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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE PREMIER
RAMA – LE CYCLE ARYEN


I – LES RACES HUMAINES ET LES ORIGINES DE LA RELIGION

« Le Ciel est mon Père, il m'a engendré. J'ai pour famille tout cet entourage céleste. Ma Mère, c'est la grande Terre. La partie la plus haute de sa surface, est sa matrice ; là le Père féconde le sein de celle qui est son épouse et sa fille. »

      Voilà ce que chantait, il y a quatre ou cinq mille ans, devant un autel de terre où flambait un feu d'herbes sèches, le poète védique. Une divination profonde, une conscience grandiose respire dans ces paroles étranges. Elles renferment le secret de la double origine de l'humanité. Antérieur et supérieur à la terre est le type divin de l'homme ; céleste est l'origine de son âme. Mais son corps est le produit des éléments terrestres fécondés par une essence cosmique. Les embrassements d'Ouranos et de la grande Mère signifient dans la langue des Mystères les pluies d'âmes ou de monades spirituelles qui viennent féconder les germes terrestres ; les principes organisateurs sans lesquels la matière ne serait qu'une masse inerte et diffuse. La partie la plus haute de la surface terrestre que le poète védique appelle la matrice de la terre désigne les continents et les montagnes, berceaux des races humaines. Quant au Ciel : Varouna, l'Ouranos des Grecs, il représente l'ordre invisible, hyperphysique, éternel et intellectuel, il embrasse tout l'Infini de l'Espace et du Temps.

      Dans ce chapitre, nous n'envisagerons que les origines terrestres de l'humanité selon les traditions ésotériques confirmées par la science anthropologique et ethnologique de nos jours.

      Les quatre races qui se partagent actuellement le globe sont filles de terres et de zones diverses. Créations successives, lentes élaborations de la terre en travail, les continents ont émergé des mers à des intervalles de temps considérables que les anciens prêtres de l'Inde appelaient cycles interdiluviens. A travers des milliers d'années, chaque continent a enfanté sa flore et sa faune couronnée par une race humaine de couleur différente.

      Le continent austral, englouti par le dernier grand déluge, fut le berceau de la race rouge primitive, dont les Indiens d'Amérique ne sont que les débris issus de Troglodytes qui gagnèrent le sommet des montagnes quand s'effondra leur continent. L'Afrique est la mère de la race noire appelée éthiopienne par les Grecs. L'Asie a mis au jour la race jaune qui se maintient dans les Chinois. La dernière venue, la race blanche, est sortie des forêts de l'Europe, entre les tempêtes de l'Atlantique et les sourires de la Méditerranée. Toutes les variétés humaines résultent des mélanges, des combinaisons, des dégénérescences ou des sélections de ces quatre grandes races. Dans les cycles précédents, la rouge et la noire ont régné successivement par de puissantes civilisations qui ont laissé des traces dans les constructions cyclopéennes comme dans l'architecture du Mexique. Les temples de l'Inde et de l'Egypte avaient sur ces civilisations évanouies des chiffres et des traditions sommaires. – Dans notre cycle, c'est la race blanche qui domine et si l'on mesure l'antiquité probable de l'Inde et de l'Egypte, on fera remonter sa prépondérance à sept ou huit mille ans (5).

      Selon les traditions brahmaniques, la civilisation aurait commencé sur notre terre, il y a cinquante mille ans, avec la race rouge, sur le continent austral, alors que l'Europe entière et une partie de l'Asie étaient encore sous eau. Ces mythologies parlent aussi d'une race de géants antérieure. On a retrouvé dans certaines cavernes du Thibet des ossements humains gigantesques dont la conformation ressemble plus au singe qu'à l'homme. Ils se rapportent à une humanité primitive, intermédiaire, encore voisine de l'animalité qui ne possédait ni langage articulé, ni organisation sociale, ni religion. Car ces trois choses jaillissent toujours à la fois ; et c'est là le sens de cette remarquable triade bardique qui dit : « Trois choses sont primitivement contemporaines : Dieu, la lumière et la liberté. » Avec le premier balbutiement de la parole naît la société et le vague soupçon d'un ordre divin. C'est le souffle de Jéhovah dans la bouche d'Adam, le verbe d'Hermès, la loi du premier Manou, le feu de Prométhée. Un Dieu tressaille dans le faune humain. La race rouge, nous l'avons dit, occupait le continent austral aujourd'hui englouti, appelé Atlantide par Platon d'après les traditions égyptiennes. Un grand cataclysme le détruisit en partie et en dispersa les restes. Plusieurs races polynésiennes ainsi que les Indiens de l'Amérique du Nord et les Aztèques que François Pizarre rencontra au Mexique sont les survivants de l'antique race rouge dont la civilisation, à jamais perdue, eut ses jours de gloire et de splendeur matérielle. Tous ces pauvres retardataires portent dans leur âme la mélancolie incurable des vieilles races qui se meurent sans espoir.

