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Vie du cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen – T. 1

Mgr Besson
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CHAPITRE PREMIER
(1/3)

Le manoir de la Boulaye et la terre patrimoniale des Bonnechose. – Origine et ancienneté de la famille. – Ses armes. Ses premiers degrés connus. – Services militaires. – Le père et la mère du cardinal. – Leur mariage. – Leurs enfants. – Séjour en Hollande. – Retour en France. – Premières études à Paris et à Rouen. – Impressions et souvenirs du cardinal. – Ses notes sur la Hollande et sur le manoir de la Boulaye.


      Au centre de la Normandie, sur un large plateau qui s'étend de la vallée de la Charentonne à la vallée d'Orbec, s'élève, entre des arbres qui le cachent à demi, le vieux manoir de la Boulaye, habité depuis cinq siècles par les ancêtres du cardinal de Bonnechose. Ce domaine, situé près de l'ancien bourg de Chambrais, aujourd'hui Broglie, dépend de la paroisse de Grandcamp. De construction ancienne, mais d'apparence modeste, l'habitation demeure, malgré les restaurations modernes qui en ont un peu modifié l'aspect, un des types les mieux caractérisés du manoir normand.

      C'était, dans l'origine, un simple bâtiment, d'une façade longue, avec un rez-de-chaussée et un seul étage, dont le grand toit, couvert de tuiles, était percé de fenêtres en mansardes. L'énorme cheminée en pierre qui règne au milieu laisse aisément deviner un de ces larges foyers de famille où venaient s'asseoir, après les travaux de la journée, parents, amis et serviteurs. En bas, la salle à manger et la cuisine, séparées du salon par un vestibule. La salle à manger est garnie de hauts lambris de bois noircis par le temps, et des solives en chêne, appuyées sur une poutre centrale, supportent le plafond. Le luxe moderne a peu envahi le salon, ce petit coin privilégié du manoir. Les meubles y sont simples, mais non dépourvus de goût et d'ornements.

      Au côté opposé s'élève un large pavillon carré, de construction moderne. Ses murs sont faits d'un gracieux assemblage de briques rouges et de pierres blanches. Les fenêtres sont coupées de solides meneaux ; une tourelle au toit aigu flanque un des angles, et la haute couverture d'ardoises qui la surmonte rappelle les formes du XVIIème siècle. Un lierre gigantesque a depuis des années envahi la façade et contourné la tourelle. Au delà, le chemin, passant entre une pièce d'eau et la chaumière du garde, sur laquelle s'ébat une volée de pigeons, conduit dans une vaste prairie parsemée de grands chênes et close par une futaie. Non loin est située la maison de ferme, du même âge et du même style que l'ancien manoir.

      Tel est le paysage de la Boulaye, avec son aspect champêtre, plein de grâce et de charme. Devant la maison, des fleurs, des buis taillés, des pelouses découpées en forme symétrique, d'où la vue s'étend sur la campagne, entre des haies vives et de jeunes plantations. Là vivent encore les derniers arbres plusieurs fois séculaires qui faisaient le plus bel ornement du domaine. Aussi, de quels soins pieux sont-ils entourés ! On soutient leurs branches, on cultive leurs troncs vieillis, on n'épargne rien pour conserver le plus longtemps possible ces nobles débris, les plus vieux amis de la famille, auprès desquels on vient redire ou entendre les récits d'autrefois.

      Derrière, de grands tilleuls au feuillage touffu dominent l'habitation et forment autour d'elle comme un immense berceau de verdure. Sous leurs branches qui retombent jusqu'à terre, apparaît la chapelle, édifice modeste et tout champêtre, que des mains industrieuses ont tapissé sur toutes ses parois d'écorce d'arbre, de pommes de pin, de branchages et de plantes grimpantes. La plaine qui s'étend au delà est semée des hameaux qui forment la paroisse de Grandcamp, et on aperçoit, au bout de l'horizon, au milieu des arbres, l'église du village, dont la voûte porte encore les traces du vieux blason des Bonnechose : D'argent à trois têtes d'homme arrachées, de sable, vues de face, et pour devise : Fide ac virtute (1).

