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Le mystérieux docteur Cornélius - T. 3

Gustave Lerouge
© France-Spiritualités™






DOUZIÈME ÉPISODE – LA CROISIÈRE DU GORILL-CLUB
VI – La « Revanche »

Mlle Andrée de Maubreuil, son amie Frédérique, leurs fiancés l'ingénieur Paganot, le naturaliste Ravenel et le poète Agénor, faits prisonniers par Slugh à la suite de l'incendie allumé par celui-ci, ne pouvaient sortir des cabines qui leur avaient été assignées.

      Sans l'intervention de la danseuse Dorypha, la gitane, il est hors de doute qu'ils eussent été tous massacrés, mais elle avait pris courageusement leur défense, puissamment secondée en cela par son amant, le Belge Pierre Gilkin, et les partisans de ce dernier.

      Les Français, réunis dans la même cabine, se confiaient mutuellement l'inquiétude à laquelle ils étaient en proie. Ils avaient entendu les coups de canon tirés par ordre de Slugh. Ils voyaient de loin la côte se préciser de minute en minute à leurs regards ; ils se demandaient anxieusement quel allait être leur sort.

      Allait-on, ainsi que l'avait vaguement promis Slugh au Flamand Gilkin, déposer les prisonniers à terre et les laisser libres d'aller où bon leur semblerait ?

      Ils se l'étaient figuré un instant ; mais, quand ils avaient vu qu'en face de cette terre inconnue Slugh arborait fièrement le pavillon noir à la main sanglante, qu'ils avaient vu les habitants répondre à la salve de coups de canon de la Revanche par une autre salve, ils étaient devenus mortellement anxieux.

      C'est à ce moment que Dorypha fit irruption dans la cabine, le visage bouleversé et les cheveux épars.

      – Nous sommes perdus ! s'écria-t-elle. Ce misérable Slugh nous a menés à l'île des pendus. C'est le pavillon de la Main Rouge que je viens de voir flotter au-dessus de cette terre maudite !

      Le silence de la consternation accueillit ces paroles.

      – Il ne nous reste, dit l'ingénieur, en échangeant avec Roger Ravenel un coup d'œil de désespoir, qu'à vendre notre vie le plus chèrement possible !

      – Je vous en supplie, mon cher Roger, s'écria Frédérique, tuez-moi plutôt que de me laisser tomber vivante entre les mains de ces bandits !

      – Oui, tuez-nous, murmura mélancoliquement Andrée de Maubreuil.

      La gitane tira de son corsage une lunette marine qu'elle avait subtilisée dans la cabine de Slugh, et, la tendant à Agénor :

      – Regardez, dit-elle, rendez-vous compte par vous-même de la vérité.

      Le poète approcha l'instrument de ses yeux et le mit au point. Mais il avait à peine eu le temps de jeter un regard sur la côte qu'il poussa un cri de joie et de triomphe.

      – Nous sommes sauvés ! balbutia-t-il éperdu, savez-vous qui je viens d'apercevoir, admirablement déguisé en tramp ? Je vous le donne en mille !

      – Ne nous faites pas languir ! s'écria Frédérique.

      – Mon excellent ami, lord Burydan lui-même !

      – Ce qui signifie ? demanda la gitane, tout étonnée de ce brusque revirement.

      – Que l'île des pendus est maintenant au pouvoir de nos amis ! Mais pas un mot de ce que je viens de vous dire ! Si Slugh se doutait d'une pareille chose, il serait capable de nous massacrer tous !

      – J'ai toutes les raisons possibles d'être discrète, mais j'espère que vous n'oublierez pas ce que mon brave ami Pierre Gilkin a fait pour vous !

      – Soyez tranquille ! Mais ne dites rien à personne, même à Pierre Gilkin ; seulement, faites en sorte que lui et les siens, dans leur propre intérêt, se séparent de nous le moins possible !

      Quelques minutes plus tard, Slugh en personne pénétrait dans la cabine des Français. Il avait l'air à la fois ironique et menaçant.

      – Maintenant, dit-il brutalement, la plaisanterie a assez duré. Vous allez obéir à mes ordres, et cela sans faire la moindre observation !

      A présent, messieurs et mesdames, vous êtes sur les domaines de la Main Rouge, et là, vos protecteurs ne vous serviront de rien ! Allons, dépêchons-nous de monter sur le pont, tous !

      Il ajouta avec un rire goguenard :

      – Vous vouliez aller à terre, eh bien, soit ! Je vais vous y faire descendre ! Je suis un homme de parole, moi !

      A la grande surprise du bandit, aucun des prisonniers ne fit la moindre observation. Tous montèrent sur le pont et, de là, descendirent dans la grande chaloupe où se tenaient déjà sept ou huit tramps.

