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Dorothée, danseuse de corde

Maurice Leblanc
© France-Spiritualités™






XV – L’enlèvement de Montfaucon

Le désordre fut extrême dans la pièce, durant une ou deux minutes. George Errington et Webster s'obstinaient autour de la vieille serrure, à mécanisme suranné et qui fonctionnait mal à l'intérieur. Exaspérés, furieux d'avoir laissé échapper l'ennemi, ils se contrariaient l'un et l'autre, et leurs efforts n'aboutissaient qu'à mêler la serrure.

      Marco Dario les apostrophait rageusement :

      « Mais allez donc ! Qu'est-ce que vous fichez ?... C'est d'Estreicher, n'est-ce pas, mademoiselle ? L'homme dont vous parliez ? Il a tué son complice ?... Il vous a volé la médaille ? Sainte Vierge, dépêchez-vous, vous autres ! »

      Dorothée essayait de les raisonner.

      « Attendons, je vous en prie. Réfléchissons. Il faut se concerter... C'est de la folie d'agir au hasard... »

      Mais ils ne l'écoutaient point, et, quand la porte fut ouverte, ils se ruèrent tous les trois dans l'escalier, tandis que Dorothée leur criait :

      « Je vous en prie... ils sont en bas... ils vous guettent... »

      A ce moment, un coup de sifflet strident et très long déchira l'air. Cela venait du dehors.

      Elle courut vers l'œil-de-bœuf. On ne voyait rien de là, et elle se demanda, désespérée :

      « Qu'est-ce que cela veut dire ? Ce n'est pas ses complices qu'il appelle... Ils sont près de lui maintenant. Alors, pourquoi ce signal ? »

      Elle partait à son tour, quand elle se sentit agrippée par sa jupe. Dès le début de la scène, en face de d'Estreicher et de ses revolvers braqués, maître Delarue s'était effondré dans le coin le plus obscur, et il la suppliait, presque à genoux :

      « Vous n'allez pas m'abandonner avec le cadavre !... et puis ce bandit qui peut revenir !... ses complices !... »

      Elle le releva.

      « Pas de temps à perdre... il faut secourir nos amis...

      – Secourir ? fit-il avec indignation... Des gaillards comme eux ?... »

      Dorothée le tirait par la main comme un enfant qu'on traîne. Ils descendirent, tant bien que mal, la moitié de l'escalier. Maître Delarue pleurnichait. Dorothée marmottait :

      « Pourquoi ce signal ? A qui s'adressait-il ? Et pour quelle besogne ?... »

      Une idée s'insinuait en elle peu à peu. Elle songeait aux quatre enfants restés là-bas, à Saint Quentin, à Montfaucon. Et cette idée la tourmentait au point qu'aux trois quarts de la descente, devant le trou qui perçait le mur et qu'elle avait remarqué en montant, elle s'arrêta. Que pouvaient, en faveur des trois jeunes gens, une femme et un vieillard ? N'y avait-il pas mieux à faire ?

      « Qu'est-ce que c'est ? balbutia maître Delarue. On entend la bataille.

      – On n'entend rien », dit-elle en se courbant.

      Elle s'introduisit dans l'étroit couloir et rampa jusqu'à l'orifice. Mais, ayant regardé d'une façon plus attentive que l'après-midi, elle aperçut, à droite, sur la corniche, un paquet volumineux enfoui dans une crevasse que masquaient, par-devant, des plantes sauvages. C'était une échelle de corde. Un crochet scellé dans le mur retenait l'une des extrémités.

      « Parfait, se dit-elle. Il est évident qu'à l'occasion d'Estreicher emploie cette issue. En cas de danger, le sauvetage est facile, puisque ce côté de la tour est à l'opposé de l'entrée intérieure. »

      Le sauvetage était moins facile pour maître Delarue qui commença par gémir :

      « Jamais de la vie ! Descendre par là ?

      – Bah ! dit-elle... il n'y a pas dix mètres... deux étages...

      – Autant se suicider...

      – Aimez-vous mieux un coup de couteau ? Je vous rappelle que d'Estreicher n'a qu'un but : le codicille, et c'est vous qui l'avez. »

      Epouvanté, maître Delarue se décida, à la condition que Dorothée descendrait la première pour s'assurer que l'échelle était en bon état et qu'aucun des barreaux ne manquait.

