Vous êtes ici : Livres, textes & documents | Le Sentier du Disciple | Karma Yoga (1/2)

Le Sentier du Disciple

Annie Besant
© France-Spiritualités™






PREMIERS PAS
Karma Yoga

FRÈRES. – Il y a deux ans, lorsque j'ai parlé pour la première fois dans cette salle, j'ai appelé votre attention sur l'édification du Kosmos en général, sur les phases par lesquelles a passé cette évolution et, en quelque sorte, sur les méthodes suivies au cours de cette vaste succession de phénomènes. L'année dernière, j'ai traité de l'évolution du Soi, du Soi humain plutôt que du Soi kosmique, et j'ai tâché de vous expliquer comment le Soi amassait de l'expérience en s'élevant d'enveloppe en enveloppe et arrivait à dominer absolument ses véhicules inférieurs. Pour l'homme comme pour l'univers, pour l'individu, comme pour le Kosmos, le but est le même : un effort constant pour se réunir au Soi, pour remonter à ce dont on émane. Cependant, on m'a parfois dit, dans des discussions sur ces sujets sublimes :

      « Quel rapport cela a-t-il avec la vie que les hommes mènent en ce monde, entourés comme ils le sont par les nécessités de la vie et par les activités du monde phénoménal, continuellement arrachés à la pensée du Soi, continuellement forcés par leur Karma à participer à ces activités de toutes natures ? Quel rapport a donc l'enseignement supérieur avec la vie des hommes et comment des hommes de ce monde peuvent-ils s'élever assez haut pour que la vie supérieure devienne possible pour eux aussi ? » C'est à cette question que je vais m'efforcer de répondre cette année.

      Je vais tâcher de vous expliquer comment un homme de ce monde, soumis à des obligations de famille, à des devoirs sociaux, aux multiples activités de la vie, peut cependant se préparer à l'union et faire les premiers pas sur la voie qui doit le mener à l'Un. Je vais tâcher de vous décrire les progrès à faire sur cette voie, en commençant par la vie que mène un homme quelconque, en partant de la situation où la plupart d'entre vous se trouvent en ce moment, de telle sorte que vous puissiez reconnaître qu'il y a un but à atteindre et une voie à parcourir – cette voie qui a son point de départ, ici-bas, dans la vie de la famille, de la communauté, de l'état, et son point d'arrivée dans un lointain qui défie toute pensée ; cette voie qui finit par conduire le voyageur dans la demeure qui sera à jamais la sienne. Voilà le but de ces quatre conférences ; voilà les échelons que vous voudrez bien, j'en suis sûre, gravir avec moi.

      Afin de bien nous pénétrer de notre sujet, examinons rapidement le cours de l'évolution, sa signification et son but, pour que ce coup d'œil, à vol d'oiseau, jeté sur l'ensemble, nous mette à même de l'apprécier et nous fasse comprendre l'opportunité de la marche en avant que nous allons effectuer pas à pas.

      Nous admettons que l'Unité soit devenue la multiplicité. Jetons un regard en arrière et considérons les ténèbres primordiales qui enveloppent tout ; nous entendrons comme un murmure jaillir de ces ténèbres : Je me multiplierai. Cette multiplication n'est autre chose que la construction de l'univers et des individus qui y vivent. Dans cette volonté de se multiplier, exprimée par « l'Un qui n'a pas de second », nous voyons la source de toute manifestation, nous reconnaissons, en quelque sorte, le germe primordial du Kosmos.

