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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 3

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






QUINZIÈME ÉPISODE – LA DAME AUX SCABIEUSES
II – « Célérité - Discrétion !... »

Les semaines qui suivirent furent pour lord Burydan pleines de troubles, d'agitation et de neurasthénie. Tout d'abord, William Dorgan, qu'Agénor avait conduit dans le cottage que possédait l'excentrique dans la banlieue de Syracuse, n'avait pu, malgré tous les soins, se remettre complètement de l'émotion qu'il avait éprouvée. Il était devenu entièrement aphasique ; il ne pouvait plus articuler que quelques bégaiements inintelligibles.

      Lord Burydan se repentait presque de la substitution opérée par lui. Des scrupules tardifs lui venaient. Il se demandait s'il avait bien eu le droit de faire ce qu'il avait fait.

      Avec sa franchise ordinaire, il jugea que le plus simple était de mettre William Dorgan lui-même au courant de ses projets.

      Le milliardaire, qui, à part l'impossibilité de parler, avait complètement recouvré ses facultés intellectuelles, écouta gravement la confidence du lord excentrique. Il demeura quelques minutes plongé dans ses réflexions. Enfin, il saisit d'une main ferme les tablettes dont il se servait pour correspondre avec ceux qui l'entouraient et traça ces simples mots :

      Vous possédez ma confiance et j'approuve entièrement ce que vous avez fait. Pour tous, je suis mort, et mort je dois demeurer jusqu'à nouvel ordre.

      Lord Burydan, malgré ses longues explications au milliardaire sur ses projets, fut un peu surpris de la facilité avec laquelle il donnait son assentiment.

      – Ne faudrait-il pas, lui demanda-t-il encore, prévenir votre fils Harry ?

      L'aphasique fit de la tête un signe de dénégation.

      – Et votre fils Joë ?

      William Dorgan renouvela son signe dénégatif, mais d'une façon plus énergiquement accentuée.

      C'est que le milliardaire, pendant les longues heures de recueillement de sa convalescence, avait eu le temps de réfléchir à une foule de petits faits auxquels, jusqu'alors, il n'avait prêté aucune attention, et, sans les connaître dans leur entier, il avait deviné assez les projets de lord Burydan pour se rendre compte qu'il y avait neuf chances sur dix pour que l'excentrique eût raison. Il ne pouvait oublier que lord Burydan lui avait sauvé la vie. Enfin, il y avait eu, entre eux, deux ou trois entretiens confidentiels au cours desquels lord Burydan avait réussi à gagner entièrement le milliardaire à ses idées.

      C'était pour ce dernier un point très important que d'avoir obtenu l'assentiment de William Dorgan, auquel il s'était fait connaître sous son véritable nom. Toutefois, par une contradiction curieuse, lord Burydan, en proie à une noire mélancolie, demeura, pendant une période assez longue, sans s'occuper de la Main Rouge.

      Malgré tous ses efforts, le jeune lord ne pouvait oublier la tragique physionomie de cette belle inconnue – la dame aux scabieuses, c'est ainsi qu'il l'avait nommée – qu'il n'avait fait qu'entrevoir et tenir un instant dans ses bras, pour la perdre presque aussitôt.

      En vain essayait-il de s'arracher à cette hantise. Le poète Agénor, malgré toutes les ressources de son imagination, ne put parvenir à l'en distraire.

      Diverses circonstances vinrent raviver ce chagrin. Un jour, lord Burydan, entré pour se rafraîchir dans un café, trouva, sur la table à laquelle il s'était assis, un numéro du New York Illustrated News. L'ayant feuilleté d'abord distraitement, son attention fut attirée par une double page où se trouvaient les portraits de toutes les victimes du sinistre de Rochester. Du premier coup, il reconnut la dame aux scabieuses, dont le portrait offrait une ressemblance saisissante.

      – Cette image me poursuivra donc partout ! balbutia-t-il, et il referma le journal.

      Il allait se retirer lorsque, sur la couverture même du périodique, il fut invinciblement attiré par cette stupéfiante annonce :

INSTITUT SPIRITUALISTE
Pour le soulagement des gentlemen et ladies inconsolables.

