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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE VI
PYTHAGORE – LES MYSTÈRES DE DELPHES


III – LE TEMPLE DE DELPHES – LA SCIENCE APOLLINIENNE
THÉORIE DE LA DIVINATION – LA PYTHONISSE THÉOCLÉA

De la plaine de Phocide, on remontait les prairies riantes qui bordent les rives du Plistios, et l'on s'en fonçait, entre de hautes montagnes, dans une vallée tortueuse. A chaque pas, elle devenait plus étroite, le pays plus grandiose et plus désolé. On atteignait enfin un cirque de montagnes abruptes couronnées de pics sauvages, véritable entonnoir d'électricité, surplombé de fréquents orages. Brusquement, au fond de la gorge sombre, la ville de Delphes apparaissait, comme un nid d'aigle, sur son rocher environné de précipices et dominé par les deux cimes du Parnasse. De loin, on voyait étinceler les Victoires de bronze, les chevaux d'airain, les innombrables statues d'or, échelonnées sur la voie sacrée et rangées comme une garde de héros et de Dieux autour du temple dorien de Phoïbos Apollôn.

C'était le lieu le plus saint de la Grèce. Là prophétisait la Pythie ; là se réunissaient les Amphyctions ; là tous les peuples helléniques avaient élevé autour du sanctuaire des chapelles renfermant des trésors d'offrandes. Là, des théories d'hommes, de femmes et d'enfants venus de loin montaient la voie sacrée pour saluer le Dieu de la Lumière. La religion avait consacré Delphes depuis un temps immémorial à la vénération des peuples. Sa situation centrale dans l'Hellade, son rocher, à l'abri des coups de main et facile à défendre, y avait contribué. Le lieu était fait pour frapper l'imagination ; une singularité lui donna son prestige. Dans une caverne, derrière le temple s'ouvrait une fente, d'où sortaient des vapeurs froides qui provoquaient, disait-on, l'inspiration et l'extase. Plutarque raconte qu'en des temps fort reculés, un pâtre, s'étant assis au bord de cette fente, se mit à prophétiser. D'abord on. le crut fou ; mais ses prédictions s'étant réalisées on devint attentif au fait. Les prêtres s'en emparèrent et consacrèrent le lieu à la divinité. De là l'institution de la Pythie qu'on faisait asseoir au-dessus de la fente sur un trépied. Les vapeurs qui sortaient du gouffre lui donnaient des convulsions, des crises étranges et provoquaient en elle cette seconde vue que l'on constate chez les somnambules remarquables. Eschyle, dont les affirmations ont du poids, car il était fils d'un prêtre d'Eleusis et initié lui-même, Eschyle nous apprend dans Les Euménides par la bouche de la Pythie que Delphes avait été consacré d'abord à la Terre, ensuite à Thémis (la Justice), puis à Phœbée (la lune médiatrice), enfin à Apollon, le Dieu solaire. Chacun de ces noms représente dans la symbolique des temples de longues périodes et embrasse des siècles. Mais la célébrité de Delphes date d'Apollon. Jupiter, disaient les poètes, ayant voulu connaître le centre de la terre, fit partir deux aigles du levant et du couchant ; ils se rencontrèrent à Delphes. D'où vient ce prestige, cette autorité universelle et incontestée qui fit d'Apollon le Dieu grec par excellence et fait qu'il a gardé pour nous-mêmes un rayonnement inexplicable ?

      L'histoire ne nous apprend rien sur ce point important. Interrogez les orateurs, les poètes, les philosophes, ils ne vous donneront que des explications superficielles. La vraie réponse à cette question demeura le secret du temple. Essayons de le pénétrer.

      Dans la pensée orphique, Dionysos et Apollon étaient deux révélations diverses de la même divinité. Dionysos représentait la vérité ésotérique, le fond et le dedans des choses, ouvert aux seuls initiés. Il contenait les mystères de la vie, les existences passées et futures, les rapports de l'âme et du corps, du ciel et de la terre. Apollon personnifiait la même vérité appliquée à la vie terrestre et à l'ordre social. Inspirateur de la poésie, de la médecine et des lois, il était la science par la divination, la beauté par l'art, la paix des peuples par la justice, et l'harmonie de l'âme et du corps par la purification. En un mot, pour l'initié, Dionysos ne signifiait rien moins que l'esprit divin en évolution dans l'univers, et Apollon sa manifestation à l'homme terrestre. Les prêtres avaient fait comprendre cela au peuple par une légende. Ils lui avaient dit qu'au temps d'Orphée, Bacchus et Apollon s'étaient disputés le trépied de Delphes. Bacchus l'avait cédé de bon gré à son frère et s'était retiré sur une des cimes du Parnasse, où les femmes Thébaines célébraient ses mystères. En réalité, les deux grands fils de Jupiter se partageaient l'empire du monde. L'un régnait sur le mystérieux au-delà ; l'autre sur les vivants.

      Nous retrouvons donc dans Apollon le Verbe solaire, la Parole universelle, le grand Médiateur, le Vischnou des Indous, le Mithras des Persans, l'Horus des Egyptiens. Mais les vieilles idées de l'ésotérisme asiatique revêtirent dans la légende d'Apollon une beauté plastique, une splendeur incisive qui les fit pénétrer plus profondément dans la conscience humaine, comme les flèches du Dieu « serpents à l'aile blanche qui s'élancent de son arc d'or », dit Eschyle.