      Après la race rouge, la race noire domina sur le globe. Il faut en chercher le type supérieur non pas dans le nègre dégénéré, mais dans l'Abyssinien et le Nubien, en qui se conserve le moule de cette race parvenue à son apogée. Les Noirs envahirent le sud de l'Europe en des temps préhistoriques et en furent refoulés par les Blancs. Leur souvenir s'est complètement effacé de nos traditions populaires. Ils y ont cependant laissé deux empreintes ineffaçables : l'horreur du dragon qui fut l'emblème de leurs rois et l'idée que le diable est noir. Les Noirs rendirent l'insulte à la race rivale en faisant leur diable blanc. Au temps de leur souveraineté, les Noirs eurent des centres religieux en Haute-Egypte et en Inde. Leurs villes cyclopéennes crénelaient les montagnes de l'Afrique, du Caucase et de l'Asie centrale. Leur organisation sociale consistait en une théocratie absolue. Au sommet, des prêtres redoutés comme des dieux ; en bas, des tribus grouillantes, sans famille reconnue, les femmes esclaves. Ces prêtres avaient des connaissances profondes, le principe de l'unité divine de l'univers et le culte des astres qui, sous le nom de sabéisme, s'infiltra chez les peuples blancs (6). Mais entre la science des prêtres noirs et le fétichisme grossier des masses, il n'y avait point d'intermédiaire, d'art idéaliste, de mythologie suggestive. Du reste, une industrie déjà savante, sur tout l'art de manier par la balistique des masses de pierres colossales et de fondre les métaux dans d'immenses fourneaux auxquels on faisait travailler les prisonniers de guerre. Chez cette race puissante par la résistance physique, l'énergie passionnelle et la capacité d'attachement, la religion fut donc le règne de la force par la terreur. La Nature et Dieu n'apparurent guère à la conscience de ces peuples enfants que sous la forme du dragon, du terrible animal antédiluvien que les rois faisaient peindre sur leurs bannières et que les prêtre sculptaient sur la porte de leurs temples.

      Si le soleil d'Afrique a couvé la race noire, on dirait que les glaces du pôle arctique ont vu l'éclosion de la race blanche. Ce sont les Hyperboréens dont parle la mythologie grecque. Ces hommes aux cheveux roux, aux yeux bleus, vinrent du Nord à travers des forêts éclairées de lueurs boréales, accompagnés par des chiens et des rennes, commandés par des chefs téméraires et poussés par des femmes voyantes. Crins d'or et yeux d'azur ; couleurs prédestinées. Cette race devait inventer le culte du soleil et du feu sacré et apporter dans le monde la nostalgie du ciel. Tantôt elle se révoltera contre lui jusqu'à vouloir l'escalader, tantôt elle se prosternera devant ses splendeurs dans une adoration absolue.

      Comme les autres, la race blanche dut se dégager de l'état sauvage avant de prendre conscience d'elle-même. – Elle a pour signes distinctifs le goût de la liberté individuelle, la sensibilité réfléchie qui crée le pouvoir de la sympathie, et la prédominance de l'intellect qui donne à l'imagination un tour idéaliste et symbolique. – La sensibilité animique amena l'attachement, la préférence de l'homme pour une seule femme ; de là la tendance de cette race à la monogamie, le principe conjugal et la famille. – Le besoin de liberté, joint à celui de sociabilité, créa le clan avec son principe électif. – L'imagination idéale créa le culte des ancêtres qui forme la racine et le centre de la religion chez les peuples blancs.

