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Le Triangle d'or

Maurice Leblanc
© France-Spiritualités™






PREMIÈRE PARTIE – LA PLUIE D'ÉTINCELLES
CHAPITRE XI – VERS LE GOUFFRE

La décision de Patrice fut immédiate. Il transporta la jeune femme sur son lit et la pria de ne pas bouger et de ne pas appeler. Puis il s'assura que Ya-Bon n'était pas blessé grièvement. Enfin, il sonna violemment, faisant vibrer tous les timbres qui communiquaient avec les postes placés par lui en divers endroits de la maison.

      Les hommes arrivèrent en hâte. Il leur dit :

      – Vous n'êtes que des brutes. Quelqu'un a pénétré ici. Maman Coralie et Ya-Bon ont failli être tués...

      Et, comme ils s'exclamaient :

      – Silence ! commanda-t-il. Vous méritez des coups de bâton. Je vous pardonne à une condition, c'est que, durant toute cette soirée et toute cette nuit, vous parliez de maman Coralie comme si elle était morte.

      L'un d'eux protesta :

      – Mais à qui parler, mon capitaine ? Il n'y a personne ici.

      – Il y a quelqu'un, bougre d'idiot, puisque maman Coralie et Ya-Bon ont été attaqués. A moins que ce ne soit par vous... Non ? Alors... Et puis, trêve de bêtises ! Il ne s'agit pas de parler à d'autres personnes, mais de parler entre vous... et même d'y penser dans le secret de votre conscience. On vous écoute, on vous épie, on entend ce que vous dites et l'on devine ce que vous ne dites pas. Donc, jusqu'à demain, maman Coralie ne sortira pas de sa chambre. On veillera sur elle à tour de rôle. Les autres se coucheront, sitôt après le dîner. Pas d'allées et venues dans la maison. Le silence.

      – Et le vieux Siméon, mon capitaine ?

      – Qu'on l'enferme dans sa chambre. Comme fou, il est dangereux. On a pu profiter de sa démence, se faire ouvrir par lui. Qu'on l'enferme !

      Le plan de Patrice était simple. Comme l'ennemi, croyant Coralie sur le point de mourir, avait dévoilé à la jeune femme son but, qui était de le tuer, lui aussi, Patrice, il fallait que l'ennemi se crût libre d'agir, sans que personne soupçonnât ses projets et fût en garde contre lui. L'ennemi viendrait. Il engagerait la lutte et serait pris au piège.

      En attendant cette lutte, qu'il appelait de tous ses vœux, Patrice fit soigner Ya-Bon, dont la blessure en effet n'avait aucun caractère de gravité, et il l'interrogea, ainsi que maman Coralie.

      Leurs réponses furent identiques. La jeune femme raconta que, étendue, un peu lasse, elle lisait, et que Ya-Bon demeurait dans le couloir devant la porte ouverte, accroupi à la mode arabe. Ni l'un ni l'autre ils n'entendirent rien de suspect. Et soudain, Ya-Bon vit une ombre s'interposer entre lui et la lumière du couloir. Cette lumière, qui provenait d'une ampoule électrique, fut éteinte pour ainsi dire en même temps que l'ampoule qui éclairait la chambre. Ya-Bon, à moitié dressé déjà, reçut un coup violent à la nuque et perdit connaissance. Coralie essaya de s'enfuir par la porte de son boudoir, ne put l'ouvrir, se mit à crier, et aussitôt fut saisie et renversée. Tout cela en l'espace de quelques secondes.

      La seule indication que Patrice put obtenir, c'est que l'homme venait non de l'escalier, mais du côté de l'aile que l'on nommait l'aile des domestiques. Cette aile était desservie par un escalier plus petit et communiquait par la cuisine avec un office où se trouvait la porte de service sur la rue Raynouard.

      Cette porte, Patrice la trouva fermée à clef. Mais quelqu'un pouvait avoir cette clef.

      Le soir, Patrice passa un moment au chevet de Coralie, puis, à neuf heures, se retira dans sa chambre, laquelle était située un peu plus loin, et sur le même côté. C'était auparavant une pièce qu'Essarès bey se réservait comme fumoir.

      Comme il n'attendait pas l'attaque, dont il espérait de si bons résultats, avant le milieu de la nuit, Patrice s'assit devant un bureau-cylindre placé contre le mur, et en sortit le registre sur lequel il avait commencé le journal détaillé des événements.

