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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 3

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






DIX-HUITIÈME ÉPISODE – BAS LES MASQUES !
VI – Epilogue

La nouvelle de l'explosion de l'hôtel du docteur Cornélius Kramm eut, dans toute l'Amérique, un profond retentissement ; dans certains milieux dévots, protestants ou catholiques, on affirma que c'était le diable en personne qui, sur un cheval de feu, était venu emporter, tout vivant, dans les enfers, le sculpteur de chair humaine.

      Ailleurs, le bruit s'était répandu que c'étaient Cornélius et Fritz les grands chefs, les Lords de la Main Rouge, et cette découverte causait dans la société new-yorkaise une émotion considérable.

      Pendant trois jours, un cordon de policemen entoura les ruines de l'hôtel, et des détectives, assistés d'une escouade de travailleurs, explorèrent les décombres.

      On retrouva plusieurs cadavres, plus ou moins défigurés. Celui de Fritz Kramm fut le premier qu'on put identifier ; un autre, découvert dans un four électrique et à demi carbonisé, était absolument méconnaissable. On supposa, avec quelque vraisemblance, que c'était celui de Léonello, qui, trop bien informé des secrets de son maître, avait dû être assassiné par lui. Seuls, lord Burydan et Fred Jorgell, mis en présence du corps, avaient parfaitement reconnu Baruch. Mais ils gardèrent pour eux leur secret, et le nom de l'assassin de M. de Maubreuil ne fut même pas prononcé au cours de l'instruction qui fut ouverte pour essayer de déterminer les causes de l'explosion, où plus de cinquante policiers avaient perdu la vie. Quelques-uns des hauts fonctionnaires du Police-Office connurent la vérité. Mistress Isidora, à laquelle on ne voulait causer aucun chagrin inutile, ne soupçonna jamais de quelle façon son misérable frère était mort. Ce ne fut que de longs mois après qu'une lettre du Canada lui annonça que le dément de la Maison Bleue s'était éteint doucement sans avoir recouvré la raison.

      Lorsque l'on eut terminé le déblaiement, on se trouva en présence du cadavre de Cornélius affreusement mutilé, mais, au dire des détectives, suffisamment reconnaissable.

      Un fait qui causa beaucoup d'étonnement, c'est qu'on ne trouva trace, ni dans les banques ni dans les ruines de l'hôtel, des sommes considérables en or et en bank-notes que possédait Cornélius, au vu et au su de tout le monde. On supposa que le docteur avait été prévenu à l'avance de l'arrestation qui le menaçait et qu'il avait mis son argent en lieu sûr en le confiant à quelqu'un des affiliés de la Main Rouge.

      Quant à la fortune de Fritz, elle eut une destination inattendue. Il existait chez un notaire de New York un testament en bonne et due forme, par lequel Cornélius, Fritz et Joë Dorgan se léguaient réciproquement tout ce qu'ils possédaient. Ce fut donc le véritable Joë Dorgan, l'époux de Carmen, qui entra en possession des vastes magasins remplis de tableaux et d'objets d'art.

      Le jeune milliardaire ne voulut garder de cette fortune suspecte que quelques tableaux sans valeur et les diamants provenant du vol commis chez M. de Maubreuil, dont un certain nombre n'avaient été ni taillés ni vendus.

      Ce testament, que Fritz et Cornélius avaient imposé à leur complice Baruch, eut pour conséquence de rendre Joë seul propriétaire du trust des maïs et cotons. Il s'empressa de partager intégralement avec son frère, l'ingénieur Harry, les capitaux provenant de cet héritage.

      Un moment, certains journaux, probablement dans une intention de chantage, insinuèrent que Joë Dorgan avait été en trop bons termes avec les deux frères pour ne pas être leur complice. Mais les hauts fonctionnaires de la police de New York, parfaitement au courant de la véritable personnalité de Baruch, eurent vite fait de réduire au silence les maîtres chanteurs.

      Débarrassée de ses adversaires financiers, la Compagnie des paquebots Eclair entra dans une ère de prospérité qu'elle n'avait jamais connue, et, bientôt, elle fusionna avec le trust des maïs et cotons, où lord Burydan possédait une part d'actions très importante.

