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Le Sentier du Disciple

Annie Besant
© France-Spiritualités™






LA VIE DU DISCIPLE
Les quatre initiations

Nous arrivons à la Voie elle-même. Quelques mots sont tombés, de loin en loin, dans le monde matériel, de la bouche de l'un des Maîtres au sujet des grandes Initiations qui marquent les stades de la Voie, après que le chelâ a été accepté par son Gourou, et que le Gourou a pris sur lui de diriger, d'instruire et de surveiller son chelâ ; et nous pouvons découvrir, par-ci par-là, des allusions indirectes, vérifiées par l'expérience de ceux qui ont franchi l'entrée de la Voie, allusions qu'il est permis de répandre dans une petite mesure, non pour la satisfaction d'une vaine curiosité, mais pour l'instruction de ceux qui désireraient se préparer à ce grand pas en avant. Tout ce que l'on peut dire au sujet de ces Initiations doit être forcément imparfait ; ce qu'il est permis de révéler au monde humain au sujet de ces grands mystères ne peut constituer que des renseignements incomplets. Plus d'une question prendra naissance dans votre esprit, au fur et à mesure que je réunirai ces aperçus pour en former un tout bien mince, mais homogène ; plus d'une question vous préoccupera à laquelle la prudence ne permettrait pas de répondre. Comme je vous l'ai dit, ces renseignements ne sont pas fournis pour satisfaire la curiosité ; pour vous donner l'occasion de poser une série de questions et de recevoir une réponse à chacune d'elles ; ces aperçus ne sont destinés qu'aux aspirants de bonne foi, à ceux qui désirent savoir, afin d'être à même de se préparer ; à ceux qui désirent comprendre, afin de pouvoir exécuter. Aussi, de loin en loin, des allusions indirectes sont-elles faites, donnant des renseignements partiels, qui suffisent comme indication, mais ne sont pas de nature à satisfaire une vaine et mondaine curiosité.

      Deux puissants Maîtres figurent dans l'histoire comme ayant donné, à ce sujet, plus de renseignements que tous les autres, et chacun d'eux est le Maître d'une religion grande comme le monde. J'emploie les mots « grande comme le monde », non pas dans le sens de surface étendue, mais au point de vue de leur portée sur les âmes prêtes à les recevoir. L'un de ces grands Maîtres fut le fondateur du Bouddhisme, le Seigneur Bouddha ; l'autre de ces Maîtres fut Shrî Shankarâchârya, qui fit pour l'hindouisme ce que Bouddha a fait pour les contrées hors de sa portée, en fondant sa foi exotérique. En ce qui concerne la voie à suivre, leurs enseignements sont identiques, comme le seraient ceux de tout grand Initié. Chacun d'Eux a établi les mêmes stades ; chacun d'Eux a délimité ces stades par des Initiations spéciales qui les séparent de celles qui les précèdent, comme de celles qui les suivent. L'enseignement lui-même est parfaitement identique ; les différences ne se remarquent que dans la tournure des phrases qui les adaptent à l'une ou à l'autre des deux religions. Voilà, certes, encore un cas où les hommes devraient apprendre à découvrir la vérité sous toutes ses formes et sous tous ses aspects ; devraient se rendre compte, au lieu de se quereller à propos d'apparences, que sous ces noms divers, simples étiquettes extérieures, se cachent des vérités identiques.

      Il y a quatre stades différents, dis-je, et chacun d'eux est caractérisé par une Initiation. Voici maintenant ce que veut dire Initiation : cela signifie l'épanouissement de la connaissance acquise grâce à l'intervention bien déterminée du Gourou qui agit comme représentant de l'unique Grand Initiateur de l'humanité, et confère la seconde naissance en Son Nom. Cet épanouissement de la connaissance est, en quelque sorte, la caractéristique de l'Initiation, car il donne ce que l'on appelle « la clef du savoir » ; il ouvre à l'Initié de nouveaux horizons de savoir et de pouvoir ; il met entre ses mains la clef qui ouvre les portes de la nature. Et dans quel but ? Afin que l'Initié devienne plus utile au monde en général ; afin que son pouvoir de servir les hommes soit augmenté ; afin qu'il puisse se joindre au petit groupe d'hommes qui se sont voués à l'humanité et ont renoncé à leur soi inférieur ; qui n'aspirent à rien, sauf à servir le Maître et l'humanité ; qui savent que le service du Maître et le service de l'humanité ne font qu'un ; qui en ont fini avec le monde et tout ce qu'il peut leur offrir ; qui se sont, enfin, à jamais consacrés au service des Grands Etres, leur servant d'instruments de travail, s'offrant à être les chenaux par lesquels se déversent leurs secours et leur grâce.