      L'origine de cet écusson, celle du nom et même le berceau de la famille, ont été discutés par les généalogistes. Il paraît cependant peu douteux que les Bonnechose descendent des Bonnescoz, qui ont occupé une place importante dans l'histoire de la Normandie jusqu'à Philippe-Auguste (2).Quoi qu'il en soit, à partir du XIIIème siècle, on peut suivre, de degré en degré, la suite de cette vieille race normande (3), et constater la présence de ses représentants dans toutes les affaires de leur province. Au milieu des guerres où les vassaux normands se trouvèrent partagés entre leurs nouveaux seigneurs, les rois de France, et leurs anciens ducs, les rois d'Angleterre, on voit les Bonnechose demeurer fidèles à la France. Cependant Jean Bonnechose avait embrassé la cause de Charles le Mauvais, roi de Navarre et comte d'Evreux ; mais Charles V lui donna des lettres de grâce en 1378, en constatant que, sur la réquisition de l'amiral Jean de Vienne, qui assiégeait Pont-Audemer, Jehan Bonnechose, « mû de bonne amour loyale », avait prêté et tenu le serment de demeurer dorénavant sous la bannière du roi de France (4).

      En 1598, Guillaume de Bonnechose, chef d'une des nombreuses branches de cette famille, avait épousé Marguerite de Monnay, dernière héritière du nom, qui lui apporta en dot le fief de la Boulaye. Cette possession acheva d'accroître l'influence des Bonnechose dans la contrée, et Guillaume fut élu député de la noblesse d'Orbec aux célèbres états généraux de la Normandie, réunis à Rouen, en 1606, par Henri IV.

      Après lui, dans l'austère et noble simplicité de la vie provinciale au XVIIème siècle, se succédèrent plusieurs générations, les hommes, tous soldats ou prêtres, les femmes, religieuses ou mariées à des gentilshommes du voisinage.

      Louis-Gaston de Bonnechose, seigneur de la Boulaye, après avoir servi dans les gardes du corps, épousa, en 1740, Catherine d'Escorches de Sainte-Croix. On vantait l'esprit et le courage de l'un, le jugement exquis et la rare piété de l'autre. Ils eurent quatre enfants, trois fils et une fille. L'aîné de ses fils fut blessé à Rosbach et mourut à Tirlemont, en 1758. Le second remplaça son frère comme lieutenant au régiment de Poitou. Devenu l'ainé de la famille, il recueillit la terre de la Boulaye et vint l'habiter. Leur sœur, Marguerite-Charlotte de Bonnechose, épousa, le 25 octobre 1762, Thomas Boyssel, baron de Monville, conseiller au parlement de Paris.

      Louis-Gaston, chevalier de Bonnechose, était le cadet de la famille : ce fut le père du cardinal. Né le 25 août 1759, il perdit sa mère de bonne heure ; mais son frère et sa sœur, qui avaient quinze ans de plus que lui, prirent soin de son éducation et l'adoptèrent comme leur enfant. A l'âge de douze ans, on le mit, sur sa demande, au pensionnat de Saint-Yon, à Rouen, tenu par les disciples du vénérable la Salle. C'était une des maisons d'éducation les plus renommées du royaume, et on y envoyait les enfants qui se destinaient au métier des armes aussi bien que ceux qu'on voulait former aux travaux des champs. Le régime en était sévère, mais on s'y plaisait. « Non seulement, dit le chevalier dans les notes de sa vie, je n'y éprouvai aucun dégoût, mais le temps me parut s'y écouler avec une rapidité extrême, et ce fut avec un profond regret que je la quittai pour aller aux Pages. Je demandai qu'on m'y ramenât si je n'obtenais pas la place qu'on m'avait promise à Versailles (5). » Le souvenir de cette éducation s'est transmis du père au fils avec une vive reconnaissance, et l'archevêque de Rouen, en prenant sous sa protection les écoles chrétiennes, aimait à déclarer qu'il ne faisait qu'acquitter une dette de piété filiale.