ÉZÉCHIAS PALMERS,
PSYCHOLOGUE MENTALISTE, MEMBRE DE PLUSIEURS ACADÉMIES

      Vous tous qui avez perdu un être cher, qui pleurez une mère, une épouse, une fiancée, une fille adorée, ne vous abandonnez pas au désespoir ! Allez en toute confiance trouver l'honorable Ezéchias Palmers. Il vous consolera de vos chagrins ; il fera apparaître à vos yeux les physionomies familières et bénies des chères disparues, miraculeusement délivrées des chaînes inexorables de la mort.
      Nous ne faisons ici aucune promesse mensongère. Les incrédules viendront ; ils verront et ils seront convaincus.


MATÉRIALISATIONS.
APPARITIONS EN TOUS GENRES.
Conversations avec l'au-delà.
Révélations d'outre-tombe.
Voyages dans l'Astral. – Double vue.
Etc., etc.

      Adresser toutes communications à M. Ezéchias Palmers, directeur de l'Institut spiritualiste, 15ème Avenue, n° 211. – Téléphone.

Célérité. – Discrétion. – Prix modérés. – Evocations à domicile.


      Lord Burydan relut deux fois cette étrange réclame ; puis il murmura, en haussant les épaules :

      – Ce doit être quelque charlatan !

      Il emporta cependant le numéro du New York Illustrated News, car il voulait découper la photographie de la dame aux scabieuses pour la conserver.

      Trois jours après, une affaire l'ayant amené à New York, le hasard le conduisit dans la Quinzième avenue. Sans l'avoir cherché le moins du monde, il se trouva en face d'une haute porte de bronze au-dessus de laquelle on lisait en lettres d'or : Institut spiritualiste. Cette inscription était fixée au milieu d'une très haute muraille.

      La curiosité fut plus forte, chez lord Burydan, que tout autre sentiment. Il sonna, se trouva dans une cour plantée d'ifs et de cyprès vénérables, d'où un domestique, vêtu d'une souquenille violette qui le faisait ressembler à un évêque, le conduisit dans un salon d'un aspect sévère et d'un style particulièrement original.

      Les meubles massifs étaient d'ébène incrusté de petites étoiles de nacre. Les tentures d'un bleu foncé avec des franges d'argent ; de la voûte, en forme de dôme, pendait un grand brûle-parfum. La voûte elle-même formait comme un ciel d'azur parsemé d'anges souriants. Sur la cheminée, un groupe en marbre représentait la mort sous la forme d'un hideux squelette auquel un génie souriant mettait le genou sur la poitrine et arrachait sa faux. De hautes fenêtres à vitraux répandaient sur ce décor une mystérieuse lumière.

      – Drôle de salon ! murmura lord Burydan en regardant autour de lui.

      Cinq minutes plus tard, une des portières de velours bleu s'écarta, pour livrer passage à un gentleman d'une correction parfaite, qui s'inclina cérémonieusement devant le visiteur.

      – A qui ai-je l'honneur de parler ? demanda lord Burydan.

      – Je suis Ezéchias Palmers.

      Il ajouta, sans donner à lord Burydan le temps de se reconnaître :

      – Vous avez sans doute perdu une personne qui vous était chère ?

      Lord Burydan était entré dans ce bizarre établissement sous l'impulsion de la curiosité. Maintenant qu'il se trouvait en face du directeur, il ne savait plus de quelle façon s'y prendre pour faire une retraite honorable. Au fond, il était persuadé qu'il avait affaire à un charlatan.

      – Sir, répondit-il avec un peu d'embarras, il est vrai. Mais je voudrais vous demander quelques renseignements. Je ne vous cacherai pas que je suis un sceptique, je me demande comment vous pouvez faire pour réaliser les séduisantes promesses de votre prospectus.

      Mr Palmers jeta sur son interlocuteur un regard imposant ; et ce ne fut qu'après l'avoir toisé avec une sorte de pitié dédaigneuse qu'il répondit :

      – Sir, les moyens que nous employons sont en partie naturels et en partie occultes. Mais qu'importe, si nous atteignons le but que nous nous sommes proposé ! Tous ceux qui s'adressent à moi, je vous l'affirme, n'ont jamais éprouvé de désillusions.

      Lord Burydan se sentit entraîné, malgré lui, à mettre Mr Palmers au défi. Il tira de sa poche la photographie de la dame aux scabieuses :

      – Avez-vous le pouvoir, dit-il, de me faire voir la personne dont voici le portrait ?