      Apollon jaillit de la grande nuit à Délos ; toutes les déesses saluent sa naissance ; il marche, il saisit l'arc et la lyre ; ses boucles roulent dans l'air, son carquois résonne sur ses épaules ; et la mer en palpite et toute l'île en resplendit dans un bain de flamme et d'or. C'est l'épiphanie de la lumière divine, qui par son auguste présence, crée l'ordre, la splendeur et l'harmonie, dont la poésie est le merveilleux écho. – Le Dieu se rend à Delphes et perce de ses flèches un serpent monstrueux qui désolait la contrée, assainit le pays et fonde le temple ; image de la victoire de cette lumière divine sur les ténèbres et sur le mal. Dans les religions antiques, le serpent symbolisait à la fois le cercle fatal de la vie et le mal qui en résulte. Et cependant de cette vie comprise et terrassée ressort la connaissance. Apollon tueur du serpent est le symbole de l'initié qui transperce la nature par la science, la dompte par sa volonté, et rompant le cercle fatidique de la chair, monte dans la splendeur de l'esprit, pendant que les tronçons brisés de l'animalité humaine se tordent dans le sable. Voilà pourquoi Apollon est le maître des expiations, des purifications de l'âme et du corps. Eclaboussé par le sang du monstre, il a expié, il s'est purifié lui-même dans un exil de huit ans, sous les lauriers amers et salubres de la vallée de Tempé. – Apollon, éducateur des hommes, aime à séjourner au milieu d'eux ; il se plaît dans les villes, parmi la jeunesse mâle, dans les luttes de la poésie et de la palestre, mais il n'y demeure que temporairement. En automne, il retourne dans sa patrie, au pays des Hyperboréens. C'est le peuple mystérieux des âmes lumineuses et transparentes qui vivent dans l'éternelle aurore d'une félicité parfaite. Là sont ses vrais prêtres et ses prêtresses aimées. Il vit avec eux dans une communauté intime et profonde, et lorsqu'il veut faire aux hommes un don royal, il leur amène du pays des Hyperboréens une de ces grandes âmes lumineuses et la fait naître sur la terre pour enseigner et charmer les mortels. Lui-même revient à Delphes, tous les printemps, lorsqu'on chante les péans et les hymnes. Il arrive, visible aux seuls initiés, dans sa blancheur hyperboréenne, sur un char traîné par des cygnes mélodieux. Il revient habiter le sanctuaire, où la Pythie transmet ses oracles, où l'écoutent les sages et les poètes. Alors les rossignols chantent, la fontaine de Castalie bouillonne à flots d'argent, les effluves d'une lumière éblouissante et d'une musique céleste pénètrent dans le cœur de l'homme et jusque dans les veines de la nature.

      Dans cette légende des Hyperboréens, perce en rayons brillants le fond ésotérique du mythe d'Apollon. Le pays des Hyperboréens, c'est l'au delà, l'empyrée des âmes victorieuses dont les aurores astrales éclairent les zones multicolores. Apollon lui-même personnifie la lumière immatérielle et intelligible, dont le soleil n'est que l'image physique, et d'où coule toute vérité. Les cygnes merveilleux qui l'amènent sont les poètes, les divins génies, messagers de sa grande âme solaire, qui laissent derrière eux des frissons de lumière et de mélodie. Apollon hyperboréen personnifie donc la descente du ciel sur la terre, l'incarnation de la beauté spirituelle dans le sang et la chair, l'afflux de la vérité transcendante par l'inspiration et la divination.

      Mais il est temps de soulever le voile doré des légendes et de pénétrer dans le temple même. Comment la divination s'y exerçait-elle ? Nous touchons ici aux arcanes de la science apollinienne et des mystères de Delphes.

      Un lien profond unissait dans l'antiquité la divination aux cultes solaires, et ceci en est la clef d'or de tous les mystères dits magiques.

      L'adoration de l'homme aryen se porta dès l'origine de la civilisation vers le soleil comme vers la source de la lumière, de la chaleur et de la vie. Mais lorsque la pensée des sages s'éleva du phénomène à la cause, ils conçurent derrière ce feu sensible et cette lumière visible, un feu immatériel et une lumière intelligible. Ils identifièrent le premier avec le principe mâle, avec l'esprit créateur ou l'essence intellectuelle de l'univers, et la seconde avec son principe féminin, son âme formatrice, sa substance plastique. Cette intuition remonte à un temps immémorial. La conception dont je parle se mêle aux plus vieilles mythologies. Elle circule dans les hymnes védiques sous la forme d'Agni, le feu universel qui pénètre toute chose. Elle s'épanouit dans la religion de Zoroastre, dont le culte de Mithras représente la partie ésotérique. Mithras est le feu mâle et Mitra la lumière femelle. Zoroastre dit formellement que l'Eternel créa par le moyen du Verbe-vivant la lumière céleste, semence d'Ormuzd, principe de la lumière matérielle et du feu matériel. Pour l'initié de Mithras, le soleil n'est qu'un reflet grossier de cette lumière. Dans sa grotte obscure, dont la voûte est peinte d'étoiles, il invoque le soleil de grâce, le feu d'amour, vainqueur du mal, réconciliateur d'Ormuzd et d'Ahriman, purificateur et médiateur, qui habite l'âme des saints prophètes. Dans les cryptes de l'Egypte, les initiés cherchent ce même soleil sous le nom d'Osiris. Lorsque Hermès demande à contempler l'origine des choses, il se sent d'abord plongé dans les ondes éthérées d'une lumière délicieuse, où se meuvent toutes les formes vivantes. Puis, plongé dans les ténèbres de la matière épaisse, il entend une voix, et il y reconnaît la voix de la lumière. En même temps un feu jaillit des profondeurs ; aussitôt le chaos s'ordonne et s'éclaircit. Dans le livre des morts des Egyptiens, les âmes voguent péniblement vers cette lumière dans la barque d'Isis. Moïse a pleinement adopté cette doctrine dans la Genèse. « Aelohim dit : Que la lumière soit et la lumière fut. » Or, la création de cette lumière précède celle du soleil et des étoiles. Cela veut dire que dans l'ordre des principes et de la cosmogonie, la lumière intelligible précède la lumière matérielle. Les Grecs qui coulèrent dans la forme humaine et dramatisèrent les idées les plus abstraites, exprimèrent la même doctrine dans le mythe d'Apollon hyperboréen.