      Fred Jorgell et William Dorgan, devenus inséparables, avaient abandonné la direction des deux trusts à Joë et à Harry. Ces derniers auraient été ravis de garder près d'eux – à de royaux appointements – l'ingénieur Paganot et le naturaliste Roger Ravenel, dont ils avaient pu apprécier le mérite ; mais, après tant d'aventures, les deux jeunes gens et leurs femmes, Andrée et Frédérique, désiraient revenir en France. M. Bondonnat, lui aussi, réclamait à grands cris son laboratoire et ses magnifiques jardins du pays breton.

      Les Français demeurèrent encore un mois près de leurs amis de New York ; puis ils s'embarquèrent sur l'Ariel, que lord Burydan tint à commander lui-même pendant la traversée de New York à Brest.

      Andrée et Frédérique, en se séparant d'Isidora et de Régine, leur avaient fait promettre de venir les voir en France à la première occasion favorable.

      Les Américaines tinrent leur promesse, six mois plus tard, à l'occasion d'une fête de famille qui réunit dans la propriété de Kérity-sur-Mer tous les amis de l'illustre Bondonnat.

      A huit jours de distance, Andrée et Frédérique étaient devenues mères. La fille d'Andrée fut appelée Frédérique, le fils de Frédérique, Prosper, ainsi que l'avait désiré son grand-père.

      Les fêtes du baptême durèrent huit jours et donnèrent lieu à des réjouissances dont on n'a pas perdu le souvenir dans ce coin de Bretagne.

      M. Bondonnat, qui venait de remporter le prix Nobel, à la suite de la publication de son beau livre, La Conscience des végétaux, put voir réunis autour de sa table presque tous ceux qui, de près ou de loin, avaient pris part à ses fantastiques aventures.

      C'était d'abord Harry Dorgan et mistress Isidora qui avaient voulu tenir, sur les fonts baptismaux, la petite Frédérique Paganot, tandis que Joë Dorgan et Carmen étaient les parrain et marraine du petit-fils de M. Bondonnat.

      William Dorgan et Fred Jorgell étaient venus aussi, heureux de revoir le vieil ami dont la science et l'abnégation leur avaient rendu de si grands services.

      Les deux milliardaires étaient chargés de cadeaux qui eussent, par comparaison, fait taxer de mesquinerie et d'avarice les génies des Mille et une Nuits et les princesses des contes de fées.

      Mr Bombridge, qui était en train de devenir milliardaire grâce à la création par sélectionnement d'un escargot géant exceptionnellement savoureux, n'avait pu venir, absorbé par le souci des affaires ; en ses lieu et place, il avait délégué sa fille, la gentille Régine, et son gendre, Oscar Tournesol.

      C'est avec la plus profonde émotion que l'ex-bossu mit le pied sur le sol de la terre natale et qu'il revit ses bienfaiteurs et ses amis, M. Bondonnat et sa famille.

      Il fut aussi très heureux de revoir son camarade, le Peau-Rouge Kloum, qui était venu avec lord Burydan, le cosaque Rapopoff, à présent garçon de laboratoire, et la petite Océanienne Hatôuara, qui avait quitté, pour assister au baptême, l'institution parisienne où elle faisait ses études.

      Ce fut également une grande joie pour lui de se rencontrer avec lord Burydan, qu'accompagnait l'indispensable Agénor.

      Depuis son mariage, l'excentrique avait cessé d'occuper l'attention des feuilles humoristiques des deux mondes. En revanche, il était complètement guéri de sa neurasthénie, et c'est à la charmante lady Ellénor, à « la dame aux scabieuses », qu'il attribuait, non sans raison, tout le mérite de cette guérison.

      M. Bondonnat n'avait eu garde d'oublier dans ses invitations Lorenza et son mari, le peintre Grivard, qui avait commencé quelques semaines auparavant un superbe portrait du vieux savant. Tout le monde admira la beauté de la guérisseuse de perles, dont la santé, un instant compromise par les privations qu'elle avait endurées pendant sa captivité chez les bouddhistes, était plus florissante que jamais.

      Le chien Pistolet, comme on peut le penser, eut aussi sa part des réjouissances et, s'il n'eût été un animal presque aussi raisonnable et aussi sobre qu'un être humain, il serait certainement mort d'indigestion, tant il lui fut offert de sucreries, de gâteaux et de friandises de toutes sortes.

      La semaine que durèrent les réjouissances s'écoula avec la rapidité d'un rêve. Ce fut avec un vrai chagrin que les invités de M. Bondonnat songèrent enfin à se séparer de leurs amis.

