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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 1

Gustave Lerouge
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PREMIER ÉPISODE – L'ÉNIGME DU CREEK SANGLANT
VII – Nuit tragique

Il y avait longtemps que l'ingénieur Harry Dorgan n'avait paru dans une réunion mondaine. Le bruit courait qu'il s'était cassé la jambe en glissant d'une des échelles de fer des machines. Le docteur Fitz-James, qui le soignait, avait attesté l'exactitude du fait, en déclarant que l'ingénieur en avait au moins encore pour trois semaines à rester immobile, la jambe prise dans un appareil plâtré.

      En réalité, Harry Dorgan était parfaitement guéri et préparait sa vengeance.

      On remarqua à ce moment que les habitudes de Fred Jorgell se modifiaient singulièrement. On disait en souriant qu'il rajeunissait. D'ordinaire si grave, si absorbé par les chiffres, il passait maintenant presque toutes ses soirées au Haricot Noir, jouant gros jeu, buvant sec, émerveillant les plus enragés fêtards du club par sa verve et son entrain.

      On affirmait que, ayant perdu des sommes considérables dans la fondation de Jorgell-City, le milliardaire cherchait à s'étourdir et que sa ruine était imminente.

      D'ailleurs, il ne craignait pas de parler des assassinats du Creek Sanglant, qui avaient causé un tort si considérable à son entreprise, mais à la surprise de tous, il prétendait maintenant qu'il y avait jamais eu aucun assassinat, que les victimes étaient tous des poltrons et des ivrognes, morts de congestion, après s'être gonflés de whisky et de champagne, jusqu'à ne plus pouvoir tenir sur leurs jambes.

      Personne, à ces propos incohérents, ne reconnaissait plus sa gravité et son bon sens habituels ; on allait même jusqu'à dire que les pertes d'argent qu'il avait faites lui avaient détraqué la cervelle. Les rieurs eussent été bien surpris s'ils avaient pu savoir qu'en parlant et en agissant ainsi Fred Jorgell ne faisait que suivre un plan de conduite mûrement étudié avec la collaboration d'Harry Dorgan.

      Un soir – c'était précisément l'anniversaire de la mort du malheureux Pablo Hernandez –, le milliardaire paraissait tout joyeux ; il avait joué de nombreuses parties, et finalement il venait de faire sauter la banque ; l'extra-dry coulait à flots. C'était une de ces brillantes soirées, comme on en avait rarement vu de pareilles au club, depuis la disparition de l'élégant Arnold Stickmann. Fred Jorgell avait gagné tant de bank-notes que, faute de place dans son portefeuille, il en avait fourré dans toutes ses poches.

      La conversation, comme cela devait arriver, vint à tomber sur les meurtres du Creek Sanglant.

      – Je vous dis, moi, s'écria Fred Jorgell, qu'il n'y a pas d'assassins dans notre ville, et j'en suis tellement persuadé que j'offre de faire un pari...

      Il y eut un profond silence, les spectateurs étaient puissamment intéressés.

      – J'offre donc de parier cinquante mille dollars, continua le milliardaire, heureux de l'effet qu'il produisait, que je rentrerai seul, à pied, ce soir même, en passant par le Creek Sanglant, avec toutes les bank-notes que je porte dans mes poches.

      Il y eut un moment de stupeur.

      – C'est de la folie ! murmurèrent les joueurs. – Il ne faut pas le laisser faire ! – Ce serait un crime ! – Il a trop bu d'extra-dry ! – Il déraille...

      – Alors, reprit lentement le milliardaire, personne ne veut tenir le pari ?... C'est bien entendu ?

      – Personne, répliqua le docteur Cornélius qui se trouvait présent. Ce que vous voulez faire là est de la dernière imprudence. Nul ne veut se faire complice d'une pareille folie !

      Le docteur, avec l'approbation de tous, eut beau user des remontrances les plus énergiques, Fred Jorgell demeura inébranlable dans son projet.

      – C'est bien, fit-il, puisque personne ne veut tenir mon pari, je traverserai quand même – et seul – le val du Creek Sanglant.