      Durant trente à quarante minutes, il écrivit, et il était près de fermer ce registre lorsqu'il crut entendre comme un frôlement confus, qu'il n'eût certes pas perçu si ses nerfs n'avaient été tendus au plus haut point. Cela venait de la fenêtre, du dehors. Et il se rappela le jour où l'on avait déjà tiré sur Coralie et sur lui. Cependant la fenêtre n'était pas entrouverte ni même entrebâillée.

      Il continua donc d'écrire sans tourner la tête et sans que rien pût laisser croire que son attention eût été mise en éveil, et il inscrivait, pour ainsi dire à son insu, les phrases mêmes de son anxiété.

      « Il est là, il me regarde. Que va-t-il faire ? Je ne pense pas qu'il brise une vitre et qu'il m'envoie une balle. Le procédé est incertain et ne lui a pas réussi. Non, son plan doit être établi de façon différente et plus intelligente. Je suppose plutôt qu'il guette le moment où je me coucherai, qu'il épiera mon sommeil, et que seulement alors il entrera, par quelque moyen que j'ignore.

      « D'ici là, j'éprouve une véritable volupté à me sentir sous ses yeux. Il me hait, et nos deux haines vont à l'encontre l'une de l'autre, comme deux épées qui se cherchent et qui battent le fer. Il me regarde, comme une bête fauve, tapie dans l'ombre, regarde sa proie et choisit la place où ses crocs mordront. Mais moi, je sais que c'est lui qui est la proie, vouée d'avance à la défaite et à l'écrasement. Il prépare son couteau ou sa cordelette rouge. Et ce sont mes deux mains qui termineront la bataille. Elles sont fortes, vigoureuses déjà. Elles seront implacables... »

      Patrice rabattit le cylindre. Puis il alluma une cigarette, qu'il fuma tranquillement, comme chaque soir. Puis il ôta ses habits, les plia avec soin sur le dossier d'une chaise, remonta sa montre, se coucha, éteignit l'électricité.

      « Enfin, se disait-il, je vais savoir. Je vais savoir qui est cet homme. Un ami d'Essarès ? Le continuateur de son œuvre ? Mais pourquoi cette haine contre Coralie ? Il l'aime donc, puisqu'il cherche à m'atteindre, moi aussi ? Je vais savoir... je vais savoir... »

      Une heure s'écoula pourtant, puis une autre heure, et rien ne se produisit du côté de la fenêtre. Un seul craquement, qui eut lieu du côté du bureau. Mais c'était sans doute un de ces craquements de meuble que l'on entend la nuit dans le silence.

      Patrice commença à perdre le bel espoir qui l'avait soutenu. Au fond, il se rendait compte que toute sa comédie relativement à la mort supposée de maman Coralie était de valeur médiocre, et qu'un homme de la taille de son ennemi avait bien pu ne pas s'y laisser prendre. Assez déconcerté, il était sur le point de s'endormir, lorsque le même craquement eut lieu au même endroit.

      Le besoin d'agir le fit sauter du lit. Il alluma. Tout semblait dans le même ordre. Nulle trace d'une présence étrangère.

      « Allons, se dit Patrice, décidément je ne suis pas de force. L'ennemi aura deviné mes desseins et flairé le piège qui lui était tendu. Dormons, il n'y aura rien cette nuit. »

      Il n'y eut, en effet, aucune alerte.

      Le lendemain, en examinant sa fenêtre, il remarquait que tout le long de la façade du jardin une corniche de pierre courait au-dessus du rez-de-chaussée, assez large pour qu'un homme pût y marcher en se retenant aux balcons et aux gouttières.

      Il visita toutes les pièces auxquelles cette corniche donnait accès. L'une d'elles était la chambre du vieux Siméon.

      – Il n'a pas bougé de là ? demanda-t-il aux deux soldats chargés de la surveillance.

      – C'est à croire, mon capitaine. En tout cas, nous ne lui avons pas ouvert la porte.

      Patrice entra, et, sans s'occuper du bonhomme, lequel fumait toujours sa pipe éteinte, il fouilla la chambre, avec cette arrière-pensée qu'elle pouvait servir de refuge à l'ennemi.