      Et lorsque nous avons compris de quelle façon a commencé l'Univers, que nous nous rendons compte de la complexité et de la multiplicité qui naissent de la simplicité et de l'unité primordiales, nous comprenons également que chacune de ces manifestations phénoménales doit être entachée d'imperfection et que le fait même qu'un phénomène ne soit possible qu'à la condition d'être limité est la preuve irréfutable qu'il est inférieur à l'Un et, par conséquent, imparfait. Cela nous donne le pourquoi de la variété, de la vaste multiplicité des choses et des êtres vivants. Nous commençons alors à comprendre que la perfection de l'univers manifesté réside dans cette variété même ; que là où il y a plus que l'Un, il faut cette multiplicité infinie, afin que l'Un, qui est comme un puissant soleil projetant ses radieux rayons dans toutes les directions, puisse en projeter partout, et que c'est dans la totalité de ces rayons que résident la perfection et l'illumination du monde. Plus les objets seront nombreux, remarquables et variés, plus sera fidèle, quoique toujours imparfaite, cette réflexion, par l'univers, de l'Un d'où il émane.

      Le premier effort de l'évolution vitale doit être de produire de nombreuses existences distinctes – distinctes en apparence, du moins – de façon que, vues de l'extérieur, elles nous paraissent nombreuses, tandis qu'en les considérant dans leur essence, nous voyons que le Soi de toutes est Un. Lorsque nous nous sommes rendu compte de cela, nous comprenons qu'au cours de ces multiples individualisations, l'individu entre en manifestation comme un reflet pâle et incomplet du Soi. Nous commençons aussi à comprendre à quoi doit aboutir cet univers, pourquoi l'évolution de ces nombreux individus est nécessaire, pourquoi cette séparativité joue un rôle indispensable dans l'évolution de l'ensemble.

      Nous reconnaissons, en effet, que cet univers doit avoir pour but d'évoluer le Logos d'un autre univers, les puissants Dévas qui devront servir de guides à toutes les forces Cosmiques de cet univers et les divins Maîtres qui auront pour devoir d'instruire l'humanité naissante d'un autre Kosmos. Tous ces mondes peuplés d'existences individuelles sont entraînés aujourd'hui dans un courant d'évolution ferme et constant, grâce auquel chaque univers est à même de fournir à un futur univers son Logos, ses Dévas, les premiers de ses Manous (1) et toutes les puissantes entités qui seront indispensables pour édifier, former, gouverner et instruire cet univers qui n'est pas encore né.

      C'est ainsi que les univers sont enchaînés les uns aux autres, que les Manvantaras se suivent, que la récolte d'un univers sert de semence à l'univers qui lui succède. Au milieu de toute cette multiplicité, évolue une unité encore plus vaste, qui servira de charpente au Kosmos à naître, qui sera la Puissance directrice et gouvernante du futur Kosmos.

      A ce moment, une question se pose – je sais qu'elle préoccupe bien des cerveaux, car elle m'a été posée maintes et maintes fois, tant en Orient qu'en Occident – pourquoi l'évolution est-elle entourée de tant de difficultés, pourquoi la mise en œuvre laisse-t-elle voir la trace de tant d'insuccès apparents, pourquoi les hommes se conduisent-ils si souvent mal avant de se bien conduire, pourquoi poursuivent-ils le mal qui les dégrade, au lieu de s'attacher au bien qui les ennoblirait ? N'était-il pas possible au Logos de notre univers, aux Dévas, qui sont ses agents, aux grands Manous qui sont venus guider les premiers pas de notre humanité, ne leur était-il pas possible de faire en sorte que la mise en œuvre ne présentât aucune apparence d'insuccès ? Ne leur était-il pas possible de diriger le monde de manière à ce que la voie fût droite et directe, au lieu d'être si tortueuse et si indirecte ?

      Nous sommes arrivés au moment où l'évolution de l'humanité devient très difficile, étant donné le but qui doit être atteint.

