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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 2

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






HUITIÈME ÉPISODE – UNE AUTOMOBILE FANTÔME
III – Pour une femme

Le milliardaire Fred Jorgell avait pour principe que, si l'on veut être bien servi, il faut payer largement ses serviteurs ; aussi tous ceux qui l'approchaient, depuis les ingénieurs de la Compagnie des paquebots Eclair jusqu'aux moindres domestiques, étaient-ils magnifiquement appointés. Le concierge même du palais était un véritable personnage et les sommes qu'il touchait chaque année, en y comprenant des bénéfices de divers genres, égalaient les appointements d'un général ou d'un directeur de ministère de notre vieille Europe.

      Ce concierge se nommait Edward Edmond et était d'origine irlandaise. Il y avait près de dix ans qu'il était au service de Fred Jorgell, qui n'avait jamais eu contre lui le moindre sujet de plainte et qui le tenait en grande estime. C'était à Edward Edmond qu'était dévolue l'importante fonction de recevoir le nombreux courrier du milliardaire et de trier les lettres. Et il s'en acquittait à la satisfaction générale.

      Au physique, Edward Edmond était un gaillard de belle prestance et de mine joviale, ses traits réguliers étaient encadrés de favoris blonds et il y avait dans l'ensemble de sa physionomie une expression de franchise, de santé heureuse et de bonne humeur qui le rendait de prime abord sympathique à tout le monde.

      Edward Edmond déclarait lui-même qu'il était le plus heureux des hommes. Il n'avait pas de soucis, son travail n'avait rien d'absorbant, et il plaçait chaque année des sommes assez importantes. Il attendait patiemment que ses économies eussent atteint un certain chiffre qu'il s'était fixé pour se retirer dans son pays et y mener l'existence paisible du rentier.

      Brusquement, le caractère de ce serviteur modèle se modifia du tout au tout. Edward Edmond devint mélancolique, distrait. Il ne s'occupa plus de ses fonctions que d'une façon machinale et il cessa de parler du projet d'aller habiter l'Irlande qui faisait autrefois le fond de ses conversations. Il avait suffi d'un événement presque insignifiant pour troubler la béatitude de cette sereine existence.

      Un soir, poussé par le désœuvrement, Edward Edmond était entré dans un music-hall presque exclusivement fréquenté par des matelots de toutes les nations ; il se divertit extraordinairement aux grimaces de comiques irlandais vêtus de complets en toile à matelas et grotesquement coiffés de chapeaux hauts de forme en paille. Puis ce fut un chœur de musiciens noirs en habit rouge et vert qui jouèrent du banjo et exécutèrent des danses excentriques. Il y eut encore un homme-serpent qui, à force de s'amincir par des déhanchements gradués, arrivait à entrer dans une énorme carafe de cristal où sa face maquillée apparaissait hideuse comme celle d'un pitre fœtus dans son bocal. Il y eut un tireur canadien au coup d'œil infaillible qui, d'une balle de sa carabine, cassait, à trente mètres, au ras des lèvres, la pipe que fumait paisiblement son associé.

      Mais l'assistance réclamait à grand tumulte la célèbre Dorypha, la danseuse espagnole, dont le nom s'étalait en majuscules énormes sur l'affiche. Elle parut : un tonnerre de bravos salua son entrée, puis tout le monde redevint silencieux. Edward Edmond lui-même, à la vue de cette créature, se sentit agité d'un étrange frisson.

      Dorypha n'avait pas plus de vingt ans. C'était une gitane blonde aux grands yeux noirs dévorateurs sous le velours de leurs longs cils. Décolletée jusqu'aux pointes roses de ses seins menus, elle portait un corsage très long qui dessinait sa taille de guêpe et faisait valoir les rondeurs de sa croupe presque tangible aux regards sous une courte jupe de soie noire pailletée d'or.

      Elle dansa le tango, accompagnée de deux guitares et d'une mandoline qui semblaient gémir d'amour pendant que la jeune femme, voluptueusement renversée, faisant rouler ses hanches, suggérait, par une série de mimiques passionnées, toutes les tortures et tous les délices des étreintes voluptueuses. Tantôt elle feignait de tomber comme une femme qui s'abandonne aux bras de son amant, puis elle se raidissait toute, la chair vibrante, à demi pâmée.

