
et devant être le premier servi, celui-là, dis-je, trouvera de
lui-même, non seulement quelle est la destination de l'homme, mais aussi
quelle est la voie qui doit le conduire à en obtenir l'accomplissement.
Or cette voie sera pour lui, n'en doutez pas, celle
que nous avons indiquée jusqu'ici, presque à tous les
pas, et que nous nous faisons un plaisir de retracer, parce que c'est
de la voie que nous avons besoin, puisque nous avons un voyage à
faire.
Ainsi donc, en descendant en lui-même, il trouvera
un grand temple, où il entendra parler un zélé
pasteur qui, sans qu'il le voie, lui criera de toutes ses
forces : lamentation,
exclamation, purification, sanctification, supplication, consécration,
administration ; voilà à la fois ta tâche et les moyens
de la remplir. C'est par là que s'accompliront les saintes promesses
que l'Eternel a faites par serment à tes pères ; c'est
par là que
tu deviendras l'héritage du Seigneur après
qu'il t'aura délivré de la fournaise de fer où
l'on adorait les astres, qu'il t'aura pris pour son peuple au milieu
des autres nations, qu'il aura voulu être lui-même ton Dieu au milieu
de tous ces dieux passagers qu'honorent tous les autres peuples,
et qu'il t'aura mis en possession de ce pays où tu seras assez
plein de lui pour
pouvoir jurer par son nom (
Deutéronome,
chap. 4 et chap. 6).
Car c'est dans la manifestation du nom du Seigneur
que se trouve la plénitude de sa gloire, et cette manifestation
ne peut avoir lieu parmi les nations, que par l'organe du peuple qu'il
a choisi à ce dessein ; c'est-à-dire, par l'organe de
l'homme ; voilà pourquoi il ne cesse de solliciter cet homme
réfractaire de s'occuper de sa destination sacrée.
Il l'en sollicite par le besoin qu'il en a mis
dans son
âme, il l'en sollicite par tous les
emblèmes que l'univers
lui présente continuellement, mais qui, étant impuissants
pour opérer une si grange uvre, sont bornés au rang
d'
emblèmes, et laissent à l'homme le soin d'en exprimer
la réalité ; il l'en sollicite par toutes les lois représentatives,
et figuratives, civiles, politiques, historiques, naturelles, et surnaturelles
; enfin, il est venu l'en solliciter lui-même pour le déterminer
à se livrer à cette sainte entreprise, et il a commencé
par faire renaître en lui ce nouvel homme qui seul sera digne de s'en
acquitter dignement lorsqu'il aura acquis son âge compétent,
et qu'il aura atteint les mesures tracées par les lois éternelles
de la sagesse qui peuvent bien, ici?bas, subir quelque extension, et
comme une sorte de subdivision qui les réduit, mais qui ne change
point leur caractère.
Pourquoi
Dieu sollicite-t-il ainsi l'homme par
tant de moyens si variés, si répétés, si
soutenus et si continuels ? C'est pour qu'il soit en tout point l'image
et la ressemblance de cette éternelle divinité ; car ce
n'est point assez pour cette ressemblance que l'homme puisse lire dans
les merveilles de la sagesse, ce n'est point assez qu'il puisse les
peindre, et les exprimer par ses uvres, ce n'est point assez que
sa parole puisse répéter autour de lui les uvres
de cette divinité suprême, il faut que, comme elle, il puisse
exercer de pareils droits volontairement, et par le privilège
sacré de son saint caractère, afin que, partageant les
puissances de son éternel principe, il en partage aussi la gloire,
et soit ainsi la réelle image de ce principe, au lieu de n'en
être, comme la nature, que l'image figurative ; et voilà pourquoi
la sagesse divine le sollicite avec tant d'
amour, et tant d'industrie,
et évite avec tant de soin de le forcer, parce qu'elle considère,
et respecte, pour ainsi dire en lui, ce privilège honorable dont
elle-même l'a rendu dépositaire.
Lors donc, homme, que tu seras parvenu à
cette terre que
Dieu a promise par serment à tes pères
; aie grand soin d'y observer fidèlement les lois et les ordonnances
du Seigneur, si tu veux te maintenir longtemps dans tes possessions,
et si tu ne veux pas que les nations que tu dois vaincre te rendent
elles-mêmes leur esclave. Car si le Seigneur considère, et respecte,
pour ainsi dire, le privilège honorable dont il t'a rendu dépositaire,
ce ne sera jamais que lorsque tu concourras avec lui à l'accomplissement
de ses desseins, et à la manifestation de son nom ; et il ne
prend pas moins le soin de sa justice que celui de sa gloire ; autant
il cherche à ne te pas forcer dans tes uvres pures et glorieuses,
autant il a de puissance pour t'arrêter dans tes uvres fausses,
et pour résister aux efforts de ta volonté criminelle.
