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Le Sentier du Disciple

Annie Besant
© France-Spiritualités™






PREMIERS PAS
Karma Yoga (2/2)

Considérez comme un pas vers ce but les cinq sacrifices journaliers, dont les noms, au moins, vous sont familiers à tous et rendez-vous compte du pourquoi de chacun d'eux. Chacun des cinq est le paiement d'une dette, la reconnaissance de ce dont l'homme, pris individuellement, est débiteur envers le tout au milieu duquel il vit. Et si vous les détaillez un instant séparément, si rapidement que ce soit, vous verrez à quel point chacun d'eux est réellement le paiement d'une dette.

      Prenons le premier : le sacrifice aux Dévas. Pourquoi ce sacrifice est-il prescrit ? C'est parce que l'homme doit apprendre qu'il est le débiteur de la terre et des intelligences qui dirigent les fonctions de la nature, grâce auxquelles la terre porte des fruits et fournit à l'homme sa nourriture. L'homme prélevant de quoi nourrir son corps, celui-ci doit, pour s'acquitter, restituer à la Nature un équivalent de ce qui lui a été fourni, grâce à la coopération de ces Intelligences Cosmiques, de ces Dévas, qui dirigent les forces du monde inférieur. On a appris à l'homme qu'il devait répandre son sacrifice dans le feu. Pourquoi ? La réponse qui a été faite, en guise d'explication, était celle-ci : « Agni est la bouche des dieux » et les gens répètent cette phrase sans chercher à en comprendre la signification, sans chercher à aller au-delà du nom du Déva, afin d'arriver à sa fonction dans le monde. La vraie signification de la phrase est que partout autour de nous se trouvent les artisans conscients et subconscients de la Nature, groupés par hiérarchies, avec un grand Déva cosmique à la tête de ce que l'on pourrait appeler chaque division de cette vaste armée ; en sorte qu'au-dessous du Déva qui gouverne le feu, l'air, l'eau et la terre, se trouvent un grand nombre de dieux inférieurs, chargés de mettre en œuvre les différentes sortes d'activités des forces naturelles du monde, comme la pluie, les facultés productrices de la terre, les influences fertilisantes de diverses sortes. Or, le sacrifice dont nous parlons a pour but de nourrir ces agents inférieurs, de leur fournir des aliments par le feu ; et le feu est appelé « la bouche des dieux » parce qu'il produit la désagrégation, parce qu'il change et transforme les solides et les liquides qui y sont jetés, les fait passer à l'état de vapeur, les désagrège en matières moins denses et les transforme ainsi en matière éthérique, pour devenir, sous cette forme, la nourriture des élémentals inférieurs qui exécutent les ordres du Déva kosmique. C'est ainsi qu'un homme leur paie sa dette et, en retour, la pluie tombe dans les régions inférieures de l'atmosphère, la terre produit et l'homme reçoit sa nourriture. C'est ce que voulait dire Shrî Krishna, lorsqu'il disait à l'homme : « Nourris les dieux et les dieux te nourriront ». C'est cette sorte de cycle inférieur d'alimentation, que l'homme doit apprendre à connaître. Au début, il regardait cela comme un enseignement religieux, puis vint le moment où cela ne lui sembla être qu'une superstition, dans son ignorance des motifs réels, car il ne voyait que le côté extérieur. Une connaissance plus approfondie vient ensuite, lorsque la science, qui commence par tendre vers le matérialisme, s'élève, par une étude plus approfondie, jusqu'à la connaissance du royaume spirituel. La science commence à dire, en termes scientifiques, ce que les Rishis ont dit en termes mystiques, c'est-à-dire que l'homme a le pouvoir de diriger et de régulariser, par ses propres actes, l'action des forces inférieures de la Nature et, de cette façon, la science grandissante donne raison aux enseignements du passé, démontre à l'intelligence ce que l'homme spirituel voit par intuition directe, par la vision spirituelle.

      Nous avons ensuite le Sacrifice aux ancêtres ; la reconnaissance de ce que l'homme doit à ceux qui l'ont précédé, dans le monde ; le paiement de sa dette envers ceux qui ont travaillé dans le monde avant qu'il n'y vienne, la gratitude et la vénération auxquelles ont droit ceux qui ont, en partie, fait le monde pour nous et y ont introduit des améliorations dont nous devions hériter. Ce service est une dette de reconnaissance due à ceux qui nous ont immédiatement précédé dans l'évolution humaine, qui en ont pris leur part durant leurs vies terrestres et qui nous ont légué le résultat de leurs travaux. Puisque nous recueillons le fruit de leurs travaux, nous nous acquittons en leur témoignant de la reconnaissance. C'est pourquoi l'un des sacrifices journaliers est la reconnaissance de la dette de gratitude que nous devons à ceux qui sont partis avant nous.

