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Vie du cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen – T. 1

Mgr Besson
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CHAPITRE VI
(2/5)

Caractère de l'école de . – Ses erreurs. – Ses dissentiments avec l'évêque. – M. Bautain et ses disciples sortent du petit séminaire de Saint-Louis. – Fondation d'une école libre. – Ministère de M. l'abbé de Bonnechose. – Il publie les leçons de philosophie de son maître. – Mort de Mlle Humann. – Epreuves et consolations de M. l'abbé de Bonnechose. – Il forme l'abbé de Reinach. – Il convertit plusieurs protestants. – Son voyage à Rome avec l'abbé Bautain. – Lettres et impressions de voyage de M. de Bonnechose. – Examen de la doctrine de . – Accueil très bienveillant de Grégoire XVI. – Jugement du pape. – Soumission de l'abbé Bautain et de ses disciples. – Retour à . – Mgr Affre et Mgr Ræss, coadjuteurs de Mgr Lepappe de Trévern. – L'évêque rend ses bonnes grâces à M. Bautain et à ses disciples.


1834-1840

      On lit encore dans ces pages intimes : « Hier 22 juin 1836, notre mère m'a promis, devant Dieu, qu'après sa mort, si je lui survis, elle continuera de m'avertir de ce qui est nécessaire pour marcher fidèlement dans notre voie véritable, pourvu que Dieu le lui permette et que, de mon côté, je demeure capable de recevoir cet avertissement.

      Mon Dieu Seigneur, accordez-moi cette grâce, pour que je vous sois fidèle!... »

      M. de Bonnechose raconte ainsi la mort de Mlle Humann :

      « Aujourd'hui, 19 septembre 1836, à sept heures du matin, notre mère a rendu l'esprit.

      Le frère était auprès d'elle : avant d'expirer elle lui a fait poser la main sur son cœur. En lui donnant sa bénédiction elle lui a dit : « Comme je l'ai reçu et autant que l'ai reçu, je te transmets tout ce que m'a transmis l'évêque de Mayence. »

      La dernière parole qu'elle lui ait donnée pour nous est celle-ci : « Aimez-vous les uns les autres. »

      La veille elle a dicté celles-ci : « Croire est le procédé de toute assimilation et de toute cristallisation. C'est à tous les degrés le premier acte de la vie. Il y a beaucoup de vérité dans ces paroles. »

      Avant-hier au soir, m'étant approché de son lit, elle m'a imposé ses deux mains sur la tête et m'a béni en disant de sa voix déjà bien affaiblie : « Mon Dieu, exaucez-moi dans ce que je vous demande pour lui. »

      La vénérable Mlle Humann mourut pleine de vertus, de science et de bonnes œuvres. Elle avait été l'instrument dont Dieu s'était servi pour convertir l'abbé Bautain ; mais aussi c'était elle qui, involontairement, l'avait égaré en l'engageant dans une lutte philosophique et théologique avec son évêque. A part la question spéculative. M. Bautain perdit en elle un guide qu'aucun autre depuis ne suppléa. Il s'imagina que sa bienfaitrice avait une mission surnaturelle, et qu'à son décès il en devenait l'héritier. Il se sentit dès lors destiné à fonder quelque grande œuvre au moyen de notre concours. Il est certain que notre réunion avait un caractère particulier qui paraissait providentiel.

      Le lien secret qui nous tenait unis était notre vénération, notre admiration et notre affection pour cette dame pieuse et sainte. Elle nous avait déterminés à signer une sorte de promesse de travailler ensemble à la gloire de Dieu. Après sa mort, le lien du cœur, le lien de la confiance se relâcha. Néanmoins, comme je ne pouvais croire que notre petite société se fût formée sans un dessein secret de Dieu, je pensais qu'il fallait la maintenir et y persévérer jusqu'à ce que ce dessein nous devint manifeste ; le fait est qu'aucun de nous ne voyait clair devant soi. Tous nous désirions avec la plus complète sincérité faire la volonté de Dieu ; mais, pour le moment, nous ne la voyions pas ailleurs que dans notre union, dans la patience, l'obscurité, l'abnégation et une vie laborieuse et studieuse.