      Edward Edmond n'avait jamais éprouvé si foudroyante sensation. Ses yeux ne quittaient pas la grosse rose rouge piquée dans cette chevelure d'un blond roussi par les feux de l'enfer. Sa langue se collait à son palais, ses regards brillaient de luxure. Il pensait qu'un seul baiser de cette femme serait capable de rajeunir les vieillards et de réveiller les morts endormis dans leurs tombeaux.

      D'ailleurs, dans toute la salle, les spectateurs haletants déliraient, le cœur bondissant, la cervelle chavirée par la vue de cette sorcière blonde qui semblait résumer en elle tous les piments sucrés de la féminité, toute la douceur et toute la fougue brutale des caresses.

      La danse finit au milieu du vacarme des ovations et la señora Dorypha, les seins moites de la fatigue de la danse, descendit rose et souriante pour faire la quête. Elle se faufilait comme une couleuvre entre les groupes, et de son corps ardent s'échappait un affolant parfum d'œillet, de poivre et de praline. Les sous, les piastres, les dollars tombaient dru comme grêle dans le tambour de basque qu'elle tendait avec un sourire ingénu, et elle remerciait gracieusement, presque timidement, ses longs cils noirs pudiquement baissés, tandis que les coins des lèvres rouges, grasses et arquées, se relevaient dans une expression d'une canaillerie décevante qui démentait la fausse candeur du regard.

      Edward Edmond donna pour sa part un aigle d'or et il en fut remercié par la plus coquine des œillades. Il sentit à cette minute que cette femme ferait de lui ce qu'elle voudrait, qu'il était à elle tout entier et que rien ne pourrait arracher de son cœur cette passion qui y avait grandi avec une foudroyante rapidité et qui maintenant y était enracinée pour toujours.

      Dès lors, il ne quitta plus le music-hall. Il accabla la belle Dorypha de cadeaux, de bouquets, de bijoux, mais, toujours provocante, elle se refusait, non sans un sourire aguicheur, qui, mieux que des paroles, promettait que sa résistance ne serait pas éternelle.

      Au bout d'un mois, les économies d'Edward Edmond étaient profondément entamées, mais il avait triomphé. La Dorypha était à lui et quand, un matin, il sortit de la chambre de la danseuse, les reins cassés par une fatigue à la fois douloureuse et voluptueuse, il se regardait comme le plus heureux des hommes.

      Quelques semaines passèrent encore. L'Irlandais menait une existence ardente, fiévreuse, qui ne lui laissait ni le temps de penser ni celui de réfléchir, et il fut tout surpris lorsque, à la banque où il avait déposé son avoir, on lui dit un jour qu'il ne restait plus à son actif qu'une somme insignifiante. Il alla conter ce malheur à Dorypha, mais la danseuse l'accueillit avec un éclat de rire gouailleur.

      – J'en suis bien fâchée pour toi, lui dit-elle, mais si tu es pauvre, tu ne peux continuer à rester mon amant. J'ai toutes sortes de désirs et toutes sortes de besoins, moi. Il me faut de l'argent, beaucoup d'argent. Ne t'ai-je pas été fidèle jusqu'ici ?... Trouve de l'argent et je continuerai à être pour toi ce que j'étais par le passé... Mais un homme qui n'a pas le pouvoir de satisfaire mes caprices n'est pas digne de m'avoir pour maîtresse.

      – C'est bon, murmura l'Irlandais d'un air sombre, j'en aurai, de ce maudit argent !

      Ce jour-là il emprunta une centaine de dollars à des amis, se rendit dans un tripot qu'il connaissait, joua et gagna ; mais cette ressource était précaire. Huit jours ne s'étaient pas écoulés que les grecs du tripot, qui d'abord l'avaient laissé faire quelques gains pour l'amorcer, avaient entièrement raflé le peu qu'il possédait encore.