      L'esprit humain arriva donc par la contemplation interne de l'univers, du point de vue de l'âme et de l'intelligence, à concevoir une lumière intelligible, un élément impondérable servant d'intermédiaire entre la matière et l'esprit. Il serait facile de montrer que les physiciens modernes se rapprochèrent insensiblement de la même conclusion par un chemin opposé, c'est-à-dire en cherchant la constitution de la matière et en voyant l'impossibilité de l'expliquer par elle-même. Au seizième siècle déjà, Paracelse, en étudiant les combinaisons chimiques et les métamorphoses des corps, était arrivé à admettre un agent universel et occulte au moyen duquel elles s'opèrent. Les physiciens du dix-septième et du dix-huitième siècle, qui conçurent l'univers comme une machine morte, crurent au vide absolu des espaces célestes. Cependant lorsqu'on reconnut que la lumière n'est pas l'émission d'une matière radiante, mais la vibration d'un élément impondérable, on dut admettre que l'espace tout entier est rempli par un fluide infiniment subtil qui pénètre tous les corps et par lequel se transmettent les ondes de chaleur et de lumière. On revenait ainsi aux idées de la physique et de la théosophie grecques. Newton, qui avait passé sa vie entière à étudier les mouvements des corps célestes, alla plus loin. Il appela cet éther sensorium Dei, ou le cerveau de Dieu, c'est-à-dire l'organe par lequel la pensée divine agit dans l'infiniment grand comme dans l'infiniment petit. En émettant cette idée qui lui semblait nécessaire pour expliquer la simple rotation des astres, ce grand physicien nageait en pleine philosophie ésotérique. L'éther que la pensée de Newton trouvait dans les espaces, Paracelse l'avait trouvée au fond de ses alambics et l'avait nommée lumière astrale. – Or, ce fluide impondérable mais partout présent, qui pénètre tout, cet agent subtil mais indispensable, cette lumière invisible à nos yeux, mais qui est au fond de toutes les scintillations et de toutes les phosphorescences, un physicien allemand les constata dans une série d'expériences savamment ordonnées. Reichenbach avait remarqué que des sujets d'une fibre nerveuse très sensible, placés dans une chambre parfaitement obscure, en face d'un aimant, voyaient à ses deux bouts de forts rayons de lumière rouge, jaune et bleue. Ces rayons vibraient parfois avec un mouvement ondulatoire. Il continua ses expériences avec toutes sortes de corps, notamment avec des cristaux. Autour de tous ces corps, les sujets sensibles virent des émanations lumineuses. Autour de la tête des hommes placés dans la chambre obscure, ils virent des rayons blancs ; de leurs doigts sortaient de petites flammes. Dans la première phase de leur sommeil, les somnambules voient parfois leur magnétiseur avec ces mêmes signes. La pure lumière astrale n'apparaît que dans la haute extase, mais elle se polarise dans tous les corps, se combine avec tous les fluides terrestres et joue des rôles divers dans l'électricité, dans le magnétisme terrestre et dans le magnétisme animal (84). L'intérêt des expériences de Reichenbach est d'avoir fait toucher du doigt les limites et la transition de la vision physique à la vision astrale, qui peut conduire à la vision spirituelle. Elles font entrevoir aussi les raffinements infinis de la matière impondérable. Sur cette voie, rien ne nous empêche de la concevoir tellement fluide, tellement subtile et pénétrante, qu'elle devienne en quelque sorte homogène à l'esprit et lui serve de vêtement parfait.

      Nous venons de voir que la physique moderne a dû reconnaître un agent universel impondérable pour expliquer le monde, qu'elle en a même constaté la présence et qu'ainsi elle est rentrée sans le savoir dans les idées des théosophies antiques. Essayons maintenant de définir la nature et la fonction du fluide cosmique, selon la philosophie de l'occulte dans tous les temps. Car sur ce principe capital de la cosmogonie, Zoroastre s'accorde avec Héraclite, Pythagore avec saint Paul, les Kabbalistes avec Paracelse. Elle règne partout, Cybèle-Maïa, la grande âme du monde, la substance vibrante et plastique que manie à son gré le souffle de l'Esprit créateur. Ses océans éthérés servent de ciment entre tous les mondes. Elle est la grande médiatrice entre l'invisible et le visible, entre l'esprit et la matière, entre le dedans et le dehors de l'univers. Condensée en masses énormes dans l'atmosphère, sous l'action du soleil, elle y éclate en foudre. Bue par la terre, elle y circule en courants magnétiques. Subtilisée dans le système nerveux de l'animal, elle transmet sa volonté aux membres, ses sensations au cerveau. Bien plus, ce fluide subtil forme des organismes vivants semblables aux corps matériels. Car il sert de substance au corps astral de l'âme, vêtement lumineux que l'esprit se tisse sans cesse à lui-même Selon les âmes qu'il revêt, selon les mondes qu'il enveloppe, ce fluide se transforme, s'affine ou s'épaissit : Non seulement il corporise l'esprit et spiritualise la matière, mais il reflète, dans son sein animé, les choses, les volontés et les pensées humaines en un perpétuel mirage. La force et la durée de ces images est proportionnée à l'intensité de la volonté qui les produit. Et en vérité, il n'y a pas d'autre moyen d'expliquer la suggestion et la transmission de la pensée à distance, ce principe de la magie aujourd'hui constaté et reconnu par la science (85). Ainsi le passé des mondes tremble dans la lumière astrale en images incertaines et l'avenir s'y promène avec les âmes vivantes que l'inéluctable destin force à descendre dans la chair. Voilà le sens du voile d'Isis et du manteau de Cybèle, dans lequel sont tissés tous les êtres.