      Les barreaux, Dorothée s'en souciait peu. A califourchon, elle se laissa glisser du haut en bas. Puis, saisissant les deux cordes, elle les raidit le plus possible. L'opération n'en fut pas moins pénible et longue, et maître Delarue y dépensa tant de courage qu'il faillit s'évanouir aux derniers échelons. La sueur lui coulait à grosses gouttes sur tout le corps.

      D'un mot, Dorothée le remit d'aplomb.

      « On les entend... vous ne croyez pas ? »

      Maître Delarue n'entendait rien, mais il prit le pas de course, tout en mâchonnant, à bout de souffle dès le départ :

      « Ils nous poursuivent... l'attaque est imminente... »

      Un sentier de traverse les conduisit par d'épais taillis jusqu'au sentier principal qui reliait le donjon au carrefour du chêne isolé.

      Derrière eux, personne.

      « Les gredins ! Dès les premières maisons, j'envoie un émissaire à la gendarmerie la plus proche... Puis je mobilise les paysans avec des fusils, des faux, des fourches, n'importe quoi... Et vous, quel est votre plan ?

      « Je n'en ai pas.

      – Comment ! Pas de plan, vous !...

      – Non, dit-elle, j'ai agi un peu au hasard. J'ai peur.

      – Ah ! vous voyez bien...

      – Je n'ai pas peur pour moi.

      – Pour qui ?

      – Pour mes enfants. »

      Maître Delarue se récria :

      « Hein ! Vous avez donc des enfants ?

      – Je les ai laissés à l'auberge.

      – Mais combien sont-ils ?

      – Quatre. »

      Le notaire était abasourdi.

      « Quatre enfants ! Vous êtes donc mariée ?

      – Non, avoua Dorothée, qui ne s'apercevait pas de la méprise du bonhomme. Mais je veux les mettre à l'abri. Heureusement que Saint-Quentin n'est pas un imbécile.

      – Saint-Quentin ?

      – Oui, c'est l'aîné des gosses... un garçon rusé, malin comme un singe... »

      Maître Delarue avait renoncé à comprendre. D'ailleurs rien ne comptait pour lui que la perspective d'être rejoint avant d'avoir franchi l'étroit passage du Diable.

      « Courons, courons, disait-il, bien que son essoufflement le contraignît à ralentir de plus en plus. Et puis, tenez, mademoiselle, voici la seconde enveloppe !... Il n'y a aucune raison pour que je porte sur moi un papier aussi dangereux et qui, après tout, ne me regarde pas... »

      Elle reprit l'enveloppe qu'elle enferma dans sa bourse. A ce moment, ils atteignirent la cour de l'horloge. Maître Delarue, qui n'avançait plus qu'avec peine, poussa un cri de joie en avisant son âne en train de paître le plus tranquillement du monde, à quelque distance de la motocyclette et des deux chevaux.

      « Vous m'excuserez, mademoiselle ? »

      Maître Delarue grimpa sur sa monture. L'âne commença par reculer, ce qui mit le bonhomme dans un tel état d'exaspération qu'il lui bourra la tête et le ventre à coups de poing et à coups de bâton. L'âne céda subitement et partit comme une flèche.

      Dorothée cria :

      « Faites attention, maître Delarue, les complices sont avertis. »

      Le notaire entendit l'exclamation de Dorothée, se renversa tout d'un trait sur sa bête, et tira la bride désespérément. Mais rien ne pouvait plus arrêter l'animal, que Dorothée ne vit que de très loin, après avoir franchi elle-même les ruines de la première enceinte.

      Alors elle reprit sa course, avec une inquiétude croissante. Pour elle, aucun doute : le coup de sifflet de d'Estreicher s'adressait à des complices postés sur la côte et à l'entrée de la presqu'île dont ils défendaient les abords.

      « En tout cas, se disait-elle, si je ne passe pas, maître Delarue passera, et il est évident que Saint-Quentin sera prévenu et se tiendra sur ses gardes. »

      La mer, très bleue et très calme, s'étalait à droite et à gauche, formant deux golfes au fond desquels s'arrondissait la falaise de la côte. Le Mauvais-Pas était marqué par une coupure sombre, qu'elle apercevait dans la masse des arbres qui couvraient le plateau. L'étroit sentier surgissait par moments. Deux fois Dorothée avait discerné la silhouette de maître Delarue.