      Dorypha ne tenait aucun compte de ses sacrifices. Cet argent, qui coûtait si cher, elle le dépensait en fantaisies, en objets inutiles que très souvent elle jetait dans un coin sans même les avoir regardés. Et elle lui disait de sa voix tranquille :

      – Que veux-tu, ce n'est pas de ma faute, à moi, si je suis ainsi faite. Si tu ne peux pas y parvenir, laisse-moi, il ne manque pas d'adorateurs qui voudraient bien être à ta place !

      Littéralement ensorcelé, Edward Edmond en était arrivé aux pires expédients. Un jour, ayant affaire dans les appartements de miss Isidora, il vola une bague en diamants oubliée par la jeune fille dans une coupe. Quelques heures après, il vendait le bijou à un receleur pour cinq cents dollars, le quart de sa valeur. Muni de cet argent, il se rendit au tripot, se persuadant à lui-même qu'il gagnerait la forte somme et qu'il pourrait racheter la bague.

      Mais en franchissant le seuil de la longue salle où des aigrefins de toutes les nations jouaient au baccara, au bridge et à l'écarté dans un tumulte de vociférations, d'éclats de rire et d'injures, il se sentit atteint d'un funeste pressentiment. Il s'assit néanmoins à une table de jeu et tout aussitôt les grecs ou, comme on dit en Amérique, les « gamblers » papillonnèrent autour de ses banknotes. Deux heures ne s'étaient pas écoulées qu'il avait perdu non seulement ses cinq cents dollars, mais encore cent dollars sur parole. Il était désespéré.

      – Je suis fini, songea-t-il, déshonoré, il ne me reste plus qu'à me faire sauter la cervelle.

      Il prit dans sa poche la photographie de Dorypha pour la regarder encore une fois, furtivement, dans un coin, puis s'assurant que son browning était bien dans la poche de son pardessus, il se faufila dans les couloirs qui aboutissaient à un morne petit jardin situé derrière la salle de jeu. Il était calme maintenant comme un homme dont la résolution est prise. L'air glacé de la nuit rafraîchit délicieusement son front brûlant, et il écoutait comme dans un rêve la voix lointaine des joueurs, qui lui semblait venir comme d'un autre monde.

      – Allons, murmura-t-il avec effort, tout est dit, il faut en finir ! Adieu, Dorypha !

      Et il prit son arme dans sa poche et s'assura de son bon fonctionnement.

      Mais à ce moment une ombre bondit de derrière un massif. Edward Edmond se sentit le poignet broyé par une main de fer. Il lâcha le browning sans même avoir la pensée de résister, tant il avait été pris à l'improviste. Son agresseur, le laissant presque aussi brusquement qu'il l'avait empoigné, ramassa le revolver qui était tombé dans l'herbe, le mit dans sa poche, puis dit d'un ton très calme :

      – J'ai à vous parler et je vous défends de vous tuer avant d'avoir entendu ce que j'ai à vous dire !

      – Que me voulez-vous ! murmura Edward Edmond d'une voix étranglée. Rien maintenant ne peut m'intéresser.

      – Eh ! eh ! cela dépend, ricana l'inconnu. Master Edward Edmond, sachez que je connais votre situation. Vous vous êtes endetté à cause d'une femme. Vous avez volé une bague à votre maîtresse, miss Isidora.

      – Qu'est-ce que cela peut vous faire ? Et puis d'abord, ce n'est pas vrai...

      – C'est très vrai.

      – Mêlez-vous donc de vos affaires ! Je ne vous connais pas, moi, je ne vous demande rien !

      – Eh bien, moi, je vous connais et je vous offre quelque chose. Que diriez-vous si, à l'instant même, je vous mettais dans la main un beau billet de mille dollars ?

      Comme Edward Edmond demeurait silencieux, l'inconnu continua d'un ton plus pressant :

      – Que diriez-vous encore si je vous mettais à même de gagner chaque mois une pareille somme ? Auriez-vous encore l'idée de vous suicider comme un imbécile ? La belle Dorypha se moquerait de vous et elle aurait, certes, bien raison.

      – Ne vous raillez pas de mon malheur ! Mais si vous avez une proposition sérieuse à me faire, faites-la vite.