      Il eût été facile, en effet, de façonner une humanité qui eût pu être parfaite ; facile de donner à ses pouvoirs naissants une direction qui les eût fait marcher sans cesse vers ce que nous appelons le bien, sans jamais se détourner pour aller vers ce que nous appelons le mal. Mais quelle eût été la caractéristique d'une œuvre aussi facile ? C'eût été, assurément, de faire de l'homme un automate, mis en mouvement par une force extérieure qui lui aurait impérieusement imposé une loi qu'il eût été dans l'obligation de subir, à laquelle il lui eût été impossible d'échapper. Le monde minéral est soumis à une loi de ce genre ; les affinités qui relient les atomes entre eux obéissent à cette impérieuse impulsion. Mais au fur et à mesure que nous nous élevons, nous voyons se développer graduellement une liberté de plus en plus grande, jusqu'à ce que nous trouvions chez l'homme une énergie spontanée, une liberté de choix qui n'est autre chose que l'aurore de la manifestation de la Divinité, du Soi, qui commence à transparaître dans l'être humain. Or, le but à atteindre, le réel objectif, n'était pas de construire des automates destinés à suivre aveuglément une voie tracée pour eux, mais d'édifier une réflexion du Logos lui-même, de constituer un puissant groupe d'hommes, éclairés et accomplis, susceptibles de préférer le bien parce qu'ils le connaissent et le comprennent, et de repousser le mal, après avoir appris à connaître, par expérience, son impuissance et les douleurs auxquelles il conduit. En sorte que, parmi les grands êtres qui dirigeront l'univers futur, comme parmi tous ceux qui dirigent l'univers actuel, il y ait une unité conquise par un concours de volontés fondues en une seule, grâce au savoir et au libre arbitre, mues par un même désir parce qu'elles savent tout, identifiées avec la Loi parce qu'elles ont appris que la Loi est juste ; ayant voulu s'unifier avec la Loi, non sous l'impulsion d'une force extérieure, mais par suite d'un libre assentiment interne. Dans cet univers futur, la Loi sera Une, comme elle l'est dans l'univers actuel, et sera exécutée grâce au concours de Ceux qui en sont la personnification, à cause de l'unité de leurs vues, de l'unité de leur savoir, de l'unité de leur puissance : cette loi ne sera point aveugle et inconsciente elle sera le résultat de la volonté d'un groupe d'êtres vivants qui sont la Loi, parce qu'ils sont devenus divins.

      Il n'y a pas d'autre voie, permettant d'atteindre un tel but, permettant au libre arbitre du plus grand nombre de s'identifier avec l'unique et grande Nature, avec l'unique et grande Loi : il n'y a pas d'autre voie, dis-je, en dehors de la loi au cours de laquelle l'expérience s'acquiert, au cours de laquelle on arrive à connaître le mal tout autant que le bien, l'insuccès tout autant que le triomphe. Les hommes deviennent alors des Dieux, et, grâce à l'expérience qu'ils ont acquise, ils veulent, ils peuvent, ils ressentent tous de la même façon.