      Entre chacune des grandes Initiations, certains résultats donnés doivent avoir lieu – des changements dans l'homme intérieur – mais qui diffèrent beaucoup de ceux que nous avons étudiés jusqu'à présent. Dès qu'un homme a passé par une Initiation, ce qu'il fait doit être accompli dans la perfection ; chaque entreprise doit être entièrement parachevée, toute chaîne doit être résolument brisée. Plus de travail imparfait ; le disciple ne peut plus avancer avant d'avoir accompli dans la perfection l'œuvre du stage qu'il traverse. Cet état présente donc le caractère déterminé – qu'on ne retrouve nulle part dans la vie – de parachever chaque phase avant de passer à la suivante. Un travail à moitié fait, une entreprise incomplète n'y seraient pas acceptés. Quelque temps que cela prenne, le travail doit être absolument terminé avant que l'on puisse faire un nouveau pas en avant. Techniquement, cela s'appelle « briser les chaînes » par lesquelles certaines choses entravent encore l'âme. A l'extrémité de la Voie se trouve Jîvanmukti ; avoir parcouru la voie, c'est avoir atteint ce stade dans lequel la vie est libre ; en sorte qu'il faut briser complètement toutes les chaînes, afin que rien ne puisse entraver l'homme vivifié.

      La première grande Initiation fait de l'homme ce que Shrî Shankarâchârya a appelé le Parivrâ jaka – ce que le Bouddha a appelé le Srotâpatti. Le mot bouddhiste, généralement employé sous sa forme Pâlî, veut dire « celui qui est entré dans le courant » qui le sépare de ce monde. Il n'appartient plus à ce monde, bien qu'il y puisse vivre ; il n'y conserve plus aucune place, rien ne peut plus l'y retenir.

      La même idée, exactement, découle du mot Parivrajaka, « homme errant », c'est-à-dire homme qui n'a pas de demeure fixe. Non pas nécessairement errant dans son corps physique, non pas nécessairement privé de demeure pour son corps physique – ainsi que l'on a fini par traduire le mot en langage exotérique ; c'est l'homme qui, dans sa vie intérieure, est séparé de ce monde, qui n'a pas de lieu, de séjour fixe dans ce monde transitoire, où un lieu en vaut un autre. Il est prêt à aller de-ci de-là, à aller partout où il plaît à son Maître de l'envoyer. Aucun lieu n'a le pouvoir de le retenir, il ne saurait s'attacher à aucun endroit, car il a brisé les chaînes qui le lient à un emplacement spécial. C'est pour cela qu'il est appelé « l'homme errant ». Je sais naturellement, comme vous le savez aussi, que l'on donne aujourd'hui à ce stade un sens tout à fait exotérique, mais c'est dans le sens ésotérique que je le considère, dans le sens que lui ont donné les grands Etres qui l'ont institué. Nous savons, hélas ! combien les choses ont changé depuis le temps jadis, comment ce qui était alors une des réalités de la vie est devenu aujourd'hui une affaire de mots et d'apparence extérieure. Mais je tiens à ce que vous connaissiez les quatre stades de la Voie, tels qu'ils sont décrits par l'Hindouisme, car certaines personnes s'imaginent à tort qu'ils ont été révélés par le Seigneur Bouddha, alors que celui-ci n'a fait que décrire à nouveau l'ancienne, l'étroite Voie que tous les Initiés de l'Unique Loge ont parcourue, parcourent et parcourront à l'avenir.

      Commençons par la réalité. L'homme qui a traversé le courant, ai-je dit, s'est définitivement séparé du monde ; il ne s'en occupe plus, sauf pour lui être utile. Il ne s'en occupe plus, que pour y exécuter les ordres de son Gourou. C'est là, la caractéristique de la première grande Initiation de l'homme, qui est né une seconde fois. Dans la majorité des cas, la seconde naissance est conférée hors du corps physique, mais dans un état de pleine conscience : c'est-à-dire que l'homme est généralement initié dans son corps astral, en pleine conscience, tandis que le corps physique reste en état de transe ; quelquefois, un chelâ est initié sans qu'il lui soit permis, pour quelque temps, d'en avoir connaissance à l'état de veille. Mais, dans les deux cas, ce qui a été acquis ne peut plus être perdu ; l'homme ne peut plus être ce qu'il était auparavant. Le nouveau-né peut, pendant un certain temps, n'avoir pas conscience du nouvel entourage au milieu duquel il se trouve, mais il lui est impossible de retourner dans le sein de sa mère et de se retrouver dans la position où il aurait été, s'il n'avait pas été mis au monde. De même, l'Initié, qui a passé par la seconde naissance, ne peut plus jamais se retrouver tel qu'il aurait été, si cette seconde naissance ne lui avait pas été conférée et il lui est impossible de prendre, à la vie de ce monde, la part qu'y prennent ceux qui n'ont pas obtenu cette seconde naissance. Il peut s'attarder dans la voie du progrès, il peut avancer lentement, il peut employer plus de temps qu'il n'en faut pour se débarrasser des chaînes qui le lient encore ; mais il ne peut plus ne pas avoir été initié, la clef ne peut plus échapper de ses mains. Il est entré dans le courant ; il est séparé du monde ; il faut qu'il aille de l'avant, si lentement que ce soit, quel que soit le nombre d'existences qu'il lui faille consacrer à cela.