      – Au moins, dit quelqu'un, permettez que nous vous suivions en auto, à quelque distance.

      – Jamais de la vie. Je déclare que je regarderai comme un acte antiamical le fait de m'escorter malgré moi et que je cesserai toutes relations avec ceux qui s'en seraient rendus coupables !...

      Il fallut céder à cet entêtement déraisonnable. On savait que le milliardaire était doué de la plus despotique énergie et que ceux qui avaient voulu le contrecarrer s'en étaient toujours fort mal trouvés.

      Il partit donc, un énorme cigare aux dents et tout joyeux, affirmait-il, de la bonne promenade au grand air qu'il allait faire. Longtemps, du haut de la terrasse, les membres du club suivirent sa haute silhouette qui allait en décroissant dans le lointain de l'avenue sous la clarté crue des globes électriques.

      Cornélius, sous prétexte d'une visite à un malade, sortit presque aussitôt que Fred Jorgell. A quelques pas du club, il rencontra Baruch qui s'y rendait, tous deux se saluèrent cérémonieusement.

      – Vous alliez au club ? fit le docteur.

      – Oui.

      – Je vous conseille d'aller plutôt faire un tour du côté du Creek Sanglant. Il s'achemine de ce côté un chargement complet de bank-notes.

      Les prunelles de Baruch étincelèrent du feu de la cupidité.

      – Et celui qui en est chargé est dans un état de légère ébriété, tel que...

      Le docteur n'acheva pas sa pensée.

      – Et il se nomme ? demanda Baruch.

      – Inutile que je vous dise son nom, c'est une surprise que je vous réserve.

      – Harry Dorgan, peut-être.

      – Je ne veux rien vous dire. Je vous le répète, je vous laisse le plaisir de la surprise.

      Et le sculpteur de chair humaine s'éloigna en riant d'un rire diabolique.

      Demeuré seul, Baruch, après quelques minutes d'indécision, revint sur ses pas, puis, hélant une auto, il se fit conduire jusqu'aux deux tiers de l'avenue qui aboutissait au chemin du Creek Sanglant.

      Tout le temps qu'il avait été en vue du club, Fred Jorgell avait suivi l'avenue en droite ligne, mais quand il fut sûr qu'on ne pouvait plus l'apercevoir, il s'engagea dans une ruelle qui aboutissait à un terrain vague au milieu duquel s'élevait une cabane de planches. Il prit une clef dans sa poche et entra.

      Malgré son extérieur misérable, la cabane était confortablement meublée à l'intérieur. Le milliardaire chercha à tâtons une bougie qu'il alluma. Il paraissait avoir brusquement perdu cette jovialité et cet entrain qu'avaient tant admirés les clubmen du Haricot Noir ; son visage n'exprimait plus qu'une profonde tristesse, et une implacable résolution.

      Sur la table, placée au centre de l'unique pièce, se trouvait une enveloppe fermée. Le milliardaire l'ouvrit et lut ces quelques mots tracés au crayon et signés H. D. :

      Je suis à mon poste comme chaque soir. Si vous décidez de venir, n'omettez aucune des précautions indiquées.

      – Quel loyal et ingénieux garçon que ce cher Harry, murmura-t-il. Je vais suivre de point en point ses instructions. Une voix secrète me crie que c'est ce soir que les victimes seront vengées.

      Fred Jorgell s'était débarrassé de ses banknotes et les avait jetées insoucieusement dans le tiroir d'un meuble. Puis, sous ses vêtements, il revêtit une sorte de tunique de fils métalliques qui le protégeait de la tête aux pieds, comme celles que portent les ouvriers dans certaines usines d'électricité, et il se coiffa d'une sorte de casque fabriqué d'après les mêmes principes. Ces dispositions prises, il sortit aussi mystérieusement qu'il était entré et se dirigea d'un pas ferme et résolu vers le vallon du Creek Sanglant.

      Quand il arriva à l'entrée du pont, il jugea utile de prendre la démarche légèrement hésitante d'un vieux gentleman qui a fêté plus que de raison le claret et l'extra-dry.

