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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 1

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






QUATRIÈME ÉPISODE – LES LORDS DE LA « MAIN ROUGE »
VII – Le cercle des Fées

C'était fête ce soir-là chez M. Bondonnat, le fameux naturaliste français. La villa qu'il possédait à Kérity-sur-Mer retentissait des joyeux apprêts d'un banquet familial. Le vieux savant célébrait les fiançailles de sa fille Frédérique et de son collaborateur, le naturaliste Roger Ravenel, en même temps que celles d'Andrée de Maubreuil et de l'ingénieur Antoine Paganot, autre collaborateur de M. Bondonnat.

      Ce double mariage, qui réalisait un des vœux les plus chers du vieux savant, avait été fixé au mois de septembre et l'on n'était encore qu'à la fin de juin. Une circonstance aussi solennelle créait dans la villa tout un remue-ménage, depuis les chambres à coucher, où les jeunes filles déballaient avec force cris d'admiration les robes, les lingeries et les chapeaux arrivés de Paris, jusqu'à la cuisine où les pêcheurs de la baie apportaient des homards monstrueux et des soles géantes.

      De son cabinet, M. Bondonnat entendait le gai cliquetis de la vaisselle et les éclats de rire des jeunes filles et il ne pouvait s'empêcher de sourire.

      Près de lui un adolescent, quelque peu bossu, mais à la mine espiègle et malicieuse, s'occupait à nettoyer les verres d'un grand microscope, mais il paraissait aussi distrait que son maître.

      – Allons, Oscar, dit tout à coup M. Bondonnat, il est cinq heures, nous avons assez travaillé comme cela, aujourd'hui. Je vais faire un tour sur la falaise et, si tu le veux, tu m'accompagneras.

      – Bien volontiers, cher maître, murmura le jeune homme.

      Et en un clin d'œil, il eut rangé les livres et les papiers, remis en place les instruments de physique et de mathématiques, pendant que le naturaliste se coiffait d'un feutre à larges bords et s'armait de sa solide canne de jonc à pomme d'ivoire.

      M. Bondonnat était au comble de la joie, il nageait en pleine félicité. Le fiancé d'Andrée, aussi bien que celui de Frédérique, étaient tous deux des hommes de grand cœur et de haute intelligence. Le naturaliste était assuré qu'avec de tels maris les deux jeunes filles seraient heureuses.

      – Si Maubreuil était ici, pensa-t-il, il approuverait le choix que j'ai fait, certainement.

      M. Bondonnat, que suivait Oscar à quelques pas, descendit dans les jardins dont les feuillages et les fleurs chatoyaient d'un éclat presque fantastique dû aux courants électriques, aux gaz stimulants où baignaient leurs racines et leurs tiges. Il passa près des serres aux vitrages de couleur qui servaient aux expériences sur l'influence de la lumière et il ouvrit la porte de l'ascenseur qui permettait d'accéder au sommet de la falaise.

      A ce moment, un barbet noir à longs poils vint en aboyant joyeusement rejoindre le maître et le disciple.

      – Nous emmenons Pistolet ? demanda Oscar.

      – Certainement, il sera ravi de se dégourdir les jambes en courant à travers la lande.

      Le chien avait sauté dans l'ascenseur qui, en une minute, eut atteint le sommet du roc qui formait là une sorte de chemin de ronde dominant les jardins et bordé par une haute muraille. C'était là que se dressaient les appareils compliqués qu'avait inventés le météorologiste pour capter l'électricité ambiante, condenser l'ozone et l'azote qui existent en grande quantité dans l'atmosphère des orages et qui sont les principaux facteurs de la fertilité du sol. C'étaient ces appareils que Baruch Jorgell, en Amérique, avait vainement essayé d'imiter pour augmenter le rendement du trust. Comme on l'a vu, la contrefaçon grossière qu'il avait tentée avait échoué piteusement.

      Mais au moment où Pistolet sautait hors de la cage vitrée, il se mit tout à coup à aboyer avec fureur, en grattant de ses pattes la petite porte qui faisait communiquer la lande déserte et le chemin circulaire.

      – Voilà qui est étrange, fit Oscar, je ne l'ai jamais vu ainsi.

      L'adolescent ouvrit la porte. Aussitôt Pistolet, toujours aboyant, se rua à travers la lande.

      – Il faut le suivre, déclara M. Bondonnat, l'attitude de cet animal, que je regarde comme doué d'une intelligence quasi humaine, me semble tout à fait extraordinaire.

      Oscar, qui suivait à distance le naturaliste, s'élança à la poursuite du chien.

      L'adolescent avait à peine fait quelques pas qu'il aperçut deux hommes, d'allure étrangère, qui se défendaient à grands coups de canne contre Pistolet qui, l'œil sanglant, la langue pendante, cherchait à mordre l'un d'eux.

      L'inconnu, vêtu d'un complet verdâtre et d'une casquette de cycliste, avait déjà son pantalon déchiré par les crocs du chien ; son visage maigre et rasé était blême de peur. Enfin, au moment où M. Bondonnat arrivait sur le lieu du drame, l'homme parvint à se reculer, tira de sa ceinture un browning et mit en joue l'animal.