Ainsi ce n'est point assez que tu abjures ces efforts
impuissants d'une volonté criminelle, il faut encore que tu te
surveilles pour ne suivre que les efforts d'une volonté prudente,
et dirigée par les lumières de ta simple sagesse naturelle,
si tu veux qu'une sagesse supérieure à la tienne vienne
s'établir en toi, et y fasse éternellement son séjour.
Lors donc qu'il te sera permis de prendre possession
de la portion de la terre promise qui te sera accordée, souviens-toi
que c'est le Seigneur même qui t'aura donné les moyens d'y entrer,
et que tu n 'as d'autre mérite que d'avoir mis ces moyens en
usage. Souviens-toi que c'est lui-même qui a produit cette terre, où
tu trouveras tant de richesses et tant d'abondance. Souviens-toi que
s'il ne t'y protégeait pas continuellement lui-même tu ne pourrais
pas y rester en sûreté un seul instant. Et voici à quoi
peut se réduire le sens de ces tableaux spirituels.
Avant de dire : au nom du Seigneur, attends toujours
que le nom du Seigneur soit descendu en toi. Ce n'est point de mémoire
que tu dois prononcer ce nom puissant. C'est par sentiment, c'est par
impulsion, et comme étant pressé par le pouvoir de son
charme irrésistible. Voudrais-tu être comme ceux qui le prononcent
journellement d'eux-mêmes, et dans qui l'idée qu'ils en prennent,
et le respect qu'il devraient lui porter se confond avec les mouvements
les plus insensibles de leur
âme, et n'y laisse pas de plus profondes
traces ? Il en est qui sont bien plus coupables encore, aussi ne le
prononcent-ils que pour leur condamnation ; mais ce tableau serait trop
affligeant, et trop dangereux pour l'il du nouvel homme, il vaut
mieux lui en laisser ignorer l'existence, et lui montrer pourquoi il
doit attendre que le nom du Seigneur soit descendu en lui, avant d'oser
dire :
au nom du Seigneur.
Qu'étais-tu, homme, lorsque l'Éternel
te donnait la naissance ? Tu procédais de lui, tu étais
l'acte vif de sa pensée, tu étais un
Dieu pensé,
un
Dieu voulu, un
Dieu parlé, tu n'étais
rien tant qu'il ne laissait pas sortir de lui sa pensée, sa volonté,
et sa parole. Il n'a pas changé de loi, il ne peut y avoir que
lui qui t'engendre, et ce n'est que par lui que tu peux engendrer des
uvres régulières. S'il n'engendre donc pas son nom
en toi avant que tu dises :
au nom du Seigneur, tu n'agis plus
que de mémoire quand tu prononces ce nom, et voilà pourquoi
tant d'hommes le prononcent en vain sur la terre, et nous prouvent d'une
manière si affligeante que malheureusement, l'homme n'est, ne
vit, et n'agit que dans la vanité et le néant.
24.
Si le nouvel homme veut que
la parole soit
vivante en lui, il ne pourra obtenir cette faveur, qu'en mourant dans
cette même parole ; et s'il lui est donné de pouvoir mettre à
profit les incommensurables longanimités du temps, c'est afin
qu'il puisse parvenir à ce glorieux terme par des progressions
douces et insensibles qui le préparent à recevoir la jonction
de la grande unité sans être ébloui par son éclat,
ou consumé par sa
chaleur brûlante ; c'est en même temps pour
que les combats qui lui sont offerts dans ces diverses progressions
soient toujours en mesure avec son courage et avec ses
forces.
Car même dans l'ordre de la simple morale ordinaire,
si nous mourrions un peu tous les
jours, nous éviterions par
là de mourir tout à la fois, comme cela arrive à
presque tous les hommes, qui par cette raison trouvent la mort si dure
; et la mort physique finale de notre
corps ne nous paraîtrait pas plus
fâcheuse que celle momentanée par laquelle nous passons à
chaque instant. Bien plus nous vivrions aussi un peu tous les
jours,
en raison des portions de mort que nous aurions détruites. Faute
de cette précaution, et à
force de s'enfoncer dans la
vie fausse, l'homme vulgaire perd journellement les facultés
qui lui avaient été accordées par la nature et
par la vérité, pour se soutenir pendant son voyage terrestre.
