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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 1

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






TROISIÈME ÉPISODE – LE SCULPTEUR DE CHAIR HUMAINE
II – En pleine chair vive

Le Dr Cornélius Kramm était un des médecins les plus à la mode de New York et son établissement n'était guère fréquenté que par des milliardaires, ou tout au moins des multimillionnaires. Sa physionomie énigmatique et narquoise s'étalait en bonne page dans les revues spéciales, aussi bien que dans les quotidiens à gros tirage. Ses brochures : L'Esthétique rationnelle de l'être humain, Moyens scientifiques de prolonger la jeunesse chez l'homme et chez la femme, étaient ardemment lues et commentées par les savants et les gens du monde ; il était universellement apprécié.

      D'ailleurs, Cornélius Kramm n'était pas un médecin ordinaire. Il laissait à ses confrères le vulgaire souci de guérir les maladies ; il ne s'occupait que des gens bien portants, mais qui étaient affligés de quelque imperfection physique.

      Dans cet ordre d'idées il avait opéré de véritables miracles.

      Entre cent autres, on citait particulièrement le cas du brave colonel Mac Dolmar qui, atteint d'un shrapnell pendant la guerre des Philippines, avait été totalement défiguré, privé du nez et de la moitié du visage. Le Dr Cornélius avait si bien restauré cette physionomie démantelée que c'est à peine s'il restait trace de l'épouvantable mutilation. Ainsi le Dr Cornélius Kramm n'était désigné que sous le surnom de rajeunisseur ou de « sculpteur de chair humaine ».

      On affirmait, sans doute avec quelque exagération, qu'il eût pu d'une vieille miss borgne, édentée, ridée et jaune faire une jeune fille fraîche et rose ; beaucoup étaient persuadés que son pouvoir était sans bornes.

      Le docteur, qui avait quelque temps habité une ville neuve du Far West, s'était définitivement installé à New York où il possédait une académie de beauté, un « esthetic institute », comme on dit en Amérique, aménagé selon les dernières données de la science et les suprêmes raffinements du confort moderne. Cornélius Kramm vivait seul et n'avait pour toute famille qu'un frère un peu plus jeune que lui, Fritz Kramm, qui faisait en grand le commerce des tableaux et des objets d'art.

      Depuis plusieurs semaines, le docteur avait pour pensionnaire un jeune Américain d'allure taciturne et misanthropique qui ne suivait – en apparence du moins – aucun traitement, car il était doué d'une robuste constitution et d'une excellente santé. Il occupait au deuxième étage d'une aile de l'hôtel, complètement isolée et donnant sur les jardins, une chambre à part. Il n'en sortait jamais dans la journée. Le soir seulement il descendait fumer un cigare en faisant une longue promenade sous les ombrages du jardin presque aussi vaste qu'un parc. Parfois aussi, il allait rejoindre le docteur dans un de ses laboratoires et avait avec lui de longs entretiens.

      Le personnage qui menait cette existence presque érémitique paraissait d'ailleurs parfaitement satisfait de sa situation. Quand il était seul, il se plongeait avec une ardeur extraordinaire dans l'étude des traités les plus récents de chimie et de physiologie ; ce travail possédait pour lui un tel attrait qu'il ne s'ennuyait pas un seul instant et ne prenait que juste l'exercice nécessaire à sa santé.

      Autre trait bizarre de cette existence de reclus : chaque matin un vieil Italien, nommé Léonello, depuis de longues années au service du docteur, venait dans la chambre du reclus et prenait de lui une ou plusieurs photographies ; il en avait ainsi accumulé une centaine dans toutes les attitudes possibles, de face, de profil, assis ou debout, nu ou habillé.

      Cette formalité n'était guère du goût de celui qui en était l'objet et il avait vainement cherché à savoir pourquoi on multipliait ainsi son image sous les aspects les plus divers. A toutes les questions, Léonello répondait par des phrases évasives. Une fois, le jeune homme voulut refuser de poser, mais le vieil Italien n'eut qu'à dire fort courtoisement que c'était l'ordre du docteur, et le photographié récalcitrant n'insista plus et posa de bonne grâce devant l'objectif d'un appareil de fort calibre qui donnait des clichés grandeur nature et d'une netteté parfaite.

      Un soir que l'étrange pensionnaire de l'académie de beauté se promenait lentement sous les allées ombreuses du jardin, contemplant d'un œil pensif le ciel fourmillant d'étoiles, il crut entendre quelqu'un marcher derrière lui, mais il fut vite rassuré en se trouvant en face de Léonello.

