DEUXIÈME
PARTIE LES SYMBOLES
CHAPITRE V (1/2)
L'uf philosophique et ses symboles Le sceau d'Hermès L'athanor
Le feu des philosophes Les degrés
La Matière de la pierre étant préparée, il s'agissait de lui donner par une cuisson ménagée la propriété de transmuer les métaux. Pour cela, on enfermait la matière dans un petit ballon ou matras, décoré du nom d'uf philosophique ; on plaçait le tout sur une écuelle pleine de cendres ou de sable, et l'on chauffait selon certaines règles dans une espèce de
fourneau à réverbère, l'
Athanor.
Les Alchimistes sont généralement assez explicites sur ces parties accessoires de l'uvre. Le matras dans lequel on place la matière se nomme uf des philsoophes, c'est un ballon en verre assez résistant, quelquefois il est en terre cuite, quelques-uns se servaient d'ufs philosophiques en métal, cuivre ou fer. Le ballon en verre était l'uf philosophique le plus employé. « Le vase de l'Art est l'uf des philosophes, qui est fait d'un verre très pur, ayant le cou de longueur moyenne ; il faut que la partie supérieure du cou puisse être scellée
hermétiquement et que la capacité de l'uf soit telle que la matière qu'on y mette n'en remplisse que le quart. » (Huginus a Barma,
Le Règne de Saturne). Roger bacon se servait indifféremment d'un vaisseau de verre ou de terre. « Le vaisseau doit être rond, avec un petit col. Il doit être en verre ou en une terre aussi résistante que le
verre : on en
fermera hermétiquement l'orifice avec un couvercle et du bitume. » (
Roger Bacon,
Miroir d'Alchimie)
Philalèthe insiste surtout sur la fermeture et la capacité. « Aye un vaisseau de verre fait en ovale, qui soit rond et assez grand pour contenir une once d'
eau distillée dans toute la capacité de sa panse... Il le faut sceller par haut avec cette précaution qu'il n'y ait ny fente ny aucun trou, autrement ton ouvrage serait perdu » (
Philalèthe,
Entrée ouverte au palais fermé du roi).
On appelait ce vaisseau uf d'abord à cause de sa forme, ensuite parce que de lui comme d'un uf devait sortir après incubation dans l'
Athanor, la Pierre philosophale, l'
Enfant couronné et vêtu de la pourpre royale, comme disaient les Alchimistes. C'est à peu près dans ce sens que
Rouillac donne l'
étymologie de ce mot : « Tout ainsi qu'un uf a tout ce qui lui est nécessaire pour la
génération du poulet, qu'il n'y faut rien
ajouter et qu'il n'y a rien de superflu qu'il faille ôter, de même aussi, il faut enclore en notre uf tout ce qui est nécessaire à la
génération de la pierre » (
Rouillac,
Abrégé du Grand uvre).
Dans les passages cités plus haut, on voit que les philosophes insistent beaocup sur la fermeture complète de l'uf, les uns comme Bacon employaient un couvercle qu'ils fixaient avec un
lut ou avec du bitume, mais la plupart employaient le sceau d'
Hermès. Le
Filet d'Ariadne, traité anonyme, nous donne des détails fort intéressants sur cette opération. Il donne trois manières de sceller
hermétiquement un ballon :
1°) on plaçait le col sur un
feu très ardent, mais en le séparant du
feu par une tuile percée en sorte que le verre ne se ramollissait qu'en un point du col ; quand le verre était ramolli, on coupait le col à cet endroit avec une paire de ciseaux, les bords coupés se soudaient, absolument comme quand on coupe un tube de caoutchouc ;
2°) on ramollissait le col de la même façon puis on tordait le col en tirant légèrement, et à la
flamme d'une chandelle, on fondait
l'extrémité pointue de façon à produire une petite perle de verre ;
3°) on chauffait l'ouverture du ballon et un bouchon de verre pouvant s'y adapter, on fermait le ballon avec son bouchon et on coulait dessus du verre fondu.
