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Saint-Martin le Philosophe Inconnu

Sa vie et ses écrits - Son maître Martinez et leurs groupes - D'après des documents inédits
Jacques Matter
© France-Spiritualités™






CHAPITRE XIV

Séjour d'Amboise. – Correspondance avec madame de Bœcklin et avec le baron de Liebisdorf. – Lettre sur le 10 août.
Mort du père de Saint-Martin. – La marquise de l'Estenduère. – Mademoiselle de Sombreuil. – Notes sur la mort de Louis XVI.


1791-1793

Saint-Martin, rappelé par son père qui se croyait à l'article de la mort, quitta définitivement dans les premiers jours de juillet 1791, pour se rendre auprès de lui à Amboise. Il paraît que son père se ré tablit assez bien pour demander peu de soins et le laisser tout entier aux douleurs de sa séparation de . Ces douleurs sont vives et éloquentes. De son paradis il est tombé en son enfer ; car Amboise est son enfer, et c'est un enfer de glace. N'étaient l'étude de son chérissime B (œhme) et les lettres de sa chérissime B (œcklin), il ne saurait supporter son exil. Car il y est en exil. La résidence de son choix, le pays de son cœur, c'est l'Alsace. Auprès de ses attachements pour ce paradis pâlissent même ceux de Gœthe et d'Alfieri. Il le dit sur tous les tons, et sa peine est sincère ; c'est la privation de ses plus grandes jouissances. Il a bien les écrits de son maître avec lui, mais il sait trop peu l'allemand pour les comprendre sans l'aide de son amie, dont la parole complaisante et douce aplanissait les difficultés et prêtait de la magie même à celles qui ne trouvaient pas de solutions.

      On comprend Saint-Martin. Au lieu de cette élite d'officiers, de savants, de femmes du meilleur monde, d'adeptes enthousiastes ou d'initiateurs distingués, qu'il vient de laisser dans une grande ville confluente de la France et de l'Allemagne, élite à laquelle de vives affections prêtaient les plus séduisants de tous les charmes, il était réduit à la société d'un vieillard assez souffrant, mais peu malade et pas martiniste le moins du monde. Dans une âme aussi tendre, aussi avide de communications de tout genre, d'une activité si ardente dans sa mission et dans son œuvre, cette souffrance fut vive. La ressentir, ce n'est pas d'une pusillanimité qui s'abandonne, c'est d'une force exubérante qui se débat dans l'emprisonnement.

      Toutefois, la situation, d'abord sévère, s'adoucit bientôt. Et six mois après l'arrivée de Saint-Martin dans sa ville natale, c'est-à-dire dès le mois de janvier 1792, s'il se sent encore brisé, il commence cependant à voir que cette épreuve est voulue, qu'elle entre dans le plan, ou, comme il dit, dans le décret de celui qui le mène. Il est ingénieux à prêter à Dieu des vues de bienveillance sur sa personne. C'est sa destinée d'approcher du but et de ne pas y atteindre. S'il fût resté à un peu de temps encore, il y atteignait. Or, c'est ce qu'il ne fallait pas ; c'eût été aller plus loin qu'il ne convient à un être de condition humaine.

      « Presque toutes les circonstances de ma vie m'ont prouvé qu'il y avoit sur moi un décret qui me condamnoit à ne faire qu'approcher de mon but et à ne le pas toucher ; mais je n'avois pas encore découvert l'esprit de ce décret. C'est aujourd'hui, 31 janvier 1792, que cette connoissance m'a été donnée. Elle m'apprend que ce décret a été porté sur moi par une prudence de la sagesse ; car si j'avois eu des circonstances aussi favorables que mon esprit étoit facile, j'aurois percé plus loin qu'il ne convient à un être en privation, et j'aurois communiqué ce qui doit peut-être rester encore caché, tant mon astral étoit transparent. Je ne parle pas des sciences humaines dans lesquelles j'aurois pu aussi trop séjourner, et qui m'auroient pu nuire en plus d'un sens. »

      Pour comprendre le risque sublime que lui faisait courir sa céleste transparence, il faut se rappeler ce que nous avons dit de son astral dès notre premier chapitre ; et il faut convenir, à la vue de ces apprécia tions de soi-même, qu'on ne se résigne pas de meilleure grâce ni avec plus d'esprit au bénéfice de son amour-propre.