      Mais comme elle approchait à son tour de la ligne des arbres, une détonation retentit en avant, et un peu de fumée s'éleva à un endroit qui devait être le plus escarpé du passage.

      Il y eut des cris, des appels. Puis le silence.

      Dorothée redoubla de vitesse, afin de secourir maître Delarue, victime certainement d'une agression. Mais après quelques minutes de course, si rapide qu'aucun bruit n'aurait pu lui parvenir, elle n'eut que le temps de sauter en dehors de la piste, et de s'effacer devant le galop furieux de l'âne et de son cavalier, lequel, à plat ventre, se cramponnait de ses bras noués autour de l'encolure.

      Maître Delarue, dont la tête pendait de l'autre côté, ne la vit même point.

      Anxieuse, comprenant que Saint-Quentin et ses camarades ne seraient pas avertis, si elle ne réussissait point à traverser le Mauvais-Pas, Dorothée se remettait en route, quand elle discerna sur l'une des crêtes la silhouette de deux hommes qui s'en venaient à sa rencontre. C'étaient les complices. Ils avaient barré la route à maître Delarue et, maintenant, agissaient à la façon de rabatteurs.

      Alors, elle se jeta dans les fourrés et s'enfonça dans un creux rempli de feuilles mortes dont elle se recouvrit.

      Les complices passèrent sans un mot. Elle entendit le bruit lourd de leurs chaussures ferrées, qui s'éloigna du côté des ruines, et, quand elle se releva, ils avaient disparu.

      Aussitôt, n'ayant plus d'obstacle devant elle, Dorothée franchit le Mauvais-Pas, parvint à la bande de terre qui rattachait la presqu'île à la côte, remarqua que le baron Davernoie et son amie ne se trouvaient plus au bord de l'eau, remonta la pente, et se hâta vers l'auberge. Un peu avant d'arriver, elle appela :

      « Saint-Quentin !... Saint-Quentin ! »

      Ses pressentiments redoublaient. Elle passa devant la maison et ne vit personne. Elle traversa le verger, visita la grange, et poussa vivement la porte de la roulotte.

      Là non plus, personne. Rien que les sacs des enfants et les objets habituels.

      « Saint-Quentin ! Saint-Quentin ! » cria-t-elle de nouveau.

      Elle retourna vers la maison et, cette fois, y entra.

      La petite salle qui tenait lieu de café, et où se dressait le comptoir de zinc de l'auberge, était vide. Il y avait par terre, renversés, des bancs et des chaises. Sur une table, trois gobelets à moitié pleins et une bouteille.

      Dorothée appela :

      « Madame Amouroux... »

      Elle crut entendre un gémissement et s'approcha du comptoir. Derrière, courbée en deux, les bras et les jambes ligotés, l'aubergiste était attachée aux planches du lambris. Un mouchoir lui recouvrait la bouche.

      « Blessée ? demanda Dorothée en la délivrant de son bâillon.

      – Non... non...

      – Et les enfants ? reprit la jeune fille d'une voix mal assurée.

      – Ils n'ont rien.

      – Où sont-ils ?

      – Du côté de la mer, je crois.

      – Tous ?

      – Sauf un, le plus petit.

      – Montfaucon ?

      – Oui.

      – Mon Dieu, qu'est-il devenu ?

      – On l'a enlevé.

      – Qui ?

      – Deux hommes... deux hommes qui sont entrés ici et qui m'ont demandé à boire. Le petit jouait près de nous. Les autres devaient s'amuser au fond du verger derrière les granges. On ne les entendait pas. Et puis voilà qu'un des hommes m'a saisie à la gorge, tandis que le second empoignait le petit.

      « – Pas un mot, qu'ils ont dit, sans quoi on vous serre la vis. Où sont les autres gosses ? »

      « J'eus l'idée de répondre qu'ils pêchaient au bord de la mer, dans les rochers.

      « – C'est vrai ça, la vieille ? qu'ils me dirent. Tu risques gros, si tu mens. Jure-le.

      « – Je le jure.

      « – Et toi, le môme, réplique. Où sont tes frères et sœurs ?

