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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE III
HERMÈS – LES MYSTÈRES DE L'ÉGYPTE


I – LE SPHINX

En face de Babylone, métropole ténébreuse du despotisme, l'Egypte fut dans le monde antique une véritable citadelle de la science sacrée, une école pour ses plus illustres prophètes, un refuge et un laboratoire des plus nobles traditions de l'humanité. Grâce à des fouilles immenses, à des travaux admirables, le peuple égyptien nous est aujourd'hui mieux connu qu'aucune des civilisations qui précédèrent la Grèce, car il nous rouvre son histoire écrite sur des pages de pierre (36). On déblaye ses monuments, on déchiffre ses hiéroglyphes ; et cependant il nous reste encore à pénétrer dans le plus profond arcane de sa pensée. Cet arcane, c'est la doctrine occulte de ses prêtres. Cette doctrine scientifiquement cultivée dans les temples, prudemment voilée sous les mystères, nous montre du même coup l'âme de l'Egypte, le secret de sa politique et son rôle capital dans l'histoire universelle.

      Nos historiens parlent des pharaons sur le même ton que des despotes de Ninive et de Babylone. Pour eux l'Egypte est une monarchie absolue et conquérante comme l'Assyrie et n'en diffère que parce qu'elle a duré quelques milliers d'années de plus. Se doutent-ils qu'en Assyrie la royauté écrasa le sacerdoce pour s'en faire un instrument, tandis qu'en Egypte le sacerdoce disciplina la royauté, n'abdiqua jamais, même aux pires époques, s'imposant aux rois, chassant les despotes, gouvernant, toujours la nation ; et cela par une supériorité intellectuelle, par une sagesse profonde et cachée, que nul corps enseignant n'a jamais égalée dans aucun pays ni dans aucun temps ? J'ai peine à le croire. Car bien loin de tirer les conséquences innombrables de ce fait essentiel, nos historiens l'ont à peine entrevu et semblent n'y attacher aucune importance. Il n'est pourtant pas nécessaire d'être archéologue ou linguiste pour comprendre que la haine implacable entre l'Assyrie et l'Egypte provient de ce que ces deux peuples représentaient dans le monde deux principe opposés et que le peuple Egyptien dut sa longue durée à une ossature religieuse et scientifique plus forte que toutes les révolutions.

      Depuis l'époque aryenne, à travers la période troublée qui suivit les temps védiques jusqu'à la conquête persane et à l'époque alexandrine, c'est-à-dire pendant un laps de plus de cinq mille ans, l'Egypte fut la forteresse des pures et hautes doctrines, dont l'ensemble constitue la science des principes et qu'on pourrait appeler l'orthodoxie ésotérique de l'antiquité. Cinquante dynasties purent se succéder et le Nil charrier ses alluvions sur des cités entières, l'invasion phénicienne put inonder le pays et en être expulsée : au milieu des flux et des reflux de l'histoire, sous l'idolâtrie apparente de son polythéisme extérieur, l'Egypte garda le vieux fonds de sa théogonie occulte et son organisation sacerdotale. Elle résista aux siècles comme la pyramide de Gizeh à demi enfouie sous les sables, mais intacte. Grâce à cette immobilité de sphinx gardant son secret, à cette résistance de granit, l'Egypte devint l'axe autour duquel évolua la pensée religieuse de l'humanité en passant d'Asie en Europe. La Judée, la Grèce, l'Etrurie, autant d'âmes de vie qui formèrent des civilisations diverses. Mais, où puisèrent-elles leurs idées mères, sinon dans la réserve organique de la vieille Egypte ? Moïse et Orphée créèrent deux religions opposées et prodigieuses, l'une par son âpre monothéisme, l'autre par son polythéisme éblouissant. Mais dans quel moule se forma leur génie ? Où l'un trouva-t-il la force, l'énergie, l'audace de refondre un peuple à demi sauvage, comme l'airain dans une fournaise ; et l'autre la magie de faire parler les dieux, comme une lyre accordée, à l'âme de ses barbares charmés ? dans les temples d'Osiris, dans l'antique Thébah, que les initiés appelaient la cité du soleil ou l'Arche solaire – parce qu'elle contenait la synthèse de la science divine et tous les secrets de l'initiation.