      On voit maintenant que la doctrine théosophique de la lumière astrale est identique à la doctrine secrète du verbe solaire dans les religions de l'Orient et de la Grèce. On voit aussi comment cette doctrine se lie à celle de la divination. La lumière astrale s'y révèle comme le médium universel des phénomènes de vision et d'extase, et les explique. Elle est à la fois le véhicule qui transmet les mouvements de la pensée et le miroir vivant où l'âme contemple les images du monde matériel et spirituel. Une fois transporté dans cet élément, l'esprit du voyant sort des conditions corporelles. La mesure de l'espace et du temps change pour lui. Il participe en quelque sorte à l'ubiquité du fluide universel. La matière opaque devient transparente pour lui ; et l'âme se dégageant du corps, s'élevant dans sa propre lumière, arrive par l'extase à pénétrer dans le monde spirituel, à voir les âmes revêtues de leurs corps éthérés et à communiquer avec elles. Tous les anciens initiés avaient l'idée nette de cette seconde vue ou vue directe de l'esprit. Témoin Eschyle qui fait dire à l'ombre de Clytemnestre : « Regarde ces blessures, ton esprit peut les voir ; l'esprit quand on dort a des yeux plus perçants ; au grand jour les mortels n'embrassent pas un vaste champ avec leur vue. »

      Ajoutons que cette théorie de la clairvoyance et de l'extase s'accorde merveilleusement avec les nombreuses expériences scientifiquement pratiquées par des savants et des médecins de ce siècle sur des somnambules lucides et des clairvoyants de toute sorte (86). C'est d'après ces faits contemporains que nous essayerons de caractériser brièvement la succession des états psychiques, depuis la clairvoyance simple jusqu'à l'extase cataleptique.

      L'état de clairvoyance, cela ressort de milliers de faits bien constatés, est un état psychique qui diffère autant du sommeil que de la veille. Loin de diminuer, les facultés intellectuelles du clairvoyant augmentent d'une manière surprenante. Sa mémoire est plus juste, son imagination plus vive, son intelligence plus éveillée. Enfin, et c'est là le fait capital, un sens nouveau, qui n'est plus un sens corporel, mais un sens de l'âme, s'est développé. Non seulement les pensées du magnétiseur transmettent à lui comme dans le simple phénomène de la suggestion, lequel sort déjà du plan physique, mais le clairvoyant lit dans la pensée des assistants, voit à travers les murs, pénètre à des centaines de lieues dans des intérieurs où il n'a jamais été et dans la vie intime de gens qu'il ne connaissait pas. Ses yeux sont fermés et ils ne peuvent rien voir, mais son esprit voit plus loin et mieux que ses yeux ouverts, et semble voyager librement dans l'espace (87). En un mot, si la clairvoyance est un état anormal au point de vue du corps, c'est un état normal et supérieur au point de vue de l'esprit. Car sa conscience est devenue plus profonde, sa vision plus large. Le moi est resté le même, mais il a passé sur un plan supérieur, où son regard affranchi des organes grossiers du corps embrasse et pénètre un plus vaste horizon (88). Il est à remarquer que certaines somnambules, en subissant les passes du magnétiseur, se sentent inondées d'une lumière de plus en plus éclatante ; tandis que le réveil leur semble un retour pénible dans les ténèbres.

      La suggestion, la lecture dans la pensée et la vue à distance sont des faits qui prouvent déjà l'existence indépendante de l'âme et nous transportent au-dessus du plan physique de l'univers, sans nous en faire sortir tout à fait. Mais la clairvoyance a des variétés infinies et une échelle d'états divers beaucoup plus étendue que celle de la veille. A mesure qu'on la monte, les phénomènes deviennent plus rares et plus extraordinaires. N'en citons que les étapes principales. La rétrospection est une vision des événements passés conservés dans la lumière astrale et ravivés par la sympathie du voyant. La divination proprement dite est une vision problématique des choses à venir, soit par une introspection de la pensée des vivants qui contient en germe les actions futures, soit par l'influence occulte d'esprits supérieurs qui déroulent l'avenir en images vivantes devant l'âme du clairvoyant. Dans les deux cas, ce sont des projections de pensées dans la lumière astrale. Enfin, l'extase se définit comme une vision du monde spirituel, où des esprits bons ou mauvais apparaissent au voyant sous forme humaine et communiquent avec lui. L'âme semble réellement transportée hors du corps, que la vie a presque quitté et qui se roidit dans une catalepsie voisine de la mort. Rien ne peut rendre, d'après les récits des grands extatiques, la beauté et la splendeur de ces visions ni le sentiment d'ineffable fusion avec l'essence divine, qu'ils en rapportent comme une ivresse de lumière et de musique. On peut douter de la réalité de ces visions. Mais il faut ajouter que si, dans l'état moyen de la clairvoyance, l'âme a une perception juste des lieux éloignés et des absents, il est logique d'admettre que, dans sa plus haute exaltation, elle puisse avoir la vision d'une réalité supérieure et immatérielle.