      On a demandé combien d'existences s'écoulaient entre ce degré et la libération finale, l'obtention de Jîvanmukti. Je me souviens d'avoir entendu dire que Svâmi T. Subba Row, parlant ici à quelques amis de l'opinion généralement répandue que sept existences doivent être employées à cette partie du développement du candidat chélâ, fit cette remarque parfaitement juste et significative : « Il peut en falloir sept, aussi bien que soixante-dix, comme il peut ne falloir que sept jours ou sept heures. » Cela veut dire : la vie de l'âme ne se chiffre pas par des années et des heures terrestres ; le succès dépend de son énergie, de sa force et de sa volonté. Un homme peut perdre son temps ou l'employer de la façon la plus avantageuse et de cela dépendront les progrès qu'il pourra faire.

      Mais durant cette étape, qui s'ouvre avec la première Initiation et qui finit à la seconde, il y a trois choses différentes dont un homme doit se débarrasser absolument, avant d'être à même de franchir le second portail. La première de ces choses est l'illusion de la personnalité. Cette personnalité doit être détruite ; il ne suffit plus de la dominer, de l'amoindrir, de la tenir en respect, il faut la détruire, la tuer à jamais. L'illusion du soi personnel distinct doit disparaître. Il faut que le chélâ reconnaisse qu'il ne fait qu'un avec les autres, car le Soi de tous est unique. Il doit se rendre compte que tout ce qui l'entoure est un, l'homme et l'animal, aussi bien que le monde végétal et les formes minérales et élémentales de la vie. Il lui faut se délivrer de l'illusion de la personnalité. Vous voyez combien le développement de la connaissance peut vous secourir en cela, combien le fait de reconnaître le Soi véritable peut vous aider à vous débarrasser du faux ; combien la vision du réel contribue à faire disparaître l'illusoire ; de cette façon, l'illusion de la personnalité peut être absolument détruite. Pourquoi ? Parce que les yeux de l'homme se sont ouverts et que ses regards franchissent le cercle des illusions : il conquiert ainsi sa liberté et se délivre des chaînes que l'on nomme « l'illusion de la personnalité ».

      Le disciple doit ensuite s'affranchir du doute. C'est le second obstacle qui l'empêcherait d'aller plus loin. Il doit s'en affranchir d'une manière qui est clairement déterminée – en acquérant le savoir. Les choses du monde invisible ne doivent plus être pour lui des questions théoriques, les grandes vérités de la religion ne doivent plus être pour lui de simples idées philosophiques ; il doit les avoir admises comme des faits réels. Il ne doit plus avoir à se demander le « pourquoi » ou le « comment » de quoi que ce soit. Il y a certaines vérités fondamentales de la vie, au sujet desquelles il ne lui est plus possible de conserver le moindre doute. Avant de pouvoir faire un nouveau pas en avant, il doit avoir acquis, au sujet de la grande vérité de la Réincarnation, une conviction assez absolue pour que l'ombre même d'un doute ne puisse l'effleurer ; la grande vérité de Karma doit être définitivement établie pour lui ; il doit avoir acquis une certitude que rien ne saurait ébranler au sujet de cette autre grande vérité l'existence des Hommes divins, des Jîvanmuktas, qui sont les Gourous de l'humanité. Sur ces points son savoir ne doit plus être théorique, mais réel, mais pratique, afin que l'ombre même d'un doute ne puisse plus jamais obscurcir son mental la seule situation qui puisse donner cette certitude, c'est celle où la connaissance s'est substituée à la théorie et où le contact absolu avec la réalité rend désormais impossibles les déceptions provoquées par les illusions du monde matériel.