      L'inconnu avait tiré d'un portefeuille une bank-note qu'il s'amusait à froisser entre ses doigts.

      – La preuve, reprit-il, que ma proposition est très sérieuse, c'est qu'il dépend d'un mot de vous de toucher immédiatement les mille dollars que voici.

      – Que faudra-t-il faire pour cela ?

      – Peu de chose, dit l'inconnu en baissant la voix. Vous êtes au service de Fred Jorgell. Il faudra simplement me permettre d'examiner les lettres qui lui parviennent et me donner certaines d'entre elles.

      – C'est impossible, s'écria Edward Edmond dans une dernière révolte de sa probité à demi vaincue, demandez-moi autre chose, mais je ne veux pas trahir mon maître. Fred Jorgell a été très bon pour moi...

      – Ce n'est pas si grave que vous l'imaginez, fit le tentateur qui continuait à froisser la bank-note avec un crissement de soie énervant, vous ne causerez aucun tort à Fred Jorgell, je suis tout simplement un détective privé au service d'une agence. J'ai besoin de certains renseignements. Si vous ne voulez pas me les procurer, je les aurai d'une autre façon, voilà tout.

      Edward Edmond était plus qu'à demi persuadé.

      – Si je croyais, murmura-t-il avec hésitation, que cela ne dût pas causer préjudice...

      – Mais aucun. Vous avez vraiment une conscience trop timorée. Tout le monde fait cela. Fred Jorgell lui-même sait fort bien que toutes ses démarches sont épiées, que toutes ses lettres sont lues par des agents au service de ses adversaires financiers ; mais il s'en moque, personne ne peut faire sérieusement de tort à un homme comme lui...

      Cet argument fut décisif. L'Irlandais avait souvent entendu Fred Jorgell lui-même tenir un pareil raisonnement en sa présence.

      – Eh bien, soit ! s'écria brusquement l'amant de la Dorypha, j'accepte aux conditions que vous m'avez proposées. Mille dollars maintenant et autant chaque mois.

      – C'est convenu. Voici votre première banknote. Vous aurez désormais ma visite régulière aux heures du courrier, et si par hasard on remarquait mon assiduité, vous diriez que je suis un beau-frère ou un cousin venu d'Irlande, qui cherche à se placer. Ah ! encore une recommandation : du moment où vous entrez dans ma combinaison, je vous défends de remettre les pieds dans ce tripot. Il n'y vient que des filous... Avant huit jours vous vous retrouveriez dans la même situation et c'est ce que je ne veux pas !

      L'Irlandais ne fit plus aucune objection. Sur l'invitation de l'inconnu il quitta le tripot, et les deux hommes, pour sceller leur entente, ne se séparèrent qu'après avoir bu un whisky au comptoir d'un bar du voisinage.

      – Quel est votre nom ? dit Edward Edmond, au moment où ils allaient se séparer. Je tiens à le connaître pour vous recevoir quand vous viendrez me demander.

      – Slugh ! répondit brièvement l'inconnu.

      Et il s'éloigna d'un pas rapide.

      Dès le lendemain, le concierge de Mr Fred Jorgell reçut, chaque jour régulièrement et aux heures d'arrivée des courriers, le mystérieux Mr Slugh, qui ne faisait dans la loge qu'un très rapide séjour. Il examinait méticuleusement la suscription et les divers cachets de chacune des missives qui lui étaient remises ; mais il n'emportait que certains plis et, de préférence, ceux qu'on avait expédiés du Canada, qui étaient généralement adressés à Agénor Marmousier.

      Aussi le poète, qui attendait avec impatience des nouvelles de lord Burydan et d'Oscar, éprouva-t-il une vive surprise, bientôt changée en inquiétude, en voyant qu'ils ne donnaient pas signe de vie. Il fit part de cette situation à Andrée de Maubreuil et à Frédérique. Les deux jeunes filles furent sérieusement alarmées. Pour que le bossu ne donnât pas de ses nouvelles, il fallait qu'il eût été victime de quelque catastrophe. Sans oser se l'avouer, elles tremblaient que les bandits de la Main Rouge n'eussent fait disparaître le courageux gavroche.