      « J'ai eu vraiment peur, madame. Le petit pleurait. Mais il a dit de même que moi – et il savait que ce n'était pas vrai :

      « – Ils jouent là-bas, dans les roches. »

      « Alors, ils m'ont attachée, et ils m'ont dit :

      « – Reste là. Nous revenons. Et si on ne t'y trouve pas, gare à toi, la mère. »

      « Et ils sont partis en emmenant le gosse, que l'un d'eux avait roulé dans sa veste. Voilà. »

      Dorothée réfléchissait, toute pâle. Elle demanda :

      « Et Saint-Quentin ?

      – Il est rentré une demi-heure après, peut-être, pour chercher Montfaucon. Il a fini par me trouver. Je lui ai raconté l'histoire : « Ah ! qu'il a dit, les larmes aux yeux, qu'est-ce que maman va dire ? » Il a voulu couper mes cordes. J'ai refusé. J'avais peur que les hommes reviennent. Alors, il a décroché au-dessus de la cheminée un grand fusil démoli, sans cartouches, un « chassepot » qui date de mon défunt père, et il a pris le large avec les deux autres.

      – Mais où allait-il ? fit Dorothée.

      – Ma foi, je ne sais pas... J'ai entendu qu'ils marchaient du côté de la mer.

      – Il y a combien de temps de cela ?

      – Une bonne heure, au moins.

      – Une bonne heure », murmura Dorothée.

      Cette fois l'aubergiste avait consenti à ce que ses liens fussent défaits. Aussitôt libre, elle répondit à Dorothée, qui voulait la dépêcher à Périac pour quérir du secours.

      « A Périac ! deux lieues ! mais, ma pauvre dame, je n'aurais pas la force. Le mieux c'est de prendre vos jambes à votre cou et d'y aller vous-même. »

      C'était un conseil que Dorothée n'examina même point. Elle avait hâte de retourner aux ruines et d'y engager la lutte. Elle repartit en courant.

      Ainsi l'attaque prévue par elle s'était produite, mais une heure plus tôt, c'est-à-dire avant que le signal fût donné. L'enlèvement de Montfaucon constituait donc une mesure préalable, et les deux hommes s'étaient ensuite postés au Mauvais-Pas avec mission d'établir un barrage, puis de se rabattre, au coup de sifflet, vers le lieu des opérations.

      Le motif de cet enlèvement, Dorothée ne le comprenait que trop bien. Dans la bataille engagée, il n'y avait pas que le vol des diamants, il y avait une autre conquête à laquelle d'Estreicher tenait avec autant de violence et d'âpreté. Or, Montfaucon, entre ses mains, c'était le gage de la victoire. Coûte que coûte, quoi qu'il advînt, et en admettant que, par ailleurs, la chance tournât contre lui, il fallait que Dorothée se rendît à discrétion et pliât le genou. Pour sauver Montfaucon d'une mort certaine, il était hors de doute qu'elle ne reculerait devant aucune démarche ni devant aucune épreuve.

      « Ah ! le monstre, murmura-t-elle, il ne s'est pas trompé. Il me tient par ce que j'ai de plus cher. »

      Plusieurs fois, elle remarqua, en travers du chemin, des groupes de petits cailloux disposés en cercles, ou des petites branches coupées, qui lui parurent autant d'indications fournies par Saint-Quentin. Elle sut ainsi que les enfants, au lieu de continuer vers le Mauvais-Pas, avaient bifurqué à gauche et longé le marais qui les conduisait à la mer, se mettant ainsi à l'abri dans les rochers. Mais elle n'accorda point d'attention à cette manœuvre, car elle ne pensait qu'aux dangers qui menaçaient Montfaucon, et n'avait point d'autre but que de rejoindre ses ravisseurs.

      Elle s'engagea donc dans la presqu'île et franchit le Mauvais-Pas, où elle ne fit aucune rencontre, et arriva sur le plateau. A ce moment, elle perçut le bruit d'une seconde détonation. On avait tiré dans les ruines. Contre qui ? Contre maître Delarue ? contre un des trois jeunes gens ?