      La dernière des trois chaînes dont il faille se débarrasser entièrement durant ce stade est la superstition. Rendez-vous clairement compte de ce que ceci veut dire et vous comprendrez parfaitement pourquoi Shrî Shankarâchârya et le Bouddha ont, tous deux, fait usage des noms par lesquels Ils ont respectivement désigné cette phase de la vie du chélâ. Superstition veut dire, au sens technique du mot (sens que j'entends naturellement lui donner), confiance dans les rites extérieurs des sectes pour obtenir l'assistance spirituelle. En ce qui concerne la nature extérieure de ces rites, l'homme perçoit, sous la forme, la vérité qu'ils contiennent, et si la vérité est là, la valeur de l'apparence extérieure dépend de son plus ou moins degré d'adaptation à ce monde d'ignorance et d'illusion. L'homme s'est élevé au-dessus des aspects exotériques et des cérémonies, mais vous êtes familiarisés avec cette idée dans votre vie de tous les jours. Le Sannyâsî est supposé être un homme qui s'est élevé au-dessus de ces choses, un homme auquel on ne les demande plus. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'il est supposé avoir atteint la réalité, parce qu'il est supposé n'avoir plus besoin de ces choses, qui sont les degrés de l'échelle que les hommes doivent gravir ; elles sont nécessaires durant les premiers stades – ne l'oubliez pas – c'est une question de développement. Si vous voulez atteindre le haut d'une maison, il vous faut gravir l'escalier ou l'échelle ; et il serait fou, l'homme qui dirait : « Je ne veux pas gravir l'escalier par les marches », à moins qu'il ne possédât un pouvoir et une connaissance des lois de la nature, lui permettant de modifier la polarité de son corps et de s'élever au moyen de ce que l'on nomme la lévitation ; en utilisant l'action de la volonté, au lieu d'employer la méthode, comparativement lente et vulgaire, qui consiste à monter marche après marche. Pour un tel homme, l'escalier est inutile, attendu qu'il peut s'élever à l'aide de sa propre volonté et atteindre le haut de la maison sans employer la lente méthode de l'ascension. Mais il ne s'ensuit nullement que l'escalier soit inutile ; il ne s'ensuit pas que d'autres que lui puissent atteindre le haut de la maison en refusant de faire usage de l'escalier. Ils ne sont que trop nombreux, aujourd'hui, les hommes qui, tout en étant incapables de s'élever d'eux-mêmes, refusent d'employer l'escalier, oubliant que, tant que la volonté n'est pas développée, les méthodes inférieures sont nécessaires, pour peu que l'on veuille arriver à s'élever le moins du monde.

      Ceci m'amène à vous dire un mot du « vrai Sannyâsî ». Il y a cinq mille ans, comme aujourd'hui, le mot était employé sans la réalité. Même il y a cinq mille ans, au début du Kali Yuga (11), nous voyons Shrî Krishna (12) établir une distinction entre le Sannyâsî apparent et le Sannyâsî réel. Vous souvenez-vous, qu'ayant à traiter ce même sujet, il a dit : « Celui qui agit par devoir, sans se soucier du résultat de ses actions, est un Sannyâsî et un Yoguî, mais non pas celui qui est sans feu et ne fait rien. » « Celui qui est sans feu », c'est-à-dire celui qui n'allume pas les feux du sacrifice, qui n'accomplit pas les rites et les cérémonies, car on ne les exige plus du Sannyâsî. Mais, a dit Shrî Krishna, « il n'est pas un vrai Sannyâsî, celui qui ne se fait remarquer que par l'absence de rites et de cérémonies et par l'inaction dans le monde des hommes » ! Et si cela était vrai il y a cinq mille ans, c'est, hélas ! encore bien plus vrai aujourd'hui. Si cela était vrai lorsque le grand Avatar foulait le sol de l'Inde, c'est encore bien plus vrai après cinq mille ans d'obscurité. Si nous embrassons d'un coup d'œil le monde oriental tout entier, si nous prenons les Indes elles-mêmes avec leurs innombrables Sannyâsîs, nous trouvons des hommes qui ne sont Sannyâsis que par le costume qu'ils portent et non pas par la vie qu'ils mènent, des hommes qui ne sont Sannyâsîs que par l'apparence extérieure et non en vertu de renonciations internes. Et si nous quittons le sol des Indes pour nous transporter, par exemple à Ceylan, en Birmanie, en Chine ou au Japon, nous y trouvons aussi des moines bouddhistes, qui ne sont moines que par leurs robes jaunes et non par la noblesse de leur vie ; par l'apparence extérieure et non par la vérité interne. Et s'il reste vrai que la religion soit plus facile à pratiquer ici que dans tout autre pays ; s'il reste vrai que les traditions des Indes rendent son sol sacré et son atmosphère plus spirituelle que celle des autres pays ; s'il est vrai qu'il s'y trouve des localités si sanctifiées par les existences qui s'y sont écoulées que, même pour l'homme de ce monde, le fait seul de s'y rendre ait pour conséquence d'apaiser le mental et d'éveiller les aspirations de l'âme ; s'il est vrai que les Indes, à cause de cela, sont à jamais chéries et sacrées, ses enfants, hélas ! sont indignes de ce qu'elle est et ont failli de toutes les manières. Si nous scrutons du regard le monde physique tout entier, nous ne trouvons aucun endroit où la vie spirituelle soit menée d'une façon générale, aucune nation chez laquelle elle soit placée au premier rang. Il sent son cœur se briser, celui qui sait ce que l'homme pourrait faire et qui voit ce qu'il fait ; celui qui a conscience de ce qui pourrait être et constate ce qui est ; celui qui perçoit la vérité et ne trouve ici-bas, hélas ! que du mensonge sous des apparences de vérité. Et pourtant, malgré tout, le cœur d'aucun disciple ne doit se briser, car les Maîtres sont à jamais vivants et Leurs disciples continuent à fouler le sol du monde des humains ; mais, aujourd'hui, leur qualité n'est pas indiquée par l'apparence extérieure et par le costume qu'ils portent, mais par la vie intérieure, le savoir, la pureté et la dévotion qui ouvrent toujours encore les portes de l'Initiation.

