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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE III
HERMÈS – LES MYSTÈRES DE L'ÉGYPTE


II – HERMÈS

La race noire qui succéda à la race rouge australe dans la domination du monde, fit de la Haute Egypte son principal sanctuaire. Le nom d'Hermès-Toth, ce mystérieux et premier initiateur de l'Egypte aux doctrines sacrées, se rapporte sans doute à un premier et pacifique mélange de la race blanche et de la race noire, dans les régions de l'Ethiopie et de la Haute Egypte, longtemps avant l'époque aryenne. Hermès est un nom générique comme Manou et Bouddha. Il désigne à la fois un homme, une caste et un dieu. Homme, Hermès, est le premier, le grand initiateur de l'Egypte ; caste, c'est le sacerdoce dépositaire des traditions occultes ; dieu, c'est la planète Mercure, assimilée avec sa sphère à une catégorie d'esprits, d'initiateurs divins ; en un mot, Hermès préside à la région supraterrestre de l'initiation céleste. Dans l'économie spirituelle du monde, toutes ces choses sont reliées par de secrètes affinités comme par un fil invisible. Le nom d'Hermès est un talisman qui les résume, un son magique qui les évoque. De là son prestige. Les Grecs, disciples des Egyptiens, l'appelèrent Hermès Trismégiste ou trois fois grand, parce qu'il était considéré comme roi, législateur et prêtre. Il typifie une époque où le sacerdoce, la magistrature et la royauté se trouvaient réunis en un seul corps gouvernant. La chronologie égyptienne de Manéthon appelle cette époque le règne des dieux. Il n'y avait alors ni papyrus ni écriture phonétique ; mais l'idéographie sacrée existait déjà ; la science du sacerdoce était inscrite en hiéroglyphes sur les colonnes et les murs des cryptes. Considérablement augmentée, elle passa plus tard dans les bibliothèques des temples. Les Egyptiens attribuaient à Hermès quarante-deux livres roulant sur la science occulte. Le livre grec connu sous le nom d'Hermès Trismégiste renferme certainement des restes altérés mais infiniment précieux de l'antique théogonie qui est comme le fiat lux, d'où Moïse et Orphée reçurent leurs premiers rayons. La doctrine du Feu-Principe et du Verbe-Lumière, renfermée dans la Vision d'Hermès, restera le sommet et le centre de l'initiation égyptienne.

      Nous essayerons tout à l'heure de retrouver cette vision des maîtres, cette rose mystique qui ne s'épanouit que dans la nuit du sanctuaire et dans l'arcane des grandes religions. Certaines paroles d'Hermès, empreintes de l'antique sagesse, sont bien faites pour nous y préparer. « Aucune de nos pensées, dit-il à son disciple Asclépios, ne saurait concevoir Dieu ni aucune langue le définir. Ce qui est incorporel, invisible, sans forme, ne peut être saisi par nos sens ; ce qui est éternel ne saurait être mesuré par la courte règle du temps : Dieu est donc ineffable. Dieu peut, il est vrai, communiquer à quelques élus la faculté de s'élever au-dessus des choses naturelles, pour percevoir quelque rayonnement de sa perfection suprême – mais ces élus ne trouvent point de parole pour traduire en langue vulgaire l'immatérielle vision qui les a fait tressaillir. Ils peuvent expliquer à l'humanité les causes secondaires des créations qui passent sous leurs yeux comme les images de la vie universelle, mais la cause première demeure voilée et nous ne parviendrons à la comprendre qu'en traversant la mort. » C'est ainsi qu'Hermès parlait du Dieu inconnu au seuil des cryptes. Les disciples qui pénétraient avec lui dans leurs profondeurs, apprenaient à le connaître comme un être vivant (38).

      Le livre parle de sa mort comme du départ d'un dieu. « Hermès vit l'ensemble des choses, et ayant vu, il comprit, et ayant compris, il avait la puissance de manifester et de révéler. Ce qu'il pensa, il l'écrivit ; ce qu'il écrivit il le cacha en grande partie, se taisant avec sagesse et parlant à la fois, afin que toute la durée du monde à venir cherchât ces choses. Et ainsi, ayant ordonné aux dieux ses frères de lui servir de cortège, il monta aux étoiles. »