      Leur crainte, d'ailleurs, était en partie bien fondée, car toutes les lettres volées par Slugh étaient aussitôt transmises au Dr Cornélius, qui se trouvait aussi admirablement informé des faits et gestes et même des intentions de ses adversaires.

      Pourtant ces précautions faillirent être mises en défaut. Un jour que Slugh se trouvait dans le bureau du concierge, la sonnerie du téléphone retentit. C'était Agénor que l'on demandait à l'appareil.

      Edward Edmond allait mettre le Français en communication avec son correspondant inconnu lorsque Slugh se saisit brutalement du récepteur de l'appareil et le porta à son oreille.

      – M. Agénor Marmousier ? répéta une voix lointaine.

      – Qui est-ce qui le demande ? fit Slugh.

      – Ses amis Oscar Tournesol et lord Burydan.

      – C'est que M. Agénor n'est plus ici, il a quitté l'Amérique depuis quelques jours et il est retourné en France.

      – Voilà qui est singulier, reprit la voix d'un air mécontent. Puisqu'il en est ainsi, mettez-moi en communication avec Mr Fred Jorgell, lui-même, vous lui direz que c'est son ancien protégé, Oscar Tournesol, qui le demande.

      Slugh laissa s'écouler un certain temps pour faire croire qu'il avait prévenu le milliardaire, puis il reprit la conversation commencée dans l'appareil.

      – Mr Fred Jorgell est très mécontent. Il ne désire avoir désormais aucune relation avec vous. Il est très irrité que vous l'ayez quitté sans le prévenir. Ecrivez-lui ou venez le trouver, si vous désirez avoir de plus amples renseignements !

      Puis Slugh, pour couper court à de nouvelles questions, raccrocha le récepteur. Se tournant ensuite vers Edward Edmond, auquel maintenant il commandait en maître :

      – Faites bien attention à ceci, lui dit-il, c'est que du jour où un de ces deux individus, lord Burydan ou Oscar Tournesol, réussirait à entrer en communication téléphonique avec Mr Fred Jorgell ou son secrétaire Agénor, votre pension de mille dollars par mois serait radicalement supprimée. Vous voilà prévenu. Il en serait de même, bien entendu, si vous laissiez passer sans me la remettre une des lettres que je vous ai signalées.

      L'amant de la belle Dorypha s'inclina obséquieusement. Il comprenait, mais un peu tard, qu'en la personne de Slugh il s'était donné un maître impérieux et tyrannique à la discrétion duquel il se trouvait entièrement.

      Slugh se retira après cet avertissement, laissant Edward Edmond livré à ses réflexions. L'affilié de la Main Rouge avait à peine tourné les talons qu'Agénor entra dans le bureau.

      – Il n'y a rien pour moi, aujourd'hui, monsieur Edward ? demanda-t-il.

      – Rien, monsieur, répondit Edward d'une voix morne.

      – Tant pis ! S'il y avait une lettre pour moi, vous me la monteriez immédiatement.

      Agénor regagna sa chambre très soucieux. Le poète avait des remords. Lors de sa visite à la buvette du Grand Wigwam, il n'avait songé qu'au salut de ses amis traqués par la police et avait complètement oublié la mission dont miss Isidora l'avait chargé au sujet de son frère Baruch ; mais il avait bien vite réfléchi que, placé sous la protection de lord Burydan, l'aliéné ne pouvait être tombé en de meilleures mains. Et comme il comptait avoir le lendemain même une lettre d'Oscar, il s'était contenté de dire à miss Isidora qu'on ignorait ce que son frère était devenu, se réservant de dire la vérité à la jeune fille dès qu'il pourrait lui apporter une certitude.

      L'absence de lettres et de nouvelles d'Oscar et de lord Burydan le mettait dans le plus cruel embarras. Il se reprochait d'avoir peut-être causé la mort du dément par sa négligence et, lorsque miss Isidora le chargeait d'ordonner des recherches au sujet de l'aliéné, il ne savait quelle contenance tenir et baissait la tête, tout honteux.

      Depuis le drame dont avait été le théâtre le Lunatic-Asylum, Agénor avait complètement perdu le sommeil et l'appétit.




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