      Nous arrivons maintenant au second stade à celui que Shrî Shankarâchârya appelle le stade du Koutîchaka, c'est-à-dire de l'homme qui construit une hutte ; et que les Bouddhistes appellent le stade du Sakridâgâmin, de l'homme auquel une nouvelle naissance est encore conférée. Dans ce stade, on n'a plus à briser des entraves déterminées, mais à acquérir certaines facultés. C'est le moment où les Siddhis sont nécessaires. Après la seconde Initiation, ils doivent être développés parce que le disciple a atteint une phase de sa vie où les devoirs très étendus l'attendent, non seulement dans le monde des hommes physiques, mais aussi dans les autres mondes qui l'entourent et qui sont en dehors du plan matériel. Il doit être capable de parler, non seulement avec les lèvres, mais aussi en communiquant directement, de mental à mental, et en le faisant consciemment et délibérément. Je tâcherai de vous expliquer demain les différentes sortes de devoirs en présence desquels il se trouve, devoirs qui réagissent sur le monde physique et qui, s'ils étaient parfaitement remplis – comme cela n'est pas le cas aujourd'hui – changeraient considérablement l'orientation même de la vie matérielle de l'homme. Mais pour pouvoir s'acquitter de cette partie de sa tâche ; afin de pouvoir se préparer aux devoirs élevés qu'il aura à remplir ; lorsque toutes les sources du savoir lui seront ouvertes et que la Nature aura dépouillé tout voile assez épais pour lui fermer les yeux, il lui faut, ce stade une fois atteint, développer ses facultés internes et dérouler, une à une, toutes les capacités latentes en lui. C'est durant cette phase qu'il faut, si cela n'a pas été fait auparavant, que le feu latent soit avivé ; c'est durant cette phase que Koundalini (13) doit être amené à fonctionner dans le corps physique et dans le corps astral de l'homme vivifié. Vous pouvez bien lire dans certains livres, comme dans l'Ananda Lahiri de Shrî Sankarâchârya, des passages traitant de la façon d'attiser le feu vivant et de le faire passer de chakram en chakram. En s'éveillant, ce feu confère à l'homme le pouvoir de quitter à volonté son corps physique, car au fur et à mesure qu'il passe de chakram en chakram, il dégage le corps astral du corps physique et le met en liberté. A partir de ce moment, un homme peut, sans cesser un instant d'être conscient, sans qu'il se produise dans son mental la moindre lacune séparant un état de l'autre, quitter son corps physique pour passer dans le monde invisible, y agir d'une façon pleinement consciente et rapporter avec lui, à son retour, le souvenir de tout ce qu'il y aura accompli. C'est durant ce second stage que tous ces pouvoirs sont développés et évolués, s'ils n'ont pas été évolués plus tôt ; et tant qu'ils ne sont pas en pleine activité, tant qu'ils ne sont pas absolument aux ordres du chélâ, tant que les barrières séparant le monde visible du monde invisible n'ont pas été brisées, le disciple ne peut aller plus loin. Lorsque ces barrières tombent par suite du développement des sens et des pouvoirs latents de l'homme, par suite de l'acquisition des Siddhis, le disciple se trouve prêt à franchir le troisième grand pas dans la voie du progrès, et à entrer dans une phase d'existence nouvelle et plus haute. Vous comprendrez facilement tout le tort que des hommes mal préparés peuvent se faire à eux-mêmes, en essayant d'atteindre artificiellement ce stade, avant le moment où l'évolution régulière les y amène ; avant d'être développés au point de vue spirituel. Il se trouve, dans les écrits qui ont été publiés, spécialement dans les Tântrika, bien des aperçus sur lesquels se jettent avidement ceux qui aspirent à posséder des pouvoirs, tout en se préoccupant fort peu de savoir si leurs capacités mentales et morales les mettent à même de manier correctement ces pouvoirs. Dans plusieurs des Tântras, il y a des vérités cachées, à la disposition de ceux qui peuvent les atteindre, mais les indications superficielles, à cause de leurs lacunes, sont souvent trompeuses pour ceux qui n'ont pas connaissance des faits réels et qui n'ont pas de Gourou, pour leur en expliquer les allégories et les réticences. En sorte que certaines personnes – qui, dans leur ignorance, mettent ces leçons incomplètes en pratique, dans le but de hâter leur développement psychique, avant que leur développement mental et moral les ait mis en état de le faire avec sécurité – ces personnes, dis-je, obtiennent en effet des résultats, mais des résultats qui leur font du mal au lieu de leur faire du bien. Souvent, elles ruinent leur santé physique, perdent leur équilibre mental, et compromettent leurs facultés intellectuelles, en tentant de cueillir les fruits de l'arbre de Vie avant même qu'ils aient atteint leur maturité ; en essayant de pénétrer dans le Saint des Saints avec des mains souillées et des sens impurs. Dans ce temple, l'atmosphère est telle que rien d'impur ne peut y subsister ; les vibrations y sont si puissantes qu'elles brisent tout ce qui est au-dessous du diapason, qu'elles mettent en pièces tout ce qui est impur, tout ce qui n'est pas de nature à s'adapter à leur redoutable activité.