      Mais, ô les vaines illusions que celles de l'homme ! Saint-Martin n'est pas résigné du tout, et bientôt nous touchons à une recrudescence de nostalgie. Rappelez vous ce texte : « A Pâques tout étoit arrangé, écrit-il dans son Portrait, pour retourner auprès de son amie, lorsqu'une nouvelle maladie de mon père vint encore, à point nommé, arrêter tous mes projets. » Et voyez ce que valent les consolations les plus ingénieuses qu'on se prodigue : tant que votre cœur est malade, véritable Rachel des montagnes d'Ephraïm, il ne veut pas être consolé. Tout à l'heure, c'était par suite d'un admirable décret de Dieu que le philosophe avait été retiré de , où son esprit allait inévitablement trop loin. Il en était bien convaincu, et pourtant, sans cette circonstance qu'il déplore, il allait à ; il risquait hardiment d'atteindre « au but dont il était dans sa destinée d'approcher sans y atteindre. » L'homme le plus pur est un abîme d'inconséquences tant qu'il n'a pas eu son 31 janvier !

      Il y eut pour Saint-Martin d'autres consolations pendant ces années de privations ; il alla souvent de son enfer en son purgatoire, à Paris, et il y publia, cette année, Le Nouvel Homme et l'Ecce homo, écrits à , comme nous l'avons dit.

      Il y vit souvent sa pupille spirituelle, madame la duchesse de Bourbon, qui, après avoir quitté , résidait tantôt au palais Bourbon, tantôt à son château de Petit-Bourg. Saint-Martin se rendant tour à tour au château et au palais, y demeurait, du moins au palais, lors même que sa royale amie en était absente. Il s'y faisait adresser ses lettres. Il ne retournait à Amboise que dans les intervalles de ces voyages, continuant partout ses études favorites, la lecture du grand mystique allemand.

      Il se trouvait à Paris auprès de son illustre hôtesse, lorsque le plus enthousiaste de tous ses lecteurs, le baron Kirchberger de Liebisdorf, entama avec lui cette correspondance si remarquable de mysticité, de confidences et de réticences théosophiques, qui se prolongea pendant sept ans, et qui, roulant d'abord sur les premiers ouvrages de Saint-Martin et sa première école, eut bientôt pour principal objet les écrits de Bœhme. S'ajoutant à sa correspondance avec madame de Bœcklin, si malheureusement demeurée introuvable jusqu'ici, ces communications si régulières et si constantes furent pour Saint-Martin la source de grandes satisfactions et peut-être celle de quelques études qu'il n'aurait pas faites sans l'impulsion reçue de son adepte. Liebisdorf, membre du conseil souverain de Berne, et de plusieurs commissions cantonales ou municipales, était un homme de beaucoup d'esprit, très instruit, d'une vive curiosité, questionneur comme un Allemand qui veut savoir tout ce qu'on sait, sans façon avec de bonnes manières, possédant bien son Kant et les sciences naturelles ; mais gâté par d'illustres amitiés, par celle de Bernoulli surtout et par les éloges prématurés que Rousseau avait donnés à sa jeunesse. Tout cela cependant ne laissait pas que de plaire à Saint-Martin, cela embellissait singulièrement une relation née du sein d'une admiration sincère. Sa correspondance très consciencieuse avec le spirituel et croyant Bernois devint une des grandes affaires de sa vie. Ceux qui en ont eu de semblables les ont quelque fois considérées comme une de leurs missions les plus sérieuses, et d'autres ont rompu les leurs de peur de ne pas suffire à des occupations moins douces mais plus impératives.

      Dès sa première lettre (28 mai 1792), le savant baron aborde les questions qu'ont fait naître dans sa pensée les écrits de Saint-Martin.

      « Vous avez souvent, dit-il, couvert d'un voile des vérités importantes ; l'auteur des Erreurs et de la Vérité ne se refusera pas à quelques éclaircissements. Je crois avoir deviné ce que vous entendez sous la dénomination de Cause active et intelligente, et compris le sens du mot de Vertus. La première est la vérité par excellence, mais c'est la connaissance physique, connaissance qui ne soit sujette à aucune illusion, qui me paraît le grand nœud de l'ouvrage des Erreurs. Nos sens et notre imagination parlent quelquefois si haut, et notre sentiment intérieur peut être si multiplié, que nous ne sommes pas toujours en état d'entendre la voix douce et délicate de la vérité. Comment arriver avec certitude à cette connaissance physique de la Cause active et intelligente ?
      Les Vertus sont-elles des aides ?
      Et comment la connaissance physique des Vertus mêmes devient-elle possible ? »

      Voilà les premières questions de Liebisdorf.

