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Théories et symboles des alchimistes

Albert Poisson
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PREMIÈRE PARTIE – LES THÉORIES

CHAPITRE II

Les théories alchimiques - Unité de la matière - Les trois principes : Soufre, Mercure, Sel ou Arsenic
Théorie d'Artéphius - Les quatre Eléments

      L'on a souvent répété que les alchimistes travaillaient en aveugles ; c'est une grave erreur. Ils avaient des théories très rationnelles qui, émises par les philosophes grecs du second siècle de l'ère chrétienne, se sont maintenues à peu près sans altération jusqu'au XVIIIème siècle.

      A la base de la théorie hermétique, on trouve une grande loi : l'Unité de la Matière. La Matière est une, mais elle peut prendre diverses formes et, sous ces formes nouvelles, se combiner à elle-même et produire de nouveaux corps en nombre indéfini. Cette matière première était encore appelée semence, chaos, substance universelle. Sans entrer dans plus de détails, Basile Valentin pose en principe l'unité de la matière. « Toutes choses viennent d'une même semence ; elles ont toutes été à l'origine enfantées par la même mère » (Char de triomphe de l'antimoine). Sendivogius, plus connu sous le nom de Cosmopolite, est plus explicite dans ses Lettres. « Les chrétiens, dit-il, veulent que Dieu ait d'abord créé une certaine matière première... et que de cette matière par voie de séparation, ayant été tirés des corps simples, qui ayant ensuite été mêlés les uns avec les autres, par voie de composition servirent à faire ce que nous voyons... Il y a eu dans la création une espèce de subordination, si bien que les êtres les plus simples ont servi de principes pour la composition des suivants et ceux-ci des autres. » Il résume enfin tout ce qu'il vient de dire dans ces deux propositions : « Savoir : 1° La production d'une matière première que rien n'a précédé ; 2° La division de cette matière en éléments et enfin moyennant ces éléments la fabrique et la composition des Mixtes. » (Lettre XI) Il entend par Mixte toute espèce de corps composé.

      D'Espagnet complète Sendivogius, en établissant l'indestructibilité de la matière ; il ajoute qu'elle ne peut que changer de forme. « ...Tout ce qui porte le caractère de l'être ou de la substance ne peut plus le quitter, et par les lois de la nature, il ne lui est pas permis de passer au non-être. C'est pourquoi Trismégiste dit fort à propos, dans le Pimander, que rien ne meurt dans le monde, mais que toutes choses passent et changent. » (Enchiridion physicæ restitutæ) Naturellement, il admet l'existence d'une matière première. « Les philosophes ont crû, dit-il, qu'il y avait une certaine matière première antérieure aux éléments. » Cette hypothèse, ajoute-t-il, se trouve déjà dans Aristote. Il examine ensuite les qualités que les métaphysiciens ont attribuées à la matière. Barlet nous renseigne sur ce point : « La substance universelle est toute tout intérieurement sans distinction de genre ou de sexe, c'est-à-dire grosse, féconde et empreinte de toutes choses sensibles à l'advenir » (Barlet : La théotechnie ergocosmique), ce qui revient à dire que la matière première ne contient aucun corps en action et les représente tous en puissance. Généralement, l'on admettait que la matière première est liquide; c'est une eau qui, à l'origine du monde, était le chaos. « C'était la matière première contenant toutes les formes en puissance... Ce corps uniforme était aquatique et appelé par les Grecs , dénotant par le même mot l'eau et la matière » (Lettre philosophique). Plus loin, il est dit que ce fut le feu qui joua le rôle de mâle par rapport à la matière femelle ; ainsi prirent naissance tous les corps qui composent l'univers. Comme on le voit, l'hypothèse de la matière première était la base même de l'Alchimie ; partant de ce principe, il était rationnel d'admettre la transmutation des métaux.