      Tous les ans, au solstice d'été, quand tombent les pluies torrentielles de l'Abyssinie ; le Nil change de couleur et prend cette teinte de sang dont parle la Bible. Le fleuve grossit jusqu'à l'équinoxe d'automne et ensevelit sous ses flots l'horizon de ses rives. Mais debout sur leurs plateaux granitiques ; sous le soleil aveuglant, les temples taillés en plein roc, les nécropoles, les pylônes, les pyramides reflètent la majesté de leurs ruines dans le Nil changé en mer. Ainsi le sacerdoce égyptien a traversé les siècles avec son organisation et ses symboles, arcanes longtemps impénétrables de sa science. Dans ces temples, dans ces cryptes et dans ces pyramides s'élabora la fameuse doctrine du Verbe-Lumière, de la Parole universelle que Moïse renfermera dans son arche d'or et dont le Christ sera le flambeau vivant.

      La vérité est immuable en elle-même ; elle seule survit à tout ; mais elle change de demeures comme de formes et ses révélations sont intermittentes. « La lumière d'Osiris » qui jadis éclairait pour les initiés les profondeurs de la nature et les voûtes célestes, s'est éteinte pour toujours dans les cryptes abandonnées. Il s'est réalisé le mot d'Hermès à Asklepios : « Ô Egypte ! Egypte ! il ne restera de toi que des fables incroyables aux générations futures et rien ne durera de toi que des mots taillés dans des pierres. »

      C'est cependant un rayon de ce mystérieux soleil des sanctuaires que nous voudrions faire revivre en suivant la voie secrète de l'ancienne initiation égyptienne, autant que le permet l'intuition ésotérique et la fuyante réfraction des âges.

      Mais avant d'entrer dans le temple, jetons un coup d'œil sur les grandes phases que traversa l'Egypte avant le temps des Hycsos.

      Presque aussi vieille que la carcasse de nos continents, la première civilisation égyptienne remonte à l'antique race rouge (37). Le sphinx colossal de Gisèh, près de la grande pyramide, est son œuvre. Du temps où le Delta (formé plus tard par les alluvions du Nil) n'existait pas encore, l'animal monstrueux et symbolique était déjà couché sur sa colline de granit, en avant de la chaîne des monts lybiques et regardait la mer se briser à ses pieds, là où s'étend aujourd'hui le sable du désert. Le sphinx, cette première création de l'Egypte, est devenu son symbole principal, sa marque distinctive. Le plus antique sacerdoce humain le sculpta, image de la nature calme et redoutable dans son mystère. Une tête d'homme sort d'un corps de taureau aux griffes de lion et replie ses ailes d'aigle sur ses flancs. C'est l'Isis terrestre, la nature dans l'unité vivante de ses règnes. Car déjà, ces sacerdoces immémoriaux savaient et enseignaient que, dans la grande évolution, la nature humaine émerge de la nature animale. Dans ce composé du taureau, du lion, de l'aigle et de l'homme sont aussi renfermés les quatre animaux de la vision d'Ezéchiel, représentant quatre éléments constitutifs du microcosme et du macrocosme l'eau, la terre, l'air et le feu, base de la science occulte. C'est pourquoi, dans les siècles postérieurs, quand les initiés verront l'animal sacré, couché sur le seuil des temples ou au fond des cryptes, ils sentiront vivre ce mystère en eux-mêmes et replieront en silence les ailes de leur esprit sur la vérité intérieure. Car avant Œdipe, ils sauront que le mot de l'énigme du sphinx c'est l'homme, le microcosme, l'agent divin, qui résume tous les éléments et toutes les forces de la nature.

      La race rouge n'a donc laissé d'elle-même d'autre témoin que le sphinx de Gisèh, preuve irrécusable qu'elle avait posé et résolu à sa manière le grand problème.


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(36)  Champollion, L'Egypte sous les Pharaons ; Bunsen, Ägyptische Alterthümer ; Lepsius, Denkmaeler ; Paul Pierret, Le Livre des morts ; François Lenormant, Histoire des peuples de l'Orient ; Maspéro, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, etc.

(37)  Dans une inscription de la quatrième dynastie, il est parlé du sphinx comme d'un monument dont l'origine se perdait dans la nuit des temps, qui avait été trouvé fortuitement sous le règne de ce prince, enfoui par le sable du désert sous lequel il était oublié depuis de longues générations. (François Lenormant, Histoire d'Orient, II, 55. – Or, la quatrième dynastie nous reporte à 4000 ans avant J.-C. Qu'on juge par là de l'antiquité du Sphinx !




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