LIVRE PREMIER
RAMA LE CYCLE ARYEN
II LA MISSION DE RAMA
Quatre ou cinq mille ans avant notre ère, d'épaisses forêts recouvraient encore l'antique Scythie qui s'étendait de l'océan Atlantique aux mers polaires. Les Noirs avaient appelé ce continent qu'ils avaient vu naître île par île : « la terre émergée des flots ». Comme elle contrastait avec leur sol blanc, brûlé du soleil, cette Europe aux côtes vertes, aux baies humides et profondes, avec ses fleuves rêveurs, ses lacs sombres et ses brumes éternellement accrochées aux flancs de ses montagnes ! Dans les plaines herbeuses sans culture, vastes comme des pampas, on n'entendait guère que le cri des fauves, le mugissement des buffles et le galop indompté des grands troupeaux de chevaux sauvages passant crinière au vent. L'homme blanc qui habitait ces forêts n'était plus l'homme des cavernes. Déjà il pouvait se dire maître de sa terre. Il avait inventé les couteaux et les haches de silex, l'arc et la flèche, la fronde et le lacet. Enfin il avait trouvé deux compagnons de lutte, deux amis excellents, incomparables et dévoués jusqu'à la mort : le chien et le cheval. Le chien domestique devenu le gardien fidèle de sa maison de bois lui avait donné la sécurité du foyer. En domptant le cheval, il avait conquis la terre, soumis les autres animaux ; il était devenu le roi de l'espace. Montés sur des chevaux fauves, ces hommes roux tourbillonnaient comme de fauves éclairs. Ils frappaient l'ours, le loup, l'auroch, terrifiaient la panthère et le lion qui, alors, habitaient nos forêts.
La civilisation avait commencé : la famille rudimentaire, le clan, la peuplade existaient. Partout les
Scythes, fils des
Hyperboréens, élevaient à leurs aïeux de monstrueux
menhirs.
Lorsqu'un chef mourait, on enterrait avec lui ses armes et son
cheval, afin, disait-on, que le guerrier pût chevaucher les nuées et chasser le
dragon de
feu dans l'autre monde. De là, la coutume du sacrifice du
cheval qui joue un si grand rôle dans les Védas et chez les
Scandinaves. La
religion commençait ainsi par le culte des ancêtres.
Les
Sémites trouvèrent le
Dieu unique, l'
Esprit universel dans le désert, au sommet des
montagnes, dans l'immensité des espaces stellaires. Les
Scythes et les
Celtes trouvèrent les
Dieux, les
esprits multiples, au fond de leurs
bois. Là, ils entendirent des voix, là ils eurent les premiers frissons de l'Invisible, les visions de l'Au-delà. C'est pourquoi la
forêt ravissante ou terrible est restée chère à la race blanche. Attirée par la musique des feuilles et la magie lunaire, elle y revient toujours dans le cours des âges comme à sa fontaine de
Jouvence, au temple de la grande mère
Hertha. Là dorment ses
dieux, ses
amours, ses mystères perdus.
Dès les temps les plus reculés, des femmes visionnaires prophétisaient sous les
arbres. Chaque peuplade avait sa grande prophétesse, comme la Voluspa des
Scandinaves, avec son
collège de
druidesses. Mais ces femmes, d'abord noblement inspirées, étaient devenues ambitieuses et cruelles. Les bonnes prophétesses se changèrent en mauvaises magiciennes. Elles instituèrent les sacrifices humains et le sang des hérolls coulait sans discontinuer sur les dolmens, aux chants sinistres des
prêtres, aux acclamations des
Scythes féroces.
Parmi ces
prêtres, se trouvait un jeune homme à la
fleur de l'âge du nom de Ram qui se destinait lui aussi au sacerdoce, mais dont l'
âme recueillie et l'
esprit profond se révoltaient contre ce culte sanguinaire.
Le jeune
druide était doux et grave. Il avait montré
de bonne heure une aptitude singulière dans la connaissance des plantes,
de leurs vertus merveilleuses, de leurs sucs distillés et préparés,
non moins que dans l'étude des astres et de leurs
influences. Il semblait
deviner, voir les choses lointaines. De là, son autorité précoce
sur les plus vieux
druides. Une grandeur bienveillante émanait de ses paroles,
de son être. Sa sagesse contrastait avec la folie des
druidesses, ces clameuses
de malédictions qui proféraient leurs oracles
néfastes dans
les convulsions du délire. Les
druides l'avaient appelé «
celui qui sait », le peuple l'avait nommé « l'inspiré
de la paix ».
