CHAPITRE III : Séraphîta-Séraphîtüs (1/2)
Après une pause pendant laquelle le pasteur parut recueillir ses souvenirs, il reprit en ces termes :
Emmanuel de SWEDENBORG est né à Upsal, en Suède, dans le mois de
janvier 1688, suivant quelques auteurs, en 1689, suivant son
épitaphe.
Son père était
évêque de Skara. Swedenborg vécut quatre-vingt-cinq années, sa mort étant arrivée à Londres, le 29 mars 1772. Je me sers de cette expression pour exprimer un simple changement d'état. Selon ses
disciples, Swedenborg aurait été vu à
Jarvis et à
Paris postérieurement à cette date.
Permettez, mon cher monsieur Wilfrid, dit monsieur Becker en faisant
un geste pour prévenir toute interruption, je raconte des faits
sans les affirmer, sans les nier. Ecoutez, et après, vous penserez
de tout ceci ce que vous voudrez. Je vous préviendrai lorsque
je jugerai, critiquerai, discuterai les doctrines, afin de constater
ma neutralité intelligentielle entre la raison et LUI !
La vie d'Emmanuel Swedenborg fut scindée
en deux parts, reprit le pasteur. De 1688 à 1745, le
baron Emmanuel
de Swedenborg apparut dans le monde comme un homme du plus vaste savoir,
estimé, chéri pour ses vertus, toujours irréprochable,
constamment utile. Tout en remplissant de hautes fonctions en Suède,
il a publié de 1709 à 1740, sur la minéralogie,
la physique, les mathématiques et l'astronomie, des livres nombreux
et solides qui ont éclairé le monde savant. Il a inventé
la méthode de bâtir des bassins propres à recevoir
les vaisseaux. Il a écrit sur les questions les plus importantes,
depuis la
hauteur des marées jusqu'à la position de la
terre. Il a trouvé tout à la fois les moyens de construire
de meilleures écluses pour les canaux, et des procédés
plus simples pour l'
extraction des métaux. Enfin, il ne s'est
pas occupé d'une science sans lui faire faire un progrès.
Il étudia pendant sa
jeunesse les langues hébraïque, grecque,
latine et les langues orientales dont la connaissance lui devint si
familière, que plusieurs professeurs célèbres l'ont
consulté souvent, et qu'il put reconnaître dans la Tartarie les
vestiges du plus ancien livre de la Parole, nommé LES GUERRES
DE JEHOVAH, et LES ENONCES dont il est parlé par Moïse dans les
NOMBRES (XXI, 14, 15, 27-30) par
Josué, par
Jérémie
et par Samuel. LES GUERRES DE JEHOVAH seraient la partie historique,
et LES ENONCES la partie prophétique de ce livre antérieur
à la GENESE. Swedenborg, a même affirmé que le JASCHAR
ou le LIVRE DU JUSTE, mentionné par
Josué, existait dans
la Tartarie-Orientale, avec le culte des Correspondances. Un Français
a, dit-on, récemment justifié les prévisions de
Swedenborg, en annonçant avoir trouvé à Bagdad
plusieurs parties de la Bible inconnues en
Europe. Lors de la discussion
presque
européenne que souleva le
magnétisme animal à
Paris, et à laquelle presque tous les savants prirent une part
active, en 1785, monsieur le
marquis de Thomé vengea la mémoire
de Swedenborg en relevant des assertions échappées aux
commissaires nommés par le roi de France pour examiner le
magnétisme.
Ces messieurs prétendaient qu'il n'existait aucune théorie
de l'
aimant, tandis que Swedenborg s'en était occupé dès
l'an 1720. Monsieur de Thomé saisit cette occasion pour démontrer
les causes de l'oubli dans lequel les hommes les plus célèbres
laissaient le savant suédois afin de pouvoir fouiller ses trésors
et s'en aider pour leurs travaux. « Quelques-uns des plus
illustres,
dit monsieur de Thomé en faisant allusion à la THEORIE
DE LA TERRE par
Buffon, ont la faiblesse de se parer des plumes du paon
sans lui en
faire hommage. » Enfin, il prouva par des citations victorieuses,
tirées des uvres encyclopédiques de Swedenborg,
que ce grand prophète avait devancé de plusieurs siècles
la marche lente des sciences humaines : il suffit, en effet, de lire
ses uvres philosophiques et minéralogiques, pour en être
convaincu. Dans tel passage, il se fait le précurseur de la chimie
actuelle, en annonçant que les productions de la nature organisée
sont toutes décomposables et aboutissent à deux principes
purs ; que l'
eau, l'
air, le
feu, ne sont pas des
éléments
; dans tel autre, il va par quelques mots au fond des mystères
magnétiques, il en ravit ainsi la première connaissance
à Mesmer. - Enfin, voici de lui, dit monsieur Becker en montrant
une longue planche attachée entre le poêle et la croisée
sur laquelle étaient des livres de toutes grandeurs, voici dix-sept
ouvrages différents, dont un seul, ses uvres Philosophiques
et Minéralogiques, publiées en 1734, ont trois volumes
in-folio. Ces productions, qui attestent les connaissances positives
de Swedenborg, m'ont été données par monsieur Séraphîtüs,
son cousin, père de Séraphîta. En 1740, Swedenborg tomba
dans un silence absolu, d'où il ne sortit que pour quitter ses
occupations temporelles, et penser exclusivement au monde spirituel.
Il reçut les premiers ordres du
Ciel en 1745. Voici comment il
a raconté sa vocation : Un soir, à Londres, après
avoir dîné de grand appétit, un
brouillard épais
se répandit dans sa
chambre. Quand les ténèbres
se dissipèrent, une créature qui avait pris la forme humaine
se leva du coin de sa
chambre, et lui dit d'une voix terrible : Ne mange
pas tant ! Il fit une diète absolue. La nuit suivante, le même
homme vint, rayonnant de lumière, et lui dit : Je suis envoyé
par
Dieu qui t'a choisi pour expliquer aux hommes le sens de sa parole
et de ses créations. Je te dicterai ce que tu dois écrire.
La vision dura peu de moments. L'
ANGE était, disait-il, vêtu
de pourpre. Pendant cette nuit, les yeux de son homme intérieur
furent ouverts et disposés pour voir dans le
Ciel, dans le monde
des
Esprits et dans les Enfers ; trois
sphères différentes
où il rencontra des personnes de sa connaissance, qui avaient
péri dans leur forme humaine, les unes depuis longtemps, les
autres depuis peu. Dès ce moment, Swedenborg a constamment vécu
de la vie des
Esprits, et resta dans ce monde comme Envoyé de
Dieu. Si sa mission lui fut contestée par les incrédules,
sa conduite fut évidemment celle d'un être supérieur
à l'humanité. D'abord, quoique borné par sa fortune
au strict nécessaire, il a donné des sommes immenses,
et notoirement relevé, dans plusieurs villes de commerce, de
grandes maisons tombées ou qui allaient faillir.