      – Vous faites, comme moi, un petit tour de promenade ? dit-il à l'Italien.

      – Non pas, répondit celui-ci avec un obséquieux sourire, je vous cherchais.

      – Le docteur désire me voir ?

      – Précisément.

      – J'en suis enchanté, je cours le rejoindre ; dites-moi seulement où il est, dans son cabinet ou au laboratoire ?

      – Je vais vous conduire, il est bien dans son laboratoire, mais pas dans celui que vous connaissez.

      – Indiquez-moi le chemin.

      – Inutile, vous ne sauriez pas trouver sans moi, il est préférable que je vous accompagne.

      – C'est bien, je vous suis.

      – Remarquez que le laboratoire où je vous conduis est rigoureusement consigné à tout le monde, même aux meilleurs amis du docteur qui en ignorent jusqu'à l'existence. C'est une grande faveur qu'il vous fait en vous y admettant.

      Tout en parlant, Léonello et son compagnon étaient entrés dans le bâtiment principal et s'étaient engagés dans un long couloir dallé de marbre que des lampes à vapeurs de mercure éclairaient d'une douce lueur azurée. Ils firent halte devant la cage d'un ascenseur.

      – Le laboratoire du docteur ne se trouve donc pas au rez-de-chaussée ? demanda l'inconnu avec surprise.

      – Non, dit tranquillement l'Italien, c'est un laboratoire souterrain.

      Et il appuya sur le bouton de commande.

      L'ascenseur se mit en marche et s'arrêta dans une sorte de vestibule aux parois de céramique d'une absolue nudité, sur lequel s'ouvraient d'épaisses portes battantes rembourrées de cuir. Un bruit rythmique de pistons et de bielles montrait que ce sous-sol devait renfermer de puissantes machines.

      – Nous sommes arrivés, dit Léonello, et, poussant une des portes battantes, il s'effaça pour laisser passer son compagnon le premier.

      Au sortir de la demi-obscurité du vestibule, le pensionnaire du docteur eut comme un éblouissement.

      Il se trouvait dans une vaste salle voûtée en dôme et dont les parois étaient entièrement revêtues de plaques de porcelaine blanche. Sous l'aveuglante lumière de l'électricité, un amas confus d'appareils étranges s'entassait à perte de vue. C'était sur des piédestaux des écorchés de grandeur nature barbarement coloriés, des cages montées sur des plateaux de verre d'après la méthode d'Arsonval, qui devaient permettre d'entourer un malade d'un faisceau de rayons électriques, des fauteuils munis de crics, grâce auxquels on pouvait immobiliser ou distendre les membres, et dans une vitrine un groupe d'automates de cire coloriés avec tant d'art qu'ils donnaient l'illusion de la vie. Enfin, dans un coin, sur des dalles de marbre, des cadavres à demi disséqués étaient étendus, dans un état de conservation parfait, dû sans doute à de puissants antiseptiques.

      L'atmosphère de ce fantastique laboratoire était saturée d'une odeur extraordinairement balsamique qui semblait singulièrement vivifiante et dont l'absorption faisait sans doute partie intégrante du traitement auquel étaient soumis les malades.

      En apercevant le nouveau venu, le Dr Cornélius Kramm avait déposé une éprouvette dans laquelle il était en train de décanter le contenu d'un ballon et était accouru, souriant aussi aimablement que cela lui était possible avec sa sinistre physionomie.

      – Bonsoir, mon cher monsieur Baruch Jorgell, dit-il en désignant un siège, vous me voyez enchanté de votre visite ; je me suis permis de vous déranger ce soir, car j'ai besoin de causer très sérieusement avec vous.

      – Vous avez là, murmura Baruch plus ému qu'il ne voulait le paraître, un splendide laboratoire.

      – Oui, n'est-ce pas ? reprit négligemment le docteur, cela m'a coûté assez cher ; d'ailleurs, comme installation, ce laboratoire a ceci d'avantageux, c'est que j'y suis parfaitement tranquille. Je pourrais, s'il m'en prenait la fantaisie, écorcher vif un de mes clients et le laisser hurler tout à son aise. Là-haut, on n'entendrait pas un bruit.

      – Cela est commode, en effet, murmura Baruch, de moins en moins rassuré.

      Le docteur s'était aperçu du trouble de son interlocuteur ; un sourire narquois retroussa ses lèvres minces, ses yeux arrondis et sans cils, comme ceux des oiseaux de proie, étincelèrent derrière ses lunettes d'or.