      Le chevalier de Bonnechose continue ainsi ses notes manuscrites : « Mon frère m'ayant obtenu une place de page à la petite écurie du roi, j'y entrai vers la fin du règne de Louis XV. J'avais à peine quatorze ans. J'eus cependant le bonheur d'apprécier cette cour si dépravée, étant vivement frappé du mépris qu'inspiraient le vieux monarque ainsi que ceux qui flattaient ses passions. L'infortuné Louis XVI monta sur le trône quelques mois après. Il se hâta d'appeler auprès de lui tout ce qu'il connaissait d'honnêtes gens. Un homme recommandable à beaucoup d'égards fut mis à notre tête. C'était un courtisan aimable, plein de délicatesse et d'honneur, d'une politesse achevée, gracieux dans sa personne et dans toutes ses manières. C'était le duc de Coigny, qui fut fait alors premier écuyer du roi. Je lui dus l'obligation d'être fait premier page.

      Cette année de premier page fut pour moi celle d'un véritable enchantement. Je servais un jeune roi, aimant, doux et bon, qui me traitait avec une grande familiarité. J'éprouvais les mêmes bontés de la part de la reine, et, par suite, je fus accueilli avec bienveillance par toute la cour. En sortant des Pages, j'entrai dans le régiment du duc de Coigny, en qualité de capitaine. J'avais dix-neuf ans. Je fus accueilli de la manière la plus favorable. Mes camarades étaient tous mes amis, les plus estimables étaient mes intimes. A tant de bonheur il ne manquait qu'un peu de fortune. J'avais une pension de 400 fr. sur la cassette du roi, et mon père me donnait ce qu'il pouvait. Mais ayant jeunesse, santé, bonne réputation, des amis sûrs, des protecteurs bienveillants, pouvais-je me plaindre ? J'avais la sagesse de penser que le défaut d'argent me préserverait de bien des écarts, m'obligerait à l'ordre et à l'économie, et que l'heureuse nécessité où je me trouvais de faire moi-même ma fortune m'imposerait l'obligation de mettre à profit toutes les circonstances qui pourraient m'y conduire. Je disais de temps en temps : Avec l'habitude de la pauvreté, je conserverai ma bonne conscience et je ne rougirai jamais devant personne. C'est un malheur d'être riche et jeune tout à la fois. Ce sentiment me fit répondre un jour à un de mes camarades qui semblait s'impatienter de ce que son père gardait trop longtemps son bien : « Eh ! Monsieur, comptez-vous pour rien le bonheur d'être jeune ? »

      Tel fut le sort du chevalier de Bonnechose jusqu'à trente ans. Il en remercie la Providence ; mais quand la révolution éclate, les devoirs qu'elle lui crée ne l'effraient pas, et il continue à reconnaître que Dieu ne l'a pas oublié dans la distribution de ses bienfaits. L'émigration était devenue une mode. « Cette mode, dit-il, alla jusqu'à la folie. » Il pensa que le meilleur moyen de servir son roi était de rester à son poste, ne fût-ce que par l'espoir de prévenir quelqu'un de ces malheurs que chaque jour voyait éclore. L'occasion s'en présenta bientôt. Il se trouvait à Sedan, un jour que deux régiments qui y tenaient garnison en vinrent aux mains. « Je me précipitai, dit-il, au milieu de la mêlée pour les séparer, et j'en vins à bout. Blessé d'un coup de sabre dans la poitrine, on m'emporta tout sanglant ; mais cette blessure me causa plus de satisfaction que de douleur. En voyant couler mon sang, les deux régiments s'arrêtèrent, leur fureur se calma, et les plus animés parurent pénétrés d'un vrai repentir. Les agresseurs m'envoyèrent une députation de grenadiers pour me témoigner leurs vifs regrets et me donner l'assurance qu'à partir de ce jour toute querelle cesserait dans la place. Ils tinrent parole, et la satisfaction que j'éprouvais d'avoir sauvé la vie de plusieurs hommes accéléra ma guérison. »