Cependant, Ram, qui aspirait à la Science divine,
avait voyagé dans toute la
Scythie et dans les pays du Sud. Séduits
par son savoir personnel et sa modestie, les
prêtres des Noirs lui avaient
fait part d'une partie de leurs connaissances secrètes. Revenu dans le
pays du Nord, Ram s'effraya de voir le culte des sacrifices humains sévir
de plus en plus parmi les siens. Il y vit la perte de sa race. Mais comment combattre
cette coutume propagée par l'orgueil des
druidesses, par l'ambition des
druides et la superstition du peuple ? Alors un autre fléau tomba sur les
Blancs et Ram crut y voir un châtiment céleste du culte
sacrilège.
De leurs incursions dans les pays du Sud et de leur contact avec les Noirs, les
Blancs avaient rapporté une horrible maladie, une sorte de peste. Elle
corrompait l'homme par le sang, par les sources de la vie. Le
corps entier se
couvrait de taches noires, le souffle devenait infect, les membres gonflés
et rongés d'ulcères se déformaient et le malade expirait
dans d'atroces douleurs. Le souffle des vivants et l'odeur des morts propageaient
le fléau. Aussi les Blancs ahuris tombaient et râlaient-ils par milliers
dans leurs
forêts abandonnées même des
oiseaux de proie. Ram
affligé cherchait vainement un moyen de salut.
Il avait l'habitude de méditer sous un chêne,
dans une clairière. Un soir qu'il avait longuement réfléchi
sur les maux de sa race, il s'endormit au pied de l'
arbre. Dans son sommeil, il
lui sembla qu'une voix forte l'appelait par son nom et il crut s'éveiller.
Alors, il vit devant lui un homme d'une taille majestueuse, vêtu comme lui-même
de la robe blanche des
druides. Il portait une baguette autour de laquelle s'entrelaçait
un
serpent. Ram étonné allait demander à l'inconnu ce que
cela voulait dire. Mais celui-ci le prenant par la main le fit lever et lui montra
sur l'
arbre même au pied duquel il était couché une très
belle branche de gui. « Ô Ram ! lui dit-il, le remède que tu
cherches le voilà. » Puis il tira de son sein, une petite serpette
d'or, en coupa la branche et la lui donna. Il murmura encore quelques mots sur
la manière de préparer le gui et disparut.
Alors Ram s'éveilla tout à fait et se sentit
très conforté. Une voix intérieure lui disait qu'il avait
trouvé le salut. Il ne manqua pas de préparer le gui selon les conseils
de l'ami divin à la faucille d'or. Il fit boire ce breuvage à un
malade dans une liqueur fermentée, et le malade guérit. Les cures
merveilleuses qu'il opéra ainsi rendirent Ram célèbre dans
toute la
Scythie. Partout on l'appelait pour guérir. Consulté par
les
druides de sa peuplade, il leur fit part de sa découverte en ajoutant
qu'elle devait rester le secret de la caste sacerdotale pour assurer son autorité.
Les
disciples de Ram voyageant par toute la
Scythie avec des branches de gui furent
considérés comme des messagers divins et leur maître comme
un demi-dieu.
Cet événement fut l'origine d'un culte nouveau.
Depuis lors le gui devint une plante sacrée. Ram en consacra la mémoire,
en instituant la fête de
Noël ou du nouveau salut qu'il plaça
au commencement de l'année et qu'il appela la Nuit-Mère (du
soleil
nouveau) ou la grande rénovation. Quant à l'être mystérieux
que Ram avait vu en songe et qui lui avait montré le gui, il s'appela dans
la tradition
ésotérique des Blancs d'
Europe,
Aesc-heyl-hopa,
ce qui signifie : « l'espérance du salut est au
bois ». Les
Grecs en firent Esculape, le génie de la médecine qui tient la baguette
magique sous forme de
caducée.
Cependant Ram « l'inspiré de la paix »
avait des visées plus vastes. Il voulait guérir son peuple d'une
plaie morale plus
néfaste que la peste. Elu chef des
prêtres de sa
peuplade, il intima l'ordre à tous les
collèges de
druides et de
druidesses de mettre fin aux sacrifices humains. Cette nouvelle courut jusqu'à
l'océan, saluée comme un
feu de joie par les uns, comme un
sacrilège
attentatoire par les autres. Les
druidesses menacées dans leur pouvoir
se mirent à clamer leurs malédictions contre l'audacieux, à
fulminer contre lui des arrêts de mort. Beaucoup de
druides qui voyaient
dans les sacrifices humains le seul moyen de régner se mirent de leur côté.