      Mais, lorsque, sous la direction de son Gourou – car c'est dans cette seule condition que cela devrait être tenté – lorsque, sous la direction de son Gourou, le disciple a complètement traversé ce stade, il atteint la troisième grande Initiation, celle qui fait de l'homme ce que Shrî Shankarâchârya à appelé un Hamsa, ce que la littérature Bouddhiste appelle un Anâgâmin, l'homme auquel aucune incarnation n'est plus imposée, à moins, toutefois, que ce ne soit par l'effet de sa propre volonté. Ce stage – comme l'indique le nom que lui a donné Shrî Shankârachârya – est celui où l'homme arrive à la conception de l'unité, celui où il apprend qu'il ne fait qu'un avec le Suprême. Ce nom lui a été donné parce que l'expansion de son état de conscience l'a élevé jusqu'à la région de l'univers où cette identité devient un fait acquis et qu'il a obtenu l'expérience du « Je suis Cela ». En perfectionnant ses sens psychiques et leurs rapports avec ses sens physiques, il devient non seulement apte à pénétrer dans les régions où l'on atteint la conception de l'unité, mais encore à rapporter le souvenir de cette conception dans son état normal de veille, et à l'imprimer dans son cerveau physique. Est-il besoin de vous dire qu'il doit perdre le dernier lambeau de désirs terrestres, s'il en conserve encore des traces lorsqu'il arrive à ce stade ? Durant cette période, il brise donc une dernière chaîne que l'on appelle Kâmarâga, désir teinté – si peu qu'il le soit – d'aspirations terrestres, car, lorsque l'on se rend compte de l'unité universelle, tout ce qui est séparé en apparence perd à jamais le pouvoir de décevoir. Le disciple s'est donc élevé bien au-dessus des limitations de la séparativité et domine, non seulement ce que nous appellerions ici-bas les désirs terrestres, mais encore les désirs les plus épurés, les plus spirituels qui se rapportent, le moins du monde, au Soi personnel. Les désirs spirituels, eux-mêmes, abandonnent l'homme qui atteint à une pareille hauteur ; même en pensée, il ne peut se séparer des autres, en sorte qu'il ne peut éprouver des désirs spirituels pour lui-même, comme entité séparée, mais seulement pour lui-même comme faisant partie intégrante du tout. Ce qu'il acquiert, c'est pour tous qu'il l'acquiert ; ce qu'il gagne, c'est pour tous qu'il le gagne. Il se trouve dans une région de l'univers d'où la force descend dans le monde des hommes, et ce qu'il gagne, il le transmet, il le déverse sur tous ; il le partage avec tous. Il en résulte que le monde devient meilleur chaque fois qu'un homme atteint à cette hauteur. Tout ce qu'il obtient est acquis à l'humanité et tout ce qui arrive à portée de ses mains ne fait que passer par elles pour se répandre de là dans le monde des hommes. Le disciple ne fait qu'un avec Brahman et, par suite, avec chacune de ses manifestations ; et il réalise cela parfaitement dans sa propre conscience, et non seulement par ses espérances et ses aspirations. On fait usage d'un singulier mot pour désigner l'autre entrave qu'il brise durant ce stade, on emploie le mot Pâlî Patigha, que nous sommes bien obligés de traduire par « haine » bien que ce mot soit absurde dans ce cas. On veut dire, en réalité, que s'étant identifié avec tous, il n'établit plus de distinction entre les races et les familles, entre les différentes choses de ce monde. Il ne peut désormais plus éprouver ni amour, ni haine, provoqués par des distinctions extérieures. Il ne peut désormais plus aimer ou haïr quelqu'un, parce qu'il appartient à une race différente. Il ne peut désormais plus aimer ou haïr parce qu'il établit une distinction entre les hommes et les choses qui les entourent. Vous vous souvenez de cette curieuse expression de Shrî Krishna, lorsqu'il parle du Sage, qui n'établit aucune distinction entre le Brahmane éclairé et un chien. Il a atteint la conception de l'unité et voit Brahman en tout, ou, pour me servir d'une autre expression, il voit Shrî Krishna partout et l'apparence extérieure que revêt le Seigneur ne signifie rien pour sa vision purifiée ; il est donc absolument exempt de ce que nous sommes bien obligés d'appeler « la haine » ou la « répulsion ». Rien ne le repousse, rien ne le fait reculer. Il n'éprouve plus qu'amour et compassion pour tout et pour tous. Il fait, en quelque sorte, rayonner autour de lui une atmosphère enveloppante d'affection. Tous ceux qui viennent à lui, tous ceux qui l'approchent, ressentent l'influence de sa divine compassion. Et c'est pourquoi, à l'époque où les Brahmanes étaient réellement tout ce que leur dénomination implique, on disait que le Brahmane était « l'ami de toute chose et de toute créature ». Leur cœur, ne faisant qu'un avec la Divinité, était assez large pour contenir tout ce que la Divinité avait créé.