      L'abolition des privilèges ne changea point les sentiments du chevalier de Bonnechose. Il écrit dans ses notes : « Je ne me tiens point pour blessé de ce que mes concitoyens, dans leurs égarements, aient aboli la noblesse. Noblesse ou non, il n'en faut pas moins penser généreusement et noblement, et tant que j'aurai l'espoir d'être utile à mon pays, je resterai où le sort m'a placé : c'est la meilleure manière d'être utile à mon roi. Louis XVI avait trop de sagesse et de jugement pour ne pas prévoir les fâcheux résultats de l'émigration. Aussi, je n'eus aucun doute sur sa parfaite sincérité, quand il adressa à tous nos régiments une véritable supplication de rester à leur poste, et de repousser toute proposition d'émigrer, fût-elle faite même de la part de ses frères. »

      Cet acte de sagesse fit souhaiter au gentilhomme normand de se dévouer plus particulièrement encore à la personne de Louis XVI. Il sollicita l'honneur d'entrer dans sa garde : cette démarche demeura sans résultat, mais il fut nommé, en décembre 1790, lieutenant-colonel de son régiment. Les quinze mois qu'il passa dans ce grade furent employés à prévenir les séditions militaires, en éloignant de ses soldats tout ce qui pouvait les séduire comme tout ce qui pouvait les blesser, et en exerçant sur eux une sollicitude toute paternelle. Il voyait tous les jours ses dragons et il espéra un moment que leur fidélité ne se démentirait pas. Mais les événements de 1792 achevèrent de monter les têtes, et il arriva un jour où le chevalier de Bonnechose crut ne pouvoir échapper au massacre prémédité des officiers de son régiment qu'en passant la frontière. Son départ fut un deuil pour le régiment, et le secret en fut gardé pendant huit mois, tant il était aimé. On lui envoya ensuite un congé, à l'aide duquel il aurait pu reparaître et reprendre sa place. Il eut le bonheur de ne pas faire usage de cette facilité, car des deux officiers supérieurs qui restaient à leur corps, l'un fut réduit à s'enfuir avec Dumouriez, l'autre mourut sur l'échafaud.

      Cette notice que le chevalier de Bonnechose a écrite sur sa vie est précédée de ces mots : « Dans l'examen de la conduite de la Providence à mon égard, je ne trouve que des actions de grâces à lui rendre. » Ses sentiments politiques se font assez connaître. Ami de Lally-Tollendal, de Mounier, de Malouet, de la Fayette, après avoir lutté contre l'émigration, il en devint la victime ; mais son esprit demeura le même, et il fut jusqu'à sa mort dévoué à la monarchie française et aux libertés constitutionnelles.


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(1)  C'est ainsi qu'il était représenté dans le vitrage d'une des chapelles des Quinze-Vingts, à Paris, et dans l'église du mont Saint-Michel. (Dictionnaire de la noblesse, in-4°, Paris, 1771, t. II, p. 636.)

(2)  Dumoulin, Histoire de la Normandie, éd. de 1631.

(3)  Voici les plus anciens :
      I. Jean Bonnechose, écuyer, vivait en 1294, avec sa femme Jeanne de Boishelain, d'une maison de chevalerie du Rouennais.
      II. Rogier Bonnechose, qui mourut vers 1365, avait épousé Jeanne de Mironnel.
      III. Colin Bonnechose épouse Jeanne de Gizay, dame d'Hienville, vers 1391.

(4)  Manuscrit 5424 de la Bibliothèque nationale.

(5)  Notes manuscrites du chevalier de Bonnechose.




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