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Le sous-marin 'Jules-Verne'

Gustave Le Rouge
© France-Spiritualités™






PREMIÈRE PARTIE – UN DRAME DE LA HAINE
VIII – DÉCISIONS

A bord de l'Etoile-Polaire, l'affolement et le désespoir étaient à leur comble. Ursen Stroëm et Goël Mordax, incapables de prononcer une parole, se serraient les mains en pleurant.

      Le capitaine de Noirtier avait fait mettre à la mer toutes les embarcations : la chaloupe, le canot et la yole. Les matelots, munis de torches et de gaffes, explorèrent la mer dans un large rayon autour du yacht.

      Sur une idée de M. Lepique, Ursen Stroëm fit installer de puissants fanaux électriques, qui furent hissés en tête du grand mât et d'aveuglants et gigantesques faisceaux de lumière blanche fouillèrent jusqu'aux derniers recoins de l'horizon. Au bout d'une heure et demie de travaux, il fallut bien se résoudre à convenir que tout cela était inutile.

      M. de Noirtier et M. Lepique, qui seuls avaient conservé un peu de sang-froid, supposaient qu'Edda avait dû tomber à la mer accidentellement, que Coquardot s'était précipité à son secours, et que tous deux avaient coulé à fond.

      Cependant, cette façon de voir ne put tenir devant le témoignage des marins, qui avaient entendu les cris désespérés du cuisinier, et qui avaient vu ses adversaires le précipiter à la mer. Les événements demeuraient enveloppés de mystère.

      M. Lepique et Mlle Séguy essayaient vainement de consoler Ursen Stroëm et Goël. Le père et le fiancé d'Edda, unis dans une même douleur, continuaient à pleurer silencieusement.

      Ce fut Ursen Stroëm qui reprit, le premier, tout son sang-froid. Il se leva brusquement, les poings serrés, la face effrayante de colère contenue et de sombre énergie. Ses yeux verts étincelaient et semblaient phosphorer dans la nuit.

      – Je retrouverai ma fille ! s'écria-t-il... Et je dépenserai, s'il le faut, pour cela, mes inutiles millions !... Ah ! que ne suis-je encore le pauvre aventurier de jadis, sans autre fortune que mes bras et mon cerveau !... Ah ! ma chère Edda, estu toujours vivante ?

      La résolution d'Ursen Stroëm fut d'un heureux effet sur l'abattement de Goël.

      – Nous retrouverons Edda ! s'écria-t-il à son tour. Elle n'est pas morte !... Elle ne peut être morte... Peut-être suis-je sur le point d'avoir la clef du mystère !

      Le capitaine de Noirtier, M. Lepique et Mlle Séguy regardèrent Goël avec surprise, avec pitié. Ils crurent que la douleur le faisait divaguer. Seul, Ursen Stroëm portait attention à ses paroles.

      Goël continua :

      – Et d'abord, la première chose à faire, c'est de télégraphier immédiatement à la Girolata, pour activer l'achèvement du Jules-Verne.

      – Pour quoi faire ? demanda M. Lepique.

      – Je comprends... Cela suffit, répliqua Ursen Stroëm.

      Goël s'était précipité vers le récepteur du télégraphe sans fil, installé près de la roue du timonier. Ursen Stroëm fit fonctionner les manipulateurs.

      Ce fut en vain.

      – Il y a un accident, une interruption de courant ? demanda Mlle Séguy.

      – Il y a peut-être autre chose, répondit M. Lepique.

      Ursen Stroëm et Goël s'étaient regardés.

      Tous deux venaient d'avoir la même pensée.

      – Il y a certainement corrélation, murmura Goël, entre l'enlèvement d'Edda et l'interruption du courant...

      – C'est possible. Je comprends votre idée, répondit Ursen Stroëm à voix basse.

      Et, se retournant vers le capitaine de Noirtier :

      – Qu'on vire de bord, tout de suite, ordonna-t-il... Qu'on pousse les feux et qu'on fasse route vers le cap Corse, avec le maximum de vitesse.

      Les ordres furent immédiatement exécutés. La vapeur à haute pression fusa dans les tiroirs, s'engouffra dans les cylindres des pistons, et l'Etoile-Polaire, virant cap pour cap, fit route vers la Corse.

      Une demi-heure s'était à peine écoulée, que les cimes bleuâtres de l'île de Monte-Cristo furent signalées.

      Ursen Stroëm et Goël s'entretenaient à voix basse sur le pont, lorsque, tout à coup, la sonnerie de l'appareil de T.S.F. retentit énergiquement.

      – Vous voyez, fit triomphalement M. Lepique, le courant est rétabli... C'était un accident.

      – Nous allons bien savoir quelque chose, grommela Ursen Stroëm.

      Le ruban de papier bleu pâle se déroula.

      Goël lut au milieu de l'anxiété générale :

      « Le Jules-Verne a été enlevé par des bandits. Hier matin, environ une heure après que je vous eus télégraphié des nouvelles rassurantes, une troupe d'hommes en armes est sortie du maquis, a mis le feu aux magasins et aux ateliers, s'est élancée sur les travailleurs, qui ont été presque tous grièvement blessés. A ma grande indignation, j'ai reconnu parmi les assaillants un certain nombre d'ouvriers américains, naguère employés dans nos ateliers. Le mécanicien Robert Knipp paraissait être à leur tête... »

      – Des Américains... Robert Knipp !... s'écria Goël... Je comprends tout, maintenant... Le ravisseur d'Edda, le voleur du Jules-Verne ne peut être que Tony Fowler... Le mystère de cette nuit s'explique : ce n'est qu'à l'aide de notre sous-marin que les misérables ont pu disparaître si rapidement !