      Vient encore la prière de vouloir bien lui indiquer les livres sortis de la plume de Saint-Martin.

      Il aurait fallu un traité et non pas une simple lettre pour répondre à tout cela. Saint-Martin se tire d'affaire comme on fait. Il donne des politesses, des textes bibliques, des conseils en style figuré, et quelques indications bibliographiques. Il a voulu être court, et il a écrit une lettre très longue. Pour modérer un peu l'ardeur trop pressante de son adepte, il a insisté particulièrement sur un point, le temps que demande toute bonne végétation, même sous le meilleur des jardiniers. Il a pris beaucoup de peine sans avoir pu donner de solutions positives. Il le sent, et il fait comprendre au baron que le mysticisme est moins une brillante étude ou une rapide initiation qu'une sainte pratique et un sérieux amendement.

      « Ne soyez pas surpris, lui dit-il, que je ne puisse vous envoyer d'éclaircissements plus positifs sur un objet qui ne consiste que dans l'exercice et dans l'expérience. »

      Ce qu'il répond de plus intéressant pour nous à son nouvel ami, c'est ce qui fait connaître ses études. Il lit sans cesse, avec une traduction anglaise, celui dont il dit « n'être pas digne de dénouer les cordons de ses souliers, cet homme étonnant qu'il regarde comme la plus grande lumière qui ait paru sur la terre après Celui qui est la lumière même. » C'est Jacques Bœhme qu'il entend.

      La correspondance continue sur ce ton pendant plusieurs années. Ici, d'élève à maître ; là, d'adepte à initiateur. Toutefois elle se modifie sans cesse, si insensiblement que ce soit ; vers la fin il s'y glisse un ton très différent de celui des commencements. Ce ne sont plus des questions de la part de l'un, des instructions de la part de l'autre, ce sont des communications fraternelles de tous deux. Quoique le magistrat de Berne garde le mieux qu'il peut son premier rôle, celui de disciple, parfois il arrive néanmoins qu'il fait à son tour le maître. Cela est d'ailleurs amené surtout quand il s'agit de la traduction du célèbre théosophe de Gœrlitz, pour laquelle Saint-Martin consulte sans cesse à Berne comme à . Ce n'est donc pas à tort que les rôles sont quelquefois intervertis. Si l'adepte n'est jamais plus avancé que l'initiateur, il est toujours plus érudit et il ne manque jamais de cette urbanité dont on se piquait alors dans les cercles de leurs « Excellences de Berne, » comme disaient leurs agents et leurs sujets de la Suisse française.

      Cette correspondance, que je ne compare à aucune autre qui soit publiée, mais qui a de singulières analogies avec celle de Young-Stilling et de Salzmann, inédite, et que j'ai entre les mains, fut un grand bien pour le cœur comme pour l'esprit de Saint-Martin, je l'ai dit. Ce fut son meilleur travail et sa plus grande distraction au milieu des émotions du temps et au sein des regrets que ne cessait de lui donner le séjour de .

      Ces regrets continuèrent longtemps à dominer toute sa pensée. Au 10 juillet 1792, il écrit encore ces mots : « Je dois dire que cette ville de est une de celles à qui mon cœur tient le plus sur la terre, et que, sans les sinistres circonstances qui nous désolent dans ce moment, je m'empresserois bien vite d'y retourner. » Avouons-le, il fallait des trésors d'amour pour certaines personnes et les plus généreuses aspirations vers certaines études pour entretenir à ce point sa douleur ou le sentiment de ses privations.