      Le principe social et politique se manifeste le jour où un certain nombre d'hommes à demi sauvages, pressés par une peuplade ennemie, s'assemblent d'instinct et choisissent le plus fort et le plus intelligent d'entre eux pour les défendre et les commander. Ce jour-là, la société est née. Le chef est un roi en herbe, ses compagnons, de futurs nobles ; les vieillards délibérants, mais incapables de marcher, forment déjà une espèce de sénat ou d'assemblée des anciens. Mais comment est née la religion ? On a dit que c'était de la crainte de l'homme primitif devant la nature. Mais la crainte n'a rien de commun avec le respect et l'amour. Elle ne relie pas le fait à l'idée, le visible à l'invisible, l'homme à Dieu. Tant que l'homme ne fit que trembler devant la nature, il ne fut pas homme encore. Il le devint le jour où il saisit le lien qui le rattachait au passé et à l'avenir, à quelque chose de supérieur et de bienfaisant et où il adora ce mystérieux inconnu. Mais comment adora-t-il pour la première fois ?

      Fabre d'Olivet fait une hypothèse éminemment géniale et suggestive sur la manière dont le culte des ancêtres a dû s'établir chez la race blanche (7). Dans un clan belliqueux, deux guerriers rivaux sont en querelle. Furieux, ils vont se battre, déjà ils sont aux prises. A ce moment, une femme échevelée s'élance entre eux et les sépare. C'est la sœur de l'un et la femme de l'autre. Ses yeux jettent des flammes, sa voix a l'accent du commandement. Elle s'écrie en paroles haletantes, incisives, qu'elle a vu dans la forêt l'Ancêtre de la race, le guerrier victorieux d'autrefois, le héroll lui apparaître. Il ne veut pas que deux guerriers frères se combattent, mais qu'ils s'unissent contre l'ennemi commun. « C'est l'ombre du grand Ancêtre, c'est le héroll qui me l'a dit, clame la femme exaltée, il m'a parlé ! Je l'ai vu ! » Ce qu'elle dit, elle le croit. Convaincue, elle convainc. Emus, étonnés et comme terrassés par une force invincible, les adversaires réconciliés se donnent la main et regardent cette femme inspirée comme une sorte de divinité.

      De telles inspirations suivies de brusques volte-face durent se produire en grand nombre et sous des formes très diverses dans la vie préhistorique de la race blanche. Chez les peuples barbares, c'est la femme qui, par sa sensibilité nerveuse, pressent d'abord l'occulte, affirme l'invisible. Qu'on envisage maintenant les conséquences inattendues et prodigieuses d'un événement semblable à celui dont nous parlons. Dans le clan, dans la peuplade, tout le monde parle du fait merveilleux. Le chêne où la femme inspirée a vu l'apparition devient un arbre sacré. On l'y ramène ; et là, sous l'influence magnétique de la lune qui la plonge dans un état visionnaire, elle continue à prophétiser au non du grand Ancêtre. Bientôt cette femme et d'autres semblables, debout sur les rochers, au milieu des clairières, au bruit du vent et de l'Océan lointain, évoqueront les âmes diaphanes des ancêtres devant des foules palpitantes, qui les verront ou croiront les voir, attirées par de magiques incantations dans les brumes flottantes aux transparences lunaires. Le dernier des grands Celtes, Ossian, évoquera Fingal et ses compagnons dans les nuages assemblés. Ainsi, à l'origine même de la vie sociale, le culte des Ancêtres s'établit chez la race blanche. Le grand Ancêtre devient le Dieu de la peuplade. Voilà le commencement de la religion.

      Mais ce n'est pas tout. Autour de la prophétesse se groupent des vieillards qui l'observent dans ses sommeils lucides, dans ses extases prophétiques. Ils étudient ses états divers, contrôlent ses révélations, interprètent ses oracles. Ils remarquent que lorsqu'elle prophétise dans l'état visionnaire, son visage se transfigure, sa parole devient rythmique et sa voix élevée profère ses oracles en chantant sur une mélopée grave et significative (8). De là le vers, la strophe, la poésie et la musique dont l'origine passe pour divine chez tous les peuples de race aryenne. L'idée de la révélation ne pouvait se produire qu'à propos de faits de cet ordre. Du même coup nous en voyons jaillir la religion et le culte, les prêtres et la poésie.