      – Rassurez-vous, ricana-t-il, je ne me livre que bien rarement à des expériences de vivisection, et encore, est-ce toujours dans l'intérêt de la science.

      – De quoi s'agit-il donc ?

      – J'y arrive. Vous vous rappelez, mon cher Baruch, dans quelle situation vous vous trouviez quand vous êtes arrivé ici ?

      – Je m'en souviens et j'ai de bonnes raisons pour cela. Je suis votre obligé et je ne l'oublierai jamais, mais inutile de parler du passé.

      – C'est fort utile, au contraire. Je comprends que certains souvenirs vous soient pénibles, mais il est indispensable qu'il n'y ait entre nous aucune espèce de malentendu.

      – Parlez, murmura Baruch, qui ne put s'empêcher de pâlir.

      – Lorsque vous êtes venu me demander asile, vous étiez accusé d'avoir assassiné un chimiste français, M. de Maubreuil, que vous aviez dépouillé de ses diamants ; vous étiez traqué de toutes parts ; votre signalement était affiché, votre tête mise à prix et des centaines de détectives étaient à vos trousses.

      – C'est exact, répliqua l'assassin qui avait eu le temps de recouvrer son sang-froid. Vous m'avez sauvé, je ne cherche pas à le nier. Vous avez même parlé à ce moment d'une association entre nous et votre frère, qui pourrait amener des résultats « grandioses », c'était votre mot ; mais, depuis, il n'a plus été question de rien.

      – Eh bien ! le moment est venu de vous faire connaître ces projets qui, je vous l'ai dit, sont grandioses, je ne retire pas le mot. Je vais aborder carrément la question. Voyons, entre nous, tenez-vous beaucoup à conserver votre physionomie actuelle ?

      – Ma physionomie ?

      – Oui, j'entends par là votre nuance de cheveux, l'expression de votre visage, la couleur de votre peau, en un mot, tout ce qui constitue votre personnalité physique.

      – Je n'y tiens nullement ; à ce que je vois, vous voulez me teindre, me maquiller, me rendre méconnaissable.

      Le Dr Cornélius eut un haussement d'épaules.

      – Vous teindre, vous maquiller, quelle plaisanterie !

      Et il ajouta d'une voix grave :

      – Il ne s'agit pas de cela, le changement qui se produira en vous sera tellement radical, tellement profond, que vous serez véritablement un autre homme.

      – Impossible !

      – C'est très possible ; certes, l'expérience est hardie, mais elle ne comporte aucun danger sérieux. Fritz, mon frère, vous expliquait l'autre jour quelques-uns des moyens que j'emploie pour arriver à mes fins, vous avez pu constater qu'ils sont très ingénieux et d'une extrême simplicité.

      – Mais pourquoi cette transformation complète ? murmura Baruch Jorgell, le cœur étreint d'une vague angoisse. Est-ce que quelques retouches ne seraient pas suffisantes ?

      – Non, pas de retouches ! Je vois qu'il faut que je complète ma pensée. Un soir, comme aujourd'hui par exemple, vous vous endormez dans la peau de Baruch Jorgell, criminel notoire, recherché par les polices du monde entier, et quand vous vous réveillez, vous êtes devenu, par la magie de la Science, un des plus brillants gentlemen de l'aristocratie, des Cinq-Cents, heureux fils d'un père milliardaire.

      Baruch crut un instant que le docteur était devenu fou.

      – C'est un rêve, un abominable rêve, murmura-t-il, la science ne peut pas, ne pourra jamais opérer une pareille métamorphose !

      – Ah ! ah ! ricana Cornélius, vous vous figurez cela, vous ignorez les ressources de la « carnoplastie », une science que j'ai créée de toutes pièces. Ce n'est pas pour rien, croyez-le, qu'on m'a surnommé le sculpteur de chair humaine !

      Baruch Jorgell tremblait de tous ses membres, il se croyait déjà voué à quelque atroce expérience, disséqué tout vivant.

      – J'aime encore mieux rester tel que je suis, balbutia-t-il d'une voix étranglée par la peur.

      Le docteur s'était redressé, la face rayonnante d'orgueil.

      – Je pourrais, fit-il, me passer de votre permission, mais j'aime mieux n'employer que le raisonnement pour vous convaincre ; quand j'aurai parlé, vous comprendrez quels sont vos véritables intérêts.

      Et il ajouta brusquement :

      – Vous connaissez Joë Dorgan, le fils du milliardaire ?