Aussi les hommes livrés au torrent sont-ils toujours au-dessous
de la mesure. Leur cur n'a plus de
goût pour
la vertu ;
leur oreille n'a plus de tact pour
la vraie musique ; il n'est
pas jusqu'à leurs facultés animales et digestives, qui
ne deviennent nulles par leur intempérance.
Le nouvel homme dont la destinée est si
élevée au-dessus de la sagesse commune doit, comme nous
l'avons dit, mourir continuellement dans la parole, s'il veut que la
parole vive en lui ; et il y doit mourir progressivement afin qu'elle
puisse y vivre un
jour dans toute sa
force, et dans toute sa plénitude.
Il faut qu'il voyage silencieusement sur les bords du
fleuve, qu'il
combatte à tous les pas
les animaux qui se rencontrent,
et qu'il surmonte les obstacles de chaque
jour. Par là, il reçoit
insensiblement une triple création qui purifie son
corps, son
âme et son
esprit, qui les remplit du
feu de la vie, parce que le
feu
le couvre, et le pénètre de la parole du témoignage.
Voyons donc ainsi croître en paix ce nouvel homme
; voyons-le sacrifier à tout moment tout ce qui n'est pas du
ressort de la parole, et faire en sorte, par ce moyen, que la parole
prenne en lui la place de tout ce qui la gênait, et l'empêchait de venir
démontrer à cet homme qu'il est une pensée du
Dieu
des êtres, une parole du
Dieu des êtres, une opération du
Dieu
des êtres. Voyons-le par ces sacrifices journaliers, et continuels,
mourir par degrés dans la parole, et s'ensevelir tellement dans
la confiance en cette parole, qu'elle puisse elle-même ressusciter en
lui dans les mêmes mesures, et qu'elle finisse par y manifester complètement,
et universellement son action de vie, lorsqu'il aura fini de son côté,
par manifester en elle complètement, et universellement son action
de mort.
Alors ce nouvel homme sera réellement sorti
de l'état d'enfance où est encore ce fils chéri
de l'
esprit que nous avons déjà vu naître, et même
patente
au milieu des docteurs à son âge de douze ans, mais qui n'est
point encore parvenu à cet état de virilité que
nous peignons par anticipation, et qu'il ne faut point confondre avec
l'état heureux qui nous attend après notre mort corporelle,
si nous avons suivi les lois de la sagesse.
Car cette
résurrection de la parole en nous,
cette virilité enfin, dont nous offrons d'avance quelques traits,
nous peut être accordée dans ce bas monde, si nous en nourrissons
l'espérance, et que nous nous conduisions conformément
à l'instinct qu'elle nous suggère ; et si nous n'avions
pas d'autres explications à donner du bonheur de l'homme que
celles qui nous sont offertes dans les instructions vulgaires, nous
ne croirions pas avoir assez fait pour nos semblables.
Voyons donc, comme dans un lointain, ce nouvel
homme, jouissant abondamment des droits de son être, et des faveurs
innombrables du principe régénérateur qui a bien
voulu pénétrer en lui ; voyons-le comme les digues d'un
grand
fleuve, qui les resserrent, et le contiennent dans leurs bords
de manière qu'il n'en sorte plus et qu'il transporte paisiblement
ses
eaux fertilisantes dans toutes les contrées qu'il parcourt
; mais voyons encore plus comment il se prépare à cette
magnifique destination.
C'est en disant à la prière : sois
toujours à côté de moi, sois toujours avec moi, et en
moi ; sois toi-même l'ouvrier qui creuse le
lit du
fleuve, et ne permets
pas qu'un seul moment se passe sans que je n'en aie enlevé quelques
pierres, arraché quelques racines, ou ôté quelques
immondices,
afin que, de
jour en
jour, le cours de ce
fleuve devienne plus libre,
et qu'enfin tout mon être en soit
abreuvé.
Loin de redouter ces épreuves spirituelles
qu'il doit rencontrer sur sa route, et dont nous avons peint ci-dessus
les avantages, il dira, avec
Jérémie 48:2 :
Moab dès
sa jeunesse a été dans l'abondance, il s'est reposé
sur sa lie ; on ne l'a point fait passer d'un vaisseau dans un autre,
et il n'a point été emmené captif. C'est pourquoi
son goût lui est toujours demeuré, et son odeur ne s'est point
changée.
Le nouvel homme qui considérera ces paroles
instructives, apprendra combien il est utile pour nous qu'il y ait plusieurs
régions, afin que nous puissions être éprouvés
de nouveau, et payer double dans les régions suivantes, si nous
n'avons rien payé dans les régions antérieures
; il apprendra combien il est avantageux pour nous que nous subissions
différentes servitudes dans ces diverses régions, puisque
toutes ces servitudes, quand elles nous sont envoyées par la
main du Seigneur, ne peuvent avoir pour but que notre amélioration.