      La matière se différenciait d'abord en Soufre et en Mercure, et ces deux principes s'unissant en diverses proportions formaient tous les corps. « Tout se compose de matières sulfureuses et mercurielles », dit l'Anonyme chrétien, alchimiste grec.

      Plus tard, on ajoute un troisième principe, le Sel ou Arsenic, mais sans lui donner autant d'importance qu'au Soufre et au Mercure. Ces trois principes ne désignaient en aucune façon des corps vulgaires. Ils représentaient certaines qualités de la matière. Ainsi, le Soufre dans un métal figure la couleur, la combustibilité, la propriété d'attaquer les autres métaux, la dureté ; au contraire, le Mercure représente l'éclat, la volatilité, la fusibilité, la malléabilité. Quant au Sel, c'était simplement un moyen d'union entre le Soufre et le Mercure, comme l'esprit vital entre le corps et l'âme.

      Le Sel fut introduit comme principe ternaire surtout par Basile Valentin, Khunrath, Paracelse – en un mot, par les alchimistes mystiques. Avant eux, Roger Bacon en avait bien parlé, mais incidemment, sans lui attribuer de qualités spéciales, sans s'en occuper beaucoup ; au contraire, Paracelse s'emporte contre ses prédécesseurs qui ne connaissaient pas le Sel. « Ils ont cru que le Mercure et le Soufre étaient des principes de tous les métaux, et ils n'ont pas mentionné même en songe le troisième principe. » (Le trésor des trésors) Mais le Sel est fort peu important et même après Paracelse, nombre d'alchimistes le passèrent sous silence.

      Le Soufre, le Mercure et le Sel ne sont donc que des abstractions, commodes pour désigner un ensemble de propriétés ; un métal était-il jaune ou rouge, difficilement fusible, on disait que le Soufre abondait en lui. Mais il ne faut pas oublier que le Soufre, le Mercure et le Sel dérivaient de la matière première : « Ô merveille, le Soufre, le Mercure et le Sel me font voir trois substances en une seule matière. » (Lumière sortant par soi-même des Ténèbres : Marc-Antonio).

      Eliminer dans un corps certaines propriétés, c'était séparer le Soufre ou le Mercure, par exemple rendre un métal infusible en le transformant en chaux ou oxyde, c'était avoir volatilisé son Mercure et extrait son Soufre. Autre exemple : le mercure ordinaire contient des métaux étrangers qui restent dans la cornue quand on le distille ; cette partie fixe était considérée comme le Soufre du mercure vulgaire par les alchimistes ; transformant le vif-argent ou mercure en bichlorure, ils obtenaient ainsi un corps complètement volatil et croyaient avoir extrait par cette opération le Mercure-principe du mercure-métal.

      Nous ne pouvons quitter la question des trois principes sans mentionner la théorie d'Artéphius, alchimiste du XIème siècle. Pour lui, le Soufre représente dans les métaux les propriétés visibles, le Mercure les propriétés occultes ou latentes. Dans tout corps, il faut distinguer les propriétés visibles : couleur, éclat, étendue, c'est le Soufre qui représente cela ; puis les propriétés occultes qui ne se révèlent que par l'intervention d'une force extérieure : fusibilité, malléabilité, volatilité, etc., propriétés dues au mercure. Cette explication diffère peu de celle donnée ci-dessus.

      A côté du Soufre, du Mercure et du Sel, les alchimistes admettaient quatre Eléments théoriques : la Terre, l'Eau, l'Air et le Feu ; ces mots étaient pris dans un sens absolument différent du sens vulgaire. Dans la théorie alchimique, les quatre Eléments, pas plus que les trois principes, ne représentent des corps particuliers ; ce sont de simples états de la matière, des modalités. L'Eau est synonyme de liquide, la Terre c'est l'état solide, l'Air l'état gazeux, le Feu un état gazeux très subtil, tel que celui d'un gaz dilaté par la chaleur. Les quatre Eléments représentent donc les états sus lesquels la matière se présente à nous ; on pouvait par suite dire logiquement que les Eléments composent tout l'Univers. Pour l'alchimiste, tout liquide est Eau, tout solide est Terre en dernière analyse, toute vapeur est Air. C'est pour cela que l'on trouve dans les anciens traités de physique que l'eau ordinaire chauffée se change en Air. Ceci ne veut pas dire que l'eau se transforme dans le mélange respirable qui constitue l'atmosphère, mais bien que l'eau, d'abord liquide, se change en fluide aériforme, en un gaz comme on l'a dit plus tard.