      Ce sera, selon nous, la tâche de l'avenir de rendre aux facultés transcendantes de l'âme humaine leur dignité et leur fonction sociale, en les réorganisant sous le contrôle de la science et sur les bases d'une religion vraiment universelle, ouverte à toutes les vérités. Alors la science, régénérée par la vraie foi et par l'esprit de charité, atteindra, les yeux ouverts, à ces sphères où la philosophie spéculative erre, les yeux bandés et en tâtonnant. Oui, la science deviendra voyante et rédemptrice, à mesure qu'augmentera en elle la conscience et l'amour de l'humanité. Et peut-être est-ce par « la porte du sommeil et des songes », comme disait le vieil Homère, que la divine Psyché, bannie de notre civilisation et qui pleure en silence sous son voile, rentrera en possession de ses autels.

      Quoi qu'il en soit, les phénomènes de clairvoyance observés dans toutes leurs phases par des savants et des médecins du dix-neuvième siècle, jettent un jour très nouveau sur le rôle de la divination dans l'antiquité et sur une foule de phénomènes en apparence surnaturels, qui remplissent les annales de tous les peuples. Certes, il est indispensable de faire la part de la légende et de l'histoire, de l'hallucination et de la vision vraie. Mais la psychologie expérimentale de nos jours nous enseigne à ne pas rejeter en masse des faits, qui sont dans la possibilité de la nature humaine, et à les étudier au point de vue des lois constatées. Si la clairvoyance est une faculté de l'âme, il.n'est plus permis de rejeter purement et simplement les prophètes, les oracles et les sybilles dans le domaine de la superstition. La divination a pu être connue et pratiquée par les temples antiques avec des principes fixes, dans un but social et religieux. L'étude comparée des religions et des traditions ésotériques montre que ces principes furent les mêmes partout, quoique leur application ait varié infiniment. Ce qui a discrédité l'art de la divination c'est que sa corruption a donné lieu aux pires abus et que ses belles manifestations ne sont possibles qu'en des êtres d'une grandeur et d'une pureté exceptionnelles.

      La divination, telle qu'elle s'exerçait à Delphes, était fondée sûr les principes que nous venons d'exposer, et l'organisation intérieure du temple y correspondait. Comme dans les grands temples de l'Egypte, elle se composait d'un art, et d'une science. L'art consistait.à pénétrer le lointain, le passé et l'avenir par la clairvoyance ou l'extase prophétique ; la science, à calculer l'avenir d'après les lois de l'évolution universelle. Art et science se contrôlaient réciproquement. Nous ne dirons rien de cette science, appelée généthlialogie par les anciens, et dont l'astrologie du moyen-âge n'est qu'un fragment imparfaitement compris, si ce n'est qu'elle supposait l'encyclopédie ésotérique appliquée à l'avenir des peuples et des individus. Très utile comme orientation, elle demeura toujours très problématique dans l'application. Les esprits de premier ordre en ont seuls su faire usage. Pythagore l'avait approfondie eu Egypte. En Grèce, on l'exerçait avec des données moins complètes et moins précises. Par contre, la clairvoyance et la prophétie avaient été poussées assez loin.

      On sait qu'elle s'exerçait à Delphes par l'intermédiaire de femmes jeunes et âgées nommées Pythies ou Pythonisses, qui jouaient le rôle passif des somnambules clairvoyantes. Les prêtres interprétaient, traduisaient, arrangeaient leurs oracles souvent confus d'après leurs propres lumières. Les historiens modernes n'ont guère vu dans l'institution de Delphes que l'exploitation de la superstition par un charlatanisme intelligent. Mais outre l'assentiment de toute l'antiquité philosophique à la science divinatoire de Delphes, plusieurs oracles rapportés par Hérodote, comme ceux sur Crésus et sur la bataille de Salamine, parlent en sa faveur. Sans doute cet art eut son commencement, sa floraison et sa décadence. Le charlatanisme et la corruption finirent par s'en mêler, témoin le roi Cléomène qui corrompit la supérieure des prêtresses de Delphes pour priver Démarate de la royauté. Plutarque a écrit un traité pour chercher la raisons de l'extinction des oracles, et cette dégénérescence fut ressentie comme un malheur par toute la société antique. A l'époque précédente la divination fut cultivée avec une sincérité religieuse et une profondeur scientifique qui l'éleva à la hauteur d'un véritable sacerdoce. On lisait, sur le fronton du temple, l'inscription suivante : « Connais-toi toi-même » et cette autre au-dessus de la porte d'entrée : « Que celui qui n'a point les mains pures n'approche point d'ici ». (89) Ces paroles disaient à tout venant que les passions, les mensonges, les hypocrisies terrestres ne devaient pas passer le seuil du sanctuaire, et, qu'à l'intérieur, la vérité divine régnait avec un sérieux redoutable.

