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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 1

Gustave Lerouge
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SIXIÈME ÉPISODE – LES CHEVALIERS DU CHLOROFORME
V – Le Conseil des Lords

Le soir du jour où avait eu lieu l'arrestation dramatique du Lunatic-Asylum, le docteur Cornélius attendait, dans une attente fébrile, son frère Fritz et le faux Joë Dorgan – le sinistre Baruch – qu'il avait mandés par téléphone.

      A eux trois, ils formaient le grand conseil directeur de la Main Rouge. Il était nécessaire qu'à la veille d'engager un périlleux combat, au moment où surgissaient de toutes parts des adversaires à redouter, le cynique trio tînt ses assises.

      Plusieurs coups discrètement frappés à la porte annoncèrent l'arrivée de ceux qu'il attendait.

      – Eh bien ! s'écria Fritz qui entra le premier, il paraît que le directeur du Lunatic-Asylum est sous les verrous ?

      – Oui, depuis quelques heures.

      – On a donc des preuves de sa culpabilité ? fit Baruch, apparaissant à son tour. Il ne va pas, je suppose, commettre d'indiscrétions ? On ne sait jamais ce qu'un homme peut dire quand il est cuisiné par la police.

      – La situation peut se compliquer, ajouta Fritz, et, d'un moment à l'autre, la Main Rouge peut être mise en cause.

      – Cette affaire, dit Cornélius, n'est pas la cause unique de la pressante convocation que vous avez reçue. Vous croyez que le docteur Johnson « cassera le morceau », vous vous trompez. Sûr qu'il est de notre appui, car je le lui ai promis en présence même de Mr. Steffel, le chef de la police, il restera muet à l'endroit de la Main Rouge, quels que soient les moyens inventés par la police pour le faire parler.

      – Evidemment, conclut Fritz, Johnson n'est pas un imbécile.

      – Cependant, il s'est fait pincer, reprit Baruch, et cela n'indique pas de sa part de bien grandes qualités intellectuelles.

      – Laissons pour l'instant Johnson, dit Cornélius. Encore une fois, ce n'est pas de ce côté que je vois poindre le danger. Il faudrait, pour se faire une idée exacte de la situation, pénétrer dans un luxueux hôtel du centre de New York dont Fred Jorgell est un des gros actionnaires.

      – Preston-Hotel ?

      – Vous l'avez dit.

      – Mon père y fait des siennes ?

      – Non, pas lui, le cher homme. Ses affaires l'obligent par trop à nous oublier pour qu'il songe aux vôtres.

      – Alors ?

      – Alors, dans cet hôtel se trouvent quatre nouveaux voyageurs dont la seule présence à New York doit être pour nous significative. Je vous dirai tout d'abord que ce sont, comme dans la chanson, des oiseaux qui viennent de France.

      – De France ?

      – De ce charmant village où vous avez laissé dans certain manoir des souvenirs plutôt sanglants.

      – Mlle de Maubreuil est ici avec son fiancé ?

      – Oui, le couple a traversé l'Atlantique pour venir chercher cet excellent M. Bondonnat.

      – Et ils ne sont pas seuls ? s'écria Fritz qui commençait à éprouver une légère inquiétude.

      – Vous pensez bien que la fille du naturaliste accompagne son amie. Et comme ces demoiselles ne voyagent pas sans protecteurs, inutile de vous dire que M. Ravenel n'a pas laissé partir sans lui ses amies et l'ingénieur Paganot.

      – Ce qui porte à quatre le nombre de nos ennemis, dit Baruch.

      – Cela fait un peu plus d'un pour chacun de nous, ajouta philosophiquement Fritz Kramm.

      – Oh ! ce sont des jeunes gens qui sont prompts à la besogne. Arrivés hier par le Kaiser-Wilhelm, ils ont déjà franchi le seuil du Lunatic-Asylum.

      – Ils ont vu le fou ? dit Baruch en ouvrant de grands yeux inquiets.

      – Non, pas encore.

      – Tant mieux. Car on ne sait jamais, avec les fous, ce qui peut arriver.

      Cornélius reprit :

      – Ma foi, vous avez raison. On ne sait jamais.

      La preuve en est que, pas plus tard que ce matin, notre dément commençait à raisonner d'une façon assez sensée.

      – Il a recouvré la raison ?

      – Ne dites pas il a, mais il allait peut-être ; d'ailleurs, j'ai essayé sur lui une injection anesthésique et stupéfiante qui nous débarrassera de lui pour longtemps, je vous en réponds.

      – Mon cher, je vous admire.

      – Moi aussi, Cornélius, je vous admire, ce qui ne m'empêche pas de me trouver à l'heure présente très mal à l'aise dans la nouvelle enveloppe que vous m'avez si gracieusement octroyée.

      – Apprenez, Baruch, que l'on ne doit jamais se trouver mal à l'aise dans un épiderme offert par le mystérieux docteur Cornélius. Ma science vous a débarrassé de celui qui nous faisait obstacle, ma science vous délivrera aujourd'hui même de ces quatre pions qui, dans la grande partie d'échecs engagée, barrent la route que nous voulons franchir.