      Ensuite vient, naturellement, le Sacrifice du savoir, de l'étude, afin que par l'étude des écrits sacrés les hommes deviennent capables d'aider et de former ceux qui sont plus ignorants qu'eux et puissent aussi évoluer en eux-mêmes le savoir indispensable pour rendre possible la manifestation du Soi inférieur.

      Quatrièmement le Sacrifice aux hommes, le fait de s'acquitter envers un homme de ses devoirs envers l'humanité, le fait de nourrir un homme pour proclamer que les hommes se doivent mutuellement toutes sortes de services amicaux dans le monde physique, se doivent toute l'assistance qu'un frère peut donner à son frère. Le sacrifice aux hommes est la reconnaissance formelle de ce devoir et, en nourrissant ceux qui ont faim, en donnant l'hospitalité à ceux qui en ont besoin, bien, qu'en fait, vous ne nourrissiez qu'un homme au point de vue idéal et en raison de votre intention, c'est l'humanité entière que vous nourrissez. Lorsque vous offrez l'hospitalité à un homme qui passe devant votre porte, vous ouvrez la porte de votre cœur à l'humanité considérée comme une grande entité ; en aidant et en abritant un individu, c'est à l'humanité, en général, que vous offrez aide et abri.

      Il en est de même du dernier des cinq sacrifices, celui fait aux animaux. Le chef de la famille doit placer des aliments sur le sol, afin que tout animal qui passe puisse en prendre. C'est là votre devoir envers le monde inférieur, car vous lui devez aide, nourriture et éducation. Le sacrifice aux animaux a pour but de graver dans notre mémoire que nous sommes ici-bas pour former, diriger et aider les créatures inférieures, c'est-à-dire tout ce qui est au-dessous de nous sur l'échelle de l'évolution. Chaque fois que nous nous rendons coupables de cruauté, de rudesse et de brutalité envers les animaux, nous pêchons, en réalité, contre Celui qui réside en eux et dont ils sont, eux aussi, les manifestations inférieures. Et c'est afin que l'homme apprenne à discerner ce qu'il y a de bon dans la bête, afin qu'il puisse comprendre que Shrî Krishna réside dans les animaux inférieurs, bien qu'il y réside sous une forme plus voilée que dans l'homme, c'est pour cela, dis-je, que l'homme a été invité à sacrifier aux animaux, non pas à leurs formes extérieures, mais au Dieu qui s'y trouve caché. Le seul moyen que nous ayons de sacrifier aux animaux, c'est de les traiter avec bonté, douceur et compassion, c'est de les former, d'aider leur évolution, au lieu de les repousser avec la brutalité et la cruauté dont nous voyons tant d'exemples autour de nous.

      C'est ainsi que l'homme a appris, grâce à ces rites et à ces cérémonies extérieures, les vérités spirituelles dont sa vie devait être imprégnée. Et après avoir accompli les cinq sacrifices, il devait aller dans le monde des hommes pour sacrifier encore par des actes d'un autre genre, pour sacrifier en s'acquittant de ses devoirs quotidiens. Et sa journée, qui avait commencé par ces cinq sacrifices, s'écoulait, sanctifiée, dans la vie extérieure des hommes. L'insouciance du devoir, dans cette vie extérieure du monde, a grandi simultanément avec la graduelle insouciance pour ces cinq sacrifices. Non que ces sacrifices soient, par eux-mêmes, à jamais nécessaires, car il arrive un moment où l'homme s'élève au-dessus d'eux, mais souvenez-vous de ceci : il ne s'élève au-dessus d'eux que lorsque sa vie tout entière est devenue un long sacrifice. Jusqu'à ce moment, cette reconnaissance formelle de ses devoirs est nécessaire afin qu'il puisse rendre sa vie plus élevée. Et malheureusement, dans l'Inde d'aujourd'hui, on attache bien peu d'importance à ces sacrifices, non parce que les hommes se sont élevés au-dessus d'eux, ni parce que leurs vies sont assez pures, spirituelles et élevées pour qu'ils n'aient plus besoin de l'éducation inférieure et du rappel constant à la mémoire, mais parce qu'ils sont devenus insouciants et matérialistes et sont tombés bien au-dessous de l'idéal de leur Manou. Ils refusent de reconnaître ce qu'ils doivent aux Forces qui sont au-dessus d'eux et, par suite, ils n'accomplissent pas leur devoir envers les hommes qui les entourent.