      – Parfaitement, répondit Mr Palmers avec aplomb.

      – Emploierez-vous les moyens surnaturels ou les autres ? ne put s'empêcher de demander l'excentrique.

      – Cela dépendra... En tout cas, il est indispensable que je connaisse, de la façon la plus minutieuse, dans quelle circonstance vous avez vu cette personne pour la dernière fois.

      Lord Burydan, très mécontent, au fond, de s'être aventuré dans cette officine, raconta en quelques mots la catastrophe du pont de l'Estacade, et demanda à Mr Palmers quand il devrait revenir.

      – Je vous écrirai, répondit celui-ci, mais encore faut-il que je connaisse votre adresse.

      – Je ne tiens pas à vous dire mon nom. Ecrivez-moi à Syracuse, poste restante, aux initiales A. B.

      – Comme il vous plaira, répliqua le directeur avec le même sang-froid. Mais vous savez que, dans ce cas, l'usage de l'établissement est de demander des arrhes.

      – Votre demande est trop légitime. Voici cinq cents dollars.

      – Cela suffit pour un premier acompte. Si vous êtes satisfait, vous aurez à nous verser pareille somme. Dans le cas contraire, vous serez intégralement remboursé.

      Mr Palmers reconduisit son visiteur jusqu'à la porte de l'Institut spiritualiste, et il lui dit, avant de le quitter :

      – Il y a fort longtemps, vous savez, que je m'occupe des sciences de l'âme, et nul ne peut soupçonner combien cette étude est passionnante. J'ai débuté par l'étude des maladies mentales, j'ai même été quelque temps directeur du Lunatic-Asylum de Greenaway ; et ce n'est que par degrés que je suis arrivé, peu à peu, à la connaissance de l'Occulte...

      Ce mot de Greenaway fut un trait de lumière pour lord Burydan. Il comprit qu'il se trouvait en face de l'ex-jockey qui avait été quelque temps son geôlier, dans la maison de fous d'où il s'était évadé avec l'aide d'Oscar Tournesol, et il s'applaudit sincèrement de n'avoir pas fait connaître sa véritable personnalité à ce singulier industriel.

      Lord Burydan retourna le soir même à Syracuse. Plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il entendît parler de Mr Palmers. Il commençait à croire que les cinq cents dollars versés par lui pouvaient être regardés comme perdus, lorsqu'il reçut un court billet l'avertissant de se trouver à dix heures du soir, très exactement, à l'Institut spiritualiste et de s'attendre à toute émotion.

      L'excentrique se sentait de plus en plus mécontent de s'être engagé dans cette affaire. Cependant, la curiosité le poussa à voir de quelle façon Mr Palmers tiendrait ses engagements. Il prit donc, le lendemain matin, le train pour New York.

      Il passa une partie de la journée à faire des visites. A mesure que l'heure fixée par le thaumaturge approchait, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une sourde impatience. Pour lui, le temps marchait avec une lenteur désespérante.

      A dix heures, très exactement, il sonnait à la porte de l'Institut spiritualiste.

      Le même serviteur, vêtu de violet, vint lui ouvrir. Sans un mot, il le conduisit, par une petite porte, jusqu'à une avenue bordée de noirs sapins et de houx aux baies écarlates, à l'extrémité de laquelle se trouvait une autre porte à double vantail surmontée d'une croix.

      Lord Burydan frissonna. Allait-on donc le conduire dans un cimetière ? Il était déjà, par avance, indigné de cette macabre comédie. Mais il s'était trop avancé pour reculer. Il fallait aller jusqu'au bout.

      Son guide lui ouvrit la porte de l'enclos funèbre, lui fit comprendre par signes qu'il ne pouvait l'accompagner plus loin et, finalement, le laissa seul.

      A la clarté de la lune, que voilaient à peine de légers nuages, l'excentrique put examiner le lieu où il se trouvait.

      C'était bien un cimetière, mais un cimetière du plus grand luxe. Les allées, bien sablées, étaient bordées de sphinx de bronze et, dans le fouillis des verdures funèbres, de hautes colonnes surmontées d'urnes, des chapelles gothiques et jusqu'à des statues silhouettaient leur blancheur marmoréenne. Des massifs montaient les pénétrants parfums des fleurs, auxquels se mêlait une vague odeur d'encens et d'aloès.