      – Et vous avez, dit le cadet des Kramm, le pouvoir de nous débarrasser, sans trop d'inconvénients, de ces gênants personnages ?

      Se levant lentement du siège qu'il occupait, le chef des Lords de la Main Rouge se dirigea vers une armoire en acajou dans laquelle, derrière les vitrines, on apercevait des bocaux, des cornues, des seringues de verre et de multiples objets destinés à des usages problématiques. La légère porte du meuble eut un petit grincement. Le docteur passa sa main dans l'entrebâillement et s'empara d'un objet qu'il vint aussitôt montrer à ses complices.

      – Voyez, messieurs, dit-il, c'est cet appareil très simple qui va nous aider à déblayer le chemin du succès.

      – Mais c'est un vaporisateur, s'écria Baruch.

      – En effet, ce n'est pas autre chose qu'une sorte de pompe à bicyclette. Je ne vous souhaite cependant pas d'avoir à vous en servir pour votre usage personnel.

      – D'un maître tel que vous, il faut tout attendre.

      – Même la mort, ou plutôt le sommeil.

      – C'est un soporifique ?

      – Oui, messieurs, de cette pointe aiguë de métal, dont les parois sont intérieurement garnies de verre, il sort à volonté du demi-sommeil, du sommeil et de la mort. Vous faites manœuvrer cette poignée et immédiatement ceux qui hument le gaz qui se dégage de ce tube s'endorment lentement, lentement et, suivant la dose, se réveillent ou ne se réveillent pas.

      – Et peut-on savoir quel est l'étrange produit dont vous emplissez le tube ?

      – C'est tout bonnement du « chloronal ».

      Et le docteur Cornélius, comme s'il eût fait un cours à la Faculté, fournit toutes les explications désirables sur le dangereux produit. Il expliqua la fabrication de ce liquide, se laissant aller à des détails très étendus sur l'application des doses et les différents procédés employés pour leur donner plus d'efficacité, et finit par dire qu'il s'agissait purement et simplement d'un puissant succédané du chloroforme.

      – Voyez-vous, conclut-il, c'est le chloroforme réduit à son meilleur état de volatilité, le chloroforme auquel j'ai pu enlever sa révélatrice et pénétrante odeur. Je n'ai pas besoin de vous expliquer ses applications. Vous avez vousmêmes deviné que, ce soir même, l'hôtel Preston recevra la visite d'hommes dévoués à la Main Rouge, qui introduiront dans les serrures la pointe métallique de ce minuscule appareil. Quand on se trouve en présence de quatre adversaires, il faut une arme de quadruple efficacité.

      – Mais comment pourront-ils pénétrer dans l'hôtel ? fit Baruch.

      – Comme on s'introduit dans une maison dont on vous ouvre les portes.

      A ce moment la porte s'ouvrit et Léonello s'avança vers ses maîtres.

      – Je viens de voir Burman et Gelstone au Preston-Hotel, fit-il, ils m'ont dit que tout était prêt, mais, qu'il fallait user de beaucoup de précautions car les jeunes femmes qu'ils ont servies eux-mêmes dans leurs chambres ont déclaré qu'elles lui trouvaient un air singulier et ont demandé à être servies par d'autres.

      – Ces esclaves de la Main Rouge sont stupides ! s'écria Cornélius en frappant la table du poing. Leur maladresse est insigne et d'ici vingt-quatre heures ils seront punis de leur maladresse. Léonello, tu vas te rendre immédiatement sur les lieux et tu feras en sorte que tous les renseignements utiles te soient fournis sur la situation. Le savant Bondonnat est à nous, on ne nous le ravira pas. La Main Rouge, qui étend ses griffes sur les plus belles terres de l'Amérique, ne succombera pas aux menées d'une poignée de Français.

      Le docteur, généralement si calme, si pondéré dans son enthousiasme, avait pris une physionomie exaltée et farouche dont l'aspect ne fut pas sans inquiéter ses auditeurs. Se promenant de long en large dans le laboratoire, on eût dit un conférencier terroriste en train de pérorer.

      – La Main Rouge, c'est toute votre vie ; toute ma vie, s'écria-t-il, nul audacieux ne doit impunément la braver ! La Main Rouge a édifié sa fortune dans le sang, la Main Rouge continuera de créer de la vie et de la mort, suivant ma volonté. Que tout le monde soit prêt ce soir. Vous entendez ? Fritz et Baruch, ce n'est pas un brin de paille qui doit faire dévier le grand fleuve d'or sur lequel nous naviguons pour conquérir l'univers.

      Peu à peu, le docteur Cornélius recouvra son calme et son sang-froid. Il serra successivement la main de ses compagnons et les quitta sur ce mot :

      – La soirée sera décisive !... Soyons à la hauteur de notre tâche.




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