      En Asie, dans l'Iran et dans l'Inde, où des peuples de race blanche fondèrent les premières civilisations aryennes en se mêlant à des peuples de couleur diverse, les hommes prirent rapidement le dessus sur les femmes en fait d'inspiration religieuse. Là, nous n'entendons plus parler que de sages, de rishis, de prophètes. La femme refoulée, soumise, n'est plus prêtresse qu'au foyer. Mais en Europe, la trace du rôle prépondérant de la femme se retrouve chez les peuples de même origine, restés barbares pendant des milliers d'années. Il perce dans la Pythonisse scandinave, dans la Voluspa de l'Edda, dans les druidesses celtiques, dans les femmes devineresses qui accompagnaient les armées germaniques et décidaient du jour des batailles (9), et jusque dans les Bacchantes thraces qui surnagent dans la légende d'Orphée. La Voyante préhistorique se continue dans la Pythie de Delphes.

      Les prophétesses primitives de la race blanche s'organisèrent en collèges de druidesses, sous la surveillance des vieillards instruits ou des druides, les hommes du chêne. Elles ne furent d'abord que bienfaisantes. Par leur intuition, leur divination, leur enthousiasme, elles donnèrent un élan immense à la race qui n'en était qu'au commencement de sa lutte plusieurs fois séculaire avec les Noirs. Mais la corruption rapide et les abus énormes de cette institution étaient inévitables. Se sentant maîtresses des destinées des peuples, les druidesses voulurent les dominer à tout prix. L'inspiration leur faisant défaut, elles tentèrent de régner par la terreur. Elles exigèrent les sacrifices humains et en firent l'élément essentiel de leur culte. En cela, les instincts héroïques de leur race les favorisaient. Les Blancs étaient courageux ; leurs guerriers méprisaient la mort ; au premier appel, ils venaient d'eux-mêmes et par bravade se jeter sous le couteau des prêtresses sanguinaires. Par hécatombes humaines, on dépêchait les vivants chez les morts comme des messagers, et on croyait obtenir ainsi les faveurs des ancêtres. Cette menace perpétuelle planant sur la tête des premiers chefs par la bouche des prophétesses et des druides devint entre leurs mains un formidable instrument de domination.

      Premier exemple de la perversion que subissent fatalement les plus nobles instincts de la nature humaine, lorsqu'ils ne sont pas maîtrisés par une autorité savante, dirigés vers le bien par une conscience supérieure. Livrée au hasard de l'ambition et de la passion personnelle, l'inspiration dégénère en superstition, le courage en férocité, l'idée sublime du sacrifice en instrument de tyrannie, en exploitation perfide et cruelle.

      Mais la race blanche n'en était qu'à son enfance violente et folle. Passionnée dans la sphère animique, elle devait traverser bien d'autres et de plus sanglantes crises. Elle venait d'être réveillée par les attaques de la race noire qui commençait à l'envahir par le sud de l'Europe. Lutte inégale au début. Les Blancs à demi sauvages, sortant de leurs forêts et de leurs habitations lacustres, n'avaient d'autre ressource que leurs arcs, leurs lances et leurs flèches aux pointes de pierre. Les Noirs avaient des armes de fer, des armures d'airain, toutes les ressources d'une civilisation industrieuse et leurs cités cyclopéennes. Ecrasés au premier choc, les Blancs, emmenés en captivité, commencèrent par devenir en masse les esclaves des Noirs qui les forcèrent à travailler la pierre et à porter le minerai dans leurs fours. Cependant des captifs échappés rapportèrent dans leur patrie les usages, les arts et des fragments de science de leurs vainqueurs. Ils apprirent des Noirs deux choses capitales : la fonte des métaux et l'écriture sacrée, c'est-à-dire l'art de fixer certaines idées par des signes mystérieux et hiéroglyphiques sur des peaux de bête, sur la pierre ou sur l'écorce des frênes ; de là les runes des Celtes. Le métal fondu et forgé, c'était l'instrument de la guerre ; l'écriture sacrée fut l'origine de la science et de la tradition religieuse. La lutte entre la race blanche et la race noire oscilla pendant de longs siècles des Pyrénées au Caucase et du Caucase à l'Himalaya. Le salut des Blancs, ce furent leurs forêts, où comme des fauves ils pouvaient se cacher pour en rebondir au moment propice. Enhardis, aguerris, mieux armés de siècle en siècle, ils prirent enfin leur revanche, renversèrent les cités des Noirs, les chassèrent des côtes de l'Europe et envahirent à leur tour le nord de l'Afrique et le centre de l'Asie occupé par des peuplades mélaniennes.