Aucun de ceux
qui firent un appel à sa générosité ne s'en
alla sans être aussitôt satisfait. Un Anglais incrédule
s'est mis à sa poursuite, l'a rencontré dans
Paris, et
a raconté que chez lui les portes restaient constamment ouvertes.
Un
jour, son domestique s'étant plaint de cette négligence,
qui l'exposait à être soupçonné des vols
qui atteindraient l'
argent de son maître : - Qu'il soit tranquille,
dit Swedenborg en souriant, je lui pardonne sa défiance, il ne
voit pas le gardien qui veille à ma porte. En effet, en quelque
pays qu'il habitât, il ne ferma jamais ses portes, et rien ne
fut perdu chez lui. A Gothembourg, ville située à soixante
milles de Stockholm, il annonça, trois
jours avant l'arrivée
du courrier, l'heure précise de l'
incendie qui ravageait Stockholm
en faisant observer que sa maison n'était pas brûlée
: ce qui était vrai. La reine de Suède dit à Berlin,
au roi son
frère, qu'une de ses
dames étant assignée
pour payer une somme qu'elle savait avoir été rendue par
son mari avant qu'il mourût, mais n'en trouvant pas la quittance,
alla chez Swedenborg, et le pria de demander à son mari où
pouvait être la preuve du paiement. Le lendemain, Swedenborg lui
indiqua l'endroit où était la quittance ; mais comme,
suivant le désir de cette
dame, il avait prié le défunt
d'apparaître à sa femme, celle-ci vit en songe son mari vêtu
de la robe de
chambre qu'il portait avant de mourir, et lui montra la
quittance dans l'endroit désigné par Swedenborg, et où
elle était effectivement cachée. Un
jour, en s'embarquant
à Londres, dans le navire du capitaine Dixon, il entendit une
dame qui demandait si l'on avait fait beaucoup de provisions : - Il
n'en faut pas tant, répondit-il. Dans huit
jours, à deux
heures, nous serons dans le port de Stockholm. Ce qui arriva. L'état
de vision dans lequel Swedenborg se mettait à son gré,
relativement aux choses de la terre, et qui étonna tous ceux
qui l'approchèrent par des effets merveilleux, n'était
qu'une faible application de sa faculté de voir les cieux. Parmi
ces visions, celles où il raconte ses voyages dans les TERRES
ASTRALES ne sont pas les moins curieuses, et ses descriptions doivent
nécessairement surprendre par la naïveté des détails.
Un homme dont l'immense portée scientifique est incontestable,
qui réunissait en lui la
conception, la volonté, l'imagination,
aurait certes inventé mieux, s'il eût inventé. La
littérature fantastique des Orientaux n'offre d'ailleurs rien
qui puisse donner une idée de cette uvre étourdissante
et pleine de
poésies en
germe, s'il est permis de comparer une
uvre de croyance aux uvres de la fantaisie arabe. L'enlèvement
de Swedenborg par l'
ange qui lui servit de guide dans son premier voyage,
est d'une sublimité qui dépasse, de toute la distance
que
Dieu a mise entre la terre et le
soleil, celle des épopées
de Klopstock, de Milton, du Tasse et de Dante. Cette partie, qui sert
de début à son ouvrage sur les TERRES ASTRALES, n'a jamais
été publiée ; elle appartient aux traditions orales
: laissées par Swedenborg aux trois
disciples qui étaient
au plus près de son
cœur. Monsieur Silverichm la possède
écrite. Monsieur Séraphîtüs a voulu m'en parler quelquefois
; mais le souvenir de la parole de son cousin était si brûlant,
qu'il s'arrêtait aux premiers mots, et tombait dans une rêverie
d'où rien ne le pouvait tirer. Le discours par lequel l'
Ange
prouve à Swedenborg que ces
corps ne sont pas faits pour être
errants et déserts, écrase, m'a dit le
baron, toutes les
sciences humaines sous le grandiose d'une logique divine. Selon le prophète,
les habitants de Jupiter ne cultivent point les sciences qu'ils nomment
des ombres ; ceux de
Mercure détestent l'expression des idées
par la parole qui leur semble trop matérielle, ils ont un langage
oculaire ; ceux de
Saturne sont continuellement tentés par de
mauvais
esprits ; ceux de la
Lune sont petits comme des
enfants de six
ans, leur voix part de l'abdomen, et ils rampent ; ceux de
Vénus
sont d'une taille gigantesque, mais stupides, et vivent de brigandages
; néanmoins, une partie de cette planète a des habitants
d'une grande douceur, qui vivent dans l'
amour du bien. Enfin, il décrit
les mœurs des peuples attachés à ces globes, et traduit
le sens général de leur existence par rapport à
l'univers, en des termes si précis ; il donne des explications
qui concordent si bien aux effets de leurs révolutions apparentes
dans le système général du monde, que peut-être
un
jour les savants viendront-ils s'
abreuver à ces sources lumineuses.
Voici, dit monsieur Becker, après avoir pris un livre, en l'ouvrant
à l'endroit marqué par le signet, voici par quelles paroles
il a terminé cette uvre : " Si l'on doute que j'aie été
transporté dans un grand nombre de Terres Astrales, qu'on se
rappelle mes observations sur les distances dans l'autre vie ; elles
n'existent que relativement à l'état externe de l'homme
; or, ayant été disposé intérieurement comme
les
Esprits Angéliques de ces terres, j'ai pu les connaître.
" Les circonstances auxquelles nous avons dû de posséder
dans ce canton le
baron Séraphîtüs, cousin bien-aimé
de Swedenborg, ne m'ont laissé étranger à aucun
événement de cette vie extraordinaire. Il fut accusé
dernièrement d'imposture dans quelques papiers publics de l'
Europe,
qui rapportèrent le fait suivant, d'après une lettre du
chevalier Beylon. Swedenborg, disait-on, instruit par des sénateurs
de la correspondance secrète de la feue reine de Suède
avec le prince de Prusse, son
frère, en révéla
les mystères à cette princesse, et la laissa croire qu'il
en avait été instruit par des moyens surnaturels. Un homme
digne de foi, monsieur Charles-Léonhard de Stahlhammer, capitaine
dans la garde royale et chevalier de l'
Epée, a répondu
par une lettre à cette calomnie.
