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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 1

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






DEUXIÈME ÉPISODE – LE MANOIR AUX DIAMANTS
IV – La fournée

C'était ce soir-là que devait avoir lieu l'expérience que M. de Maubreuil préparait depuis plus d'un mois. Comme tous les vrais savants, le vieux chimiste, à la veille de cette tentative décisive, n'était pas sans émotion.

      Accoudé à la haute fenêtre du laboratoire, il regardait tout pensif la nuit s'éteindre peu à peu sur la mer et sur la campagne d'où montaient des rumeurs mystérieuses.

      – Réussirai-je enfin ? se demanda-t-il pour la millième fois. Et, de mémoire, il refaisait mentalement les calculs dont cette fois il supposait le résultat infaillible.

      Tout à coup le cri déchirant d'une troupe d'oiseaux de mer qui cherchaient pâture dans les sables de la grève traversa le silence du soir.

      Bien qu'exempt de toute superstition, le chimiste ne put s'empêcher de tressaillir, mais il surmonta bien vite cette impression de vague et maladive terreur.

      – Allons ! murmura-t-il, il est l'heure.

      Et rentrant dans la première pièce, il appela :

      – Baruch !

      – Me voici, cher maître !

      – Allumez les lampes électriques ; si vous le voulez bien, nous allons nous mettre au travail...

      A ce moment, on heurta légèrement à la porte extérieure du laboratoire. Sans attendre qu'on lui eût donné la permission d'entrer, Andrée fit irruption dans la salle aux vitrines et se jeta câlinement dans les bras du vieux savant.

      – Bonsoir père ; je vais passer la soirée chez Frédérique à la villa.

      – Va, mon enfant, mais ne rentre pas trop tard. Bien que la route ne soit pas longue, je n'aime pas à te savoir errante par les landes et les grèves, comme une fée bretonne. Nous allons travailler très tard ce soir et je ne serai pas couché quand tu rentreras.

      – Quel nouveau prodige nous préparez-vous encore ?

      – J'en suis toujours aux diamants, chère petite. Je n'ai pas encore obtenu ce que je voulais, mais, j'en ai la ferme conviction, nous touchons au but. Demain peut-être, je pourrai te faire voir des brillants plus beaux que ceux de la reine d'Angleterre ou de l'impératrice de Russie.

      Andrée avait été élevée dans la haine des pierreries.

      – Vous savez bien, mon père, fit-elle, qu'à tous les bijoux je préfère les fleurs.

      – Eh bien, nous aurons les plus belles fleurs du monde et nous donnerons les diamants à ton amie Frédérique. Mais je te le recommande encore une fois, ne t'attarde pas !

      – Bonne chance, mais soyez sans inquiétude, je serai de retour de bonne heure. Ne suis-je pas, d'ailleurs, sous la protection de mon fidèle Oscar, armé de sa lanterne et de son bâton de houx ?

      Et, du doigt, elle montrait en riant la chétive silhouette du bossu, dissimulé dans l'embrasure de la porte.

      Pendant cette conversation, Baruch Jorgell était rentré dans le second laboratoire, comme s'il eût tenu à éviter la présence de la jeune fille.

      Depuis quelque temps, il régnait entre Andrée et le collaborateur de son père une secrète froideur. Malgré toute sa dissimulation, Baruch n'avait pu cacher le mécontentement et la jalousie que lui causaient les assiduités de l'ingénieur Paganot près de la jeune fille.

      Un moment, il avait caressé l'idée de devenir le gendre de M. de Maubreuil, et il était à la fois furieux et humilié de l'indifférence polie que lui témoignait Andrée, qui, avec sa clairvoyance féminine, avait deviné, sans bien s'en rendre compte peut-être, dans le collaborateur de son père, un ennemi d'autant plus dangereux qu'il était plus hypocrite.

      M. de Maubreuil était le seul – avec son ingénuité de vieux savant, ignorant des trahisons de la vie – à professer à l'égard de Baruch une sympathie complète. N'ayant qu'à se louer de lui au point de vue du labeur scientifique, il prenait la taciturnité de l'Américain pour de la mélancolie, et sa sournoiserie pour du sérieux.

      Cependant, Andrée avait déjà descendu quelques marches du monumental escalier de granit, à rampe de bois, lorsque M. de Maubreuil lui cria du haut du palier :

      – Mes amitiés à l'ami Bondonnat. Annonce-lui pour demain ma visite à l'heure du déjeuner. Si je réussis, j'apporterai à Frédérique quelques brillants de ma fabrication.