      Les Eléments représentaient non seulement des états physiques, mais par extension des qualités.

      « Tout ce qui était de qualité chaude a été appelé par les anciens : Feu ; ce qui était sec et solide : Terre, ce qui était humide et fluide : Eau ; froid et subtil : Air. » (Epître d'Alexandre)

      L'eau se transformant en vapeur, ainsi que tous les liquides quand on les chauffe, d'autre part les corps solides étant généralement combustibles, des Philosophes Hermétiques avaient cru devoir réduire le nombre des Eléments à deux visibles, la Terre et l'Eau, renfermant en eux les Eléments invisibles, le Feu et l'Air. La Terre contient en soi le Feu, et l'Eau renferme l'Air à l'état invisible. Qu'une cause extérieure vienne à agir, le Feu et l'Air se manifesteront. Rapprochons ceci de la théorie d'Artéphius mentionnée plus haut. La Terre correspondra au Soufre, l'Eau au Mercure, et réciproquement. En somme, les quatre Eléments avec le Soufre et le Mercure représentaient à peu près les mêmes modifications de la matière première, destinées à composer le reste des corps. Seulement le Soufre et le Mercure représentant des qualités métalliques étaient plus spécialement réservés aux métaux et aux minéraux, tandis que les quatre Eléments s'appliquaient aux règnes végétal et animal. Quand un alchimiste distillait un bois et obtenait un résidu fixe, une essence ou une huile, et des produits inflammables, il disait avoir décomposé ce bois en Terre, Eau et Feu. Plus tard, aux quatre Eléments, on en surajouta un cinquième, la Quintessence : « L'on peut nommer les parties les plus solides Terre, les plus humides Eau, les plus déliées et spirituelles Air, la chaleur naturelle Feu de la nature ; et les autres occultes et essentielles s'appellent fort à propos des natures célestes et astrales ou Quintessence. » (D'Espagnet : Enchiridion physicæ restitutæ). Cette Quintessence correspondrait au Sel. L'on voit combien les théories des alchimistes étaient cohérentes. Alors qu'un souffleur se perdait dans ce dédale – trois principes, quatre Eléments, une matière universelle – un Philosophe conciliait facilement ces différences apparentes. Et maintenant l'on comprendra comment il faut entendre ces paroles du moine Hélias. « C'est avec les quatre Eléments que tout ce qui est en ce monde a été créé par la toute-puissance de Dieu » Hélias : Miroir d'Alchimie).

      Ces théories existaient dès l'origine de l'Alchimie. Chez les Grecs, l'alchimiste Synésius, dans son Commentaire sur le livre de Démocrite, nous fait remarquer que dans l'opération alchimique, l'artiste ne crée rien ; il modifie la matière, il change sa forme. L'Anonyme chrétien que nous avons cité appartient à la même époque. Quant aux quatre Eléments, ils étaient connus depuis longtemps. Zosime donne à leur ensemble le nom de Tétrasomie ou les Quatre Corps.

      Voici, sous forme de tableau, le résumé de la théorie alchimique générale :
Matière première,
unique, indestructible
Soufre,
principe fixe
Terre : visible, état solide
Feu : occulte, état subtil
Sel Quintessence : état comparable à l'éther des physiciens
Eau : visible, état liquide
Mercure,
principe volatil
Air : occulte, gazeux




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