Le pasteur chercha dans le tiroir de sa table parmi
quelques papiers, finit par y trouver une gazette, et la tendit à
Wilfrid qui
lut à haute voix la lettre suivante :
" Stockholm, 13 mai 1788.
" J'ai lu avec étonnement la lettre qui
rapporte l'entretien qu'a eu le fameux Swedenborg avec la reine Louise-Ulrique
; les circonstances en sont tout à fait fausses, et j'espère
que l'auteur me pardonnera si, par un récit fidèle qui
peut être attesté par plusieurs personnes de distinction
qui étaient présentes et qui sont encore en vie, je lui
montre combien il s'est trompé. En 1758, peu de temps après
la mort du prince de Prusse, Swedenborg vint à la cour : il avait
coutume de s'y trouver régulièrement. A peine eut-il été
aperçu de la reine, qu'elle lui dit : " A propos, monsieur l'assesseur,
avez-vous vu mon
frère ? " Swedenborg répondit que non,
et la reine lui répliqua : " Si vous le rencontrez, saluez-le
de ma part. " En disant cela, elle n'avait d'autre intention que de
plaisanter, et ne pensait nullement à lui demander la moindre
instruction touchant son
frère. Huit
jours après, et non
pas vingt-quatre
jours après, ni dans une audience particulière,
Swedenborg vint de nouveau à la cour, mais de si bonne heure,
que la reine n'avait pas encore quitté son appartement, appelé
la Chambre-Blanche, où elle causait avec ses
dames d'honneur
et d'autres femmes de la cour. Swedenborg n'attend point que la reine
sorte, il entre directement dans son appartement et lui parle bas à
l'oreille. La reine, frappée d'étonnement, se trouva mal,
et eut besoin de quelque temps pour se remettre. Revenue à elle-même,
elle dit aux personnes qui l'entouraient : " Il n'y a que
Dieu et mon
frère qui puissent savoir ce qu'il vient de me dire ! " Elle
avoua qu'il lui avait parlé de sa dernière correspondance
avec ce prince, dont le sujet n'était connu que d'eux seuls.
Je ne puis expliquer comment Swedenborg eut connaissance de ce secret
; mais ce que je puis assurer sur mon honneur, c'est que ni le comte
H..., comme le dit l'auteur de la lettre, ni personne, n'a intercepté
ou lu les lettres de la reine. Le sénat d'alors lui permettait
d'écrire à son
frère dans la plus grande sécurité,
et regardait cette correspondance comme très-indifférente
à l'état. Il est évident que l'auteur de la susdite
lettre n'a pas du tout connu le caractère du comte H... Ce seigneur
respectable, qui a rendu les services les plus importants à sa
patrie, réunit aux talents de l'
esprit les qualités du
cœur, et son âge avancé n'affaiblit point en lui ces dons
précieux. Il joignit toujours pendant toute son administration
la politique la plus éclairée à la plus
scrupuleuse
intégrité, et se déclara l'
ennemi des intrigues
secrètes et des menées sourdes, qu'il regardait comme
des moyens indignes pour arriver à son but. L'auteur n'a pas
mieux connu l'assesseur Swedenborg. La seule faiblesse de cet homme,
vraiment honnête, était de croire aux apparitions des
esprits
; mais je l'ai connu pendant très longtemps, et je puis assurer
qu'il était aussi persuadé de parler et de converser avec
des
esprits, que je le suis, moi, dans ce moment, d'écrire ceci.
Comme citoyen et comme ami, c'était l'homme le plus intègre,
ayant en horreur l'imposture et menant une vie exemplaire. L'explication
qu'a voulu donner de ce fait le chevalier Beylon est, par conséquent,
destituée de fondement ; et la visite faite pendant la nuit à
Swedenborg, par les comtes H... et T..., est entièrement controuvée.
Au reste, l'auteur de la lettre peut être assuré que je
ne suis rien moins que
sectateur de Swedenborg ; l'
amour seul de la
vérité m'a engagé à rendre avec
fidélité
un fait qu'on a si souvent rapporté avec des détails entièrement
faux, et j'affirme ce que je viens d'écrire, en apposant la signature
de mon nom. "
- Les témoignages que Swedenborg a donnés
de sa mission aux familles de Suède et de Prusse ont sans doute
fondé la croyance dans laquelle vivent plusieurs personnages
de ces deux cours, reprit monsieur Becker en remettant la gazette dans
son tiroir. - Néanmoins, dit-il en continuant, je ne vous dirai
pas tous les faits de sa vie matérielle et visible : ses mœurs
s'opposaient à ce qu'ils fussent exactement connus. Il vivait
caché, sans vouloir s'enrichir ou parvenir à la célébrité.
Il se distinguait même par une sorte de répugnance à
faire des prosélytes, s'ouvrait à peu de personnes, et
ne communiquait ces dons extérieurs qu'à celles en qui
éclataient la foi, la sagesse et l'
amour. Il savait reconnaître
par un seul regard l'état de l'
âme de ceux qui l'approchaient,
et changeait en
Voyants ceux qu'il voulait
toucher de sa parole intérieure.
Ses
disciples ne lui ont, depuis l'année 1745, jamais rien vu
faire pour aucun motif humain. Une seule personne, un
prêtre suédois,
nommé Matthésius, l'accusa de folie. Par un hasard extraordinaire,
ce Matthésius,
ennemi de Swedenborg et de ses écrits,
devint fou peu de temps après, et vivait encore il y a quelques
années à Stockholm avec une pension accordée par
le roi de Suède. L'éloge de Swedenborg a d'ailleurs été
composé avec un soin minutieux quant aux événements
de sa vie, et prononcé dans la grande salle de l'Académie
royale des sciences à Stockholm par monsieur de Sandel, conseiller
au
collège des Mines, en 1786. Enfin une déclaration reçue
par le lord-maire, à Londres, constate les moindres détails
de la dernière maladie et de la mort de Swedenborg, qui fut alors
assisté par Monsieur Férélius, ecclésiastique
suédois de la plus haute distinction. Les personnes comparues
attestent que, loin d'avoir démenti ses écrits, Swedenborg
en a constamment attesté la vérité. - " Dans cent
ans, dit-il à monsieur Férélius, ma doctrine régira
l'EGLISE. " Il a prédit fort exactement le
jour et l'heure de
sa mort. Le
jour même, le dimanche 29 mars 1772, il demanda l'heure.