      – Ne touchez pas à mon chien ! s'écria M. Bondonnat.

      Déjà Oscar avait saisi Pistolet par l'anneau de son collier et le tirait fortement en arrière tout en bégayant de vagues excuses à l'adresse de l'étranger.

      Mais ce dernier – d'une voix étrange et rauque, qui fit tressaillir M. Bondonnat et Oscar lui-même – répliqua froidement :

      – Cette bête est enragée.

      Et, au risque de blesser Oscar, il tira.

      – Monsieur, dit le naturaliste, je vous fais toutes mes excuses, je suis prêt à vous indemniser... cet animal est un peu sauvage... pourtant je vous serais reconnaissant de ne pas le tuer, nous y tenons beaucoup.

      Mais, sans l'écouter, l'inconnu s'apprêtait à tirer de nouveau, et cette fois à bout portant, lorsque son compagnon lui dit quelques mots à mi-voix. Aussitôt, l'homme remit son browning dans sa gaine et tous deux s'éloignèrent en hâte sans prêter la moindre attention à M. Bondonnat et à Oscar.

      – Singulières gens, murmura le naturaliste, des touristes, sans doute, je les crois américains.

      – Ce sont des coquins ! s'écria Oscar avec indignation ; avez-vous entendu la voix de celui qui voulait tuer Pistolet ? Elle ressemble à celle de Baruch, l'assassin !

      – J'y avais songé, fit M. Bondonnat en frissonnant malgré lui.

      – Puis, ce pauvre Pistolet n'aboie jamais après personne...

      – Il y a quelque chose d'inexplicable là-dessous ; ces étrangers ont pris la fuite bien promptement.

      Tous deux demeurèrent pensifs. Oscar s'était empressé de mettre au chien une longue et solide chaîne ; précaution indispensable, car Pistolet continuait à hurler avec rage et ne paraissait pas près de se calmer.

      Le naturaliste et son compagnon finirent cependant par oublier l'incident qui, en somme, était de ceux qui peuvent arriver tous les jours, et ils continuèrent leur promenade à travers la lande jusqu'à un endroit que l'on nommait le cercle des Fées.

      Là s'étendait un vaste espace complètement stérile et couvert d'un sable aussi fin que si on l'eût égalisé au râteau. Les paysans assuraient que c'est en cet endroit désert que les fées, les poulpiquets et les esprits de la lande se livraient à leurs jeux et à leurs danses.

      Le vieux savant se reposa quelque temps sur un bloc de grès, puis, regardant le soleil qui paraissait sur le point de disparaître à l'horizon dans un nuage couleur de sang :

      – Il est temps de rentrer, déclara-t-il, il est indispensable de se montrer exact un pareil jour.

      – Je vais vous montrer un nouveau tour de Pistolet, dit Oscar en tirant de sa poche une boîte qui renfermait un alphabet de lettres mobiles.

      – Nous savons que ton élève forme des mots entiers et qu'il lit presque couramment.

      – Oui, mais cette fois, je lui ai appris un compliment aux fiancés, une surprise...

      Il n'acheva pas ; le chien, le cou tendu vers le ciel, s'était remis à aboyer.

      Tous deux levèrent la tête et ils aperçurent bientôt ce qui causait la fureur de l'animal.

      Dans le ciel, un aéroplane de fort tonnage traçait de grands cercles, comme s'il eût voulu atterrir au sommet de la falaise.

      – C'est l'aéroplane qui fait peur à Pistolet, dit M. Bondonnat, il faut le tenir solidement, ce diable d'animal nous causerait quelque ennui.

      – Mais, regardez, s'écria Oscar avec angoisse, l'aéroplane tombe maintenant comme du plomb, on dirait qu'il dégringole directement sur nous.

      Le vieux savant se recula d'un mouvement instinctif, mais au même instant deux hommes – les mêmes qui avaient voulu tuer Pistolet – s'élançaient de derrière un fourré d'ajoncs, renversaient M. Bondonnat en le menaçant de leurs brownings.

      – Au secours ! s'écria Oscar en se précipitant courageusement pour défendre son maître.

      Mais un coup de crosse renversa l'enfant qui, le front ensanglanté, roula sur le sol, le crâne fendu.

      Au même moment, l'aéroplane prenait terre sur la piste sablée que formait le cercle des Fées.

      – Vite, Baruch ! cria la voix du pilote.

      – Pas de noms, pas de bruit, riposta l'autre avec mauvaise humeur.

      Et il empoigna brutalement M. Bondonnat à demi mort de saisissement et le jeta dans un des baquets de l'appareil, qui était à quatre places.

      Mais tout à coup Pistolet, qu'Oscar avait lâché dès le début de l'action, sauta d'un bond sur les genoux du vieux savant, au moment même où l'appareil se remettait en marche.

      Déjà l'aéroplane, dont les moteurs ronflaient vertigineusement, s'élevait dans les airs, vers le ciel où les premières étoiles commençaient à s'allumer.

      Bientôt ce ne fut plus qu'un point blanc qui disparut dans la direction de la haute mer.




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