      M. de Maubreuil rentra tout pensif, agité d'un vague et funèbre pressentiment.

      Longtemps, le front appuyé au vitrail de la haute fenêtre, il suivit des yeux la lueur de la lanterne qui, pareille à un ver luisant, paraissait et disparaissait sur la falaise entre les ajoncs de la lande. Enfin la lueur se perdit dans l'espèce d'auréole phosphorescente qui planait au-dessus des jardins électriques de M. Bondonnat. Andrée était arrivée chez ses amis.

      – Allons ! s'écria le chimiste en se ressaisissant, assez de rêvasseries, au travail !

      – Tout est prêt, cher maître, répondit obséquieusement Baruch.

      Sous la lueur des lampes électriques, les gemmes des vitrines lançaient des feux étincelants ; on eût dit de fulgurantes prunelles de démons, d'un rayonnement intense, presque vivantes dans leur immobilité.

      M. de Maubreuil passa dans le laboratoire et s'approcha de la grande table de porcelaine qui en occupait le centre et qu'encombrait un fouillis de ballons, de tubes, de matras et d'éprouvettes. Baruch ouvrait avec des pinces les lourdes portes du four électrique qui occupait tout un côté de la pièce et que protégeaient d'épaisses plaques de métal renforcées de briques réfractaires.

      La physionomie mélancolique de M. de Maubreuil s'était éclairée d'un sourire :

      – Cette fois-ci, déclara-t-il, je crois au succès. Un échec est impossible ! Nous allons fabriquer de gros diamants, de vrais diamants, en aussi grande quantité que nous voudrons.

      – Moissan, lui-même, le grand chimiste français, dit Baruch, n'en avait obtenu que de minuscules. Les plus gros étaient de la dimension d'une tête d'épingle et il les distribuait à titre de curiosité aux élèves de ses cours.

      – C'est parce que, sans doute, il n'avait pas opéré sur des masses assez considérables.

      Baruch eut un sourire sardonique.

      – Nous réussirons, je n'en doute pas, fit-il, mais ce sera tant pis pour les joailliers et les actionnaires de mines de diamants.

      – Je n'ai aucun scrupule à cet égard, répliqua tranquillement le chimiste. La disparition de la guerre dans l'humanité ruinera aussi, un jour, les fondeurs de canons et les fabricants de mélinite, comme celle de la maladie fera disparaître les pharmaciens et les droguistes. A cela je ne vois pas grand mal, l'activité du labeur humain se portera vers des objets plus réellement utiles.

      Baruch Jorgell ne répondit pas, son attention venait d'être attirée par un appareil métallique de forme carrée, accroché à la muraille qui faisait face au gigantesque four électrique.

      – Tiens, fit-il, un microphone enregistreur !

      – Oui, répondit le chimiste, c'est moi-même qui l'ai disposé ce matin, pour noter les bruits spéciaux qui se produisent dans la matière en fusion, au moment de la cristallisation. Il y a peut-être quelque chose à tirer de là.

      – Peut-être, murmura le Yankee, devenu soucieux.

      Maintenant, le silence régnait dans le laboratoire. Baruch disposa sur la table de vastes creusets qui furent remplis de barres de métal, saupoudrées d'une poussière de carbone très dense. Dans d'autres, M. de Maubreuil introduisit des blocs de graphite, et il ajusta les tubulures d'un appareil par lequel l'acide carbonique, porté à une haute température, devait arriver au sein même de la masse en fusion.

      Baruch se livrait avec une méthodique lenteur à la tâche qui lui était dévolue. Mais, quand il ne se croyait pas observé du chimiste, ses regards étincelaient et son visage se crispait d'un affreux rictus.

      M. de Maubreuil, lui, nageait, en plein enthousiasme. Ses traits avaient perdu leur expression terne et mélancolique. Ses longs cheveux gris, rejetés en arrière, sa barbe en désordre, il allait et venait dans une fièvre affairée et joyeuse.

      En moins d'une demi-heure, les derniers préparatifs furent terminés. Les creusets, remplis et bouchés de leurs couvercles, s'alignèrent symétriquement sur la table centrale.

      – Nous touchons au but ! s'écria M. de Maubreuil avec exaltation. Nous allons réaliser enfin le rêve enfantin de la vieille humanité, éprise de ces cailloux inutiles et brillants. Les pierres que nous fabriquerons dépasseront de beaucoup le plat du roi Salomon, creusé, au dire des rabbins, dans une seule émeraude, et ce rubis géant qui, à ce que j'ai lu, est en ce moment la propriété du milliardaire Jorgell, votre père !