Quelques alchimistes préféraient au simple ballon de verre un appareil
formé de deux matras, le col de l'un
entrant dans le col de l'autre. «
Il y a deux vaisseaux de même forme, grandeur et quantité en haut,
où le nez de l'un entre dans le ventre de l'autre, afin que par l'action
de la
chaleur ce qui est en l'une partie, monte dans la tête du vaisseau
et après par l'action de la froideur qu'il descende dans le ventre »
(
Raymond Lulle,
Eclaircissement du testament).
De même, « Les uns se servent de vaisseaux de verre ronds ou ovales.
D'autres préfèrent la forme d'
aludel, ils prennent un vaisseau dont
le col court pénètre dans un autre vaisseau qui sert de couvercle
», on les
lute (Libavius,
De lapide philosophorum).
On les scellait, soit avec un
lut résistant, soit en
fondant le col du premier ballon sur le col du second. Cette
disposition offrait les avantages suivants :les vapeurs se condensaient plus facilement au contact des parois froides du ballon supérieur, puis la capacité intérieure étant plus grande, l'appareil courait moins de risques d'éclater.
Les alchimistes donnaient différents noms à l'uf philosophique. Selon Flamel, ils le nommaient :
sphère,
lion vert, prison,
sépulcre, fiole,
cucurbite, maison du poulet,
chambre nuptiale. Les noms de
sphère, fiole et de
cucurbite lui ont été donnés à cause de sa forme ; l'expression "maison du poulet" n'est qu'une périphrase ;
chambre nuptiale, prison,
sépulcre, sont des images très compréhensives, si l'on se rappelle que le Soufre et le
Mercure,
matière de la pierre, étaient appelés
homme rouge, femme blanche ; l'uf était une prison parce que une fois que les
époux philosophiques (le roi et la reine, l'
homme rouge et la femme blanche,
Gabricius et Beïa) y étaient entrés, ils y étaient détenus jusqu'à la fin de l'uvre.
Sépulcre : parce que les
époux y mouraient, après s'être unis, après leur mort naissait leur fils (la pierre philosophale), car toute la
génération procède de putréfaction, la mort engendre l avie, selon une théorie en vogue au
moyen-âge (Voyez chapitre VII). Ce
symbole du
sépulcre est assez fréquent pour désigner l'uf philosophique : « Prends garde que la
conjonction du mari et de l'
épouse ne se fasse qu'après avoir ôté leurs habits et ornements, tant du visage que de tout le reste du
corps quand ils sont venus au monde » (
Basile Valentin,
Les douze clefs de sagesse). C'est sous forme de tombeau qu'il est symbolisé dans les figures qui accompagnent le
Rosaire dans l'
Artis auriferæ quam chemiam vocant. Dans le
Viatorium spagyricum, l'uf avec la matière est figuré par un
sépulcre de verre où sont renfermés le roi et la reine.
L'uf est appelé
chambre nuptiale,
lit nuptial, parce
que c'est en lui qu'avait lieu la
conjonction du Soufre et du
Mercure, l'union du roi et de la reine. Dans le
Songe vert, il est parlé d'une maison de verre fermée complètement, on y introduit les
époux et l'on ferme la porte avec la matière même dont la maison est composée.
L'uf était encore nommé matrice par analogie,
parce que « La matrice de la femme après qu'elle conçu, demeure close et fermée, afin qu'il n'y entre aucun
air estrange et que le
fruit ne se perde. Ainsi notre pierre doit toujours demeurer close en son vaisseau (
Bernard le
Trévisan,
La parole délaissée) et aussi parce qu'on y enferme les deux spermes minéraux. Soufre et
Mercure d'où doit naître la pierre des philosophes. »
L'uf était enfin appelé ventre de la mère, mortier,
crible.
Crible parce que les vapeurs qui s'élèvent,
après s'être condensés, retombent goute à goutte comme un liquide passant travers un
crible.