      Le mélange des deux races s'opéra de deux manières différentes, soit par colonisation pacifique, soit par conquête belliqueuse. Fabre d'Olivet, ce merveilleux voyant du passé préhistorique de l'humanité, part de cette idée pour émettre une vue lumineuse sur l'origine des peuples dits sémitiques et des peuples aryens. Là où les colons blancs se seraient soumis aux peuples noirs en acceptant leur domination et en recevant de leurs prêtres l'initiation religieuse, là se seraient formés les peuples sémitiques, tels que les Egyptiens d'avant Ménès, les Arabes, les Phéniciens, les Chaldéens et les Juifs. Les civilisations aryennes, par contre, se seraient formées là où les Blancs auraient régné sur les Noirs par la guerre ou par la conquête, comme les Iraniens, les Indous, les Grecs, les Etrusques. Ajoutons que sous cette dénomination des peuples ariens, nous comprenons aussi tous les peuples blancs restés à l'état barbare et nomade dans l'antiquité, tels que les Scythes, les Gètes, les Sarmates, les Celtes et, plus tard, les Germains. Par là s'expliquerait la diversité fondamentale des religions et aussi de l'écriture chez ces deux grandes catégories de nations. Chez les Sémites où l'intellectualité de la race noire a dominé primitivement, on remarque, au-dessus de l'idolâtrie populaire, une tendance au monothéisme, – le principe de l'unité du Dieu caché, absolu et sans forme, ayant été un des dogmes essentiels des prêtres de la race noire et de leur initiation secrète. Chez les Blancs vainqueurs ou restés purs, on remarque au contraire la tendance au polythéisme, à la mythologie, à la personnification de la divinité, ce qui provient de leur amour pour la nature et de leur culte passionné pour les ancêtres.

      La différence principale entre la manière d'écrire des Sémites et celle des Aryens s'expliquerait par la même cause. Pourquoi tous les peuples sémitiques écrivent-ils de droite à gauche, et pourquoi tous les peuples aryens écrivent-ils de gauche à droite ? La raison qu'en donne Fabre d'Olivet est aussi curieuse qu'originale. Elle évoque devant nos yeux une véritable vision de ce passé perdu.

      Tout le monde sait que dans les temps préhistoriques il n'y avait point d'écriture vulgaire. L'usage ne s'en répandit qu'avec l'écriture phonétique ou l'art de figurer par des lettres le son même des mots. Mais l'écriture hiéroglyphique ou l'art de représenter les choses par des signes quelconques est aussi vieille que la civilisation humaine. Et toujours, en ces temps primitifs, elle fut le privilège du sacerdoce, étant considérée comme chose sacrée, comme fonction religieuse et primitivement comme inspiration divine. Lorsque, dans l'hémisphère austral, les prêtres de la race noire où sudéenne traçaient sur des peaux de bêtes ou sur des tables de pierres leurs signes mystérieux, ils avaient l'habitude de se tourner vers le pôle sud ; leur main se dirigeait vers l'Orient, source de la lumière. Ils écrivaient donc de droite à gauche. Les prêtres de la race blanche ou nordique apprirent l'écriture des prêtres noirs et commencèrent par écrire comme eux. Mais lorsque le sentiment de leur origine se fut développé en eux avec la conscience nationale et l'orgueil de la race, ils inventèrent des signes à eux, et au lieu de se tourner vers le Sud, vers le pays des Noirs, ils firent face au Nord, au pays des Ancêtres, en continuant à écrire vers l'Orient. Leurs caractères coururent alors de gauche à droite. De là la direction des runes celtique du zend, du sanscrit, du grec, du latin et de toutes les écritures des races aryennes. Elles courent vers le soleil, source de la vie terrestre mais elles regardent le Nord, patrie des ancêtres et source mystérieuse des aurores célestes.