      Il atteignait à peine la rive opposée, lorsqu'un homme de haute taille se dressa du fond des ténèbres ; il brandissait une massue. Avant que le milliardaire eût pu se mettre en défense, il lui en porta un coup très léger dans la région du cou heureusement protégée par la tunique des fils métalliques.

      Une seconde, Fred Jorgell se trouva environné d'une véritable auréole de lumière électrique. Mais en dépit de la cuirasse protectrice, il avait reçu une formidable secousse.

      – A moi, Harry ! cria-t-il.

      L'ingénieur, tapi derrière un buisson, à quelques pas de là, s'était élancé, brandissant d'une main son revolver, de l'autre une forte lampe électrique dont la clarté éblouissante montra Baruch Jorgell qui, la face livide, se tenait en face de son père qu'il menaçait d'une sorte de massue.

      – C'est donc toi l'assassin du Creek Sanglant ! s'écria le milliardaire d'une voix terrible. Tuez-le, Harry, tirez dessus ! C'est un misérable qui ne mérite pas de pitié !...

      La secousse avait été trop forte pour le vieillard, sa tête se renversa en arrière, ses bras battirent l'air, et il s'affaissa lourdement, évanoui, mort peut-être.

      – A nous deux, maintenant, scélérat ! clama Harry Dorgan d'une voix menaçante.

      Et lentement, froidement, il mettait en joue l'assassin qui n'était plus qu'à quelques pas de lui.

      – Un de nous deux y restera, fit Baruch avec un ricanement, si c'est toi, tu passeras pour l'auteur de toutes les petites électrocutions !

      Harry Dorgan, en une seconde, avait eu le temps de voir de quoi se composait l'arme que brandissait Baruch, c'était un ovule en métal muni d'un manche de verre. De cet ovule partait le fil souple et solide qui allait aboutir au poteau de bifurcation du câble conducteur. L'anneau qui terminait le câble qui portait la lumière et l'énergie à toute l'agglomération ouest de Jorgell-City avait été décroché et remplacé par celui qui terminait le fil aboutissant à la massue. C'était donc une force de plusieurs milliers de volts que Baruch dirigeait ainsi contre ses victimes.

      D'un coup d'œil rapide, l'ingénieur s'était rendu compte du danger qu'il courait ; précipitamment il lâcha la détente de son arme.

      Baruch s'était brusquement baissé, la balle siffla à son oreille.

      Avant que Harry eût eu le temps de tirer un second coup, l'assassin avait bondi sur lui et lui broyait le poignet. Une lutte affreuse s'engagea à la clarté de la lampe électrique qui, renversée dans l'herbe, continuait à briller.

      Dès le commencement, l'ingénieur avait laissé tomber son revolver, de même que Baruch avait lâché sa massue à poignée de verre. Ce fut donc une bataille de fauves, à coups de dents, à coups de griffes, près du corps de Fred Jorgell.

      Un moment Harry Dorgan sentit les ongles pointus de Baruch qui essayait de lui arracher un œil. Pour le faire lâcher, il le mordit cruellement au poignet.

      Tous deux étaient barbouillés de sang.

      Enfin, Harry fit rouler son ennemi à terre d'un formidable coup de pied dans l'estomac.

      Baruch demeurait sans mouvement ; l'ingénieur se crut victorieux et respira longuement. Il épancha le sang qui coulait de ses blessures et, pendant quelques secondes, il se reposa sur un tas de pierres, si exténué qu'il voyait tout tourner autour de lui et qu'il se sentait près de s'évanouir.

      Cet instant de faiblesse lui fut fatal.

      Baruch n'avait pas été aussi grièvement frappé que l'ingénieur l'avait cru, mais, se voyant à terre, il avait feint d'être évanoui.

      Puis, profitant du court instant de répit qui lui était laissé, il avait rampé doucement jusqu'au revolver et s'en était emparé.

      Au moment où, sans méfiance, Harry essayait de déboutonner le col de sa chemise pour respirer un peu, Baruch se rua sur lui, le culbuta et, lui mettant un genou sur la poitrine, lui appuya le revolver contre la tempe.

      Harry Dorgan sentit le froid du canon sur sa chair.

      Il comprit qu'il allait mourir.