      Dans leurs efforts pour atteindre le but, les divins Maîtres et guides de notre humanité ont jeté les bases de bien des civilisations, constituées toutes en vue du but à atteindre. Le temps me manque pour remonter à la haute civilisation de la quatrième Race qui précéda la naissance du puissant peuple Aryen. Je me bornerai à dire, en passant, qu'une haute civilisation fut mise à l'essai et donna, pendant un certain temps de bons résultats sous la direction de ses divers Gouvernants ; ceux-ci, alors, supprimèrent leur direction immédiate – comme fait une mère qui cesse de soutenir son enfant, lorsque celui-ci apprend à marcher, afin de voir s'il est capable de faire des pas, de se servir de ses membres, sans le secours de son bras. Pour la même raison, ils rentrèrent dans l'ombre – les divins Guides et Gouvernants – pour voir si l'humanité naissante marcherait ou tomberait en faisant ses premiers pas. Et cette jeune humanité trébucha, tomba et la haute civilisation – puissante, et parfaite dans ses institutions sociales, glorieuse par la force et le savoir qui avaient présidé à sa formation – succomba sous le poids de l'égoïsme humain, sous le poids des instincts inférieurs de l'humanité qui n'avaient pas encore été dominés. Il fallait faire une nouvelle tentative et la grande race Aryenne fut fondée – toujours avec de divins Gouvernants, toujours avec de divins Guides ; avec un Manou qui lui donna ses lois, fonda sa civilisation, esquissa sa constitution ; avec les Rishis qui se groupèrent autour de Lui, qui assurèrent l'exécution de ses lois et guidèrent la jeune civilisation ; de la sorte un exemple fut de nouveau donné à l'humanité, le modèle vers lequel elle devait évoluer fut de nouveau montré à la race. Puis les grands Instructeurs se retirèrent encore pour quelque temps, afin de permettre à l'humanité d'essayer ses forces, de s'assurer si elle était capable de marcher seule, en ne comptant que sur elle-même, dirigée par le Soi interne et non plus par des manifestations extérieures. Cette fois encore, comme nous le savons, la tentative aboutit à un insuccès complet. Cette fois encore, ainsi que nous pouvons nous en assurer en jetant un coup d'œil en arrière, nous voyons cette civilisation d'origine divine dégénérer graduellement sous le poids des instincts inférieurs que l'homme n'avait pas encore appris à dominer s'affaisser momentanément sous la pression des passions indomptées de l'humanité.

      En nous reportant, comme nous le faisons, à l'Inde de jadis, nous voyons sa constitution parfaite, sa merveilleuse spiritualité et nous suivons de l'œil sa dégradation de siècle en siècle au fur et à mesure que la main dirigeante se retire au delà de la portée visuelle de l'homme. Nous constatons que, dans chaque cas, la tentative de réalisation de l'idéal divin a abouti à un échec.

      Nous jetons un coup d'œil sur le monde moderne et nous voyons jusqu'à quel point la nature inférieure de l'homme a triomphé de l'idéal divin qui lui avait été donné comme modèle à l'origine de la race Aryenne.

      Nous voyons qu'à cette époque il y avait l'idéal du Brahmane, un idéal que l'on peut décrire comme étant celui de l'âme approchant de la libération, ne réclamant plus rien des biens de la terre, n'aspirant plus aux plaisirs de la chair, ni à aucun des dons de la richesse, du pouvoir, de l'autorité, des joies terrestres ; la caractéristique du Brahmane était d'être pauvre et éclairé, tandis que nous ne trouvons que trop souvent aujourd'hui, chez l'homme qui porte le nom de Brahmane, richesse et ignorance, au lieu de pauvreté et sagesse. Là, dans cette caste, vous trouvez une des preuves de la dégénérescence par suite de laquelle l'ancienne constitution est tombée, et il en est de même dans chacune des quatre castes.

      Voyons maintenant comment les Instructeurs se proposèrent d'amener les hommes à préférer librement et volontairement l'idéal qui leur avait été proposé et dont ils s'étaient détournés ; comment les grands Instructeurs s'appliquèrent à diriger l'évolution de l'humanité si imparfaite vers le parfait idéal qui avait été manifesté au début, pour servir d'exemple à la race, et que l'évolution n'avait pu atteindre à cause de la faiblesse et de la puérilité des hommes.

      Afin que ce résultat pût être atteint au cours des siècles, ce que l'on appelle la Karma-Yoga fut enseigné aux hommes – la Yoga, ou l'union (2) par l'action. C'est la forme de Yoga qui convient aux hommes du monde, assaillis par les activités de la vie ; c'est grâce à ces activités mêmes, grâce à l'entraînement qu'elles procurent, que l'on doit arriver à faire les premiers pas conduisant à l' « union ». Et c'est pourquoi la Karma-Yoga a été établie pour l'entraînement des hommes.