- Cinq heures, lui répondit-on. - Voilà qui est fini,
dit-il,
Dieu vous bénisse ! Puis, dix minutes après, il
expira de la manière la plus tranquille en poussant un léger
soupir. La simplicité, la médiocrité, la solitude,
furent donc les traits de sa vie. Quand il avait achevé l'un
de ses traités, il s'embarquait pour aller l'imprimer à
Londres ou en Hollande, et n'en parlait jamais. Il publia successivement
ainsi vingt-sept traités différents, tous écrits,
dit-il, sous la dictée des
Anges. Que ce soit ou non vrai, peu
d'hommes sont assez forts pour en soutenir les
flammes orales. Les voici
tous, dit monsieur Becker en montrant une seconde planche sur laquelle
étaient une soixantaine de volumes. Les sept traités où
l'
esprit de
Dieu jette ses plus vives lueurs, sont : LES DELICES DE
L'AMOUR CONJUGAL, - LE
CIEL ET L'ENFER, - L'APOCALYPSE REVELEE, - L'EXPOSITlON
DU
SENS INTERNE, - L'AMOUR DIVIN, - LE VRAI CHRISTIANISME, - LA SAGESSE
ANGELIQUE DE L'OMNIPOTENCE, OMNISCIENCE, OMNIPRESENCE DE CEUX QUI PARTAGENT
L'ETERNITE, L'IMMENSITE DE DIEU.
Son explication de l'Apocalypse commence
par ces paroles, dit monsieur Becker en prenant et ouvrant le premier
volume qui se trouvait près de lui : " Ici je n'ai rien mis du
mien, j'ai parlé d'après le Seigneur qui avait dit par
le même
ange à Jean : TU NE SCELLERAS
PAS LES PAROLES DE
CETTE PROPHETIE (Apocalypse, 22, 10). "
- Mon cher monsieur, dit le douteur en regardant
Wilfrid, j'ai souvent tremblé de tous mes membres pendant les
nuits d'
hiver, en lisant les uvres terribles où cet homme
déclare avec une parfaite innocence les plus grandes merveilles.
" J'ai vu, dit-il, les
Cieux et les
Anges. L'homme spirituel voit l'homme
spirituel beaucoup mieux que l'homme terrestre ne voit l'homme terrestre.
En décrivant les merveilles des cieux et au-dessous des cieux,
j'obéis à l'ordre que le Seigneur m'a donné de
le faire. On est le maître de ne pas me croire, je ne puis mettre les
autres dans l'état où
Dieu m'a mis ; il ne dépend
pas de moi de les faire converser avec les
Anges, ni d'opérer
le miracle de la
disposition expresse de leur entendement ; ils sont
eux-mêmes les seuls instruments de leur
exaltation angélique.
Voici vingt-huit ans que je suis dans le monde spirituel avec les
Anges,
et sur la terre avec les hommes ; car il a plu au Seigneur de m'ouvrir
les yeux de l'
Esprit, comme il les ouvrit à Paul, à Daniel
et à
Elisée. " Néanmoins, certaines personnes ont
des visions du monde spirituel par le détachement complet que
le somnambulisme opère entre leur forme extérieure et
leur homme intérieur. Dans cet état, dit Swedenborg en
son traité de LA SAGESSE ANGELIQUE (no 257), l'homme peut être
élevé jusque dans la lumière céleste, parce
que les sens corporels étant abolis, l'
influence du
ciel agit
sans obstacle sur l'homme intérieur. Beaucoup de gens, qui ne
doutent point que Swedenborg n'ait eu des révélations
célestes, pensent néanmoins que tous ses écrits
ne sont pas également empreints de l'inspiration divine. D'autres
exigent une adhésion absolue à Swedenborg, tout en admettant
ses obscurités ; mais ils croient que l'imperfection du langage
terrestre a empêché le prophète d'exprimer ses visions
spirituelles dont les obscurités disparaissent aux yeux de ceux
que la foi a régénérés ; car, suivant l'admirable
expression de son plus grand
disciple, la chair est une
génération
extérieure. Pour les poètes et les écrivains, son
merveilleux est immense ; pour les
Voyants, tout est d'une réalité
pure. Ses descriptions ont été pour quelques chrétiens
des sujets de scandale. Certains critiques ont ridiculisé la
substance céleste de ses temples, ses palais d'or, de ses
villas
superbes où s'ébattent les
anges ; d'autres se sont moqués
de ses bosquets d'
arbres mystérieux, de ses
jardins où
les
fleurs parlent, où l'
air est blanc, où les pierreries
mystiques, la sardoine, l'escarboucle, la chrysolite, la chrysoprase,
la cyanée, la
chalcédoine, le
béryl, l'URIM et
le THUMIN sont doués de mouvement, expriment des vérités
célestes, et qu'on peut interroger, car elles répondent
par des variations de lumière (VRAIE RELIGION, 219) ; beaucoup
de bons
esprits n'admettent pas ses mondes où les
couleurs font
entendre de délicieux concerts, où les paroles flamboient,
où le Verbe s'écrit en cornicules (VRAIE RELIGION, 278).
Dans le Nord même, quelques écrivains ont ri de ses portes
de perles, de
diamants qui tapissent et meublent les maisons de sa Jérusalem
où les moindres ustensiles sont faits des substances les plus
rares du globe. " Mais, disent ses
disciples, parce que tous ces objets
sont clairsemés dans ce monde, est-ce une raison pour qu'ils
ne soient pas abondants en l'autre ? Sur la terre, ils sont d'une substance
terrestre, tandis que dans les cieux ils sont sous les apparences célestes
et relatives à l'état d'
ange. " Swedenborg a d'ailleurs
répété, à ce sujet, ces grandes paroles
de JESUS-CHRIST : Je vous enseigne en me servant des paroles terrestres,
et vous ne m'entendez pas ; si je parlais le langage du
ciel, comment
pourriez-vous me comprendre ! (Jean, 3, 12). - Monsieur, moi j'ai lu
Swedenborg en entier, reprit monsieur Becker en laissant échapper
un geste emphatique. Je le dis avec orgueil, puisque j'ai gardé
ma raison. En le lisant, il faut ou perdre le sens, ou devenir un
Voyant.
Quoique j'aie résisté à ces deux folies, j'ai souvent
éprouvé des ravissements inconnus, des saisissements profonds,
des joies intérieures que donnent seules la plénitude
de la vérité, l'évidence de la lumière céleste.
Tout ici-bas semble petit quand l'
âme parcourt les pages dévorantes
de ces Traités. Il est impossible de ne pas être frappé
d'étonnement en songeant que, dans l'espace de trente ans, cet
homme a publié, sur les vérités du monde spirituel,
vingt-cinq volumes
in-quarto, écrits en latin, dont le moindre
a cinq cents pages, et qui sont tous imprimés en petits caractères.