      Baruch eut un regard chargé de haine.

      – Ne me parlez jamais de mon père, balbutia-til d'une voix tremblante. Il n'y a plus rien de commun entre nous. Vous savez de quelle manière il m'a dépouillé ?

      – Pardon de cette allusion, mon cher Baruch, dit affectueusement le vieillard, je n'ai pas eu l'intention de vous froisser, j'oubliais que ces souvenirs vous sont pénibles... Mais revenons à nos diamants. Il s'agit à présent d'enfourner les creusets.

      Sans répondre un mot, l'Américain ouvrit de nouveau les lourdes portes du four électrique, dans l'intérieur duquel il aligna les récipients infusibles.

      Il n'y avait plus maintenant qu'à lâcher le courant de plusieurs milliers de volts, assez puissant pour reproduire la cristallisation du carbone mélangé au métal des creusets.

      Les portes furent hermétiquement closes. L'instant solennel était arrivé.

      – Allez ! ordonna gravement M. de Maubreuil.

      Baruch fit manœuvrer l'interrupteur, déchaînant ainsi le formidable courant.

      Presque instantanément, une chaleur terrible se répandit dans les deux pièces ; les portes du gigantesque four rougirent, les planchers et les meubles craquèrent et se fendillèrent, et sur la table, située cependant à plusieurs mètres du four, des éprouvettes éclatèrent.

      Inondés de sueur, la face congestionnée, quoiqu'ils ne fussent vêtus que de blouses de laboratoire en grosse toile, M. de Maubreuil et Baruch durent passer dans la salle aux vitrines où la chaleur n'était guère moins considérable.

      Tous deux haletaient, à demi suffoqués.

      De temps en temps Baruch rentrait dans le laboratoire, consultait du regard les appareils situés à proximité du four, puis revenait en hâte, à demi étouffé par l'intolérable température de la pièce.

      De rares paroles tombaient dans le grand silence.

      – Combien de degrés ?

      – Trois mille.

      – Bien.

      Puis ce fut trois mille cinq cents, quatre mille... quatre mille cinq cents.

      L'atmosphère devenait irrespirable comme celle de la chaufferie d'un paquebot ; le parquet se recroquevillait et se carbonisait à deux mètres du dallage de briques réfractaires sur lequel était installé le four électrique, la charpente du vieux manoir semblait prête à se disloquer, une des vitres de la fenêtre se fendit avec un grincement aigu et déchirant, comme un cri d'agonie.

      – Cinq mille cinq ! annonça Baruch.

      – C'est assez, balbutia M. de Maubreuil en s'épongeant le front. Il suffit maintenant de maintenir cette température-là pendant une demi-heure.

      L'Américain alla manœuvrer le commutateur. Dans la rougeoyante clarté qui s'échappait des portes incandescentes, ses regards lançaient des éclairs. On eût dit que, dans cette atmosphère embrasée, il se trouvait à l'aise comme dans son élément.

      – Je n'en puis plus, murmura M. de Maubreuil, allons respirer un peu sur le palier.

      Ils sortirent, humèrent avec délice l'atmosphère moins chaude de l'escalier.

      Le Manoir aux Diamants semblait endormi, le domestique breton et l'électricien qui avait soin des machines installées dans les sous-sols couchaient à l'autre extrémité du château. Dans le silence, on n'entendait que les craquements du bois qui se recroquevillait, mêlés aux grondements de la mer, aux sifflements du vent dans la lande.

      – J'ai peur qu'Andrée n'ait mauvais temps pour rentrer, dit tout à coup M. de Maubreuil.

      – Ne soyez pas inquiet de cela, fit Baruch avec une étrange intonation.

      – C'est vrai que l'ami Bondonnat la ferait reconduire par un de ses collaborateurs ou mieux encore me téléphonerait qu'il la garde jusqu'à demain matin.

      – Vous voyez bien.

      – Je sais, mais cela me tracasse... J'aurais presque voulu que ma fille se trouvât là pour être témoin de notre triomphe ou de notre insuccès...

      – Vous savez, dit tout à coup Baruch, en jetant un coup d'œil sur son chronomètre, que la demi-heure touche à son terme.

      – Remontons ! s'écria précipitamment le vieux savant, brusquement ramené à la préoccupation de son expérience.

      Tous deux regrimpèrent en hâte jusqu'au laboratoire et pénétrèrent de nouveau dans l'ardente fournaise. Baruch, à la minute précise, interrompit le courant, puis il ouvrit toutes grandes les portes et les fenêtres que protégeaient de solides barreaux de fer.