      « Ah ! se dit-elle, anxieusement, je n'aurais peut-être pas dû les quitter, ces trois amis. Tous quatre ensemble, nous pouvions nous défendre. Au lieu de cela, nous sommes loin les uns des autres, impuissants... »

      Ce qui étonna Dorothée, lorsqu'elle eut traversé l'enceinte extérieure du château, ce fut le silence infini dans lequel il lui sembla pénétrer. Le terrain de la bataille n'était pas grand, trois quarts de lieue tout au plus en longueur sur quelques centaines de mètres et, pourtant, dans cet espace restreint, où neuf ou dix hommes peut-être s'affrontaient, nul bruit. Pas un éclat de voix. Rien que des pépiements d'oiseaux ou des froissements de feuilles qui tombent doucement, avec précaution, comme si les choses elles-mêmes conspiraient au silence.

      « C'est terrible, murmura Dorothée. Que veut dire cela ? Dois-je croire que tout est fini ? ou plutôt que rien n'a commencé, que les adversaires se surveillent avant d'en venir aux mains ; d'une part, Errington, Webster et Dario, d'autre part, d'Estreicher et ses complices. »

      Elle avança rapidement jusqu'à la cour de l'horloge. Là elle aperçut encore, auprès des deux chevaux attachés, l'âne qui mangeait des feuilles d'arbuste, la bride à terre, la selle bien d'aplomb sur le dos, le poil luisant de sueur.

      Qu'était devenu maître Delarue ? Avait-il pu rejoindre le groupe des étrangers ? Sa monture l'avait-elle jeté bas et livré au pouvoir de l'ennemi ?

      Ainsi, à tous moments, des questions se posaient auxquelles il était impossible de répondre. L'ombre s'accumulait.

      Dorothée n'était pas peureuse. Durant la guerre, dans les ambulances, en première ligne, elle s'était habituée plus vite que bien des hommes à l'éclatement des obus, et elle ne tremblait pas aux heures de bombardement. Mais, si maîtresse qu'elle fût de ses nerfs, elle subissait, par contre, plus qu'un homme d'un courage moindre, l'influence de tout ce qui est inconnu, de tout ce qui ne se voit et ne s'entend pas. Son extrême sensibilité lui donnait le sens précis du danger. Et le danger, à cette minute-là, elle en eut l'impression profonde.

      Elle continua cependant. Une force invincible la poussait à marcher jusqu'à ce qu'elle retrouvât ses amis et que Montfaucon fût délivré. Elle gagna le carrefour du vieux chêne isolé, et monta vers le tertre où s'élevait la tour Cocquesin.

      De plus en plus, la solitude et le silence la troublaient. Silence profond. Solitude si anormale que Dorothée en arrivait à ne plus se croire seule. On l'épiait. Des gens suivaient sa marche. Il lui semblait qu'elle était exposée à toutes les menaces, que des canons de fusils étaient braqués sur elle, et qu'elle allait tomber dans le piège que son ennemi avait préparé.

      L'impression était assez forte pour que Dorothée, qui connaissait sa nature et la justesse de ses pressentiments, l'admît comme une certitude reposant sur des preuves exactes. Elle savait même où l'embûche était dressée. On avait deviné que son instinct, que ses réflexions, que toutes les circonstances du drame la ramèneraient vers la tour, et on l'y attendait.

      Elle demeura immobile. Elle ne doutait point maintenant que maître Delarue n'eût été pris et que, cédant aux menaces, il n'eût révélé que la seconde enveloppe était entre ses mains, à elle, cette seconde enveloppe sans laquelle les diamants du marquis de Beaugreval ne seraient jamais découverts.

      Il s'écoula une ou deux minutes. Pas un seul indice ne lui permettait de croire à la présence des ennemis qu'elle imaginait. Mais la logique même des événements exigeait qu'ils fussent là. Il fallait donc agir comme s'ils étaient là.

      Par un de ces mouvements imperceptibles qui ne semblent pas avoir de but, sans que rien dans son attitude laissât soupçonner aux ennemis invisibles qu'elle accomplissait un acte précis, elle parvint à ouvrir sa bourse et à saisir l'enveloppe. Elle la froissa dans sa main et la réduisit en une boulette menue.

      Puis, tenant son bras allongé contre sa jupe, elle avança de quelques pas sous la voûte.

      Derrière elle, brutalement, avec un grand fracas, quelque chose s'abattit. C'était la vieille herse féodale qui tombait d'en haut, dégringolait entre les rainures, et fermait l'issue de son lourd treillis aux mailles de bois massif.




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