      Le courant sémitique et le courant aryen, voilà les deux fleuves par lesquels nous sont venues toutes nos idées, mythologies et religions, arts, sciences et philosophies. Chacun de ces courants porte avec lui une conception opposée de la vie, dont la réconciliation et l'équilibre seraient la vérité même. Le courant sémitique contient les principes absolus et supérieurs : l'idée de l'unité et de l'universalité au nom d'un principe suprême qui conduit, dans l'application, à l'unification de la famille humaine. Le courant aryen contient l'idée de l'évolution ascendante dans tous les règnes terrestres et supraterrestres, et conduit dans l'application à la diversité infinie des développements au nom de la richesse de la nature et des aspirations multiples de l'âme. Le génie sémitique descend de Dieu à l'homme ; le génie aryen remonte de l'homme à Dieu. L'un se figure par l'archange justicier, qui descend sur la terre armé du glaive et de la foudre : l'autre par Prométhée qui tient à la main le feu ravi du ciel et mesure l'Olympe du regard.

      Ces deux génies nous les portons en nous. Nous pensons et nous agissons tour à tour sous l'empire de l'un et de l'autre. Mais ils sont enchevêtrés, non fondus dans notre intellectualité. Ils se contredisent et se combattent dans nos sentiments intimes et dans nos pensées subtiles comme dans notre vie sociale et dans nos institutions. Cachés sous des formes multiples qu'on pourrait résumer sous les noms génériques de spiritualisme et de naturalisme, ils dominent nos discussions et nos luttes. Inconciliables et invincibles tous deux, qui les unira ? Et cependant l'avancement, le salut de l'humanité dépend de leur conciliation et de leur synthèse. C'est pour cela que, dans ce livre, nous voudrions remonter jusqu'à la source des deux courants, à la naissance des deux génies. Par delà les mêlées de l'histoire, les guerres des cultes, les contradictions des textes sacrés, nous entrerons dans la conscience même des fondateurs et des prophètes qui donnèrent aux religions leur mouvement initial. Ceux-là eurent l'intuition profonde et l'inspiration d'en haut, la lumière vivante qui donne l'action féconde. Oui, la synthèse préexistait en eux. Le rayon divin pâlit et s'obscurcit chez leurs successeurs ; mais il reparaît, il brille, chaque fois que d'un point quelconque de l'histoire un prophète, un héros, ou un voyant remonte à son foyer. Car du point de départ seul on aperçoit le but ; du soleil rayonnant la course des planètes.

      Telle est la révélation dans l'histoire, continue, graduée, multiforme comme la nature – mais identique dans sa source, une comme la vérité, immuable comme Dieu.

      En remontant le courant sémitique, nous arrivons par Moïse à l'Egypte, dont les temples possédaient d'après Manéthon une tradition de trente mille ans. – En remontant le courant aryen, nous arrivons à l'Inde où se développa la première grande civilisation résultant d'une conquête de la race blanche. L'Inde et l'Egypte furent deux grandes mères de religions. Elles eurent le secret de la grande initiation. Nous entrerons dans leurs sanctuaires.

      Mais leurs traditions nous font remonter plus haut encore, à une époque antérieure, où les deux génies opposés dont nous avons parlé nous apparaissent unis dans une innocence première et dans une harmonie merveilleuse. C'est l'époque aryenne primitive. Grâce aux admirables travaux de la science moderne, grâce à la philologie, à la mythologie, à l'ethnologie comparées, il nous est permis aujourd'hui d'entrevoir cette époque. Elle se dessine à travers les hymnes védiques qui n'en sont pourtant qu'un reflet, avec une simplicité patriarcale et une grandiose pureté de lignes. Age viril et grave qui ne ressemble à rien moins qu'à l'âge d'or enfantin rêvé par les poètes. La douleur et la lutte n'en sont point absentes, mais il y a dans les hommes une confiance, une force, une sérénité que l'humanité n'a pas retrouvées depuis.

      En Inde, la pensée s'approfondira, les sentiments s'affineront. En Grèce, les passions et les idées s'envelopperont du prestige de l'art et du vêtement magique de la beauté. Mais aucune poésie ne surpasse certains hymnes védiques en élévation morale, en hauteur et en largeur intellectuelle. Il y a là le sentiment du divin dans la nature, de l'invisible qui l'entoure et de la grande unité qui pénètre le tout.

      Comment une telle civilisation est-elle née ? Comment une si haute intellectualité s'est-elle développée au milieu des guerres des races et de la lutte coutre la nature ? Ici s'arrêtent les investigations et les conjectures de la science contemporaine. Mais les traditions religieuses des peuples interprétées dans leur sens ésotérique vont plus loin et nous permettent de deviner que la première concentration du noyau aryen dans l'Iran se fit par une sorte de sélection opérée dans le sein même de la race blanche sous la conduite d'un conquérant législateur qui donna à son peuple une religion et une loi conformes au génie de la race blanche.