      Examinons maintenant la vie extérieure journalière, – le devoir qui incombe à l'individu dans le monde. Quel qu'il soit, il est né dans une famille distincte ; ce fait crée ses devoirs de famille. Il appartient à un groupe de la société ; cela détermine ses devoirs sociaux. Il fait partie d'une nation ; cela lui impose des devoirs nationaux. La limite des devoirs de chaque homme est déterminée par le milieu dans lequel il est né, milieu qui, grâce à la bonne Loi, grâce à l'impulsion karmique, constitue pour chaque homme un champ de labeur, le terrain d'exercice sur lequel il doit s'instruire. C'est pourquoi il est dit que chaque homme doit accomplir son propre devoir, son propre Dharma (4). Il est préférable de s'acquitter de son propre devoir, fût-ce d'une façon imparfaite, que de chercher à accomplir le Dharma supérieur d'un autre, parce que celui qui vous est imposé par votre naissance est précisément celui dont vous avez besoin et constitue votre meilleur champ d'exercice.

      Faites votre devoir sans vous préoccuper des résultats et vous apprendrez la leçon de la vie, vous entrerez dans la voie de la Yoga. Au début, chaque action sera naturellement accomplie en vue de ces résultats ; les hommes agiront parce qu'ils voudront mériter une récompense. Cela vous explique les premiers enseignements qu'ils ont reçus, lorsqu'on leur apprenait à agir en vue des résultats à obtenir dans le monde de Svarga (5). Le développement de l'homme-enfant était obtenu au moyen de la récompense promise au mérite ; on lui montrait Svarga comme un but à atteindre par le travail ; en s'acquittant de ses devoirs religieux, il s'assurait la récompense dévakhanique. Et c'est ainsi qu'il était amené à pratiquer la morale, exactement comme vous amenez un enfant à apprendre ses leçons, en lui promettant une récompense ou un prix. Mais si l'action à accomplir doit avoir pour but la Yoga et non l'obtention d'une récompense, il faut qu'elle soit accomplie uniquement parce qu'elle constitue un devoir.

      Etudiez pour un instant les quatre grandes castes et rendez-vous compte du but que l'on se proposait en les constituant. Le Brahmane avait pour devoir d'instruire, afin qu'il y eût toujours des maîtres éclairés pour guider l'évolution de la race. Il ne devait pas s'instruire pour gagner de l'argent, pour s'assurer le pouvoir, pour obtenir quoi que ce fût pour lui-même ; il devait s'instruire pour s'acquitter de son Dharma et il devait posséder le savoir, afin d'être apte à le transmettre aux autres. De cette façon, une nation bien constituée devait toujours avoir des maîtres pour enseigner, des maîtres aptes à diriger, à donner des conseils désintéressés, sans jamais poursuivre un but égoïste ; de cette façon, le maître ne devait rien gagner pour lui-même, mais tout gagner pour le peuple et, en faisant cela, il s'acquittait de son Dharma et obtenait la libération de l'âme.