      Lord Burydan, poursuivant sa route, longea les bords d'un étang où dormaient des cygnes noirs. Il passa près d'un immense jasmin couvert de fleurs, et il écouta quelques instants les chants d'un rossignol qui s'égosillait dans les branches d'un laurier.

      Il savait gré à ceux qui avaient combiné cette mise en scène de lui avoir épargné les fantasmagories banales : les cris de hiboux, les squelettes frottés de phosphore, ou les spectres entortillés dans des draps de lit et traînant avec fracas des chaînes rouillées.

      – Décidément, ce Palmers a plus de goût que je ne l'aurais cru, se dit lord Burydan. A présent, je me demande comment cela va finir.

      Il s'enfonça dans une allée bordée de myrtes et de rosiers qui répandaient une odeur délicieuse. Des vers luisants rampaient dans les gazons, et des mouches à feu voletaient de fleur en fleur, comme de petites âmes en peine.

      Petit à petit, il oubliait le lieu où il se trouvait et il continuait à marcher, plongé dans une profonde rêverie. Tout à coup, il tressaillit. Il avait cru entendre, tout près de lui, comme un gémissement à demi étouffé.

      Il leva les yeux. Il se trouvait à quelque distance d'une chapelle au toit pointu, dont il n'était séparé que par un massif de buis sombre et d'acanthes aux larges feuilles. Au moment même où il la regardait, l'intérieur de la chapelle s'éclaira d'une lueur bleuâtre. La porte de fer roula sans bruit sur ses gonds. Une femme en deuil s'avança lentement dans l'allée. Elle tenait à la main un gros bouquet de scabieuses.

      Haletant d'émoi, en dépit de son parti pris d'incrédulité, le lord excentrique demeura immobile, le cœur palpitant. Il contemplait de tous ses yeux l'apparition. Elle passa à quelques pas de lui, sans faire mine de le voir et sans plus de bruit qu'un véritable fantôme.

      Il n'avait pu jusqu'alors distinguer ses traits. Mais, à un moment donné, elle atteignit un espace vide fortement éclairé par la réverbération de la lune et elle tourna lentement la tête.

      Lord Burydan jeta un cri terrible. Celle qu'il voyait ne pouvait être une figurante. C'était bien cette dame aux scabieuses qu'il avait retirée de dessous les décombres fumants ! C'étaient bien ses traits, d'un dessin si pur et si gracieux !... Et, pourtant, il l'avait vue couchée parmi les morts, il avait effleuré de ses lèvres son front déjà glacé !

      Il demeurait à la même place, cloué par la plus violente émotion peut-être qu'il eût jamais ressentie de son existence, pourtant si passionnément mouvementée.

      Au cri retentissant de suprême angoisse qu'il avait jeté, l'apparition avait tourné vers le nocturne visiteur son pâle visage. Leurs yeux se rencontrèrent.

      – Lui ! s'écria-t-elle, c'est lui !...

      Elle se précipita en avant, comme pour se jeter dans ses bras.

      Lord Burydan courut à l'autre extrémité de l'allée qui contournait le massif d'arbustes, afin d'aller à sa rencontre. Dans ce mouvement, il la perdit de vue un instant, derrière l'épais feuillage des buis. Quand il fut arrivé à la place qu'elle avait occupée l'instant d'auparavant, il ne la trouva plus. Elle avait disparu !

      Elle semblait s'être fondue, comme une vapeur légère, dans la brume azurée qui enveloppait tout ce décor de prodiges et d'enchantements.

      Vainement, il erra par les allées du luxueux cimetière ; vainement, il battit en tous sens les taillis et les bosquets. La dame aux scabieuses, qui n'était peut-être qu'un fantôme, s'était évanouie comme un fantôme.

      Lord Burydan ne retrouva d'elle qu'une des sombres scabieuses échappée de son bouquet. Il la ramassa pieusement.

      Complètement désemparé, il se retrouva sans savoir comment à la grille de l'étrange cimetière et se laissa reconduire, comme un enfant, jusque dans la rue par le silencieux serviteur à la souquenille violette.




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