L'uf rempli et
fermé était placé
dans une écuelle ou bassine contenant des cendres ou du sable fin. Hélias
dans son
Miroir d'Alchimie recommande de placer l'uf dans une coupelle contenant des cendres tassées, de façon que les deux tiers supérieurs du ballon émergent seuls. Quelques philosophes
au lieu du
bain de sable employaient le
bain-marie, qu'ils appelaient
feu humide.
L'écuelle et l'uf étaient logés
dans un
fourneau spécial nommé
Athanor, du mot grec
αθαναος, immortel, parce que le
feu une fois allumé, devait
brûler jusqu'à la fin de l'uvre. Certains alchimistes ont fait figurer dans leurs uvres divers modèles d'
Athanor : un des plus curieux se trouve dans le
Bouquet chymique, de Planiscampi. Il se compose de deux
fourneaux accolés ; dans l'un des deux on fait du
feu et les gaz provenant de la
combustion, passant par un trou de communication, vont échauffer l'autre
fourneau. L'
Athanor de Barchusen est un
fourneau ordinaire. mais le véritable
Athanor, celui qui était connu des premiers alchimistes occidentaux :
Albert le Grand,
Roger Bacon,
Arnauld de Villeneuve, est une sorte de
fourneau à réverbère pouvant se démonter en trois parties. La partie inférieure contenait le
feu, elle était percée de trous pour permettre l'accès de l'
air et présentait une porte. La partie moyenne, cylindrique aussi, offrait trois saillies disposées selon un
triangle, sur lesquelles reposait l'écuelle contenant l'uf. Cette partie était percée delon un de ses diamètres de deux trous opposés, fermés par des disques de cristal, ce qui permettait d'observer ce qui se passait dans l'uf. Enfin, la partie supérieure, pleine, sphérique, constituait un
dôme ou réflecteur, réverbérant la
chaleur. Tel était l'
Athanor généralement en usage. Les dispositions principales demeuraient invariables et les changements que les alchimistes y apportaient personnellement n'avaient aucune importance. Ainsi on trouve figuré dans le
Liber mutus un
athanor assez élégant en forme de tour crénelée.
Le
symbole du
fourneau est un
chêne creux ; on le trouve ainsi représenté dans les figures d'Abraham le
Juif.
On donnait à l'ensemble :
fourneau, écuelle, uf philosophique, le nom de triple vaisseau. « Ce vaisseau de terre est appelé par les philosophes triple vaisseau car dans son milieu il y a une écuelle pleine de cendres tièdes, dans lesquelles est posé l'uf philosophique » (
Le livre de Nicolas Flamel).
Les alchimistes, si jaloux de tout ce qui concernait le Grand
uvre, n'ont eu garde d'être clairs sur le
feu ou les degrés de
chaleur nécessaires pour l'uvre. La connaissance de ces degrés était regardée par eux comme l'une des
clefs les plus importantes du Grand uvre. « Beaucoup d'alchimistes sont dans l'erreur, parce qu'ils ne connaissent pas la
disposition du
feu qui est la
clef de l'uvre, car il dissout et coagule en même temps ce qu'ils ne peuvent saisir, parce qu'ils sont aveuglés par leur
ignorance » (
Raymond Lulle,
Vade mecum seu de tincturis compendium). En effet, la matière une fois préparée, la cuisson seule pouvait la changer en pierre philosophale. « Je ne vous commande que
cuire, cuisez au commencement, cuisez au milieu, cuisez à la fin, et ne faites autre chose » (
La Tourbe des philosophes)
Les alchimistes distinguaient plusieurs espèces de
feu : le
feu humide, c'est le
bain-marie qui fournit une température constante ; le
feu surnaturel ou artificiel désignait des
acides ; ceci vient de ce que les alchimistes avaient remarqué que les
acides produisent une élévation de température dans leurs diverses réactions, et aussi qu'ils ont sur les
corps le même effet que le
feu : ils les désorganisent, détruisent rapidement leur aspect primitif. Enfin, le
feu naturel, ordinaire.