      Il n'y trouva personne. Mais il découvrit dans un placard plusieurs objets qu'il n'y avait point vus dans les perquisitions effectuées en compagnie de M. Desmalions : une échelle de corde, un rouleau de tuyaux en plomb qui semblaient être des tuyaux de gaz, et une petite lampe à souder.

      « Tout cela est bougrement louche, pensa-t-il. Comment ces objets sont-ils entrés ici ? Est-ce Siméon qui les a rassemblés sans but précis, machinalement ? Ou bien dois-je supposer que Siméon n'est que l'instrument de l'ennemi ? Avant de perdre la raison, il le connaissait, cet ennemi, et aujourd'hui il subit son influence. »

      Siméon, assis devant la fenêtre, lui tournait alors le dos. Patrice s'approcha de lui et tressaillit. Le bonhomme tenait entre ses mains une couronne mortuaire en perles noires et blanches. Elle portait comme date : 14 avril 1915. C'était la vingtième, celle que Siméon devait mettre sur la tombe de ses amis morts.

      – Il la mettra, dit Patrice à haute voix. Son instinct d'ami et de vengeur, qui l'a conduit toute sa vie, persiste à travers la démence. Il la mettra. N'est-ce pas, Siméon, que vous irez la porter demain ? Car c'est demain, le 14 avril, l'anniversaire sacré...

      Il se pencha vers l'être incompréhensible en qui venaient se rencontrer, comme des chemins qui aboutissent à un carrefour, toutes les intrigues bonnes ou mauvaises, favorables ou perfides, dont se composait l'inextricable drame. Siméon crut qu'on voulait lui prendre sa couronne, et la serra fortement contre lui, d'un geste farouche.

      – N'aie pas peur, dit Patrice, je te la laisse. A demain, Siméon, à demain. Coralie et moi, nous serons exacts au rendez-vous que tu nous as donné. Et demain peut-être le souvenir de l'horrible passé délivrera ton cerveau.

      La journée parut longue à Patrice. Il avait tellement hâte d'arriver à quelque chose qui fût comme une lueur dans les ténèbres ! Et cette lueur n'allait-elle pas justement jaillir des circonstances que ferait naître ce vingtième anniversaire du 14 avril ?

      Vers la fin de l'après-midi, M. Desmalions passa rue Raynouard et dit à Patrice :

      – Tenez, voici ce que j'ai reçu, c'est assez curieux... une lettre anonyme à écriture déguisée... Ecoutez cela : « Monsieur, vous êtes prévenu que l'or va s'en aller. Faites attention. Demain soir les dix-huit cents sacs auront pris le chemin de l'étranger. – Un ami de la France. »

      – Et c'est demain le 14 avril, dit Patrice, qui fit aussitôt le rapprochement.

      – Oui. Pourquoi cette remarque ?

      – Oh ! rien... une idée...

      Il fut près de raconter à M. Desmalions tous les faits qui se rapportaient à cette date du 14 avril, et tous ceux qui concernaient l'étrange personnalité du vieux Siméon. S'il ne parla pas, ce fut pour des raisons obscures, peut-être parce qu'il voulait mener seul et jusqu'au bout cette partie de l'affaire, peut-être aussi par une sorte de pudeur qui l'empêchait d'initier M. Desmalions à tous les secrets du passé. Il garda donc le silence à ce propos et dit :

      – Alors, cette lettre ?

      – Ma foi, je ne sais que penser. Est-ce un avertissement justifié ? ou bien un stratagème pour nous imposer une conduite plutôt qu'une autre ? J'en causerai avec Bournef.

      – Toujours rien de spécial de ce côté ?

      – Non, et je n'attends rien de plus. L'alibi qu'il m'a fourni est réel. Ses amis et lui ne sont que des comparses dont le rôle est terminé.

      De cette conversation, Patrice ne retint qu'une chose : la coïncidence des dates.

      Les deux directions que M. Desmalions et lui suivaient dans cette affaire se rejoignaient tout à coup en cette date depuis si longtemps marquée par le sort. Le passé et le présent allaient se réunir. Le dénouement approchait. C'était le jour même du 14 avril que l'or devait disparaître à jamais, et qu'une voix inconnue convoquait Patrice et Coralie au même rendez-vous que leurs parents avaient pris vingt ans auparavant.

      Et le lendemain, ce fut le 14 avril.

      Dès neuf heures, Patrice demandait des nouvelles du vieux Siméon.