      La fraîcheur humide d'un vent d'ouest lourd de pluie vint rafraîchir délicieusement la suffocante atmosphère du laboratoire. Le four perdit de son éclat fulgurant et commença lentement à se refroidir.

      – Si nous ouvrions ? fit M. de Maubreuil avec une fébrile impatience.

      – Essayons, approuva l'Américain avec non moins d'impatience.

      Et, s'armant d'une longue pince d'acier, il s'approcha du four, mais la chaleur était intense : il fallut encore attendre.

      Le vieux chimiste se contenait à peine. Il arpentait à grands pas les deux pièces du laboratoire, répétant machinalement des équations et des formules – les formules mêmes de la synthèse du diamant dont, maintenant que l'expérience touchait à sa fin, il arrivait à n'être plus aussi sûr.

      – Pourvu, murmura-t-il, que je ne me sois pas trompé !

      Pendant ce temps, Baruch avait refermé les portes et les fenêtres. Tous deux, comme cédant à une invincible attraction, s'étaient rapprochés du four électrique.

      – J'espère, dit M. de Maubreuil avec agitation, que cette fois le courant a accompli son œuvre mystérieuse. La cristallisation doit être parfaite ou c'est à désespérer de la chimie !

      – C'est ce que nous allons voir à l'instant même ; maintenant on peut ouvrir.

      Baruch avait repris ses pinces, les lourds verrous métalliques furent poussés, sous la voûte profonde, les creusets apparurent dans un nimbe de vapeur rose.

      – Si nous avions échoué ! balbutia le chimiste, le cœur palpitant d'angoisse.

      Baruch, les dents serrées, soulevait avec effort chaque creuset avec ses pinces et venait le déposer sur la table de porcelaine ; bientôt tous s'y trouvèrent alignés.

      Avec une pince plus petite, l'Américain essaya d'ouvrir un des récipients encore brûlants, mais l'opération était malaisée.

      – Prenez un marteau et cassez-le ! s'écria M. de Maubreuil, incapable d'attendre une minute de plus.

      Baruch se saisit d'une lourde masse d'acier à manche très court, et, d'un geste brutal, fit voler le creuset en éclats. Chaque fragment de terre réfractaire apparut tapissé d'un éblouissant revêtement de diamants. Ils étincelaient de mille feux, au milieu de l'acre vapeur qui s'exhalait encore.

      L'Américain était demeuré muet de stupeur et d'émerveillement. La fortune qui s'étalait devant ses yeux était inestimable, il y avait là des cristaux bruts de la grosseur d'une pomme que les impératrices et les reines se seraient disputés à coups de milliards.

      M. de Maubreuil, très pâle, considérait les gemmes avec un extatique sourire.

      – Les diamants, s'écria-t-il avec un rire nerveux, mais c'est fini ! Cela ne vaut plus rien. Qui en veut ? je vais en fabriquer par centaines, par milliers ; on en emplira des tombereaux ; on en chargera des wagons, on en couvrira les maisons, on en pavera les rues !... Ha ! ha !

      Il allait et venait, gesticulant à travers le laboratoire, arrivé au summum de l'exaltation.

      – Allons, Baruch ! s'écria-t-il d'un ton impérieux, ne perdons pas une minute, il faut voir ce qu'il y a dans les autres creusets.

      Si M. de Maubreuil, tout à la joie d'un triomphe longtemps attendu, avait en ce moment regardé Baruch Jorgell, il eût été épouvanté de la transformation subite qui s'était produite dans ses traits. De l'homme du monde, du correct Yankee, toujours grave et même un peu triste, il ne restait plus rien. La mâchoire saillante, les dents crispées, les prunelles hors de la tête, Baruch avait pris en une seconde une physionomie effrayante de cupidité et de férocité bestiales.

      – Mais cassez donc ces creusets ! répéta le chimiste qui, littéralement hypnotisé par les diamants, ne voyait rien, n'entendait rien, tout à la joie délirante du succès.

      – Lequel ? demanda Baruch en levant sa masse d'acier.

      – Celui-ci ! dit le chimiste en se penchant pour montrer le plus grand des creusets.

      La masse pesante s'abattit avec un bruit sourd.

      Frappé derrière la tête, M. de Maubreuil tomba sans pousser un cri et alla heurter la paroi brûlante du four électrique.

      – Meurs donc, vieux fou, rugit l'assassin, à moi le secret du diamant !