      – Ah ! ah ! ricanait Baruch, tu as perdu la partie, il faut payer, et on dira que c'est toi l'assassin ! Ha ! ha ! c'est une bonne blague !

      Férocement, le misérable prolongeait l'agonie de sa victime, approchant, puis reculant de son visage le canon de l'arme. Mais tout à coup il tressaillit. Il avait cru entendre du bruit dans le lointain.

      – Allons, fit-il, il faut en finir !

      Et il pressa la gâchette.

      Le coup ne partit pas. Au cours de la lutte, des graviers s'étaient introduits dans les ressorts du revolver et l'empêchaient de fonctionner.

      Baruch poussa un juron.

      Il allait achever Harry par quelque autre moyen quand, tout à coup, il se releva précipitamment et s'enfuit avec un hurlement de rage.

      Il venait d'apercevoir son père qui, armé de la massue électrique, marchait droit à lui. L'évanouissement du milliardaire avait été de courte durée. En revenant à lui, il avait aperçu Harry Dorgan renversé sous le genou de Baruch et ce spectacle avait suffi pour lui rendre complètement son énergie.

      Il s'était relevé et son premier geste avait été pour s'emparer de la massue. En son âme fermée à toute pitié, il eût voulu que le fils indigne pérît de la même mort dont il avait fait périr tant de victimes.

      Baruch avait détalé à toutes jambes, droit devant lui, franchissant les haies et les clôtures dans une sorte de folie panique.

      Il ne fit halte qu'à la porte du docteur. Son instinct de bête traquée lui disait que là, peut-être, il pourrait trouver un refuge.

      Malgré l'heure avancée, Baruch fut introduit dans le salon d'attente, mais le vieux majordome italien Léonello, en l'apercevant hagard, souillé de sang et de boue, eut un froncement de sourcils significatif.

      – Le docteur est absent, dit-il sèchement, et je ne sais quand il reviendra. Je vous conseille d'attendre à demain.

      Baruch balbutia de vagues paroles et courut chez Fritz Kramm. C'était là son suprême espoir.

      – Dites, fit-il au domestique qui vint lui ouvrir, qu'il s'agit d'une affaire grave.

      – Vous avez de la chance, M. Fritz n'est pas encore couché.

      Et considérant l'étrange accoutrement du visiteur, il ajouta :

      – Monsieur vient sans doute d'être victime d'un accident d'auto ?

      – C'est cela, fit Baruch, saisissant au vol une excuse si vraisemblable.

      Une minute après, il était introduit dans le hall aux tableaux.

      Fritz Kramm l'examina quelque temps en silence, puis, d'un ton à la fois brusque et glacial :

      – Je vois ce que c'est, vous vous êtes laissé pincer, vous êtes traqué, et vous venez vous réfugier ici.

      En quelques phrases haletantes, entrecoupées, Baruch raconta le drame dont le Creek Sanglant – une fois de plus – venait d'être le théâtre.

      – Je devrais vous abandonner à votre triste sort, dit Fritz après un silence, car vous êtes un maladroit. Quand on entreprend des choses dans le genre de celle de ce soir, il faut les réussir ou ne pas s'en mêler.

      – Vous ne pouvez rester indifférent à ma situation.

      – Et pourquoi cela ? reprit le marchand de tableaux d'un ton indifférent. Mes livres sont parfaitement en ordre. Je n'ai rien su de vos agissements. Nous n'avons rien de commun l'un et l'autre. Tout ce que vous pourriez dire contre moi n'arriverait pas à me compromettre.

      Fritz demeura quelque temps plongé dans ses réflexions. Baruch attendait avec angoisse à quelle résolution il s'arrêterait.

      – Ecoutez, dit enfin Fritz Kramm, je veux bien une dernière fois m'intéresser à vous. Passez dans cette chambre où vous trouverez de quoi changer de vêtements. Dès que vous serez prêt, mon auto vous emmènera jusqu'à la prochaine gare de la ligne de Chicago. De là vous pourrez gagner New York et le Vieux Monde. Tâchez de vous cacher le mieux possible, c'est le conseil que je vous donne.