Il en a laissé, dit-on, vingt autres à Londres, déposés
à son neveu, M. Silverichm, ancien aumônier du roi de Suède.
Certes, l'homme qui, de vingt à soixante ans, s'était
presque épuisé par la publication d'une sorte d'encyclopédie,
a dû recevoir des secours surnaturels pour composer ces prodigieux
traités, à l'âge où les
forces de l'homme
commencent à s'éteindre. Dans ces écrits, il se
trouve des milliers de propositions numérotées, dont aucune
ne se contredit. Partout l'exactitude, la méthode, la présence
d'
esprit, éclatent et découlent d'un même fait,
l'existence des
Anges. SA VRAIE RELIGION, où se résume
tout son dogme, uvre vigoureuse de lumière, a été
conçue, exécutée à quatre-vingt-trois ans.
Enfin, son ubiquité, son omniscience n'est démentie par
aucun de ses critiques, ni par ses
ennemis. Néanmoins, quand
je me suis
abreuvé à ce torrent de lueurs célestes,
Dieu ne m'a pas ouvert les yeux intérieurs, et j'ai jugé
ces écrits avec la raison d'un homme non régénéré.
J'ai donc souvent trouvé que l'INSPIRE Swedenborg avait dû
parfois mal entendre les
Anges. J'ai ri de plusieurs visions auxquelles
j'aurais dû, suivant les
Voyants, croire avec admiration. Je n'ai
conçu ni l'écriture corniculaire des
anges, ni leurs ceintures
dont l'or est plus ou moins faible. Si, par exemple, cette phrase :
Il est des
anges solitaires, m'a singulièrement attendri d'abord
; par réflexion, je n'ai pas accordé cette solitude avec
leurs
mariages. Je n'ai pas compris pourquoi la vierge
Marie conserve,
dans le
ciel, des habillements de satin blanc. J'ai osé me demander
pourquoi les gigantesques démons Enakim et Héphilim venaient
toujours combattre les chérubins dans les champs apocalyptiques
d'Armageddon. J'ignore comment les Satans peuvent encore discuter avec
les
Anges. M. le
baron Séraphîtüs m'objectait que ces détails
concernaient les
Anges qui demeuraient sur la terre sous forme humaine.
Souvent les visions du prophète suédois sont barbouillées
de figures grotesques. Un de ses MEMORABLES, nom qu'il leur a donné,
commence par ces paroles : " - Je vis des
esprits rassemblés,
ils avaient des chapeaux sur leurs têtes. " Dans un autre Mémorable,
il reçoit du
ciel un petit papier sur lequel il vit, dit-il,
les lettres dont se servaient les peuples primitifs, et qui étaient
composées de lignes courbes avec de petits anneaux qui se portaient
en haut. Pour mieux attester sa communication avec les cieux, j'aurais
voulu qu'il déposât ce papier à l'Académie
royale des sciences de Suède. Enfin, peut-être ai-je tort,
peut-être les absurdités matérielles semées
dans ses ouvrages ont-elles des significations spirituelles. Autrement,
comment admettre la croissante
influence de sa
religion ?
Son EGLISE
compte aujourd'hui plus de sept cent mille fidèles, tant aux
Etats-Unis d'Amérique où différentes sectes s'y
agrègent en masse, qu'en Angleterre où sept mille Swedenborgistes
se trouvent dans la seule ville de Manchester. Des hommes aussi distingués
par leurs connaissances que par leur rang dans le monde, soit en Allemagne,
soit en Prusse et dans le Nord, ont publiquement adopté les croyances
de Swedenborg, plus consolantes d'ailleurs que ne le sont celles des
autres communions chrétiennes. Maintenant, je voudrais bien pouvoir
vous expliquer en quelques paroles succinctes les points capitaux de
la doctrine que Swedenborg a établie pour son
Eglise ; mais cet
abrégé, fait de mémoire, serait nécessairement
fautif. Je ne puis donc me permettre de vous parler que des
Arcanes
qui concernent la naissance de Séraphîta.
Ici, monsieur Becker fit une pause pendant laquelle
il parut se recueillir pour rassembler ses idées, et reprit ainsi
:
- Après avoir mathématiquement établi
que l'homme vit éternellement en des
sphères, soit inférieures,
soit supérieures, Swedenborg appelle
Esprits Angéliques
les êtres qui, dans ce monde, sont préparés pour
le
ciel, où ils deviennent
Anges. Selon lui,
Dieu n'a pas créé
d'
Anges spécialement, il n'en existe point qui n'ait été
homme sur la terre. La terre est ainsi la pépinière du
ciel. Les
Anges ne sont donc pas
Anges pour eux-mêmes (Sag. ang.
57) ; ils se transforment par une
conjonction intime avec
Dieu, à
laquelle
Dieu ne se refuse jamais ; l'
essence de
Dieu n'étant
jamais négative, mais incessamment active. Les
Esprits Angéliques
passent par trois natures d'
amour, car l'homme ne peut être régénéré
que successivement (Vraie
Religion). D'abord l'AMOUR DE SOI : la suprême
expression de cet
amour est le génie humain, dont les uvres
obtiennent un culte. Puis l'AMOUR DU MONDE, qui produit les prophètes,
les grands hommes que la
Terre prend pour guides et salue du nom de
divins. Enfin l'AMOUR DU
CIEL, qui fait les
Esprits Angéliques.
Ces
Esprits sont, pour ainsi dire, les
fleurs de l'humanité qui
s'y résume et travaille à s'y résumer. Ils doivent
avoir ou l'
Amour du
ciel ou la Sagesse du
ciel ; mais ils sont toujours
dans l'
Amour avant d'être dans la Sagesse. Ainsi la première
transformation de l'homme est l'AMOUR. Pour arriver à ce premier
degré, ses existers antérieurs ont dû passer par
l'Espérance et la
Charité qui l'engendrent pour la Foi
et la Prière. Les idées acquises par l'exercice de ces
vertus se transmettent à chaque nouvelle enveloppe humaine sous
laquelle se cachent les métamorphoses de l'ETRE INTERIEUR ; car
rien ne se sépare, tout est nécessaire : l'Espérance
ne va pas sans la
Charité, la Foi ne va pas sans la Prière
: les quatre faces de ce
carré sont solidaires. " Faute d'une
vertu, dit-il, l'
Esprit Angélique est comme une perle brisée.