      La face du malheureux chimiste s'était tout à coup violacée. Ses prunelles s'étaient révulsées, sa physionomie conservait dans la mort une épouvantable expression de stupeur et d'angoisse.

      Baruch contempla quelque temps avec un sang-froid plein de cynisme le cadavre défiguré de son bienfaiteur, puis il se détourna avec un haussement d'épaules.

      – Maintenant, dit-il à voix haute, comme s'il se fût adressé à un interlocuteur invisible, il ne faudrait pas s'attarder ici !

      Avec une rapidité et une précision qui dénotaient une abominable résolution, il brisa l'un après l'autre tous les creusets, en arracha les plus gros diamants qu'il amoncelait à mesure sur un coin de la table. L'étincelante pyramide montait sans cesse, éblouissante de mille feux.

      – Il y a là des millions ! balbutia l'assassin, avec une sorte de ferveur cupide.

      Et il demeurait à la même place extasié, oubliant l'heure, le lieu, le terrible péril qu'il courait.

      Tout à coup, il tressaillit.

      Il lui semblait que quelqu'un avait frappé doucement à la porte.

      Il écouta, l'oreille anxieusement tendue aux bruits du dehors.

      Le bruit se précisa.

      C'était quelqu'un qui grattait, doucement comme quand on redoute d'être indiscret.

      – Andrée ! murmura-t-il d'une voix sourde, c'est elle qui vient voir le résultat de notre expérience... Tant pis !... Malheur à qui vient me surprendre en un pareil moment !

      Avec un farouche courage, il prit dans sa poche un browning de gros calibre et ouvrit brusquement la porte.

      Il faillit être renversé par Pistolet qui, d'un bond, s'élança dans la pièce avec des aboiements furieux.

      La rage de Baruch était à son comble.

      – C'est donc ce misérable chien qui m'a fait si peur ! grinça-t-il. Mais il va me payer mes sottes frayeurs de tout à l'heure.

      Et il tira presque à bout portant.

      Pistolet tomba en râlant, une écume rose à la gueule.

      Baruch était maintenant en proie à cette espèce de panique qui s'empare immanquablement des meurtriers après le crime.

      Il avait fini de vider les creusets. Précipitamment, avec des gestes de folie, il se rua vers les vitrines de la première salle, il rafla au hasard les plus belles gemmes, négligeant les pierres de peu de valeur marchande, telles, par exemple, que les améthystes et les topazes, pour les rubis et les émeraudes dont le prix, dans certains cas, est inestimable.

      Il joignit ce butin au monceau des diamants et empaqueta le tout dans sa blouse de laboratoire.

      Il vint à bout de ce travail avec des gestes saccadés, s'interrompant de minute en minute pour consulter son chronomètre.

      – Elle doit être déjà rentrée, bégayait-il d'une voix basse et entrecoupée. Qu'elle n'ait pas l'idée de venir ! Mes mains se sont déjà trempées dans le sang !... J'irais jusqu'au bout !...

      Il serrait d'un geste fébrile son browning.

      Tout à coup, il porta la main à son front avec un geste égaré.

      – Il ne faut pas oublier l'essentiel, fit-il d'une voix sourde. Les formules !... J'allais partir sans cela...

      Non sans une grimace d'horreur, il s'approcha du cadavre, il fouilla dans la poche du gilet où le chimiste serrait d'ordinaire un minuscule carnet. C'est là que se trouvaient, brièvement notées, les trouvailles quotidiennes les plus importantes du savant.

      Le carnet aux formules avait disparu.

      Baruch regarda avec égarement autour de lui. Sur la plaque métallique du four, de niveau avec le sol, il aperçut un tas carré de cendre noire où subsistaient quelques traces de dorure ; c'était tout ce qui restait du carnet de M. de Maubreuil tombé de sa poche sur la plaque ardente de métal, au moment même où son assassin l'avait frappé.

      – Tant pis ! grommela Baruch, avec une sorte d'abattement qui était déjà peut-être le commencement du remords. Je retrouverai les chiffres exacts avec quelques tâtonnements. Je n'ai plus maintenant que le temps de me sauver !...

      L'assassin lava ses mains noircies, revêtit un caban de gros drap et une casquette de voyage, serra hâtivement son butin dans une valise qu'il avait cachée la veille dans la salle aux vitrines et s'enfuit sans oser regarder derrière lui, sans même éteindre les lampes électriques et sans refermer les portes.

      Il put sortir du Manoir aux Diamants par la petite porte qui donnait sur la grève. Il n'avait rencontré personne.




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