      Remarquez la juxtaposition des mots « action » et « union » : action exécutée de façon à avoir l'illusion pour résultat, action dirigée de manière à produire l'union. Il faut se souvenir que ce sont nos activités qui nous divisent, nos actions qui nous séparent, que c'est cette multiple et changeante activité qui nous entraîne et nous maintient isolés. Cela semble donc paradoxal que de parler d'union par l'action, d'union au moyen de ce qui a toujours été une cause de division ; d'union grâce à ce qui a amené la séparation. Mais la sagesse des divins Maîtres était à la hauteur de la tâche qui leur incombait, la tâche de concilier, d'expliquer ce paradoxe apparent. Suivons attentivement l'explication et voyons de quoi il s'agit.

      L'homme court effaré dans toutes les directions sous l'influence des trois énergies de la nature, les gounas. L'Ego renfermé dans le corps se trouve dominé par ces gounas. Elles travaillent, elles sont actives, elles constituent l'univers manifesté et il s'identifie lui-même avec ces activités. Il croit agir, alors que ce sont elles qui agissent ; il croit être occupé, alors que ce sont elles qui produisent des résultats. Vivant au milieu d'elles, aveuglé par elles, soumis aux illusions qu'elles créent, il perd entièrement la connaissance de lui-même et il est tiraillé de-ci de-là ; poussé par-ci par-là, emporté par des courants, en sorte que l'activité des gounas est tout ce que l'homme voit dans la vie. Evidemment, dans ces conditions, il n'est pas apte à pratiquer les formes supérieures de la Yoga ; évidemment, tant que ces illusions ne sont pas dissipées, au moins en partie, les degrés les plus élevés de la « Voie » seront au delà de son atteinte. Il doit donc commencer par comprendre les gounas ; par se séparer de ces activités du monde phénoménal. Et les Ecritures de cette Yoga – car nous pouvons nous servir de ce mot – les Ecritures de cette Karma-Yoga, c'est ce qui a été proclamé par Shrî Krishna sur le champ de bataille de Kouroukshetra, lorsqu'il enseignait cette forme de la Yoga à Arjouna, le prince, le guerrier, l'homme appelé à vivre dans le monde, à combattre dans le monde, à gouverner l'Etat et à prendre sa part de toutes les activités extérieures ; c'est là que se trouve l'éternelle leçon pour les hommes qui vivent en ce monde, leçon qui leur enseigne comment ils peuvent s'élever graduellement au-dessus des gounas et arriver ainsi à l'union avec le Suprême.