      – Je suis de l'avis de Goël, s'écria M. Lepique.

      – Quel est ce Tony Fowler ? demanda Ursen Stroëm, le visage contracté par la fureur, les poings serrés.

      Ce fut Mlle Séguy qui répondit :

      – Mais, monsieur Stroëm, vous le connaissez, ce Tony Fowler !... C'est un des concurrents évincés, un jeune Américain milliardaire... Il avait même réussi à se faire présenter à vous et à Edda, qui ne pouvait le souffrir...

      – C'était un des anciens camarades de Goël, ajouta M. Lepique... Et Goël lui avait sauvé la vie.

      – Oui... Il voulait se suicider, parce que ses plans n'avaient pas été primés au concours. Je l'en ai empêché, et, depuis, il m'a voué une haine mortelle.

      – Si vous lui avez sauvé la vie, il ne peut en être autrement, fit amèrement Ursen Stroëm... Je me souviens, en effet, maintenant de ce Tony Fowler : Les plans qu'il nous avait présentés étaient parfaits dans le détail, mais ne concordaient pas pour l'ensemble... Il était facile de voir qu'ils étaient dus à un grand nombre de collaborateurs.

      Cependant, le ruban de papier bleu continuait à se dérouler. On lut le reste de la dépêche.

      Pierre Auger expliquait comment il avait été fait prisonnier. Blessé, il avait été emmené dans le maquis et attaché au tronc d'un châtaignier.

      Délivré par des paysans, il avait trouvé, à son retour au golfe de la Girolata, le Jules-Verne disparu, les ateliers en ruine, les travailleurs blessés ou en fuite. Heureusement, la cabine de la T.S.F. avait échappé aux pillards, et il s'empressait d'apprendre à M. Ursen Stroëm la fatale nouvelle.

      Tout le monde était atterré.

      Il fallait, au plus vite, se mettre à la recherche du sous-marin.

      Pendant que l'Etoile-Polaire regagnait à toute vitesse la Girolata, les passagers tenaient conseil. Il importait tout d'abord de reconstruire un nouveau sous-marin, plus rapide que celui qui venait d'être si audacieusement volé par Tony Fowler.

      De plus, Ursen Stroëm voulait retrouver, si c'était possible, le corps de l'infortuné Coquardot, que les matelots de quart affirmaient avoir vu tomber à la mer. Il fut décidé à ce sujet que M. de Noirtier reviendrait sur le lieu de la catastrophe et explorerait, à l'aide de sondes, le fond de la mer à cet endroit, dont le point avait été exactement relevé.

      Dès l'arrivée, on s'occupa de soigner les blessés pendant que M. de Noirtier repartait pour aller accomplir la mission qui lui avait été confiée.

      Mlle Séguy, devenue infirmière, ne quittait plus ses malades.

      M. Lepique passait ses journées en compagnie d'Ursen Stroëm et de Goël à rédiger des notes aux journaux, pour annoncer à l'univers entier le crime sans précédent commis par l'Américain. Des primes considérables étaient offertes à quiconque pourrait fournir le moindre renseignement sur le sous-marin.

      On avait appris, par le maître de chantier Pierre Auger, que l'approvisionnement du Jules-Verne n'était pas terminé, et que la soute aux vivres serait bientôt vide. Il fallait à tout prix empêcher Tony Fowler de se ravitailler.

      On télégraphia dans tous les grands ports de la Méditerranée, et le signalement de Tony Fowler et de Robert Knipp fut envoyé aux syndics, aux chefs de port, à la police maritime, jusque dans les plus petites bourgades du littoral, ainsi que leurs photographies, qu'on avait réussi à se procurer.

      Dès le retour de M. de Noirtier, on devait se mettre en campagne. Celui-ci ne tarda pas à arriver, mais il n'apportait aucune nouvelle du cuisinier Coquardot. Son cadavre avait dû être entraîné au large par les courants. Il était sans doute devenu la proie des crustacés et des squales.

      M. de Noirtier avait essayé de prendre des photographies du fond de la mer, mais la catastrophe avait eu lieu à la surface d'un abîme de plus de mille mètres, au-dessus duquel il était difficile d'opérer.

      Toutes les recherches demeurèrent également infructueuses.

      Des semaines se passèrent, et aucun navire, aucun sémaphore ne signala la présence du Jules-Verne. Ursen Stroëm et Goël commençaient à retomber dans le désespoir.

      La coque de l'autre sous-marin, le Jules-Verne II, improvisée, pour ainsi dire, à coups de billets de banque, en quelques semaines, s'allongeait déjà sur les chantiers.

      Quant à M. de Noirtier, il avait embarqué à bord de l'Etoile-Polaire une collection de bouées automatiques à microphones, d'avertisseurs-torpilles électriques, et il croisait à l'entrée du détroit de Gibraltar. L'équipage avait été doublé, et l'on veillait sans relâche à bord du yacht. Il fallait à tout prix empêcher Tony Fowler de passer de la Méditerranée dans l'Atlantique, avant l'achèvement du second sous-marin, auquel deux équipes d'ouvriers travaillaient nuit et jour, en se relayant.

      Quand ils auraient à leur disposition le Jules-Verne II, Ursen Stroëm et Goël comptaient bien donner la chasse au pirate et lui arracher sa proie.




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