      On peut, à la rigueur, isoler l'histoire politique des peuples, on ne peut disjoindre leur histoire religieuse. Les religions de l'Assyrie, de l'Egypte, de la Judée, de la Grèce, ne se comprennent que lorsqu'on saisit leur point d'attache avec l'antique religion indo-aryenne. Prises à part, ce sont autant d'énigmes et de charades ; vues d'ensemble et de haut, c'est une superbe évolution, où tout se commande et s'explique réciproquement. En un mot, l'histoire d'une religion sera toujours étroite, superstitieuse et fausse ; il n'y a de vrai que l'histoire religieuse de l'humanité. A cette hauteur, on ne sent plus que les courants qui font le tour du globe. Le peuple égyptien, le plus indépendant et le plus fermé de tous aux influences extérieures, ne put se soustraire à cette loi universelle. Cinq mille ans avant notre ère, la lumière de Rama, allumée dans l'Iran, rayonna sur l'Egypte et devint la loi de Hammon-Râ, le dieu solaire de Thèbes. Cette constitution lui permit de braver tant de révolutions. Ménès fut le premier roi de justice, le premier pharaon exécuteur de cette loi. Il se garda bien d'ôter à l'Egypte son ancienne théologie, qui était la sienne aussi. Il ne fit que la confirmer et l'épanouir, en y joignant une organisation sociale nouvelle : le sacerdoce, c'est-à-dire l'enseignement, à un premier conseil ; la justice à un autre ; le gouvernement aux deux ; la royauté conçue comme leur délégation et soumise à leur contrôle ; l'indépendance relative des nômes ou communes, à la base de la société. C'est ce que nous pouvons nommer le gouvernement des initiés. Il avait pour clef de voûte une synthèse des sciences connues sous le nom d'Osiris (O-Sir- Is), le seigneur intellectuel. La grande pyramide en est le symbole et le gnomon mathématique. Le pharaon qui recevait son nom d'initiation du temple, qui exerçait l'art sacerdotal et royal sur le trône, était donc un bien autre personnage que le despote assyrien dont le pouvoir arbitraire était assis sur le crime et le sang. Le pharaon était l'initié couronné, ou du moins l'élève et l'instrument des initiés. Pendant des siècles, les pharaons défendront, contre l'Asie devenue despotique et coutre l'Europe anarchique, la loi du Bélier qui représentait alors les droits de la justice et de l'arbitrage international.

      Vers l'an 2200 avant Jésus-Christ, l'Egypte subit la crise la plus redoutable qu'un peuple puisse traverser : celle de l'invasion étrangère et d'une demi conquête. L'invasion phénicienne était elle-même la suite du grand schisme religieux d'Asie qui avait soulevé les masses populaires en semant la dissension dans les temples. Conduite par les rois-pasteurs appelés Hicsos, cette invasion roula son déluge sur le Delta et la moyenne Egypte. Les rois schismatiques amenaient avec eux une civilisation corrompue, la mollesse ionienne, le luxe de l'Asie, les mœurs du harem, une idolâtrie grossière. L'existence nationale de l'Egypte était compromise, son intellectualité en danger, sa mission universelle menacée. Mais elle avait une âme de vie, c'est-à-dire un corps organisé d'initiés, dépositaires de l'antique science d'Hermès et d'Ammon-Râ. Que fit cette âme ? Elle se retira au fond de ses sanctuaires, elle se ramassa sur elle-même pour mieux résister à l'ennemi. En apparence, le sacerdoce se courba devant l'invasion et reconnut les usurpateurs qui apportaient la loi du Taureau et le culte du bœuf Apis. Cependant cachés dans les temples, les deux conseils y gardèrent comme un dépôt sacré leur science, leurs traditions, l'antique et pure religion et avec elle l'espoir d'une restauration de la dynastie nationale. C'est à cette époque que les prêtres répandirent dans la foule la légende d'Isis et d'Osiris, du démembrement de ce dernier et de sa résurrection prochaine par son fils Horus, qui retrouverait ses membres épars emportés par le Nil. On excita l'imagination de la foule par la pompe des cérémonies publiques. On entretint son amour pour la vieille religion en lui représentant les malheurs de la déesse, ses lamentions sur la perte de son époux céleste et l'espoir qu'elle plaçait dans son fils Horus, le divin médiateur. Mais en même temps, les initiés jugèrent nécessaire de rendre la vérité ésotérique inattaquable en la recouvrant d'un triple voile. A la diffusion du culte populaire d'Isis et d'Osiris, correspond l'organisation intérieure et savante des petits et des grands Mystères. On les entoura de barrières presque infranchissables, de dangers terribles. On inventa les épreuves morales, on exigea le serment du silence, et la peine de mort fut rigoureusement appliquée contre les initiés qui divulguaient le moindre détail des Mystères. Grâce à cette organisation sévère, l'initiation égyptienne devint non seulement le refuge de la doctrine ésotérique, mais encore le creuset d'une résurrection nationale et l'école des religions futures. Tandis que les usurpateurs couronnés régnaient à Memphis, Thèbes préparait lentement la régénération du pays. De son temple, de son arche solaire sortit le sauveur de l'Egypte, Amos, qui chassa les Hicsos après neuf siècles de domination, restaura dans ses droits la science égyptienne et la religion mâle d'Osiris.