      D'ailleurs sa fermeté fut absolue, et si l'idée de calmer ses regrets en retournant à lui vint plus d'une fois, celle de fuir les orages du jour au delà des frontières de la république ne lui vint jamais. D'une impassibilité stoïque à l'endroit des plus grands et des plus terribles faits du temps, ou plutôt d'une entière confiance en la protection toute spéciale dont il était l'objet de la part de Dieu. Calme et même radieux, d'une sérénité extraordinaire au sein de tout ce qui pouvait être péril pour d'autres, Saint-Martin voyait sans effroi, sinon sans émotion, la main de la Providence s'appesantir sur le pays et sur la dynastie, sur les institutions vieillies, les chefs et le peuple égarés. Espérant toujours au nom de ces lois éternelles dont il avait préféré l'étude à celle de la jurisprudence vulgaire, dès l'école de droit ; le regard élevé vers un horizon supérieur et beaucoup plus reculé que celui de la multitude, il traversa les plus brûlantes années de la révolution, profondément touché, mais pas troublé un seul instant. Il méditait les mêmes problèmes, il poursuivait la même mission, il gardait les mêmes amitiés. Il n'avait pas besoin, pour demeurer fidèle au sol de la patrie, des nécessités qui l'enchaînaient à Amboise, des devoirs qui le liaient au palais Bourbon, de l'autorité des opinions de son père ou de l'ascendant des sympathies de sa royale amie. C'est à peine si les violentes commotions qui ébranlent la terre de France à cette époque, font de temps à autre abréger les lettres des deux correspondants. Dès l'origine de la révolution, quand elle n'était encore qu'une tentative de belles réformes, Saint-Martin s'est attaché aux nobles inspirations du pays. Cela n'étonne personne. Ce qui surprend, c'est qu'il en parle avec la même fermeté en 1792 qu'en 1789. Lorsque tant d'autres philosophes, gens de lettres, hommes d'Etat et hommes de guerre, se détournent avec effroi d'événements pleins de terreur, il ne voit encore que des principes à distinguer d'accidents. Le 12 août 1792, il écrit à son ami de Paris, où il s'est trouvé le 10 à l'hôtel de madame la duchesse de Bourbon, une lettre qui est à la fois un monument de prudence dans la conduite et de fermeté dans les principes. Il est profondément frappé, mais point abattu ; il n'est pas même étourdi du coup qui l'a atteint ; il écrit non pas en philosophe qui pose, ni en historien ému, mais en homme religieux et en citoyen convaincu, qui sait ce qu'il doit, ce qu'il veut et ce qu'il peut.


Lettre de Saint-Martin à Kirchberger.

Paris, 12 août 1792.                                    

      « Je ne puis vous écrire qu'un mot, Monsieur, dans les circonstances présentes que le bruit public fera sans doute par venir à votre connoissance. Je me borne à vous dire que je me trouve enfermé dans Paris, y étant venu pour y rendre des soins à une sœur à moi qui y passoit, et je ne sais ni quand, ni si j'en sortirai. J'ai besoin de toutes mes facultés pour faire face à l'orage, ainsi je n'ai pas le loisir de répondre à votre lettre du 25 juillet, ce sera pour un autre moment. Je vous dirai seulement que j'ai connu M. d'Hauterive, et que nous avons fait nos cours ensemble ; j'ai connu aussi M. de La Croix : ce sont toutes des personnes de beaucoup de mérite.
      Au sujet de la lumière cachée dans les éléments, lisez, 47e Epiter de Bœhme ; 13-16, quand vous aurez ses trois principes, lisez, ch. 15, 2, 48, 50, et ch. 10, 41.
      Adieu, Monsieur, une autre fois je vous en dirai plus long. Vous pouvez cependant m'écrire si vous avez quelque chose à me communiquer, et je recevrai vos lettres avec plaisir, mais n'y parlez que de notre objet. »


      Les lettres de Berne adoucissaient les amertumes du séjour d'Amboise, elles ne les ôtaient pas de dessus le cœur de Saint-Martin. Il alla souvent au château de Petit-Bourg ; mais son père le rappelait sans cesse, et il fallut le courrier de pour soutenir son courage. Nous avons déjà dit qu'il se laissa aller quelquefois aux tristesses et au découragement, aux secousses de néant, et qu'il n'a fallu pour le consoler et le raffermir rien de moins que la parole de Dieu, citée par la meilleure de ses amies.

      L'année 1793 apporta de sérieuses modifications dans cette vie si puissamment agitée par des secousses énigmatiques. Deux graves événements vinrent saisir Saint-Martin désolé de son isolement à Amboise : la mort du roi, dont il avait quitté le service il y avait plus de vingt ans, mais qui l'avait fait chevalier de Saint-Louis par les mains du prince de Montbarey, et la mort de son père, dont il était le garde-malade un peu malgré lui.

      Il nous apprend qu'il était à Amboise le 21 janvier. Il en mentionne sur son journal le terrible événement dans le style du jour, et comme si quelque émissaire d'un comité révolutionnaire regardait le bout de sa plume par-dessus ses épaules, il met supplice de Capet. Le mot Louis, qu'il avait mis d'abord, est biffé dans cette note pour faire place à la désignation chère au langage qui a cours forcé, comme du papier-monnaie.