      La veille du départ, le vieux savant et les deux milliardaires se trouvaient seuls sur une des terrasses du magnifique jardin de la villa. Les massifs de fleurs embaumaient l'air ; le ciel étincelait de milliers d'étoiles. On entendait, dans le lointain, la chanson murmurante de la mer contre les rocs. Les trois vieillards demeurèrent longtemps silencieux, prêtant l'oreille au bruit des rires et des voix joyeuses qui s'échappaient de la villa aux fenêtres illuminées.

      – Eh bien, demanda tout à coup M. Bondonnat, et la Main Rouge ?

      – Complètement anéantie, répondit Fred Jorgell. Le gouvernement américain s'est enfin décidé à prendre des mesures énergiques. Plus de dix mille arrestations ont été opérées. Le Police-Office a été épuré. On a révoqué tous les détectives qui, de près ou de loin, avaient appartenu à la sanglante association. Un seul des bandits que nous avons connus a pu échapper à toutes les recherches : c'est Slugh.

      – Que peut-il bien être devenu ?

      – On suppose qu'il s'est retiré dans un des cantons perdus de la frontière mexicaine, où il existe encore des bandits. La dernière fois que j'ai entendu parler de lui, c'est lorsqu'il tenta de mettre à sac l'hacienda de San-Bernardino, qu'habitent toujours Dorypha et son mari. Les tramps, en cette circonstance, rencontrèrent une résistance à laquelle ils ne s'attendaient pas. Trois d'entre eux restèrent sur le carreau, et Slugh fut gravement blessé.

      – Et nos amis de la Maison Bleue ? demanda encore M. Bondonnat.

      – C'est moi, répondit William Dorgan, qui suis à même de vous donner de leurs nouvelles. Ils sont très heureux. Le baron Fesse-Mathieu, qui est mort le mois dernier, leur a laissé une fortune princière. On a découvert après son décès, dans un caveau soigneusement blindé, un trésor de près d'un million de dollars en or et en bank-notes.

      – J'espère, dit le vieux savant avec un sourire, qu'ils en feront un meilleur usage que le baronnet...

      Puis, passant brusquement à une autre idée :

      – Souvent, murmura-t-il, il m'arrive de penser à ce mystérieux docteur Cornélius qui est mort en emportant son secret. C'est pour moi une physionomie inoubliable.

      – Croyez-vous qu'il soit mort ? dit Fred Jorgell.

      – On a retrouvé son cadavre, fit William Dorgan.

      – Etait-ce bien le sien ? Vous savez mieux que personne, monsieur Bondonnat, que le sculpteur de chair humaine excellait dans l'art de truquer les pièces anatomiques. Or, il y avait à l'île des pendus un bandit qui offrait la ressemblance exacte de Cornélius et qui n'a jamais été retrouvé. N'est-ce pas le cadavre de ce bandit qui a été exhumé des décombres ? Voilà ce que je me suis souvent demandé avec une certaine perplexité.

      – Mais par où se serait-il échappé ? reprit William Dorgan.

      – Je n'ose rien affirmer. Mais on s'est aperçu, en déblayant le terrain, qu'un couloir, aboutissant à un ancien égout et fermé d'une porte de fer, communiquait avec le laboratoire de Cornélius. S'il s'est échappé, cela n'a pu être que par cette issue.

      – Ce qui confirmerait cette hypothèse, dit M. Bondonnat après un instant de réflexion, c'est que les sommes énormes qu'il avait à sa disposition ont disparu avec lui.

      – Tenez, dit Fred Jorgell en tirant de sa poche un journal tout froissé, voici un numéro du Sydney Times. Il contient un portrait d'un certain docteur Malbourgh, qui, en dépit de ses favoris, ressemble étonnamment à Cornélius. Le plus étrange, c'est qu'en quelques mois il s'est fait, en Australie, une réputation grâce à des tours de force chirurgicaux qui ressemblent singulièrement à ceux qu'opérait jadis Cornélius.

      – Il n'y a peut-être là qu'une simple coïncidence, murmura M. Bondonnat devenu songeur.

      – Qui pourra jamais nous le dire ? s'écria Fred Jorgell en se levant.

      Personne ne releva ces paroles. Et les trois vieillards regagnèrent silencieusement la villa toute bruissante de l'animation et de la gaieté des invités.

FIN




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