Car, même dans l'ordre de la nature, combien d'
arbres n'ont-ils pas
besoin d'être transplantés ? Et en effet, si nous n'avions pas
besoin de passer par ces diverses purifications, il n'y aurait qu'une
seule région ; et si nous n'avions pas besoin de ces diverses
contemplations, il n'y aurait qu'un seul climat. Quelle superbe économie
que celle de la sagesse de notre
Dieu ! Il laisse régner au-dehors,
sur son administration à notre égard, les
couleurs rigoureuses
de la justice, pour imprimer partout la terreur, et la crainte de sa
puissance ; mais il dirige secrètement toutes les voies de cette
administration vers notre utilité réelle, et vers notre
véritable avancement, afin que, si nous avons dû commencer par
le craindre, nous ne puissions nous empêcher de finir par l'aimer.
C'est même pour cela que les prophètes nous
sont si chers, parce que ce sont eux qui ont commencé les premiers
à nous dévoiler ces secrets divins de l'
amour de notre
principe qui, embrassant à la fois, et d'un seul coup, tous les
siècles, voit toujours le terme consolant de ses uvres,
tandis que nous, misérables mortels, nous n'en apercevons ici-bas
que les pénibles commencements.
Jacob, prévoyais-tu les consolations dont
serait comblée un
jour ta postérité, lorsque tu
descendais dans l'Égypte, et que tu pleurais sur la dureté
de l'ordre du roi qui y avait fait descendre avant toi tes
enfants ?
Ta douleur même t'avait fait oublier les promesses que l'Éternel
avait faites à Abraham, et que tu ne pouvais pas ignorer. Tu
ne t'occupais que de la rigueur de ton sort, et tu ne songeais pas que
d'après le serment de l'Eternel, ta postérité serait
mise un
jour en possession de la terre de Canaan, au milieu des prodiges,
et des merveilles qui manifesteraient les desseins glorieux que ce
Dieu
souverain avait sur son peuple, en le préparant par la servitude
de l'Egypte.
Et toi, Israël, lorsque tu fus envoyé à
Babylone, espérais-tu voir la réédification de
ton temple ? Et ne pris-tu pas même pour une dérision, et un
mensonge le conseil que
Dieu te faisait donner par ses prophètes,
de te livrer avec soumission entre les mains du roi d'Assyrie, tant
tu étais loin de te persuader que de
Dieu eût sur toi des desseins
bienfaisants et salutaires ? Enfin, peuple choisi, toi qui languis pour
la troisième fois dans la servitude, ne te rappelles-tu pas les
paroles de ton législateur,
oh, s'ils savaient par où
toutes ces choses finiront ! (
Deutéronome 32, 29), et ne
sens-tu pas que sans cette triple épreuve, tu n'aurais pas été
assez pur pour soutenir la majesté de ton
Dieu ?
Car c'est à toi particulièrement
qu'il est réservé de le voir dans sa gloire ; non pas
dans une gloire terrestre et humaine, comme l'
ignorance et la cupidité
ne cessent de t'en flatter, mais dans la gloire de l'
esprit, de la parole,
et de la puissance, puisque c'est par ces divins caractères que
tu l'as connu le premier parmi tous les peuples de la terre, et que
c'est une loi
irréfragable que les choses finissent par où
elles ont commencé.
D'ailleurs ce triomphateur que tu attends dans
son règne terrestre, n'a-t-il pas déjà paru au
milieu de toi dans sa gloire humaine ? Et n'était-ce pas toi
qui chantais
hozanna, hozanna, hozanna lorsqu'il entrait dans
Jérusalem ? N'est-ce pas toi qui jetais tes vêtements sous ses
pieds ? Et enfin ne t'a-t-il pas déclaré que son royaume
n'était pas de ce monde ?
Nouvel homme, nouvel homme, instruis-toi à
ces grands exemples. Soumets-toi humblement à toutes les servitudes
qu'il plaira au Seigneur de t'envoyer. Ne te livre point de toi-même
au mouvement ; tu serais comme
Moab, tu emporterais
ta lie avec
toi, et le mouvement ne te servirait de rien ; laisse agir sur toi cette
main vigilante, elle ne te fera jamais faire de mouvements qui te soient
nuisibles, et elle ne te fera réellement entrer dans les grandes
épreuves de l'
esprit, que quand elle t'aura donné le temps
de
déposer ta lie, parce qu'alors tu te sépareras de cette
lie sans retour, et que tu porteras la vie, la santé, et la bonne
odeur dans les vaisseaux où elle te versera.