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Les grandes légendes de France

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






III - LE MONT ST-MICHEL ET SON HISTOIRE

IV - CONCLUSION – RÔLE DU MONT-SAINT-MICHEL DANS L'HISTOIRE – LE GÉNIE DE LA FRANCE ET SON SYMBOLE

Je viens de donner un aperçu du rôle du Mont-Saint-Michel dans l'histoire de France, du ee VIIIème au XVème siècle, époque qui est pour l'âme française la période de formation héroïque et créatrice. Son rôle actif finit avec l'affranchissement de la France par Jeanne d'Arc. La royauté bourgeoise, politique et prosaïque, tracassière et financière, de Louis XI met fin à l'époque chevaleresque. Les temps modernes commencent. Du même coup, le vieux sanctuaire normand cesse d'être un centre inspirateur. Comme si son idéale mission était terminée, la figure de l'archange ne passe plus dans les songes des moines et des guerriers, des voyantes et des bergères. Le roi peureux, hypocrite et vindicatif, va bien faire des pèlerinages à l'abbaye et fonder l'ordre des chevaliers de Saint-Michel, il ne peut que lui jeter un mauvais sort. L'ordre sera stérile, le sanctuaire ira dépérissant, profané par d'indignes destinations. Louis XIV, le grand roi, s'en désintéressera au point d'en faire une prison. Il y fera enfermer le gazetier Dubourg, qui l'avait insulté, et le malheureux y mourra de froid et de faim, rongé par les rats. L'exemple était donné. La Convention fit du Mont-Saint-Michel une prison d'Etat. Napoléon la transforma en maison de correction, la Restauration en prison centrale. Parmi les illustres prisonniers politiques qui ont traîné là leurs amertumes, leurs rébellions et leurs rêves de rénovation ou de bouleversement, il faut citer Barbès et Blanqui ; Barbès, cœur héroïque faussé par un esprit étroit, qui mit une âme chevaleresque au service de l'émeute et fut le Dom Quichotte de la démocratie ; Blanqui, esprit remarquable, perverti par une âme mauvaise, qui médita sans y réussir d'être le Robespierre d'un socialisme darwiniste, Blanqui l'anarchiste enragé, dont la philosophie sociale se fondait sur cette maxime : « Homo homini lupus, la seule fraternité est d'empêcher de tuer son frère. » De 1793 à 1863, plus de quatorze mille détenus passèrent par les prisons du Mont-Saint-Michel. Quoi d'étonnant si l'abbaye morose, si la basilique déserte, si la morne salle des chevaliers ont gardé de tant de tristesses une atmosphère oppressante, comme la marque d'une déchéance et d'une malédiction ! Le Mont-Saint-Michel n'est plus aujourd'hui qu'un monument historique dont la grandeur et l'incomparable originalité évoquent puissamment les anciennes gloires nationales, et où le génie muet de la France chevaleresque a l'air de pleurer un passé à jamais enseveli.

      Est-il vraiment enseveli, ce passé ? Est-il mort, ce génie ? Ou dort-il seulement dans l'âme française comme ces souvenirs effacés que certaines secousses ravivent dans nos mémoires ? – Le tempérament particulier des Gaulois, qui revit dans les Français, est de rompre quelquefois avec leur passé, pour s'élancer à de nouvelles conquêtes. Si l'on embrasse d'un seul coup d'œil l'histoire de France depuis ses origines gauloises jusqu'à nos jours, on sera frappé de ce fait. Des nations voisines, comme l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre, ont eu un développement plus lent, mais plus égal et plus continu. Chez elles, chaque siècle a pu léguer au suivant sa tradition presque intacte. Chez nous, tout marche par soubresauts. Quatre fois le passé a été submergé, la tradition interrompue. La conquête romaine a d'abord déraciné, jeté au vent nos vieilles traditions celtiques. L'invasion germanique a ensuite recouvert la Gaule latine. Avec la renaissance du XVIème siècle, cette Gaule latine et grecque ressuscite. Alors les hommes d'élite ont une première, une éblouissante vision de l'art et de la beauté antiques, ainsi que de la science intégrale, destinée à élargir jusqu'à l'infini la conception de l'univers. Le moyen-âge est oublié comme un mauvais rêve. Avec la révolution, c'est le vieux génie de la race celtique qui se réveille en un formidable branle-bas. Elle éclate comme un cyclone de l'Atlantique, balayant sur son chemin le vieux passé monarchique et féodal. Cette tempête terrible a détruit bien des choses ; mais que d'injustices réparées, que de rayons fulgurants, que de voies sacrées hardiment ouvertes à l'esprit humain !

      Emportée par sa propre audace autant que par le mouvement universel, la France du XIXème siècle a suivi tous les courants nouveaux. Le symbole qui la représente n'est plus la bannière blanche à fleurs de lis d'or, mais le navire qui sert d'emblème à sa capitale, ce vaisseau lancé à pleines voiles sur une mer agitée, avec la devise : Fluctuat nec mergitur. Comme le vaisseau des Argonautes, celui de Lutèce, armé des sciences et des arts, en qui la France se contemple elle-même, a oublié son point de départ dans l'aventureuse recherche de la terre inconnue, dont il attend la révélation des secrets magiques et divins. Qu'il n'oublie pas cependant son origine, ni les mers traversées. Selon la profonde parole druidique, toute âme a son génie primitif qu'elle doit retrouver dans le labeur des vies. Il en est de même de l'âme des nations. Chacune d'elles a sa mission spéciale et ne peut l'accomplir qu'en restant fidèle à son génie propre. Le moment est venu pour la France, initiée à sa propre histoire et à celle des autres peuples, de se ressaisir elle-même dans son passé le plus vivant, j'entends dans toutes les manifestations primordiales et originales, des races et des époques créatrices qui composent son unité. En faisant cette synthèse, elle constituera la plénitude de son idéal et de sa mission.

      « L'Angleterre, a dit Michelet, est un empire, l'Allemagne une race, la France est une personne. » Fière et noble parole ! Si chaque peuple a une âme et une mission, celle de la France, en effet, est plus hardiment accentuée, plus clairement définie. La sympathie celtique, jointe à la clarté latine et à la liberté franque, est devenue, par la conscience française, le sentiment humain dans toute sa largeur et le besoin de l'universalité intellectuelle. D'autres peuples ont été plus conséquents, plus habiles et plus égoïstes. Dans ses plus irrésistibles élans, croisades, guerre d'Amérique, états généraux de 89, la France a eu le beau don de s'oublier en pensant au monde entier. Elle n'est vraiment elle-même que lorsqu'elle combat pour les autres. Voilà pourquoi elle ne saurait oublier l'archange saint Michel qui se dresse à son berceau, tenant d'une main l'épée flamboyante, de l'autre la balance de justice. Car ce génie ne cesse de lui conseiller d'être l'ami du faible, le champion de l'opprimé, le chevalier de l'humanité.




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