      Après s'être à jamais débarrassé de l'illusion de la séparativité, le disciple entre dans le stade final qui lui est dévolu ; Shrî Shankarâchârya l'appelle Paramahansa et le terme Bouddhiste est Arhat. A ce propos, nous constaterons une fois de plus le terrible avilissement moderne des termes sacrés, en voyant celui qui désigne cette haute situation employé d'une façon si générale et avec tant d'insouciance ; en le voyant employer souvent par simple courtoisie, pour désigner une apparence extérieure, au lieu d'une vivante réalité. La vraie signification de ce terme implique que l'homme a passé par la quatrième grande Initiation et traverse le stade qui précède celui de Jivanmoukti ; il peut, tout en restant pleinement conscient, s'élever jusqu'à la région de Tourîya (14) et y vivre. Il n'a pas besoin de quitter son corps pour en éprouver la béatitude, pour y être absolument conscient. Son état de conscience comprend cette région et l'embrasse, tout en se trouvant active dans le cerveau physique. C'est une des grandes caractéristiques de l'accession à ce stade. Il n'est nullement nécessaire que la conscience quitte le cerveau physique pour s'exercer dans cette haute région ; la conscience du chélâ s'est agrandie jusqu'à l'embrasser ; et, en même temps qu'il parle, et qu'il agit dans le monde des hommes, tout ce vaste savoir reste sous ses yeux et il en fait l'expérience à volonté. Durant ce stade, il se libère des cinq dernières « entraves », afin de devenir le Jivanmoukta. La première de ces entraves est appelée Roûparâga, le désir d'une « vie corporelle », car aucun désir d'une telle vie ne saurait le toucher. Ensuite il se débarrasse d'Aroûparâga, le désir d'une « vie incorporelle », aucun désir de ce genre n'a plus de pouvoir sur lui. Puis il se délivre de Mâna et nous sommes encore obligés d'employer un mot beaucoup trop grossier pour exprimer la réelle et subtile nature de cette entrave, l'orgueil ; il ne songe pas un seul instant à la grandeur du but qu'il a atteint, à la hauteur vertigineuse à laquelle il se trouve, car, pour lui, il n'y a plus ni haut ni bas, ni hauteurs élevées, ni humbles vallées. Les unes et les autres ne lui paraissent faire qu'un.