Ram,
exalté par un grand parti, fut exécré par l'autre. Mais
loin de reculer devant la lutte, il l'accentua en arborant un
symbole nouveau.
Chaque peuplade blanche avait alors son signe de ralliement
sous forme d'un
animal qui symbolisait ses qualités préférées.
Parmi les chefs, les uns clouaient des grues, des
aigles ou des
vautours, les
autres des têtes de sangliers ou de buffles sur la charpente de leurs palais
de
bois ; origine première du blason. Mais l'étendard préféré
des
Scythes était le Taureau qu'ils appelaient
Thor, le signe de la
force
brutale et de la violence. Au Taureau Ram opposa le
Bélier, le chef courageux
et pacifique du troupeau, et en fit le signe de ralliement de tous ses partisans.
Cet étendard arboré au centre de la
Scythie devint le signal d'un
tumulte général et d'une véritable révolution dans
les
esprits. Les peuples blancs se partagèrent en deux camps. L'
âme
même de la race blanche se séparait en deux pour se dégager
de l'animalité rugissante et monter la première marche du
sanctuaire
invisible qui conduit à l'humanité divine. « Mort au
Bélier
! » criaient les partisans de
Thor. « Guerre au Taureau ! »
criaient les amis de Ram. Une guerre formidable était
imminente.
Devant cette éventualité Ram hésita. Déchaîner cette guerre n'était-ce pas empirer le mal et forcer sa race à se détruire elle-même ? Alors il eut un nouveau rêve.
Le
ciel tempétueux était chargé de nuages sombres qui chevauchaient les
montagnes et rasaient dans leur vol les cimes agitées des
forêts. Debout sur un rocher, une femme échevelée était prête à
frapper un guerrier superbe, garrotté devant elle. « Au nom des ancêtres, arrête ! » cria Ram en s'élançant sur la femme. La
druidesse menaçant l'adversaire, lui jeta un regard
aigu comme un coup de couteau. Mais le tonnerre roula dans les nuages épais et, dans un éclair, une figure éclatante apparut. La
forêt en blêmit, la
druidesse tomba comme foudroyée et les liens du captif s'étant rompus, il regarda le
géant lumineux avec un geste de défi. Ram ne tremblait pas, car dans les traits de l'apparition, il reconnut l'être divin qui, déjà, lui avait parlé sous le chêne. Cette fois-ci, il lui parut plus beau ; car tout son
corps resplendissait de lumière. Et Ram vit qu'il se trouvait dans un temple ouvert, aux larges colonnes. A la place de la pierre du sacrifice, s'élevait un
autel. Auprès, se tenait le guerrier dont les yeux défiaient toujours la mort. La femme, couchée sur les dalles, semblait morte. Or, le Génie céleste portait dans sa main droite un flambeau, dans sa main gauche une coupe. Il sourit avec bienveillance et dit : « Ram, je suis content de toi. Vois-tu ce flambeau ? C'est le
feu sacré de l'
Esprit divin. Vois-tu cette coupe ? C'est la coupe de Vie et d'
Amour. Donne le flambeau à l'homme et la coupe à la femme. » Ram fit ce que lui ordonnait son Génie. A peine le flambeau fut-il dans les mains de l'homme et la coupe dans les mains de la femme que le
feu s'alluma de lui-même sur l'
autel, et tous deux rayonnèrent transfigurés à sa lueur comme l'
Epoux et l'
Epouse divine. En même temps, le temple s'élargit ; ses colonnes montèrent jusqu'au
ciel ; sa voûte devint le
firmament. Alors Ram, emporté par son rêve, se vit transporté au sommet d'une
montagne sous le
ciel étoilé. Debout, près de lui, son Génie lui expliquait le sens des constellations et lui faisait lire dans les signes flamboyants du zodiaque les destins de l'humanité.
«
Esprit merveilleux, qui es-tu ? » dit Ram à son Génie. Et le Génie répondit : « On m'appelle Déva Nahousha, l'Intelligence divine. Tu répandras mon rayon sur la terre et je viendrai toujours à ton appel. Maintenant, suis ta route. Va ! » Et, de sa main, le Génie montra l'Orient.