" Chacun de ces existers est donc un cercle dans lequel s'enroulent
les richesses célestes de l'état antérieur. La
grande perfection des
Esprits Angéliques vient de cette mystérieuse
progression par laquelle rien ne se perd des qualités successivement
acquises pour arriver à leur glorieuse incarnation ; car à
chaque transformation ils se
dépouillent insensiblement de la
chair et de ses erreurs. Quand il vit dans l'
Amour, l'homme a quitté
toutes ses passions mauvaises : l'Espérance, la
Charité,
la Foi, la Prière ont, suivant le mot d'Isaïe, vanné son
intérieur qui ne doit plus être pollué par aucune
des affections terrestres. De là cette grande parole de saint
Luc : Faites-vous un trésor qui ne périsse pas dans les
cieux. Et celle de Jésus-Christ : Laissez ce monde aux hommes,
il est à eux ; faites-vous purs, et venez chez mon père.
La seconde transformation est la Sagesse. La Sagesse est la compréhension
des choses célestes auxquelles l'
Esprit arrive par l'
Amour. L'
Esprit
d'
Amour a conquis la
force, résultat de toutes les passions terrestres
vaincues, il aime aveuglément
Dieu ; mais l'
Esprit de Sagesse
a l'intelligence et sait pourquoi il aime. Les ailes de l'un sont déployées
et l'emportent vers
Dieu, les ailes de l'autre sont repliées
par la terreur que lui donne la Science : il connaît
Dieu. L'un désire
incessamment voir
Dieu et s'élance vers lui, l'autre y touche
et tremble. L'union qui se fait d'un
Esprit d'
amour et d'un
Esprit de
Sagesse met la créature à l'état divin pendant
lequel son
âme est FEMME, et son
corps est HOMME, dernière
expression humaine où l'
Esprit l'emporte sur la Forme, où
la forme se débat encore contre l'
Esprit divin ; car la forme,
la chair, ignore, se révolte, et veut rester grossière.
Cette épreuve suprême engendre des souffrances inouïes
que les cieux voient seuls, et que le Christ a connues dans le
jardin
des Oliviers. Après la mort le premier
ciel s'ouvre à
cette double nature humaine purifiée. Aussi les hommes meurent-ils
dans le désespoir, tandis que l'
Esprit meurt dans le ravissement.
Ainsi le NATUREL, état dans lequel sont les êtres non régénérés
; le SPIRITUEL, état dans lequel sont les
Esprits Angéliques
; et le DIVIN, état dans lequel demeure l'
Ange avant de briser
son enveloppe, sont les trois degrés de l'exister par lesquels
l'homme parvient au
ciel. Une pensée de Swedenborg vous expliquera
merveilleusement la différence qui existe entre le NATUREL et
le SPIRITUEL : - Pour les hommes, dit-il, le Naturel passe dans le Spirituel,
ils considèrent le monde sous ces formes visibles et le perçoivent
dans une réalité propre à leurs sens. Mais pour
l'
Esprit Angélique, le Spirituel passe dans le Naturel, il considère
le monde dans son
esprit intime, et non dans sa forme. Ainsi, nos sciences
humaines ne sont que l'analyse des formes. Le savant selon le monde
est purement extérieur comme son savoir, son intérieur
ne lui sert qu'à conserver son aptitude à l'intelligence
de la vérité. L'
Esprit Angélique va bien au delà,
son savoir est la pensée dont la science humaine n'est que la
parole ; il puise la connaissance des choses dans le Verbe, en apprenant
LES CORRESPONDANCES par lesquelles les mondes concordent avec les cieux.
LA PAROLE de
Dieu fut entièrement écrite par pures Correspondances,
elle couvre un sens interne ou spirituel qui, sans la science des Correspondances,
ne peut être compris. Il existe, dit Swedenborg (Doctrine céleste,
26), des ARCANES innombrables dans le sens interne des Correspondances.
Aussi les hommes qui se sont moqués des livres où les
prophètes ont recueilli la Parole étaient-ils dans l'état
d'
ignorance où sont ici-bas les hommes qui ne savent rien d'une
science, et se moquent des vérités de cette science. Savoir
les Correspondances de la Parole avec les cieux, savoir les Correspondances
qui existent entre les choses visibles et pondérables du monde
terrestre et les choses invisibles et impondérables du monde
spirituel, c'est avoir les cieux dans son entendement. Tous les objets
des diverses créations étant émanés de
Dieu
comportent nécessairement un sens caché, comme le disent
ces grandes paroles d'Isaïe : La terre est un vêtement (Isaïe,
5, 6). Ce lien mystérieux entre les moindres parcelles de la
matière et les cieux constitue ce que Swedenborg appelle un ARCANE
CELESTE. Aussi son traité des
Arcanes Célestes, où
sont expliquées les Correspondances ou signifiances du Naturel
au Spirituel, devant donner, suivant l'expression de Jacob Bhm,
la signature de toute chose, n'a-t-il pas moins de seize volumes et
de treize mille propositions. " Cette connaissance merveilleuse des
Correspondances, que la bonté de
Dieu permit à Swedenborg
d'avoir, dit un de ses
disciples, est le secret de l'intérêt
qu'inspirent ses ouvrages. Selon ce commentateur, là tout dérive
du
ciel, tout rappelle au
ciel. Les écrits du prophète
sont sublimes et clairs : il parle dans les cieux et se fait entendre
sur la terre ; sur une de ses phrases, on ferait un volume. " Et le
disciple cite celle-ci entre mille autres : Le royaume du
ciel, dit
Swedenborg (Arcan. céles.), est le royaume des motifs. L'ACTION
se produit dans le
ciel, de là dans le monde, et par degrés
dans les infiniment petits de la terre ; les effets terrestres étant
liés à leurs causes célestes, font que tout y est
CORRESPONDANT et SIGNIFIANT. L'homme est le moyen d'union entre le Naturel
et le Spirituel. Les
Esprits Angéliques connaissent donc essentiellement
les Correspondances qui relient au
ciel chaque chose de la terre, et
savent le sens intime des paroles prophétiques qui en dénoncent
les révolutions. Ainsi, pour ces
Esprits, tout ici-bas porte
sa signifiance. La moindre
fleur est une pensée, une vie qui
correspond à quelques linéaments du Grand-Tout, duquel
ils ont une constante intuition. Pour eux, L'ADULTERE et les débauches
dont parlent les Ecritures et les prophètes, souvent estropiés
par de soi-disant écrivains, signifient l'état des
âmes
qui dans ce monde persistent à s'infecter d'affections terrestres,
et continuent ainsi leur divorce avec le
ciel. Les nuées signifient
les voiles dont s'enveloppe
Dieu. Les flambeaux, les pains de proposition,
les
chevaux et les cavaliers, les prostituées, les pierreries,
tout, dans l'ECRITURE, a pour eux un sens exquis, et révèle
l'avenir des faits terrestres dans leurs rapports avec le
ciel. Tous
peuvent pénétrer la vérité des ENONCES de
saint Jean, que la science humaine démontre et prouve matériellement
plus tard, tels que celui-ci : " Gros, dit Swedenborg, de plusieurs
sciences humaines. " Je vis un nouveau
ciel et une nouvelle terre, car
le premier
ciel et la première terre étaient passés
(Ap., XXI, 1). Ils connaissent les festins où l'on mange la chair
des rois, des hommes libres et des esclaves, et auxquels convie un
Ange
debout dans le
soleil (Apocal., XIX, 11 à 18). Ils voient la
femme ailée, revêtue du
soleil, et l'homme toujours armé
(Apocal.). Le
cheval de l'Apocalypse est, dit Swedenborg, l'image visible
de l'intelligence humaine montée par la mort, car elle porte
en elle son principe de
destruction. Enfin, ils reconnaissent les peuples
cachés sous des formes qui semblent fantastiques aux
ignorants.