      Il perd ensuite la possibilité de se trouver froissé par quoi que ce soit. Quoi qu'il arrive, il demeure inébranlable. Les mondes peuvent s'entrechoquer, il restera impassible. Rien de ce qui peut arriver dans ce monde manifesté ne peut troubler la sublime sérénité de l'homme qui s'est élevé ainsi jusqu'à la conception du Soi universel. Qu'importe une catastrophe – la forme seule est brisée. Qu'importe l'écrasement d'un monde – ce n'est que le genre de manifestation qui change, Il vit dans ce qui est antique, constant, immortel, éternel ; et il n'y a rien qui puisse troubler sa sérénité, rien qui puisse amoindrir la parfaite sensation de paix qu'il éprouve. C'est alors que ses membres se trouvent dégagés de la dernière de toutes les entraves – Avidyâ – ou ce qui produit l'illusion ; le dernier et léger nuage qui entrave la vision parfaite et la liberté absolue. Il n'est plus obligé de renaître ; aucune contrainte ne peut le ramener à la terre, mais il peut se réincarner volontairement. Son savoir embrasse tout ce que comporte notre chaîne planétaire. Il apprend tout ce que cette manifestation peut avoir à enseigner ; aucune leçon ne reste inapprise, aucun secret ne demeure plus caché, il n'existe aucun recoin que ses regards ne puissent scruter, aucune possibilité qu'il ne soit apte à saisir. A la fin de ce stade, toutes les leçons ont été apprises ; tous les pouvoirs ont été complètement acquis. Il est omniscient et omnipotent dans toute cette chaîne planétaire. Il a accompli l'évolution de l'humanité ; il a franchi le dernier des degrés que l'humanité aura franchi lorsque le grand Manvantara prendra fin et que l'œuvre de cet univers sera terminée. Il n'y a plus rien de voilé pour lui ; il n'y a rien qui n'existe en lui, car son état de conscience s'est dilaté pour tout embrasser. Il peut entrer quand il le veut dans le Nirvâna où règnent l'unité, la conscience universelle et la plénitude de la vie. Il a atteint le but de l'humanité ; la dernière porte est devant lui et s'ouvre à deux battants au seul bruit de ses pas. Cette porte franchie, il devient le Jivanmoukta, comme disent les Hindous ; l'Adepte Asékha, ou celui qui n'a plus rien à apprendre, comme l'indique la nomenclature bouddhiste. Tout est su, tout est accompli. Devant Lui s'ouvrent différentes voies parmi lesquelles Il peut choisir à son gré ; devant Lui s'étendent de vastes possibilités parmi lesquelles Il peut prendre celle qu'Il veut, en allongeant la main. Au delà des limites de cette chaîne planétaire, au delà des limites de notre Kosmos, dans des régions dont notre compréhension ne saurait se faire la plus légère idée, s'ouvrent des voies au milieu desquelles le Jîvanmoukta peut choisir celle qu'Il veut parcourir. Mais il est une voie – la plus difficile, la plus pénible de toutes, bien que la plus rapide – que l'on appelle la voie de la Grande Renonciation. Si c'est celle-ci qu'Il choisit, après avoir considéré attentivement le monde des hommes, le Jîvanmoukta refuse de s'en éloigner ; Il déclare qu'Il veut y rester et assumer réincarnation, après réincarnation, dans le but d'instruire et d'aider les hommes. Une fois de plus, Shrî Shankarâchârya parle de Ceux qui restent et travaillent, jusqu'à ce que l'œuvre soit accomplie. Leur propre tâche est bien achevée, mais Ils Se sont identifiés avec l'humanité, et tant que l'évolution de cette humanité ne sera pas terminée, Ils ne quitteront pas les rangs des hommes qui luttent. Ils sont libres, mais restent dans une servitude volontaire ; Ils ont atteint la libération, mais cette libération ne sera complète que lorsque les autres seront libérés comme Eux. Ce sont là les Maîtres de Compassion qui vivent à portée des hommes, afin que l'humanité ne soit pas dans la position d'un orphelin sans père, afin que les élèves ne cherchent pas vainement un Gourou pour les instruire. Ce sont les Grands Maîtres envers lesquels plusieurs d'entre nous éprouvent un sentiment si profond de gratitude, parce qu'Ils restent sur ce globe terrestre, tout en vivant au delà, dans un état de conscience Nirvanique, afin de maintenir un lien entre les Mondes supérieurs et les hommes qui ne sont pas encore libres ; les hommes pour lesquels le corps physique est une prison dont la vie n'a pas encore été libérée. Tous Ceux qui ont atteint à ce niveau élevé sont des Etres glorieux, tous Ceux qui s'y trouvent sont divins, mais on peut oser dire, sans manquer de respect, que les plus chers au cœur de l'humanité, Ceux auxquels elle est le plus intimement attachée par des liens de reconnaissance passionnée, à cause de la Renonciation accomplie, ce sont Ceux-là mêmes qui auraient pu nous abandonner, qui auraient pu nous laisser orphelins, mais qui n'ont pas voulu s'éloigner, afin de servir de Pères aux hommes. Tels sont les grands Gourous aux pieds desquels nous nous inclinons ; tels sont les grands Maîtres qui soutiennent la Société Théosophique. Ils ont envoyé leur messager, H. P. Blavatsky, pour apporter au monde un message presque entièrement oublié ; pour lui montrer de nouveau l'étroite et ancienne Voie que quelques-uns parcourent en ce moment et que vos pieds pourraient fouler.


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(11)  Kali Yuga, âge noir.

(12)  Shrî Krishna, Avatar de Vishnou.

(13)  Siddhis, les couvoirs psychiques.

(14)  Touriya, l'état suprême, celui de la haute conscience spirituelle.




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