      Pythagore ne vint à Delphes qu'après avoir fait sa tournée dans tous les temples de la Grèce. Il avait séjourné chez Epiménide dans le sanctuaire de Jupiter Idéen ; il avait assisté aux jeux olympiques ; il avait présidé aux mystères d'Eleusis où l'hiérophante lui avait cédé sa place. Partout on l'avait reçu comme un maître. On l'attendait à Delphes. L'art divinatoire y languissait et Pythagore voulait lui rendre sa profondeur, sa force et son prestige. Il venait donc moins pour consulter Apollon que pour éclairer ses interprètes, réchauffer leur enthousiasme et réveiller leur énergie. Agir sur eux, c'était agir sur l'âme de la Grèce et préparer son avenir.

      Heureusement il trouva dans le temple un instrument merveilleux, qu'un dessein providentiel semblait lui avoir réservé.

      La jeune Théocléa appartenait au collège des prêtresses d'Apollon. Elle sortait d'une de ces familles où la dignité de prêtre est héréditaire. Les grandes impressions du sanctuaire, les cérémonies du culte, les péans, les fêtes d'Apollon pythien et hyperboréen avaient nourri son enfance. On l'imagine comme une de ces jeunes filles qui ont une aversion innée et instinctive pour ce qui attire les autres. Elles n'aiment point Cérès et craignent Vénus. Car la lourde atmosphère terrestre les inquiète, et l'amour physique vaguement entrevu leur semble un viol de l'âme, un brisement de leur être intact et virginal. Par contre, elles sont étrangement sensibles à des courants mystérieux, à des influences astrales. Lorsque la lune donnait dans les sombres bosquets de la fontaine de Castalie, Théocléa y voyait glisser des formes blanches. En plein jour, elle entendait des voix. Lorsqu'elle s'exposait aux rayons du soleil levant, leur vibration la plongeait dans une sorte d'extase, où elle entendait des chœurs invisibles. Cependant elle était très insensible aux superstitions et aux idolâtries populaires du culte. Les statues la laissaient indifférente, elle avait horreur des sacrifices d'animaux. Elle ne parlait à personne des apparitions qui troublaient son sommeil. Elle sentait avec l'instinct des clairvoyantes que les prêtres d'Apollon ne possédaient pas la suprême lumière dont elle avait besoin. Ceux-ci cependant avaient l'œil sur elle pour la décider à devenir Pythonisse. Elle se sentait comme attirée par un monde supérieur dont elle n'avait pas la clef. Qu'était-ce que ces dieux qui s'emparaient d'elle par des souffles et des frissons ? Elle voulait le savoir avant de s'y livrer. Car les grandes âmes ont besoin de voir clair, même en s'abandonnant aux puissances divines.

      De quel profond frémissement, de quel pressentiment mystérieux dut être agitée l'âme de Théocléa lorsqu'elle aperçut pour la première fois Pythagore et lorsqu'elle entendit sa voix éloquente retentir entre les colonnes du sanctuaire apollinien ! Elle sentit la présence de l'initiateur qu'elle attendait, elle reconnut son maître. Elle voulait savoir ; elle saurait par lui, et ce monde intérieur, ce monde qu'elle portait en elle, il allait le faire parler ! – Lui, de son côté, dut reconnaître en elle, avec la sûreté et la pénétration de son coup d'œil, l'âme vivante et vibrante qu'il cherchait pour devenir l'interprète de sa pensée dans le temple et y infuser un nouvel esprit. Dès le premier regard échangé, dès la première parole dite, une chaîne invisible relia le sage de Samos à la jeune prêtresse, qui l'écoutait sans rien dire, buvant ses paroles de ses grands yeux attentifs. Je ne sais qui a dit que le poète et la lyre se reconnaissent à une vibration profonde en s'approchant l'un de l'autre. Ainsi se reconnurent Pythagore et Théocléa.

      Dès le lever du soleil, Pythagore avait de longs entretiens avec les prêtres d'Apollon appelés saints et prophètes. Il demanda que la jeune prêtresse y fut admise, afin de l'initier à son enseignement secret et de la préparer à son rôle. Elle put donc suivre les leçons que le maître donnait tous les jours dans le sanctuaire. Pythagore était alors dans la force de l'âge. Il portait sa robe blanche serrée à l'égyptienne, un bandeau de pourpre ceignait son vaste front. Lorsqu'il parlait, ses yeux graves et lents se posaient sur l'interlocuteur et l'enveloppaient d'une chaude lumière. L'air autour de lui semblait devenir plus léger et tout intellectuel.

      Les entretiens du sage de Samos avec les plus hauts représentants de la religion grecque furent de la dernière importance. Il ne s'agissait pas seulement de divination et d'inspiration, mais de l'avenir de la Grèce et des destinées du monde entier. Les connaissances, les titres et les pouvoirs qu'il avait acquis dans les temples de Memphis et de Babylone lui donnaient la plus grande autorité. Il avait le droit de parler en supérieur et en guide aux inspirateurs de la Grèce. Il le fit avec l'éloquence de son génie, avec l'enthousiasme de sa mission. Pour éclairer leur intelligence, il commença par leur raconter sa jeunesse, ses luttes, son initiation égyptienne. Il leur parla de cette Egypte, mère de la Grèce, vieille comme le monde, immuable comme une momie couverte d'hiéroglyphes, au fond de ses pyramides, mais possédant dans sa tombe le secret des peuples, des langues, des religions. Il déroula devant leurs yeux les mystères de la grande Isis, terrestre et céleste, mère des Dieux et des hommes, et leur faisant traverser ses épreuves, il les plongea avec lui dans la lumière d'Osiris. Puis ce fut le tour de Babylone, des mage kaldéens, de leurs sciences occultes, de ces temples profonds et massifs où ils évoquent le feu vivant dans lequel se meuvent les démons et les Dieux.