      – Très bien, répondit Baruch avec surprise ; nous avons même fait une partie de nos classes ensemble, à Boston. Depuis, je l'ai perdu de vue ; je connais beaucoup mieux son frère, l'ingénieur Harry Dorgan ; il dirigeait, vous le savez, l'usine de force électrique de Jorgell-City et il courtisait ma sœur Isidora ; celui-là, je le déteste mortellement...

      – Il ne s'agit pas de lui, interrompit le docteur d'un ton sec, il s'agit de son frère Joë. Apprenez une chose, c'est que vous avez avec Joë Dorgan une certaine ressemblance. C'est presque la même taille et la même corpulence. C'est cette ressemblance que je me charge, moi, de rendre aussi complète que possible ; au bout de quelques semaines de traitement, elle sera définitive.

      – Même en y comprenant le visage ?

      – Même le visage.

      – Alors, il existera deux Joë Dorgan ?

      – Nullement, parce que, toujours grâce à la science, le vrai Joë Dorgan aura pris exactement l'aspect physique du trop fameux Baruch Jorgell.

      Comprenez-vous, maintenant ? Vous repassez, comme on fait d'une fausse pièce, votre personnalité un peu tarée à un voisin complaisant qui vous donne la sienne en échange, c'est très simple.

      Baruch était littéralement abasourdi.

      – C'est effarant ! s'écria-t-il ; ce serait trop beau si c'était possible ; mais je vois mille difficultés, et tout d'abord Joë Dorgan ne voudra pas endosser ma fâcheuse personnalité ; il se débattra comme un beau diable ! il demandera une enquête ! La vérité se découvrira !...

      Cornélius eut un ricanement bref.

      – Voilà une éventualité, dit-il, qui ne se produira jamais. Je vous donne ma parole, moi, que Joë Dorgan n'élèvera pas la moindre réclamation et cela pour une bonne raison, c'est qu'il aura complètement perdu le souvenir de toutes les choses passées...

      – Et quand même cela serait, répliqua Baruch avec énergie, quand même encore j'arriverais à revêtir l'apparence exacte de Joë Dorgan, je ne pourrais m'assimiler ni sa voix, ni ses gestes, ni ses opinions, ni sa pensée.

      – Tout cela est possible, poursuivit le docteur avec enthousiasme, j'ai les moyens faciles de vous donner la voix et la démarche, les gestes mêmes de Joë ; vous connaîtrez les moindres souvenirs de son passé et ses pensées les plus secrètes. Vous posséderez son âme autant que cela est réalisable.

      Baruch Jorgell eut un geste d'épouvante, ses dents claquaient de terreur ; il comprenait que Cornélius ne mentait pas et que ce qu'il avait annoncé, il le réaliserait en dépit de toute résistance.

      – Mais quel homme êtes-vous donc ? balbutiat- il avec égarement.

      – Oh ! rien qu'un simple savant, un très modeste savant, je vous assure. Il n'y a aucune sorcellerie dans les procédés que j'emploie. J'ai simplement perfectionné certaines formules d'un usage courant. Quand j'aurai publié le volume que je prépare sur la carnoplastie, les prodiges que j'accomplis et qui excitent tant d'étonnement deviendront à la portée de tous les médecins.

      En dépit de toute l'éloquence de Cornélius, Baruch demeurait hésitant.

      – Eh bien, non ! dit-il brusquement, je refuse !

      – A votre aise, ricana le docteur ; vous êtes bien libre, après tout, de ne pas accepter ma proposition. Seulement, vous comprenez que, puisque vous allez à l'encontre de mes projets – et de vos propres intérêts même –, je ne puis plus vous garder chez moi. Vous sortirez d'ici aujourd'hui même, et vous savez, une fois dehors, ce qui vous attend : la prison et l'infâme fauteuil des électrocutions.

      Baruch grinça des dents comme un loup pris au piège.

      – Je vous obéirai, murmura-t-il avec effort, je suis à votre discrétion... Ah ! je savais bien que vous me feriez payer chèrement le service que vous m'avez rendu...

      – Je suis enchanté de vous voir devenu plus raisonnable, mais, je vous le répète, c'est bien à tort que vous vous alarmez. Votre vie n'est pas en danger et vous n'éprouverez aucune souffrance... Vous serez le premier, quand j'aurai réussi, à me combler de bénédictions.

      – J'en doute fort, mais puisqu'il faut que je serve de sujet dans cette épouvantable expérience, commencez le plus tôt possible. J'en ai pris mon parti !

      – Je sais que vous êtes courageux, nous commencerons donc ce soir même ; je suis heureux de constater que vous êtes dans un parfait état de santé, car cette nuit va être employée par nous à des opérations qui demandent, de votre part, une certaine force d'endurance.