En général, les alchimistes n'employaient ni
charbon ni
bois pour chauffer l'uf philosophique ; il aurait fallu une surveillance
continuelle et il aurait été de plus à peu près impossible
d'obtenir une température constante. Aussi Marc Antonio s'emporte-t-il contre les souffleurs
ignorants qui se servaient de
charbons : « A quoy bon ces
flammes violentes, puisque les Sages n'usent point de
charbons ardens, ny de
bois enflammés pour faire l'uvre
hermétique » (
La lumière sortant par soi-même des ténèbres). Les philosophes
hermétiques employaient une lampe à
huile à mèche d'
amiante, dont l'entretien est facile et qui fournit une
chaleur à peu près uniforme ; c'est là le
feu qu'ils ont tant caché et dont quelques-uns seulement parlent ouvertement.
Ils admettaient plusieurs degrés à leur
feu, selon que l'uvre était plus ou moins avancé ; ils parvenaient à régler leur
feu en augmentant le nombre des brins qui composaient la mèche : « Fais d'abord un
feu doux, comme si tu n'avais que quatre fils à ta mèche, jusqu'à ce que la matière commence à noircir. Puis augmente, mets quatorze fils, la matière se lave, elle devient grise, enfin mets vingt-quatre fils et tu auras la
blancheur parfaite » (Happelius,
Aphorismi basiliani).
Le premier degré du
feu, celui du commencement de l'uvre, équivalait environ à 60 ou 70 degrés centigrades : « Faites votre
feu à proportion qu'est la
chaleur dans les mois de
juin et de
juillet » (
Dialogue de Marie et d'Aros). Il ne faut pas oublier que c'est un Egyptien qui parle ; au reste, le premier degré était encore appelé
feu d'Egypte,
justement parce qu'il égale à peu près la température estivale de l'Egypte. Quelques alchimistes oubliant ce point ont indiqué pour le premier degré une moyenne trop faible, tel Ph.
Rouillac : « Observe surtout le
feu et ses degrés ; que le premier soit fébrile, c'est-à-dire égal à la température du
soleil au temps du mois de
février » (
Abrégé du Grand uvre).
On s'assurait au premier degré que l'on avait atteint la température voulue ; en approchant la main de l'uf, on devait pouvoir le
toucher sans se
brûler. « Tu ne laisseras jamais le vaisseau s'échauffer trop, de façon que tu puisses toujours le
toucher avec la main nue sans te
brûler. Ceci durera tout le temps de la solution » (Riplée :
Traité des douze portes)
Les autres degrés se trouvent facilement en doublant,
triplant, etc., à peu près la température du premier degré.
Il y en avait quatre en tout. Le second oscille entre la température d'ébulltion de l'
eau et de
fusion du soufre ordinaire, le troisième est un peu inférieur à la
fusion de l'
étain et le quatrième à celle du plomb.
Les
symboles du
feu sont : les ciseaux, l'
épée, la lance, la
faux, le marteau, en un mot tous les instruments pouvant produire une blessure : « Ouvre-lui donc les entrailles avec une lame d'
acier » dit le texte d'
Alchymie, en parlant du minéral d'où s'extrait l'
huile de
vitriol. Dans les figures d'Abraham le
Juif,
Saturne, armé d'une
faux, indique que l'on doit purifier l'
argent par le plomb à l'aide de la
chaleur. Dans les figures de
Basile Valentin, on voit également un chevalier qui combat avec l'
épée deux
lions mâle et
femelle, ce qui indique que c'est par le
feu qu'il faut
fixer le volatil. Enfin, nous retrouvons aussi l'
épée comme
symboles du
feu dans les sculptures de Flamel au cimetière des innocents.
Pour terminer, voici, selon
Bernard le
Trévisan, les
qualités que doit avoir le
feu philosophique : « Faites un
feu vaporant,
digérant, continuel, non violent, subtil, environné, aéreux, clos, incomburant, altérant » (
Bernard le
Trévisan,
Le livre de la philosophie naturelle des métaux).