      En écoutant Pythagore, Théocléa éprouvait des sensations surprenantes. Tout ce qu'il disait se gravait en traits de feu dans son esprit. Ces choses lui semblaient à la fois merveilleuses et connues. En apprenant, elle croyait se souvenir. Les paroles du maître la faisaient feuilleter dans les pages de l'univers comme dans un livre. Elle ne voyait plus les Dieux sous leurs effigies humaines, mais dans leurs essences qui forment les choses et les esprits. Elle fluait, montait, descendait avec eux dans les espaces. Parfois elle avais l'illusion de ne plus sentir les limites de son corps et de se dissiper dans l'infini. Ainsi son imagination entrait peu à peu dans le monde invisible, et les empreintes anciennes qu'elle en trouvait dans sa propre âme, lui disaient que c'était la vraie, la seule réalité ; l'autre n'était qu'apparence. Elle sentait que bientôt ses yeux intérieurs allaient s'ouvrir pour y lire directement.

      De ces hauteurs, le maître la ramena brusquement sur la terre en racontant les malheurs de l'Egypte. Après avoir développé la grandeur de la science égyptienne, il la montra succombant sous l'invasion persane. Il peignit les horreurs de Cambyse, les temples saccagés, les livres sacrés mis au bûcher, les prêtres d'Osiris tués ou dispersés, le monstre du despotisme persan rassemblant sous sa main de fer toute la vieille barbarie asiatique, les races errantes à demi-sauvages du centre de l'Asie et du fond de l'Inde n'attendant qu'une occasion pour fondre sur l'Europe. Oui, ce cyclone grossissant devait éclater sur la Grèce, aussi sûrement que la foudre doit sortir d'un nuage qui s'amoncelle dans l'air. La Grèce divisée était-elle préparée pour résister à ce choc terrible ? Elle ne s'en doutait même pas. Les peuples n'évitent pas leurs destinées, et s'ils ne veillent sans cesse, les Dieux les précipitent. La sage nation d'Hermès, l'Egypte ne s'était-elle pas effondrée après six mille ans de prospérité ? Hélas, la Grèce, la belle Ionie passera plus vite encore ! Un temps viendra où le Dieu solaire abandonnera ce temple, où les barbares renverseront ses pierres, et où les pâtres mèneront paître leurs troupeaux sur les ruines de Delphes.

      A ces sinistres prophéties, le visage de Théocléa se transforma et prit une expression d'épouvante. Elle se laissa glisser à terre et nouant ses bras autour d'une colonne, les yeux fixes, abîmée dans ses pensées, elle ressemblait au génie de la Douleur pleurant sur le tombeau de la Grèce.

      « Mais, continua Pythagore, ce sont là des secrets qu'il faut ensevelir dans le fond des temples. L'initié attire la mort ou la repousse à son gré. En formant la chaîne magique des volontés, les initiés prolongent aussi la vie des peuples. A vous de retarder l'heure fatale, à vous de faire briller la Grèce, à vous de faire rayonner en elle le verbe d'Apollon. Les peuples sont ce que les font leurs Dieux ; mais les Dieux ne se révèlent qu'à ceux qui les appellent. Qu'est-ce qu'Apollon ? Le Verbe du Dieu unique qui se manifeste éternellement dans le monde. La vérité est l'âme de Dieu, sonu corps est la lumière. Les sages, les voyants, les prophètes seuls la voient ; les hommes ne voient que son ombre. Les esprits glorifiés que nous appelons héros et demi-dieux habitent cette lumière, en légions, en sphères innombrables. Voilà le vrai corps d'Apollon, le soleil des initiés, et sans ses rayons rien de grand ne se fait sur la terre. Comme l'aimant attire le fer, ainsi par nos pensées, par nos prières, par nos actions, nous attirons l'inspiration divine. A vous de transmettre à la Grèce le verbe d'Apollon, et la Grèce resplendira d'une lumière immortelle ! »

      C'est par de tels discours que Pythagore réussit à rendre aux prêtres de Delphes la conscience de leur mission. Théocléa les absorbait avec une passion silencieuse et concentrée. Elle se transformait à vue d'œil sous la pensée et sous la volonté du maître comme sous une lente incantation. Debout au milieu des vieillards étonnés, elle dénouait sa chevelure noire et l'écartait de sa tête, comme si elle y sentait courir du feu. Déjà ses yeux, grands ouverts et transfigurés, paraissaient contempler les génies solaires et planétaires, dans leurs orbes splendides et leur intense radiation.

      Un jour, elle tomba d'elle-même dans un sommeil profond et lucide. Les cinq prophètes l'entourèrent, mais elle resta insensible à leur voix comme à leur toucher. Pythagore s'approcha d'elle et lui dit : « – Lève-toi et vas où ma pensée t'envoie. Car maintenant tu es la Pythonisse ! »

      A la voix du maître, un frisson parcourut tout son corps et la souleva dans une longue vibration. Ses yeux étaient fermés ; elle voyait par le dedans.

      – Où es-tu ? demanda Pythagore.

      – Je monte… je monte toujours.

      – Et maintenant ?

      – Je nage dans la lumière d'Orphée.

      – Que vois-tu dans l'avenir ?

      – De grandes guerres... des hommes d'airain... de blanches victoires... Apollon revient habiter son sanctuaire et je serai sa voix !... Mais toi, son messager, hélas ! hélas! tu vas me quitter... et tu porteras sa lumière en Italie.