      Et comme Baruch remerciait, éperdu :

      – Ah ! une dernière recommandation, dans votre propre intérêt, n'adressez aucune question à l'homme qui vous conduira et faites-lui voir votre visage le moins possible.

      Un quart d'heure après, Baruch Jorgell, enveloppé d'un long manteau, coiffé d'un feutre de cow-boy à larges bords, méconnaissable, prenait place dans une superbe soixante chevaux qui partit en quatrième vitesse à travers les boulevards déserts de Jorgell-City.

      Trois quarts d'heure après, il prenait le train à la petite gare d'Ogstram et, deux jours plus tard, il s'embarquait à New York sur le paquebot le Kaiser-Wilhelm, à destination de Cherbourg. Il était sauvé.

      D'ailleurs, aucune note nouvelle n'avait paru dans les journaux au sujet des assassinats mystérieux de Jorgell-City.


*

*       *


      Le lendemain du drame dont le Creek Sanglant avait été le théâtre, Fred Jorgell, miss Isidora et Harry Dorgan étaient réunis dans le jardin d'hiver. Le milliardaire avait cru devoir dire à sa fille la vérité tout entière. Tous trois devaient délibérer sur la résolution à prendre au sujet de Baruch.

      Miss Isidora aimait beaucoup son frère ; aussi avait-elle eu une crise de larmes, suivie d'un long évanouissement, en apprenant les atrocités dont il s'était rendu coupable. Elle maudissait la fatalité qui avait voulu que ce fût elle-même qui priât Harry Dorgan de découvrir le meurtrier. Elle se tenait triste et silencieuse près de son père, sans oser lever les yeux sur l'ingénieur.

      – Je n'ai pas changé d'avis, moi, dit rudement le milliardaire. Baruch est un misérable, je vais aller faire ma déposition au constable pour que l'assassin soit traqué par la police et pour qu'il soit condamné à être exécuté. Il a mieux que personne mérité d'être électrocuté.

      – Mon père, supplia la jeune fille, laissez au moins à ce malheureux la chance de se repentir et d'expier ses fautes. Pour moi, il a commis ses crimes en proie au vertige de la folie. Ce n'est pas dans une prison qu'il faudrait l'enfermer, mais bien dans une maison de santé.

      – Miss Isidora a raison, dit Harry Dorgan. De tels crimes sont si monstrueux qu'il semble impossible qu'ils aient été commis en pleine conscience. Songez d'ailleurs à la honte qui en rejaillirait sur votre nom.

      Le milliardaire s'était levé brusquement.

      – Cette dernière considération me décide, fitil, je ne veux pas qu'Isidora ait à rougir d'avoir eu pour frère un assassin. Nous garderons donc le silence sur les événements de cette nuit. Je compte sur vous, n'est-ce pas, monsieur Dorgan ?

      Le jeune homme, pour toute réponse, étreignit la main que lui tendait le milliardaire.

      – Pour ce qui est du Creek Sanglant, continua ce dernier, je vais y faire construire un groupe de maisons. Ce sera le moyen de faire oublier le mauvais renom de cet endroit sinistre. Quant à mon fils, je veux vivre comme s'il n'avait jamais existé ; je défends que son nom soit jamais prononcé en ma présence.

      Cette phrase dite, le vieillard se leva et sortit brusquement. Harry Dorgan et miss Isidora étaient demeurés seuls.

      – Master Dorgan, dit la jeune fille d'une voix pleine de tristesse, vous savez la promesse que je vous ai faite. Je la tiendrai ; mais il faut qu'il se passe assez de temps pour que je puisse me remettre de la terrible secousse d'aujourd'hui. J'ai trop de chagrin en ce moment pour penser au bonheur et pour y croire dans l'avenir.

      – Il me suffit d'avoir votre promesse, balbutia Harry d'une voix étranglée par l'émotion, c'est encore un grand bonheur pour moi. J'attendrai autant de mois, autant d'années même qu'il le faudra.

      – Merci, dit simplement la jeune fille, voici le gage de ma promesse.

      Et elle tendit son front, que son fiancé effleura d'un mélancolique baiser.




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