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Les Grands Initiés

Edouard Schuré
© France-Spiritualités™






LIVRE IV
MOÏSE – LA MISSION D'ISRAËL


VI – LA MORT DE MOÏSE

Quand Moïse eut conduit son peuple jusqu'à l'entrée de Kanaan, il sentit que son œuvre était accomplie. Qu'était-ce que Ièvè-Aelohim pour le Voyant du Sinaï ? L'ordre divin vu du haut en bas, à travers toutes les sphères de l'univers et réalisé sur la terre visible, à l'image des hiérarchies célestes et de l'éternelle vérité. Non, il n'avait pas contemplé en vain la face de l'Eternel, qui se réfléchit dans tous les mondes. Le Livre était dans l'Arche, et l'Arche gardée par un peuple fort, temple vivant du Seigneur. Le culte du Dieu unique était fondé sur la terre ; le nom de Ièvè brillait en lettres flamboyantes dans la conscience d'Israël ; les siècles pourront rouler leurs flots dans l'âme changeante de l'humanité, ils n'en effaceront plus le nom de l'Eternel.

      Moïse ayant compris ces choses, invoqua l'Ange de la Mort. Il imposa les mains à son successeur, Josué, devant le tabernacle d'assignation, afin que l'Esprit de Dieu passât en lui, puis il bénit toute l'humanité à travers les douze tribus d'Israël et gravit le mont Nébo, suivi seulement de Josué et de deux lévites. Déjà Aaron avait été « recueilli vers ses pères », la prophétesse Marie avait pris le même chemin. Le tour de Moïse était venu.

      Quelles furent les pensées du prophète centenaire, lorsqu'il vit disparaître le camp d'Israël et qu'il monta dans la grande solitude d'Aelohim ? Qu'éprouva-t-il en promenant ses yeux sur la terre promise, de Galaad à Jéricho, la ville des palmes ? Un vrai poète (71), peignant en maître cette situation d'âme, lui fait pousser ce cri :

Ô Seigneur j'ai vécu puissant et solitaire
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.

      Ces beaux vers en disent plus sur l'âme de Moïse que les commentaires d'une centaine de théologiens. Cette âme ressemble à la grande pyramide de Gisèh, massive, nue et close au dehors, mais qui renferme les grands mystères dans son intérieur et porte à son centre un sarcophage, appelé par les initiés le sarcophage de la résurrection. De là, par un couloir oblique on apercevait l'étoile polaire. Ainsi cet esprit impénétrable regardait de son centre le but final des choses.

      Oui, tous les puissants ont connu la solitude que crée la grandeur ; mais Moïse fut plus seul que les autres parce que son principe fut plus absolu, plus transcendant. Son Dieu fut le principe mâle par excellence, l'Esprit pur. Pour l'inculquer aux hommes il dut déclarer la guerre au principe féminin, à la déesse Nature, à Hèvè, à la Femme éternelle qui vit dans l'âme de la Terre et dans le cœur de l'Homme. Il dut la combattre sans trêve et sans merci, non pour la détruire, mais pour la soumettre et la dompter. Quoi d'étonnant si la Nature et la Femme, entre lesquelles règne un pacte mystérieux, tremblaient devant lui ? Quoi d'étonnant si elles se réjouissaient de son départ et attendaient pour relever la tête que l'ombre de Moïse eût cessé de jeter sur elles le pressentiment de la mort ? Telles furent sans doute les pensées du Voyant, tandis qu'il montait le stérile mont Nébo. Les hommes ne pouvaient l'aimer, car il n'avait aimé que Dieu. Son œuvre vivrait-elle du moins ? Son peuple resterait-il fidèle à sa mission ? Ah ! fatale clairvoyance des mourants, don tragique des prophètes qui soulève tous les voiles à l'heure dernière ! A mesure que l'esprit de Moïse se détachait de la terre, il vit la terrible réalité de l'avenir ; il vit les trahisons d'Israël ; l'anarchie redressant la tête ; la royauté succédant aux Juges ; les crimes des rois souillant le temple du Seigneur ; son Livre mutilé, incompris ; sa pensée travestie, rabaissée par des prêtres ignorants ou hypocrites ; les apostasies des rois ; l'adultère de Juda avec les nations idolâtres ; la pure tradition, la doctrine sacrée étouffées et les prophètes, possesseurs du verbe vivant, persécutés jusqu'au fond du désert.

      Assis dans une caverne du mont Nébo, Moïse vit tout cela en lui-même. Mais déjà la Mort étendait son aile sur son front et posait sa main froide sur sou cœur. Alors ce cœur de lion essaya de rugir encore une fois. Irrité contre son peuple, Moïse appela la vengeance d'Aelohim sur la race de Juda. Il leva son bras pesant. Josué et les lévites qui l'assistaient, entendirent avec épouvante ces paroles sortir de la bouche du prophète mourant : « Israël a trahi son Dieu, qu'il soit dispersé aux quatre vents du ciel ! »

      Cependant les lévites et Josué regardaient avec terreur leur maître qui ne donnait plus signe de vie. Sa dernière parole avait été une malédiction. Avait-il rendu le dernier soupir avec elle ? Mais Moïse ouvrit les yeux une dernière fois et dit : « Retournez vers Israël. Quand les temps seront venus, l'Eternel vous suscitera un prophète comme moi d'entre vos frères et il mettra son verbe dans sa bouche, et ce prophète vous dira tout ce que l'Eternel lui aura commandé.

      « Et il arrivera que quiconque n'écoutera pas les paroles qu'il vous aura dites, l'Eternel lui en demandera compte. (Deutéronome, XVIII, 18, 19.)

      Après ces paroles prophétiques, Moïse rendit l'esprit. L'Ange solaire au glaive de feu, qui d'abord lui était apparu au Sinaï, l'attendait. Il l'entraîna dans le sein profond de l'Isis céleste, dans les ondes de cette lumière qui est l'Epouse de Dieu. Loin des régions terrestres, ils traversèrent des cercles d'âmes d'une splendeur grandissante. Enfin l'Ange du Seigneur lui montra un esprit d'une beauté merveilleuse et d'une douceur céleste, mais d'une telle radiance et d'une clarté si fulgurante, que la sienne propre n'était qu'une ombre auprès. Il ne portait pas le glaive du châtiment, mais la palme du sacrifice et de la victoire. Moïse comprit que celui-là accomplirait son œuvre et ramènerait les hommes vers le Père, par la puissance de l'Eternel Féminin, par la Grâce divine et par l'Amour parfait.

      Alors le Législateur se prosterna devant le Rédempteur, et Moïse adora Jésus-Christ.


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(71)  Alfred de Vigny.




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