      Cette Karma-Yoga consistera donc, d'abord, dans l'assouplissement et la réglementation de ces activités. Il y a, comme vous le savez, trois gounas, Sattva, Rajas et Tamas, les trois gounas par lesquelles tout ce qui nous entoure a été édifié, combiné et mélangé de mille manières. L'une agit ici, l'autre travaille dans toutes les directions. Il faut leur imposer un équilibre, il faut les soumettre. L'Ego incarné, le possesseur du corps, doit devenir maître souverain et établir une distinction entre lui et les gounas. Ce qu'il faut donc faire, c'est de s'expliquer leurs fonctions, de contrôler, et de diriger leurs activités. Vous ne pouvez pas vous élever d'un seul coup au-dessus d'elles, ou les contrecarrer – pas plus qu'un enfant ne peut exécuter le travail qu'un homme fait. L'humanité peut-elle, dans son état d'imparfaite évolution, atteindre à la perfection de la Yoga ? Non, et ce ne serait pas même sage de la part de l'homme que de l'essayer ; en effet, si l'on imposait à l'enfant le travail d'un adulte, non seulement il ne réussirait pas à en venir à bout, mais il outrepasserait la limite de ses forces dans cette tentative, et cela aurait pour résultat un insuccès, aussi bien dans l'avenir que dans le présent, car cette tâche trop lourde pour ses forces les diminuerait et les altérerait. Il faut que les hommes exercent leurs forces avant de pouvoir réussir, comme il faut que l'enfant atteigne l'âge d'homme avant d'être apte à un travail viril. Examinons pour un moment la fonction de Tamas – que l'on traduit par obscurité, paresse, inertie, négligence, etc. Quelle fonction cette gouna peut-elle remplir, si l'on en fait usage pour aider à l'évolution humaine ? De quelle utilité cette gouna peut-elle être, au point de vue du développement de l'homme et de la libération de l'âme ? Dans la Karma-Yoga, cette gouna n'est utilisée que comme une puissance contre laquelle on doit lutter, que l'on doit vaincre, afin de développer les forces dans cette lutte, de développer la puissance de la volonté dans cet effort, de conquérir dans cette tentative le contrôle et la discipline de soi-même. On peut dire que cette gouna est utile à l'évolution de l'homme, au même titre que le sont les massues et les haltères aux exercices de l'athlète. Celui-ci ne pourrait pas fortifier ses muscles, s'il n'avait pas quelque chose pour les exercer. Il n'arriverait pas à la vigueur musculaire, si ses muscles ne se durcissaient pas dans les efforts qu'il leur impose pour soulever des poids. Ce n'est pas le poids lui-même qui est important, mais l'usage que l'on en fait, et si un homme veut que ses muscles physiques, les muscles de ses bras par exemple, deviennent très puissants, le mieux qu'il puisse faire c'est de prendre une massue ou des haltères et de s'exercer journellement contre cette force de résistance. C'est de cette façon que Tamas, c'est-à-dire la négligence ou l'obscurité, joue son rôle dans l'évolution de l'homme ; celui-ci doit vaincre cette gouna et développer ses forces dans la lutte, les muscles de l'âme gagnent en puissance à mesure qu'il se rend maître de la négligence, de la paresse, de l'indifférence, c'est-à-dire des qualités tamasiques inhérentes à sa nature.

      Vous reconnaîtrez que les rites et les cérémonies de la religion ont été prescrits pour dominer ces qualités tamasiques, leur but étant, du moins en partie, d'exercer l'homme à vaincre la lenteur, la paresse et l'indolence de sa nature inférieure et de le mettre, en présence de certains devoirs à remplir à un moment donné – qu'il soit à ce moment désireux, ou non, de les remplir, qu'il se sente à ce moment actif ou paresseux – de le mettre, dis-je, en présence de devoirs à remplir à un moment donné, c'est-à-dire de l'exercer à surmonter la lenteur, la légèreté et l'opiniâtreté de sa nature inférieure et de l'obliger à suivre la voie que l'on a voulu lui tracer.

      Il en est de même si nous prenons Rajas. Vous verrez que les activités de l'homme sont dirigées dans la Karma-Yoga, suivant certaines voies définies que je me propose de suivre avec vous, de façon à ce que vous puissiez comprendre comment ces activités, si constamment mises en œuvre dans le monde moderne, qui se manifestent dans toutes les directions, qui mènent à la hâte, au mouvement et à l'effort constant, en vue d'obtenir des succès dans la vie inférieure, d'obtenir des manifestations, des résultats, des phénomènes matériels, comment ces activités sont graduellement dirigées, exercées, purifiées, jusqu'à ce qu'elles ne puissent plus gêner la réelle manifestation du Soi.