      Ensuite, venait le genre de Yoga destiné à l'homme plein d'activité, appelé à gouverner et à maintenir le bon ordre, le genre de Yoga destiné à l'éducation de la classe dominante ; celle des Kshattriya. Le Kshattriya devait gouverner ! Pourquoi ? Non pas pour satisfaire sa soif de pouvoir, mais afin que justice fût faite, afin que le pauvre se sentît en sécurité et que le riche ne pût exercer de tyrannie, afin de faire prévaloir la loyauté et une impartiale justice dans ce monde de luttes constantes entre les hommes. Et cela, parce qu'au milieu même de ce monde de luttes, de colères et de contestations, de ce monde où les hommes cherchaient à satisfaire leur esprit d'égoïsme, au lieu de poursuivre l'intérêt commun, il fallait leur enseigner que justice devait être faite, que si l'homme robuste abusait de ses forces, l'autorité impartiale réprimerait ce déloyal abus ; que le faible ne devait être ni foulé aux pieds, ni opprimé. Et le devoir du roi était de distribuer la justice parmi les hommes, afin que ceux-ci pussent considérer le trône comme la source de la justice divine. Tel est l'idéal de la royauté divine, tel est l'idéal du divin Maître. Rama vint pour l'enseigner, Shrî Krishna vint pour l'enseigner, mais les hommes étaient si bornés qu'ils ne voulurent pas apprendre cette leçon. Le Kshattriya employait sa puissance à satisfaire ses propres désirs et à opprimer les autres ; il s'appropriait leurs biens et les forçait à travailler pour lui. Il perdit de vue l'idéal du divin Maître, idéal qui était l'incarnation de la justice dans ce monde de luttes entre les hommes. Mais sa seule raison d'être était de faire de la réalisation de cet idéal le but de toute sa vie, et son devoir, par conséquent, était d'administrer la contrée, de l'administrer dans l'intérêt de la nation et non dans son propre intérêt. Il en était de même, lorsqu'il était appelé à remplir son devoir de soldat. Le peuple devait pouvoir vaquer en paix à ses travaux. Les gens pauvres et inoffensifs devaient pouvoir vivre en sécurité, entourés de leurs familles heureuses et prospères. Le commerçant devait pouvoir s'occuper tranquillement de son commerce. Toutes les occupations de ce monde devaient pouvoir s'accomplir sans crainte, à l'abri de toute agression. Aussi enseignait-on au Kshattriya, que lorsqu'il avait à combattre, c'était en qualité de défenseur des faibles ; que s'il donnait librement sa vie, c'était afin que ceux-ci pussent jouir en paix de la leur. Il ne devait pas combattre par désir du gain, ni combattre pour acquérir des territoires. Il ne devait pas combattre par amour du pouvoir ou de la souveraineté. Sa fonction était de constituer une sorte de mur d'airain autour de la nation, afin que toute attaque vînt se briser contre son corps et que, dans l'intérieur du cercle qu'il avait tracé, les hommes pussent vivre heureux, dans la paix et la sécurité. Pour pratiquer la Yoga, tout en remplissant son devoir de Kshattriya, il devait se considérer comme l'agent du divin Auteur, et c'est pour cela que Shrî Krishna a enseigné qu'Il avait fait tout cela, et qu'Arjouna ne faisait que reproduire cette action dans le monde des hommes. Et dès que l'on retrouve le divin Auteur dans chacune des actions de l'homme, celui-ci peut alors les accomplir uniquement comme devoir, sans aucun désir ; et ces actions perdent tout pouvoir d'entraver son âme.

      Il en était de même du Vaishya dont le devoir était d'accumuler des richesses. Il devait le faire, non point pour son propre plaisir, mais pour l'entretien de la nation. Il devait être riche afin que tous les genres d'activité qui nécessitent des richesses pussent en trouver une réserve à leur portée et pussent être déployés dans toutes les directions ; afin qu'il y eût partout des demeures pour les pauvres, des maisons de repos pour les voyageurs, des hôpitaux pour les hommes comme pour les animaux, des temples pour les exercices du culte et, partout enfin, les richesses qui sont indispensables pour entretenir les activités d'une existence nationale parfaite. Son Dharma comportait donc l'accumulation de ces richesses, dans l'intérêt commun et non dans celui de sa satisfaction personnelle. De cette façon, il pouvait, lui aussi, pratiquer la Yoga et, par la Karma-Yoga se préparer en vue de la vie supérieure.

      De même aussi pour le Shoudra qui devait s'acquitter de son Dharma dans l'intérêt de la chose publique. Il devait représenter, en quelque sorte, la grande main de la nation, lui apportant tout ce dont elle avait besoin et s'acquittant des activités domestiques extérieures. Sa Yoga, s'il la pratiquait, résidait dans le joyeux accomplissement de ses devoirs, devoirs qu'il devait remplir pour eux-mêmes et non pas en vue de la récompense qu'il pouvait mériter en les accomplissant.

      D'abord les hommes n'agissent que pour leur satisfaction personnelle et leur expérience ne produit que du progrès ; ils apprennent ensuite à agir par devoir et commencent ainsi à pratiquer la Yoga durant la vie journalière ; enfin ils agissent par esprit de joyeux sacrifice, sans rien réclamer en retour, et en appliquant, au contraire, toutes les forces qu'ils possèdent à la bonne exécution de leur devoir. Et c'est ainsi que l'Union est accomplie.


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(4)  Dharma, devoir religieux, moral, piété et justice.

(5)  Svarga, le ciel d'Indra, le Dévakhan. (N. D. T.)




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