      La voyante aux yeux fermés parla longtemps, de sa voix musicale, haletante, rythmée ; puis, tout à coup, dans un sanglot, elle tomba comme morte.

      Ainsi Pythagore versait les purs enseignements dans le sein de Théocléa et l'accordait comme une lyre pour le souffle des Dieux. Une fois exaltée à cette hauteur d'inspiration, elle devint pour lui un flambeau, grâce auquel il put sonder sa propre destinée, percer le possible avenir et se diriger dans les zones sans rive de l'invisible. Cette contre-épreuve palpitante des vérités qu'il enseignait, frappa les prêtres d'admiration, réveilla leur enthousiasme et ranima leur foi. Le temple avait maintenant une Pythonisse inspirée, des prêtres initiés dans les sciences et les arts divins ; Delphes pouvait redevenir un centre de vie et d'action.

      Pythagore s'y arrêta une année entière. Ce n'est qu'après avoir instruit les prêtres de tous les secrets de sa doctrine, et avoir formé Théocléa pour son ministère, qu'il partit pour la Grande Grèce.


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(84)  Reichenbach a appelé ce fluide odyle. – Son ouvrage a été traduit en anglais par Gregory : Researches on Magnetism, Electricity, Heat, Light Cristallization and chemical Attraction. – Londres, 1850.

(85)  Voir le bulletin de la Société de psychologie physiologique présidée par M. Charcot, 1885. – Voir surtout le beau livre de M. Ochorowicz, De la Suggestion mentale, Paris, 1887.

(86)  Il y a sur cette matière une littérature abondante, de valeur très inégale, aussi bien en France qu'en Allemagne et en Angleterre. Nous citerons ici deux ouvrages où ces questions sont traitées d'une manière scientifique par des hommes dignes de foi.
      Letters on animal Magnetism, by William Gregory. Londres, 1850. – Gregory était professeur de chimie à l'université d'Edimbourg. Son livre est une étude approfondie des phénomènes du magnétisme animal, depuis la suggestion jusqu'à la vision à distance et à la clairvoyance lucide, sur des sujets observés par lui-même, selon la méthode scientifique et avec une minutieuse exactitude.
      Die mystischen Erscheinungen der menschlichen Natur, von Maximilian Perty, Leipzig, 1872. – M. Perty est professeur de philosophie et de médecine à l'université de Berne. Son livre offre un immense répertoire de tous les phénomènes occultes qui ont quelque valeur historique. Le chapitre très remarquable sur la clairvoyance (Schlafwachen) volume 1, renferme vingt histoires de somnambules femmes et cinq histoires de somnambules hommes, racontées par les médecins qui les ont traités. Celle de la clairvoyante Weiner, traitée par l'auteur, est des plus curieuses. – Voir aussi les traitée du magnétisme de Dupotet, de Deleuze, et le livre extrêmement curieux : Die Scherin von Prevorst, de Justinus Kerner.

(87)  Exemples nombreux dans Gregory. Lettres XVI, XVII et XVIII.

(88)  Le philosophe allemand Schelling avait reconnu l'importance capitale du somnambulisme dans la question de l'immortalité de l'âme. Il observe que, dans le sommeil lucide, il se produit une élévation et une libération relative de l'âme par rapport au corps, telle qu'elle n'a jamais lieu dans l'état normal. Chez le somnambules, tout annonce la plus haute conscience, comme si tout leur être était rassemblé en un foyer lumineux qui réunit le passé, le présent et l'avenir. Loin qu'ils perdent le souvenir, le passé s'éclaire pour eux, l'avenir même se dévoile quelquefois dans un rayon considérable. Si cela est possible dans la vie terrestre – se demande Schelling – n'est-il pas certain que notre personnalité spirituelle, qui nous suit dans la mort, est déjà présente en nous actuellement, qu'elle ne naît pas alors, qu'elle est simplement délivrée et se montre dès qu'elle n'est plus liée au monde extérieur par les sens ? L'état après la mort est donc plus réel que l'état terrestre. Car, dans cette vie, l'accidentel, se mêlant à tout, paralyse en nous l'essentiel. Schelling appelle tout uniment l'état futur : clairvoyance. L'esprit, débarrassé de tout ce qu'il y a d'accidentel dans la vie terrestre, devient plus vivant et plus fort ; le méchant devient plus méchant, le bon meilleur.
      Tout récemment, M. Charles Du Prel a soutenu la même thèse avec une grande richesse de faits et d'aperçus, dans un beau livre Philosophie der Mystik (1886). Il part de ce fait « La conscience du moi n'épuise pas son objet. L'âme et la conscience ne sont pas deux termes adéquats ; ils ne se couvrent pas, parce qu'ils n'ont pas une égale étendue. La sphère de l'âme dépasse de beaucoup celle de la conscience. » Il y a donc en nous un moi latent. Ce moi latent, qui se manifeste dans le sommeil et le rêve, est le vrai moi, supraterrestre et transcendant, dont l'existence a précédé notre moi, terrestre, lié au corps. Le moi terrestre est périssable ; le moi transcendant est immortel. Voila pourquoi saint Paul a dit : « Dès cette terre, nous marchons dans le ciel. »

(89)  Note F.-S. : Ces deux avertissements résument parfaitement les conditions sine qua non pour être en mesure de développer réellement, durablement et sans (trops de) risques nos facultés supérieures, car celles-ci ne peuvent être utilisées que pour le bien le plus élevé, et non pour de basses volontés terrestres. Toute autre utilisation condamne à terme celui qui, du fait de ses failles, a mésusé de ses dons.




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