Quand un homme est disposé à recevoir l'insufflation prophétique
des Correspondances, elle réveille en lui l'
esprit de la Parole
; il comprend alors que les créations ne sont que des transformations
; elle vivifie son intelligence et lui donne pour les vérités
une soif ardente qui ne peut s'étancher que dans le
ciel. Il
conçoit, suivant le plus ou le moins de perfection de son intérieur,
la puissance des
Esprits Angéliques, et marche, conduit par le
Désir, l'état le moins imparfait de l'homme non régénéré,
vers l'Espérance qui lui ouvre le monde des
Esprits, puis il
arrive à la Prière qui lui donne la
clef des
Cieux. Quelle
créature ne désirerait se rendre digne d'entrer dans la
sphère des intelligences qui vivent secrètement par l'
Amour
ou par la Sagesse ? Ici-bas, pendant leur vie, ces
Esprits restent purs
; ils ne voient, ne pensent et ne parlent point comme les autres hommes.
Il existe deux perceptions : l'une interne, l'autre externe ; l'Homme
est tout externe, l'
Esprit Angélique est tout interne. L'
Esprit
va au fond des Nombres, il en possède la totalité, connaît
leurs signifiances. Il dispose du mouvement et s'associe à tout
par l'ubiquité : Un
ange, selon le Prophète suédois,
est présent à un autre quand il le désire (
Sap,
Ang. De Div. AM.) ; car il a le don de se séparer de son
corps,
et voit les cieux comme les prophètes les ont vus, et comme Swedenborg
les voyait lui-même. " Dans cet état, dit-il (Vraie
Religion,
136), l'
esprit de l'homme est transporté d'un lieu à un
autre, le
corps restant où il est, état dans lequel j'ai
demeuré pendant vingt-six années. " Nous devons entendre
ainsi toutes les paroles bibliques où il est dit : L'
esprit m'emporta.
La Sagesse angélique est à la Sagesse humaine ce que les
innombrables
forces de la nature sont à son action, qui est une.
Tout revit, se meut, existe en l'
Esprit, car il est en
Dieu : ce qu'expriment
ces paroles de
saint Paul : " In Deo sumus, movemur, et vivimus ; nous
vivons, nous agissons, nous sommes en
Dieu. " La
Terre ne lui offre
aucun obstacle, comme la Parole ne lui offre aucune obscurité.
Sa divinité prochaine lui permet de voir la pensée de
Dieu voilée par le Verbe, de même que vivant par son intérieur,
l'
Esprit communique avec le sens intime caché sous toutes les
choses de ce monde. La Science est le langage du monde Temporel, l'
Amour
est celui du monde Spirituel. Aussi l'homme décrit-il plus qu'il
n'explique, tandis que l'
Esprit Angélique voit et comprend. La
Science attriste l'homme, l'
amour exalte l'
Ange. La Science cherche
encore, l'
Amour a trouvé. L'Homme
juge la nature dans ses rapports
avec elle ; l'
Esprit Angélique la
juge dans ses rapports avec
le
ciel. Enfin tout parle aux
Esprits. Les
Esprits sont dans le secret
de l'
harmonie de créations entre elles ; ils s'entendent avec
l'
esprit des sons, avec l'
esprit des
couleurs, avec l'
esprit des végétaux
; ils peuvent interroger le minéral, et le minéral répond
à leurs pensées. Que sont pour eux les sciences et les
trésors de la terre, quand ils les étreignent à
tout moment par leur
vue, et que les mondes dont s'occupent tant les
hommes, ne sont pour les
Esprits que la dernière marche d'où
ils vont s'élancer à
Dieu ? L'
Amour du
ciel ou la sagesse
du
ciel s'annoncent en eux par un cercle de lumière qui les entoure
et que voient les Elus. Leur innocence, dont celle des
enfants est la
forme extérieure, a la connaissance des choses que n'ont point
les
enfants : ils sont innocents et savants. - " Et, dit Swedenborg,
l'innocence des cieux fait une telle impression sur l'
âme, que
ceux qu'elle affecte en gardent un ravissement qui dure toute leur vie,
comme je l'ai moi-même éprouvé. Il suffit peut-être,
dit-il encore, d'en avoir une minime perception pour être à
jamais changé, pour vouloir aller aux cieux et entrer ainsi dans
la
sphère de l'Espérance. " Sa doctrine sur les
mariages
peut se réduire à ce peu de mots : " Le Seigneur a pris
la beauté, l'élégance de la vie de l'homme et l'a
transportée dans la femme. Quand l'homme n'est pas réuni
à cette beauté, à cette élégance
de sa vie, il est sévère, triste et farouche ; quand il
y est réuni, il est joyeux, il est complet. " Les
Anges sont
toujours dans le point le plus parfait de la beauté. Leurs
mariages
sont célébrés par des cérémonies
merveilleuses. Dans cette union, qui ne produit point d'
enfants, l'homme
a donné L'ENTENDEMENT, la femme a donné la VOLONTE : ils
deviennent un seul être, UNE SEULE chair ici-bas ; puis ils vont
aux cieux après avoir revêtu la forme céleste. Ici-bas,
dans l'état naturel, le penchant mutuel des deux sexes vers les
voluptés est un EFFET qui entraîne et fatigue et dégoût
; mais sous sa forme céleste, le couple devenu le même
Esprit trouve en lui-même une cause incessante de voluptés.