      En effet le livre sacré des Persans, le Zend-Avesta parle de cet antique législateur sous le nom de Yima, et Zoroastre en fondant une religion nouvelle en appelle à ce prédécesseur comme au premier homme auquel parla Ormuzd, le Dieu vivant, de même que Jésus-Christ en appelle à Moïse. – Le poète persan Firdousi nomme ce même législateur : Djem, le conquérant des Noirs. – Dans l'épopée indoue, dans le Ramayana, il apparaît sous le nom de Rama costumé en roi indien, entouré des splendeurs d'une civilisation avancée ; mais il y conserve ses deux caractères distinctifs de conquérant rénovateur et d'initié. – Dans les traditions égyptiennes, l'époque de Rama est désignée par le règne d'Osiris, le seigneur de la lumière, qui précède le règne d'Isis, la reine des mystères. – En Grèce enfin, l'ancien héros demi-dieu était honoré sous le nom de Dionysos qui vient du sanscrit Déva Nahousha, le divin rénovateur. Orphée donna même ce nom à l'Intelligence divine et le poète Nonnus chanta la conquête de l'Inde par Dionysos selon les traditions d'Eleusis.

      Comme les rayons d'un même cercle, toutes ces traditions désignent un centre commun. En suivant leur direction, on peut y parvenir. Alors, par de là l'Inde des Védas, par delà l'Iran de Zoroastre, dans l'aube crépusculaire de la race blanche, on voit sortir des forêts de l'antique Scythie le premier créateur de la religion aryenne ceint de sa double tiare de conquérant et d'initié, portant dans sa main le feu mystique, le feu sacré qui illuminera toutes les races.

      C'est à Fabre d'Olivet que revient l'honneur d'avoir retrouvé ce personnage (10) ; il a frayé la route lumineuse qui y conduit et c'est en la suivant que j'essayerai à mon tour de l'évoquer.


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(5)  Cette division de l'humanité en quatre races successives et originaires était admise par les plus anciens prêtres de l'Egypte. Elles sont représentées par quatre figures à types et à teintes différents dans les peintures du tombeau de Séti Ier à Thèbes. La race rouge porte le nom de Rot ; la race asiatique, au teint jaune, celui d'Amou ; la race africaine, au teint noir, celui de Halasiou ; la race lybico-européenne, au teint blanc, aux cheveux blonds celui de Tamahou. – Lenormant, Histoire des peuples d'Orient, I.

(6)  Voir les historiens arabes, ainsi que Aboul-Ghazi, Histoire généalogique des Tartares, et Mohammed Moshen, historien des Persans. – William Jones, Asiatic Reseaches. I. Discours sur les Tartares et les Persans.

(7)  Histoire philosophique du genre humain, tome Ier.

(8)  Tous ceux qui ont vu une véritable somnambule ont été frappés de la singulière exaltation intellectuelle qui se produit dans son sommeil lucide. Pour ceux qui n'ont pas été témoins de pareils phénomènes et qui en douteraient, nous citerons un passage du célèbre David Strauss qui n'est pas suspect, de superstition. Il vit chez son ami le docteur Justinus Kerner la célèbre « voyante de Prévorst » et la décrit ainsi : « Peu après, la visionnaire tomba dans un sommeil magnétique. J'eus ainsi pour la première fois le spectacle de cet état merveilleux, et, je puis le dire, dans sa plus pure et sa plus belle manifestation. C'était un visage d'une expression souffrante, mais élevée et tendre, et comme inondé d'un rayonnement céleste ; une langue pure, mesurée solennelle, musicale, un sorte de récitatif ; une abondance de sentiments qui débordaient et qu'on aurait pu comparer à des bandes de nuées, tantôt lumineuses, tantôt sombres, glissant au-dessus de l'âme, ou bien encore à des brises mélancoliques et sereines s'engouffrant dans les cordes d'une merveilleuse harpe éolienne. » (Trad. R. Lindau, Biographie générale, art. Kerner.)

(9)  Voir la dernière bataille entre Arioviste et César dans les Commentaires de celui-ci.

(10)  Histoire philosophique du genre humain, Tome Ier.




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