      Ainsi les Mystères sauvèrent l'âme de l'Egypte sous la tyrannie étrangère, et cela pour le bien de l'humanité. Car telle était alors la force de leur discipline, la puissance de leur initiation, qu'ils renfermaient sa meilleure force morale, sa plus haute sélection intellectuelle.

      L'initiation antique reposait sur une conception de l'homme à la fois plus saine et plus élevée que la nôtre. Noua avons dissocié l'éducation du corps, de l'âme et de l'esprit. Nos sciences physiques et naturelles très avancées en elles-mêmes, font abstraction du principe de l'âme et de sa diffusion dans l'univers ; notre religion ne satisfait pas aux besoins de l'intelligence ; notre médecine ne veut rien savoir ni de l'âme, ni de l'esprit. L'homme contemporain cherche le plaisir sans le bonheur, le bonheur sans la science et la science sans la sagesse. L'antiquité n'admettait pas que l'on pût séparer ces choses. Dans tous les domaines, elle tenait compte de la triple nature de l'homme. L'initiation était un entraînement graduel de tout l'être humain vers les sommets vertigineux de l'esprit, d'où l'on peut dominer la vie. « Pour atteindre à la maîtrise, disaient les sages d'alors, l'homme a besoin d'une refonte totale de son être physique, moral et intellectuel. Or, cette refonte n'est possible que par l'exercice simultané de la volonté, de l'intuition et du raisonnement. Par leur complète concordance, l'homme peut développer ses facultés jusqu'à des limites incalculables. L'âme a des sens endormis ; l'initiation les réveille. Par une étude approfondie, une application constante, l'homme peut se mettre en rapport conscient avec les forces occultes de l'univers. Par un effort prodigieux, il peut atteindre à la perception spirituelle directe, s'ouvrir les routes de l'au-delà et se rendre capable de s'y diriger. Alors seulement il peut dire qu'il a vaincu le destin et conquis dès ici-bas sa liberté divine. Alors seulement l'initié peut devenir initiateur, prophète et théurge, c'est-à-dire : voyant et créateur d'âmes. Car celui-là seul qui commande à lui-même peut commander aux autres ; celui-là seul qui est libre peut affranchir. »

      Ainsi pensaient les initiés antiques. Les plus grands d'entre eux vivaient et agissaient en conséquence. La véritable initiation était donc bien autre chose qu'un songe creux et bien plus qu'un simple enseignement scientifique ; c'était la création d'une âme par elle-même, son éclosion sur un plan supérieur, son efflorescence dans le monde divin.

      Plaçons-nous au temps des Ramsès, à l'époque de Moïse et d'Orphée, vers l'an 1300 avant notre ère – et tâchons de pénétrer au cœur de l'initiation égyptienne. Les monuments figurés, les livres d'Hermès, la tradition juive et grecque (39) permettent d'en faire revivre les phases ascendantes et de nous former une idée de sa plus haute révélation.


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(38)  La théologie savante, ésotérique, dit M. Maspéro, est monothéiste dès les temps de l'Ancien Empire. L'affirmation de l'unité fondamentale de l'être divin se lit exprimée en termes formels et d'une grande énergie dans les textes qui remontent à cette époque. Dieu est le Un unique, celui qui existe par essence, le seul qui vive en substance, le seul générateur dans le ciel et sur la terre qui ne soit pas engendré. A la fois Père, Mère et Fils, il engendre, il enfante et il est perpétuellement ; et ces trois personnes loin de diviser l'unité de la nature divine concourent à son infinie perfection. Ses attributs sont l'immensité, l'éternité, l'indépendance, la volonté toute-puissante, la bonté sans limite. « Il crée ses propres membres qui sont les Dieux » disent les vieux textes. Chacun de ces dieux secondaires considérés comme identiques au Dieu Un, peut former un type nouveau, d'où émanent à leur tour et par le même procédé d'autres types inférieurs. – Histoire ancienne des peuples de l'Orient.

(39)  




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