      Le but de la Karma-Yoga est de substituer le devoir à la jouissance personnelle ; l'homme agit pour satisfaire ses instincts inférieurs ; il agit parce qu'il veut obtenir quelque chose ; il agit pour le gain, pour une chose qu'il désire, pour obtenir une récompense. Il travaille parce qu'il veut de l'argent afin de pouvoir se procurer des jouissances. Il travaille parce qu'il aspire au pouvoir, qui donnera satisfaction à son soi inférieur. Toutes ces activités, toutes ces qualités « rajasiques », sont mises en mouvement pour aider ses instincts inférieurs. Afin de discipliner et de régulariser ces activités, afin de les utiliser pour les desseins du Soi supérieur, il faut amener l'homme à substituer le devoir à la jouissance personnelle, à travailler parce que le travail est un de ses devoirs, à tourner la roue de la vie parce que c'est son emploi et afin de pouvoir faire ce que Shrî Krishna a déclaré faire par Lui-même. Il n'agit pas parce qu'il y a quelque chose à gagner pour Lui dans ce monde ou dans un autre, mais parce que sans Son action le monde prendrait fin, parce que sans Son action la roue ne tournerait plus. Et ceux qui accomplissent la Yoga doivent agir dans le même esprit que Lui, agir pour le tout et non pour la partie, agir pour l'accomplissement de la Volonté divine dans le Kosmos et non pour le plaisir d'une entité distincte qui se croit indépendante alors qu'elle devrait travailler sous Ses ordres. On atteindra ce but en haussant graduellement la sphère de ses activités. Le devoir doit être substitué à la jouissance personnelle et les rites religieux, ainsi que les cérémonies, sont prescrits pour amener graduellement les hommes à la vraie vie qui doit être la leur. Toutes les cérémonies religieuses ne sont qu'un moyen d'amener l'homme à la vraie vie, à la vie supérieure. Un homme commence par méditer le matin de bonne heure et au coucher du soleil, mais, à la fin, sa vie ne sera qu'une longue méditation. Il médite durant une heure, pour se préparer à méditer toujours. Toutes les activités créatrices sont le résultat de la méditation, et vous n'oublierez pas que c'est par les Tapas (3), que tous les mondes sont créés. Afin que l'homme puisse atteindre à cette grande puissance créatrice de la méditation, afin qu'il puisse devenir capable d'exercer cette puissance divine, il doit s'y être exercé par les cérémonies religieuses, par la méditation intermittente, par les Tapas pris et quittés. La méditation prescrite est le premier pas vers la méditation constante ; elle prélève une portion de la vie journalière, dans le but de finir par l'imprégner toute, et les hommes la pratiquent journellement afin qu'elle puisse absorber graduellement la vie tout entière.

      Il arrive un moment où le Yogui n'a plus d'heures fixes pour méditer, car sa vie n'est plus qu'une longue méditation. Quelle que soit l'occupation extérieure à laquelle il se livre, il médite et il est toujours aux pieds du Maître, même si le cerveau et le corps sont actifs dans le monde des hommes. Il en est de même de tous les autres genres d'action ; l'homme apprend d'abord à accomplir une action comme un sacrifice au devoir, comme le paiement de sa dette envers le monde dans lequel il vit ; comme le remboursement, aux différentes parties de la Nature, de ce qu'elles lui fournissent. Puis, plus tard, le sacrifice devient plus que le paiement d'une dette ; il devient le joyeux don de tout ce que l'homme peut donner. Le sacrifice partiel, c'est la dette qui est payée, le sacrifice parfait, c'est le don du tout. Un homme se donne, avec toutes ses activités, avec tous ses pouvoirs, ne se contentant plus de verser une partie de ce qu'il possède, comme on paie une dette, mais versant tout ce qu'il possède, comme on fait une largesse. Quand on en est arrivé là, la Yoga est accomplie et la leçon de la Karma-Yoga est apprise.


________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
(1)  De hauts esprits planétaires, des humains arrivés à un adeptat très élevé qui guident l'évolution des Races et des Rondes. (N. D. T.)

(2)  L'union avec la Loi divine, avec le Soi humain et le Soi cosmique. (N. D. T.)

(3)  Tapas ou méditation religieuse. (N. D. T.)




Site et boutique déposés auprès de Copyrightfrance.com - Toute reproduction interdite
© 2000-2024  LB
Tous droits réservés - Reproduction intégrale ou partielle interdite

Taille des
caractères

Interlignes

Cambria


Mot de passe oublié
Créer un compte LIVRES, TEXTES
& DOCUMENTS