      Le même mois il perdit aussi le père qu'il avait tou jours aimé et honoré, qu'il venait de soigner en fils dévoué, le cœur tout saignant, mais avec une entière soumission. Il sentit cette perte comme il le dit à son ami de Berne, quoique sa mort fût prévue. C'est à tort que dans plusieurs écrits on rapporte ce fait à l'année 1792. Saint-Martin en fixe la date lui-même dans sa lettre du 13 février 1793 au baron de Liebisdorf. Cette séparation fut adoucie pour le théosophe par les témoignages d'affection d'une sœur très chérie, madame la marquise d'Estenduère, à laquelle il venait de donner, au milieu des plus vives agitations de Paris, des preuves d'un tendre attachement, et par le redoublement d'amitié que lui témoigna « sa cousine de Sombreuil. »

      Cette cousine, qu'il visitera quelques années plus tard dans la terre de Sombreuil, était-ce l'héroïque mademoiselle de Sombreuil qui sauva son père au 02 septembre comme l'héroïque fille de Cazotte sauva le sien, et pour un temps seulement ? Je ne le pense pas, car après sa sortie de prison, à la suite du 09 thermidor, mademoiselle de Sombreuil se réfugia à Berlin, et ne revint en France avec son mari, le marquis de Villelume, qu'en 1815.

      Désormais plus libre de sa personne et maître de son patrimoine, qui d'ailleurs était médiocre, quoiqu'il comprît deux maisons de campagne, celles d'Athée et de Chaudon, Saint-Martin projetait tantôt d'aller voir en Suisse son cher correspondant, tantôt de vivre plus souvent à Paris et à Petit-Bourg, sans parler de vœux encore plus chers à son cœur, et sur lesquels sa plume, par cette raison même, est encore plus discrète. Mais il fallut s'enchaîner à Amboise.

      Saint-Martin s'y trouvait au mois de mars, ainsi qu'aux mois d'avril, juin et juillet.

      Le 07 mars, il y donne deux cent soixante-dix livres à la nation pour l'équipement des trois cent mille soldats de la république.

      Mais les jours étaient mauvais et le temps était à la tourmente, même à Amboise, et malgré ses dons patriotiques, son sincère dévouement aux plus purs principes et la juste prudence qu'il apportait dans ses relations, sa correspondance devint suspecte. On vient de voir les soumissions de son style intime. Ses lettres n'étaient pas plus téméraires. Madame la duchesse de Bourbon y était devenue la citoyenne B., comme dans celle de l'abbé Barthélémy madame la duchesse de Choiseul était devenue la citoyenne C. Le frère de la princesse était simplement Egalité. Malgré ces précautions, malgré ces faits, Saint-Martin fut mandé, au mois d'avril, devant les autorités d'Amboise pour rendre compte d'une lettre de Kirchberger. Il réussit à en disculper des expressions dont le sens mystique avait inquiété l'autorité ; mais il s'impatienta de ces tracasseries, et il pria son ami d'adopter pour l'avenir une simplicité extrême. Il mit le veto sur les lettres de son ami Divonne, qui était émigré et lui demandait à la fois des nouvelles de la princesse et des solutions sur les mystères numériques, deux choses dont la seconde était aussi dangereuse que la première. C'était au moment où le duc d'Orléans allait porter sa tête sur l'échafaud. Une seule lettre de plus de Divonne pouvait lui faire perdre le fruit de tous ses sacrifices et de sa plus prudente conduite. Une seconde épître de Liebisdorf fut renvoyée au comité de surveillance générale à Paris, et ne parvint à Saint-Martin qu'avec le cachet rouge de ce dernier. S'il en venait une de Londres ou de Munich, où Divonne allait tour à tour, c'était un péril réel.

      La plus rude des épreuves qui vinrent atteindre Saint-Martin à Amboise après la mort de son père, ce fut la suspension de la plus chère de ses correspondances, celle de . Il nous apprend le fait lui même. « On y fait comparaître, nous dit-il, à des comités ad hoc, toutes les personnes à qui on écrit. Les lettres sont lues en leur présence, et on ne les leur rend que quand elles ne contiennent rien de suspect. La personne avec qui j'ai correspondance ne peut se faire à ces usages, et nous sommes convenus que je ne lui écrirai que lorsqu'elle pourrait lire mes lettres sans sortir de chez elle. » (Lettre au baron de Liebisdorf du 21 juillet 1793.)

      Dès qu'il eut mis un peu d'ordre dans ses affaires, celles de la succession de son père, Saint-Martin se hâta de chercher quelques consolations auprès de ses amis les plus éprouvés, madame la duchesse de Bourbon à leur tête.




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