      – Sorti, mon capitaine, lui répondit-on. Vous aviez levé la consigne.

      Patrice entra dans la chambre et chercha la couronne. Elle n'y était plus. Mais les trois objets du placard, l'échelle de corde, le rouleau de plomb et la lampe à souder n'y étaient plus non plus. Il interrogea :

      – Siméon n'a rien emporté ?

      – Si, mon capitaine, une couronne.

      – Pas autre chose ?

      – Non, mon capitaine.

      La fenêtre était ouverte. Patrice en conclut que les objets avaient pris ce chemin, et son hypothèse d'une complicité inconsciente du bonhomme en fut confirmée.

      Un peu avant dix heures, Coralie le rejoignit dans le jardin. Patrice l'avait mise au courant des derniers incidents. La jeune femme était pâle et inquiète.

      Ils firent le tour des pelouses et gagnèrent sans être vus les bosquets de fusains qui dissimulaient la porte de la ruelle. Patrice ouvrit cette porte.

      Au moment d'ouvrir l'autre, il eut une hésitation. Il regrettait de n'avoir pas prévenu M. Desmalions, et d'accomplir, seul avec Coralie, ce pèlerinage que certains symptômes annonçaient comme dangereux. Mais il secoua cette impression. Il avait eu soin de prendre deux revolvers. Qu'y avait-il à craindre ?

      – Nous entrons, n'est-ce pas, Coralie ?

      – Oui, dit-elle.

      – Cependant, vous semblez indécise, anxieuse...

      – C'est vrai, murmura la jeune femme, j'ai le cœur serré.

      – Pourquoi ? Vous avez peur ?

      – Non... ou plutôt si... Je n'ai pas peur pour aujourd'hui, mais en quelque sorte pour autrefois. Je pense à ma pauvre mère qui a franchi cette porte comme moi, par un matin d'avril. Elle était tout heureuse, elle allait vers l'amour... Et alors c'est comme si je voulais la retenir et lui crier : « N'avance pas... la mort te guette... n'avance pas... » Et, ces mots d'effroi, c'est moi qui les entends... ils bourdonnent à mon oreille... et c'est moi qui n'ose plus avancer. J'ai peur...

      – Retournons, Coralie.

      Elle lui saisit le bras, et la voix ferme :

      – Marchons. Je veux prier. La prière me fera du bien.

      Hardiment, elle suivit le petit sentier transversal que sa mère avait suivi et monta parmi les herbes folles et les branches envahissantes. Ils laissèrent le pavillon sur leur gauche et gagnèrent le cloître de verdure où reposaient leurs parents. Et tout de suite, au premier regard, ils virent que la vingtième couronne était là.

      – Siméon est venu, dit Patrice. L'instinct, plus fort que tout, l'a obligé à venir. Il ne doit pas être loin d'ici.

      Tandis que Coralie s'agenouillait, il chercha autour du cloître, et descendit jusqu'à la moitié du jardin. Mais Siméon demeurait invisible. Il ne restait plus qu'à visiter le pavillon, et c'était évidemment un acte redoutable dont ils retardèrent l'accomplissement, sinon par crainte, du moins par l'espèce de frayeur sacrée que l'on éprouve à pénétrer dans un lieu de mort et de crime.

      Ce fut encore la jeune femme qui donna le signal de l'action.

      – Venez, dit-elle.

      Patrice ne savait comment ils entreraient dans le pavillon dont les fenêtres et les issues lui avaient toutes paru fermées. Mais, en approchant, ils constatèrent que la porte de derrière, sur la cour, était grande ouverte, et ils pensèrent aussitôt que Siméon les attendait à l'intérieur.

      Il était exactement dix heures quand ils franchirent le seuil du pavillon. Un petit vestibule conduisait d'un côté à une cuisine, de l'autre à une chambre. En face, ce devait être la pièce principale. La porte en était entrebâillée et Coralie balbutia :

      – C'est ici que la chose a dû avoir lieu... autrefois.

      – Oui, dit Patrice, nous y trouverons Siméon.

      Mais, si le cœur vous manque, Coralie, il vaut mieux renoncer.

      Une volonté irréfléchie soutenait la jeune femme. Rien n'eût arrêté son élan. Elle avança.