      Cette période de troubles et de disgrâces ne fut pas cependant sans consolation pour l'abbé de Bonnechose ni sans fruit pour son ministère. Il se consola des ennuis du dehors par la liaison intime qu'il contracta avec Adrien de Reinach, les leçons qu'il lui donna et les soins qu'il rendit à sa mère. C'était le dernier venu de l'école. Né en 1804, il appartenait à une des anciennes et des plus nobles maisons de l'Alsace, et il avait le titre de chevalier de Malte. Sa haute contenance révélait son origine, il avait de la vivacité et du trait dans l'esprit, mais son cœur était plus distingué encore. Ses études de droit terminées, il se demandait ce qu'il ferait de ses trente ans et des sentiments chrétiens dont son âme était remplie. L'épreuve que subissait l'école de l'abbé Bautain tenta sa générosité au lieu de lui inspirer de la défiance. Il demanda comme une grâce d'y être admis pour partager la vie et les travaux des frères. Son entrée dans la maison fut pour l'abbé de Bonnechose une bonne fortune. La naissance les rapprochait ; la grandeur d'âme les tint étroitement unis. Adrien de Reinach n'avait pas fait des classes régulières et son instruction classique laissait à désirer. Il s'en ouvrit à l'abbé de Bonnechose, se mit à son école et apprit de lui l'art d'enseigner les autres. Mme la baronne de Reinach se montra très reconnaissante envers l'ami et le protecteur de son fils. Elle le fit appeler à ses derniers moments et reçut de sa main les sacrements de l'Eglise. En mourant elle lui légua Adrien, et obtint la promesse qu'il ne cesserait pas de veiller sur lui. Depuis lors, dit M. de Bonnechose, je l'ai aimé et chéri comme un frère et comme un fils tant qu'il a vécu.

      Ce fut aussi l'époque de ses premières conquêtes apostoliques. Il les a racontées lui-même en toute simplicité dans la page suivante :

      « Le colonel Poirot vint un jour me prier d'instruire son fils Ferdinand dans la religion catholique et de le préparer à sa première communion. Mme Poirot et sa fille Clémentine étaient protestantes. Cependant, après quelques visites que je lui fis, Mme Poirot me demanda d'instruire à la fois sa fille et son fils, et assista à toutes les conférences. A la fin, j'eus le bonheur de l'entendre se déclarer catholique. Elle fit son abjuration, et le père, la mère et les deux enfants n'eurent plus qu'une même foi et furent réunis dans le sein de l'Eglise. Bientôt Clémentine fut atteinte d'une maladie terrible qui la privait de sommeil, de nourriture, de parole, et lui imprimait des mouvements convulsifs. La pauvre mère la veillait nuit et jour ; tous les remèdes de l'art furent employés ; on la transporta à Obernay, puis au delà du Rhin ; on fit neuvaine sur neuvaine, tout fut inutile ; la maladie dura au moins trois ans, la mère et la fille y déployèrent une inaltérable et angélique patience ; enfin l'heure de la délivrance sonna. Le 08 octobre 1839, l'âme de Clémentine s'envola vers Dieu, et la mère affligée, désolée, mais toujours résignée, toujours soumise à Dieu, le bénissant toujours, est demeurée depuis dix-huit ans sur la terre, se partageant entre l'espérance de la vie future, la reconnaissance des bienfaits de Dieu, la prière et le soin des pauvres. Je suis allé cette année (1857) à , exprès pour la revoir. Quinze ans s'étaient écoulés depuis notre dernière entrevue. Je l'ai trouvée vivant modestement dans une petite maison de campagne à la Robertson, avec son vieil époux et sa pauvre sœur encore protestante. Elle est infirme de corps et ne peut plus sortir pour aller aux offices ; c'est pour elle une immense privation, mais la paix du ciel, la joie qui vient de Dieu, ne cessent d'habiter son cœur.

      On voit comment l'abbé de Bonnechose profitait des relations que lui donnait l'éducation des enfants pour exercer sur les parents une heureuse influence et les ramener de l'incrédulité, du protestantisme ou du judaïsme. Ses confrères avaient le même succès. M. l'abbé Lewel convertit un avocat israélite et toute sa famille. M. Bautain conduisit à Nancy M. Théodore de Bussière, pour lui faire faire son abjuration entre les mains du coadjuteur. Mais l'une de leurs plus belles œuvres est l'institution libre dont ils dotèrent .