      – Je suis prêt, murmura l'assassin d'un air résigné, mais où est donc celui dont je dois prendre la place ?

      Cornélius Kramm appuya sur un ressort. Un rideau glissa sur sa tringle, découvrant un renfoncement du laboratoire où se trouvait un lit de repos entouré d'un faisceau de fils électriques.

      Sur le lit était étendu un jeune homme à peu près de la même taille que Baruch, mais dont la physionomie n'avait, avec celle de ce dernier, aucune ressemblance, même lointaine. Il semblait dormir d'un paisible sommeil, ses paupières étaient closes et un vague sourire errait sur ses lèvres.

      Tout en dormant, il racontait à mi-voix des choses qui offraient sans doute un intérêt capital, car un phonographe enregistreur était placé près de son chevet sur un guéridon.

      – J'ai l'honneur de vous présenter l'honorable Joë Dorgan, railla Cornélius. Comme vous le voyez, il est admirablement disposé et se soumettra à l'expérience que nous allons tenter.

      – Mais comment se trouve-t-il ici ? demanda Baruch avec une secrète épouvante.

      – Ne vous inquiétez pas de cela, dit Cornélius. Ce qu'il y a d'intéressant pour vous à savoir, c'est que, depuis plus d'une semaine, Joë Dorgan est plongé dans le sommeil de l'hypnose. Je lui ai donné l'ordre de se rappeler tous ses souvenirs d'enfance et de les raconter avec les détails les plus circonstanciés et les plus minutieux. Tout cela est scrupuleusement noté, afin que vous en fassiez votre profit en temps voulu.

      Baruch Jorgell, à mesure que Cornélius l'initiait aux moyens pratiques de réaliser son plan audacieux, se remettait peu à peu de ses terreurs.

      – Faudra-t-il donc, demanda-t-il, que je vous expose aussi, en détail, mes souvenirs et mes projets ?

      – Pas du tout. Ce serait complètement inutile. Ne vous ai-je pas dit que Joë Dorgan perdrait tout souvenir de sa vie passée ? Lorsque la plastique chirurgicale lui aura donné exactement votre ressemblance extérieure, il me suffira d'une petite opération sur le larynx pour lui donner votre voix, puis une légère piqûre au cerveau le débarrassera de sa mémoire.

      – Pourquoi ne pas le faire disparaître purement et simplement ?

      – Fritz me disait la même chose, mais je ne veux pas. D'abord, l'existence d'un faux Baruch est une garantie de sécurité pour vous. Puis, j'ai mon amour-propre de savant. Il me plaît de jouer la difficulté et de mener à bien une double transformation que tout le monde regarde comme invraisemblable, comme impossible.

      – Vous avez peut-être raison ; quand le pseudo-Baruch aura été bel et bien électrocuté, comme assassin de M. de Maubreuil, personne ne s'avisera d'aller me chercher sous la peau de Joë Dorgan.

      – N'oubliez pas d'ailleurs que, grâce à moi, vous allez devenir l'héritier de William Dorgan. On peut dire que vous êtes né sous une heureuse étoile. Repoussé par Fred Jorgell, vous retrouvez immédiatement un autre père, non moins milliardaire que le premier, en la personne de William Dorgan.

      Et Cornélius Kramm ajouta d'un air sarcastique :

      – D'ici peu, mon cher Baruch, vous allez vous trouver à même de prouver votre reconnaissance à vos amis de royale façon.

      – Et je n'y manquerai pas, soyez-en sûr.

      – Si vous y manquiez, d'ailleurs, reprit le docteur avec de sourdes menaces dans la voix, ce serait fort imprudent de votre part ; ni moi ni mon frère ne sommes des gens dont on se moque impunément.

      – Je n'ai jamais eu pareille intention ! protesta Baruch avec véhémence.

      – Allons, calmez-vous. Nous avons en vous la plus entière confiance, sans quoi, vous pensez bien qu'il nous eût été facile de choisir un autre que vous. Mais cela suffit. Nous avons perdu beaucoup de temps en explications. Nous allons nous mettre au travail immédiatement.

      – Je suis à vos ordres, dit Baruch avec calme.

      Et après avoir contemplé une dernière fois, dans la haute glace qui était appendue au mur, ses propres traits qu'il ne devait plus revoir, il s'assit intrépidement dans le grand fauteuil métallique que lui désignait Cornélius.

      Celui-ci prit un flacon dans une armoire et l'approcha des narines de Baruch qui tomba aussitôt dans un profond sommeil.




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