      Quoique grande, la pièce donnait une impression d'intimité par la façon dont elle était meublée. Divans, fauteuils, tapis, tentures, tout concourait à la rendre confortable, et l'on eût dit que l'aspect n'en avait pas changé depuis la mort tragique de ceux qui l'habitaient. Cet aspect était plutôt celui d'un atelier, à cause d'un vitrage qui occupait le milieu du très haut plafond, à l'endroit du belvédère, et par où le jour descendait. Il y avait bien deux fenêtres, mais des rideaux les masquaient.

      – Siméon n'est pas là, dit Patrice.

      Coralie ne répondit pas. Elle examinait les choses avec une émotion qui contractait sa figure. C'étaient des livres qui tous remontaient au siècle dernier. Quelques-uns portaient sur leur couverture, jaune ou bleue, une signature au crayon : Coralie. C'étaient des ouvrages de dame inachevés, un canevas de broderie, une tapisserie d'où pendait l'aiguille au bout du brin de laine. Et c'étaient aussi des livres avec la signature : Patrice, et une boîte de cigares, et un sous-main, et des porte-plume, et un encrier. Et c'étaient deux petites photographies dans leurs cadres, celles de deux enfants, Patrice et Coralie.

      Et ainsi toute la vie de jadis continuait, non point seulement la vie de deux amoureux qui s'aiment d'un amour violent et passager, mais de deux êtres qui se retrouvent dans le calme et dans la certitude d'une longue existence commune.

      – Oh ! maman, maman, chuchota Coralie.

      Son émotion croissait à chacun des souvenirs recueillis. Elle s'appuya toute palpitante sur l'épaule de Patrice.

      – Allons-nous-en, dit-il.

      – Oui, oui, cela vaut mieux, mon ami. Nous reviendrons... nous revivrons auprès d'eux... nous reprendrons ici l'intimité de leur vie brisée. Allons-nous-en. Aujourd'hui je n'ai plus de forces.

      Mais à peine avaient-ils fait quelques pas qu'ils s'arrêtèrent, confondus. La porte était close.

      Leurs yeux se rencontrèrent, chargés d'inquiétude.

      – Nous ne l'avions pas fermée, n'est-ce pas ? dit-il.

      – Non, dit-elle, nous ne l'avions pas fermée.

      Il s'approcha pour ouvrir et s'aperçut que la porte n'avait pas de poignée ni de serrure.

      C'était une porte à un seul battant, de bois plein, qui semblait dur et massif. On eût dit qu'elle était faite d'un morceau et prise dans le cœur même d'un chêne. Nul vernis, nulle peinture. Çà et là, des éraflures, comme si on l'eût frappée à l'aide d'un instrument.

      Et puis... et puis... vers la droite, ces quelques mots au crayon :

Patrice et Coralie – 14 avril 1895
Dieu nous vengera

      Au-dessous une croix, et au-dessous de cette croix, une autre date, mais d'une écriture différente et plus fraîche :

14 avril 1915

      – 1915 !... 1915 !... prononça Patrice. C'est effrayant ! La date d'aujourd'hui ! Qui a écrit cela ? Cela vient d'être écrit. Oh ! c'est effrayant !... Voyons... Voyons... nous n'allons pourtant pas...

      Il s'élança jusqu'à l'une des fenêtres, d'un coup tira le rideau qui la voilait, et ouvrit la croisée.

      Un cri lui échappa.

      La fenêtre était murée, murée avec de gros mœllons qui s'interposaient entre les vitres et les volets.

      Il courut à l'autre : même obstacle.

      Il y avait deux portes, qui devaient donner, à droite, dans la chambre, à gauche sans doute dans une salle attenant à la cuisine.

      Il les ouvrit rapidement.

      L'une et l'autre étaient murées.

      Il courut de tous côtés, en une minute d'effarement, puis se précipita sur la première des trois portes qu'il essaya d'ébranler.

      Elle ne bougea pas. Elle donnait l'impression d'un bloc immuable.

      Alors, de nouveau, ils se regardèrent éperdument, et la même pensée terrible les envahit. La chose d'autrefois se répétait. Le drame recommençait dans des conditions identiques. Après la mère et le père, c'étaient la fille et le fils. Comme les amants de jadis, ceux d'aujourd'hui étaient captifs. L'ennemi les tenait sous sa griffe puissante, et sans doute allaient-ils connaître la façon dont leurs parents étaient morts par la façon dont eux-mêmes allaient mourir... 14 avril 1895... 14 avril 1915...




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