Swedenborg a vu ce
mariage des
Esprits, qui, selon
saint Luc, n'a point
de noces (20, 35), et qui n'
inspire que des plaisirs spirituels. Un
Ange s'offrit à le rendre témoin d'un
mariage, et l'entraîna
sur ses ailes (les ailes sont un
symbole et non une réalité
terrestre). Il le revêtit de sa robe de fête, et quand Swedenborg
se vit habillé de lumière, il demanda pourquoi. - Dans
cette circonstance, répondit l'
Ange, nos robes s'allument, et
se font nuptiales. (Deliciae sap. de am. conj., 19, 20, 21.) Il aperçut
alors deux
Anges qui vinrent, l'un du Midi, l'autre de l'Orient ; l'
Ange
du Midi était dans un char attelé de deux
chevaux blancs
dont les rênes avaient la
couleur et l'éclat de l'aurore
; mais quand ils furent près de lui, dans le
ciel, il ne vit
plus ni les chars ni les
chevaux. L'
Ange de l'Orient vêtu de pourpre,
et l'
Ange du Midi vêtu d'
hyacinthe accoururent comme deux souffles
et se confondirent : l'un était un
Ange d'
Amour, l'autre était
un
Ange de Sagesse. Le guide de Swedenborg lui dit que ces deux
Anges
avaient été liés sur la terre d'une amitié
intérieure et toujours unis, quoique séparés par
les espaces. Le consentement qui est l'
essence des bons
mariages sur
la terre, est l'état habituel des
Anges dans le
ciel. L'
amour
est la lumière de leur monde. Le ravissement éternel des
Anges vient de la faculté que
Dieu leur communique de lui rendre
à lui-même la joie qu'ils en éprouvent. Cette réciprocité
d'
infini fait leur vie. Dans le
ciel, ils deviennent
infinis en participant
de l'
essence de
Dieu qui s'engendre par lui-même. L'immensité
des cieux où vivent les
Anges est telle, que si l'homme était
doué d'une
vue aussi continuellement rapide que l'est la lumière
en venant du
soleil sur la terre et qu'il regardât pendant l'éternité,
ses yeux ne trouveraient pas un
horizon où se reposer. La lumière
explique seule les félicités du
ciel. C'est, dit-il (
Sap.,
Aug, 7, 15, 26, 27), une vapeur de la vertu de
Dieu, une émanation
pure de sa
clarté, auprès de laquelle notre
jour le plus
éclatant est l'obscurité. Elle peut tout, renouvelle tout
et ne s'absorbe pas ; elle environne l'
Ange et lui fait
toucher Dieu
par des jouissances infinies que l'on sent se multiplier infiniment
par elles-mêmes. Cette lumière tue tout homme qui n'est
pas préparé à la recevoir. Nul ici-bas, ni même
dans le
ciel, ne peut voir
Dieu et vivre. Voilà pourquoi il est
dit (Ex. XIX, 12, 13, 21, 22, 23) : La
montagne où Moïse parlait
au Seigneur était gardée de peur que quelqu'un ne venant
à y
toucher, ne mourût. Puis encore (Ex. XXXIV, 29 - 35)
: Quand Moïse apporta les secondes Tables, sa face brillait tellement,
qu'il fut obligé de la voiler pour ne faire mourir personne en
parlant au peuple. La
transfiguration de Jésus-Christ accuse
également la lumière que jette un Messager du
ciel et
les
ineffables jouissances que trouvent les
Anges à en être
continuellement imbus. Sa face, dit saint
Mathieu (XVII, 1 - 5) resplendit
comme le
soleil, ses vêtements devinrent comme la lumière,
et un nuage couvrit ses
disciples. Enfin, quand un
astre n'enferme plus
que des êtres qui se refusent au Seigneur, que sa parole est méconnue,
que les
Esprits Angéliques ont été assemblés
des quatre vents,
Dieu envoie un
Ange exterminateur pour changer la
masse du monde réfractaire qui, dans l'immensité de l'univers,
est pour lui ce qu'est dans la nature un
germe infécond. En approchant
du Globe, l'
Ange Exterminateur porté sur une comète le
fait tourner sur son axe : les continents deviennent alors le fond des
mers, les plus hautes
montagnes deviennent des îles, et les pays jadis
couverts des
eaux marines, renaissent parés de leur fraîcheur
en obéissant aux lois de la Genèse ; la parole de
Dieu
reprend alors sa
force sur une nouvelle terre qui garde en tous lieux
les effets de l'
eau terrestre et du
feu céleste. La lumière,
que l'
Ange apporte d'En-Haut, fait alors pâlir le
soleil. Alors,
comme dit Isaïe (19 - 20) : Les hommes entreront dans des fentes de
rochers, se blottiront dans la poussière. Ils crieront (Apocalypse,
VII, 15-17) aux
montagnes : Tombez sur nous ! A la mer : Prends-nous
! Aux airs : Cachez-nous de la fureur de l'
Agneau ! L'
Agneau est la
grande figure des
Anges méconnus et persécutés
ici-bas. Aussi Christ a-t-il dit : Heureux ceux qui souffrent ! Heureux
les simples ! Heureux ceux qui aiment ! Tout Swedenborg est là
: Souffrir, Croire, Aimer. Pour bien aimer, ne faut-il pas avoir souffert,
et ne faut-il pas croire ? L'
Amour engendre la
Force, et la
Force donne
la Sagesse ; de là, l'Intelligence ; car la
Force et la Sagesse
comportent la Volonté. Etre intelligent, n'est-ce pas Savoir,
Vouloir et Pouvoir, les trois attributs de l'
Esprit Angélique.
" - Si l'univers a un sens, voilà le plus digne de
Dieu ! " me
disait monsieur
Saint-Martin que je vis pendant le voyage qu'il fit
en Suède. - Mais, monsieur, reprit monsieur Becker après
une pause, que signifient ces lambeaux pris dans l'étendue d'une
uvre de laquelle on ne peut donner une idée qu'en la comparant
à un
fleuve de lumière, à des ondées de
flammes ? Quand un homme s'y plonge, il est emporté par un courant
terrible. Le poème de Dante Alighieri fait à peine l'effet
d'un point, à qui veut se plonger dans les innombrables versets
à l'aide desquels Swedenborg a rendu palpables les mondes célestes,
comme Beethoven a bâti ses palais d'
harmonie avec des milliers
de notes, comme les architectes ont édifié leurs
cathédrales
avec des milliers de pierres. Vous y roulez dans des
gouffres sans fin,
où votre
esprit ne vous soutient pas toujours. Certes ! Il est
nécessaire d'avoir une puissante intelligence pour en revenir
sain et sauf à nos idées sociales.