      Dorypha avait pris place à côté d'eux. Pierre Gilkin et les plus dévoués de ses partisans l'y rejoignirent. Slugh ne fit rien pour les en empêcher. Il se disait qu'une fois à terre tous seraient absolument à sa merci. Dorypha avait eu le temps de dire quelques mots à l'oreille du Belge, qui, très calme, attendait silencieusement les événements.

      Slugh, qui s'était embarqué le dernier et avait pris place à la barre, demeurait silencieux lui aussi. Mais son visage exprimait un triomphe insolent.

      La chaloupe vint se ranger contre le quai, et ceux qui y avaient pris place débarquèrent dans l'ordre suivant :

      D'abord, un groupe composé des partisans de Slugh, puis les prisonniers, enfin Dorypha, Gilkin et leurs amis.

      Slugh fermait la marche.

      Les hommes de lord Burydan, rangés à droite et à gauche, formaient la haie, la carabine sur l'épaule et le revolver à la ceinture.

      Slugh les dévisagea d'un regard perçant et, ne reconnaissant pas les barbes touffues qui faisaient pour ainsi dire partie de l'uniforme des tramps, le rusé bandit eut un vague soupçon.

      Sous prétexte d'amarrer la chaloupe à un anneau, il demeura un peu en arrière du groupe.

      Bien lui en prit. Ses compagnons avaient à peine fait quelques pas qu'ils se trouvèrent entourés, cernés et désarmés.

      Les partisans de Pierre Gilkin allaient subir le même sort si Paganot n'était intervenu. Les bandits, solidement garrottés, furent jetés à terre aux pieds des deux jeunes filles, tellement émues de ce coup de théâtre qu'elles demeuraient sans parole.

      Slugh, lui, en avait assez vu. D'un regard il avait jugé la situation. Tout d'un coup, il se jeta à la mer, plongea et se mit à nager vigoureusement.

      – Tirez donc ! ordonna l'ingénieur, c'est un des chefs de la Main Rouge. Il faut le prendre mort ou vif !...

      Slugh, excellent nageur, avait plongé de nouveau pour reparaître dix mètres plus loin.

      Quelques balles sifflèrent à son oreille. Mais on finit par le perdre de vue.

      Avec sa rapidité de décision habituelle, il avait compris qu'il eût été imprudent pour lui de revenir à bord de la Revanche, qui, ancrée sous le feu des canons de l'île, ne pouvait songer à regagner le large.

      Après avoir nagé pendant un quart d'heure entre les récifs, il prit terre dans une baie isolée, et, se cachant le long des buissons comme un lièvre poursuivi par les chasseurs, il s'enfonça dans l'intérieur de l'île, qu'il connaissait admirablement, et atteignit bientôt le musée souterrain où se trouvait l'étrange collection de pièces anatomiques, visitée auparavant par M. Bondonnat.

      Après avoir constaté que personne ne l'avait suivi, il fit jouer la pierre de l'entrée et s'introduisit dans la caverne.

      Deux hommes, les seuls avec lui à connaître les secrets de cette retraite, l'y attendaient déjà : c'étaient Julian et Johnie, les deux graveurs en faux billets, dont l'un, on le sait, ressemblait trait pour trait au docteur Cornélius, tandis que le second offrait la physionomie exacte de Fritz Kramm.

      La pierre une fois remise en place, ils l'assujettirent inférieurement avec une lourde barre de fer. Ils étaient sûrs désormais que personne n'irait les chercher dans cette cachette.


*

*       *


      Pendant ce temps, lord Burydan et Oscar s'étaient jetés dans les bras de leurs amis. L'excentrique commença par prévenir discrètement l'ingénieur Paganot de la mort de M. Bondonnat, et le jeune homme et son ami Ravenel attirèrent à l'écart les deux jeunes filles pour les préparer doucement à la terrible nouvelle.

      En même temps, lord Burydan racontait à Agénor les péripéties de la prise de l'île. Il lui expliquait comment, par un procédé très employé par les agences de publicité américaines, il avait cinématographiquement projeté, en se servant des nuages en guise d'écran, les apparitions qui avaient tant épouvanté les tramps. Les gambades des clowns dans la mâture et la peinture phosphorescente dont le yacht avait été enduit avaient complété l'effet de cette mise en scène fantasmagorique. Enfin, c'était le clown nageur qui avait, au péril de sa vie, fait exploser les torpilles.

      Une heure après, les bandits qui occupaient la Revanche, démoralisés par la perte de leur chef, se rendirent à discrétion.

      La Main Rouge était vaincue, battue pour ainsi dire avec ses propres armes. Les Français allaient donc pouvoir infliger aux bandits un sévère châtiment, récompenser, comme ils le méritaient, Dorypha et ses amis, enfin accorder un juste tribut de larmes à la mémoire du malheureux savant assassiné par les bandits.




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