      Congédiés du petit séminaire, M. Bautain et ses amis avaient fondé un pensionnat qui prit le titre d'institution de la Toussaint, du nom de la rue où il fut établi, et non loin de là, dans la rue des Juifs, une grande école primaire qui était comme la succursale et la pépinière du pensionnat. L'abbé Carl fut le directeur du pensionnat, l'abbé de Régny, celui de l'école primaire. L'abbé de Ratisbonne, l'abbé Mertian, l'abbé de Reinach, s'étaient partagé dans cette école les soins de l'enseignement classique ; l'abbé de Bonnechose, dont la santé affaiblie ne pouvait plus supporter les fatigues d'une classe, demeura chargé de l'enseignement religieux et de la surveillance générale des deux établissements, sous le titre de censeur.

      Dans les deux maisons on suivait une méthode commune, fondée sur la logique aussi bien que sur la connaissance de l'enfance et de la jeunesse. Partant de ce principe, appliqué en Lombardie par l'abbé Aporti, l'abbé de Régny préparait ses élèves à l'étude des lettres, des arts et des sciences, en réduisant dans un questionnaire les notions essentielles de grammaire, d'arithmétique, d'histoire, de géographie, de géométrie et de musique propres à développer dans les enfants la force et la justesse de leur raison. L'instruction secondaire, divisée en six années, ne différait pas beaucoup du cours ordinaire des études classiques. Le latin, le grec, le français et l'allemand en étaient le fond ; les sciences en demeurèrent l'accessoire ; la poésie, l'éloquence, la philosophie, en devinrent le couronnement ; mais pour former les jeunes gens à l'art de penser, de parler et d'écrire, on leur faisait connaître les plus beaux ouvrages de toutes les littératures, et surtout de celles d'Athènes et de Rome, éternels modèles de la nôtre, dont elles sont la source.

      L'unité de ces études résultait de l'esprit commun qui les vivifiait toutes, et qui émanait lui-même de la profondeur d'une philosophie supérieure et toute chrétienne. Ainsi, disait l'abbé Carl dans un discours de distribution de prix, les maîtres conçoivent le plan d'une éducation complète ; les élèves, incapables de relier ensemble les parties qui composent le plan, sont surtout sensibles aux qualités des maîtres, à leur dévouement, à leurs soins. Pour eux, la méthode, c'est le maître. Il est curieux de voir comment les élèves de la Toussaint ont apprécié M. de Bonnechose et ses amis.

      « L'école primaire tenue par l'abbé de Régny comptait plus de cent vingt enfants, qui appartenaient presque tous à des familles riches et influentes de . On citait parmi nos camarades des israélites et des protestants en petit nombre, il est vrai, mais à qui nos maîtres témoignaient beaucoup d'égards. L'abbé de Régny était adoré de ses élèves. L'abbé de Ratisbonne nous charmait par ses paraboles. Je me rappelle aussi un bon Alsacien, l'abbé Mertian, dont le zèle était un peu rude. On respectait et on aimait également M. l'abbé de Bonnechose ; c'était un beau prêtre aux cheveux blonds, très soigné de sa personne et d'une grande distinction. Sa douceur était relevée par une certaine coquetterie ; mais ses manières aimables nous plaisaient beaucoup et nous cherchions à les imiter. Il avait inventé, je me le rappelle très bien, une récompense particulière pour les petits garçons dont il était content. Il leur donnait une fleur, et il appelait cela un éloge. Nous rapportions fièrement notre éloge à la maison, non sans y mêler celui du maître. Nous étions très heureux. On s'attachait surtout à faire de nous de gentils petits garçons, pas sauvages, mais doux, polis, bien élevés, sachant saluer, se présenter, se retirer à propos. Quelle différence avec ce ramassis de petits barbares qui peuplent aujourd'hui nos écoles sans Dieu ! Nous étions pieux, mais sans exagération ni pratiques puériles. Je me souviens aussi que nos chers abbés n'avaient pas le droit de nous entendre à confesse. Ils étaient dans ce moment-là, 1837-1839, sous le coup d'un interdit provoqué par la philosophie de M. l'abbé Bautain. De temps en temps M. Bautain venait à la rue des Juifs ; c'était surtout le samedi. Il présidait à la distribution des bonnes notes et des marques d'honneur. Sa parole était pleine d'autorité et de charme (67). »

      Ainsi s'écoulèrent, pour l'abbé de Bonnechose, ces quatre années de trouble et d'épreuve tempérés par des consolations dont il remerciait Dieu avec une vive reconnaissance. Mais l'évêque de avait déféré à la congrégation de l'Index la Philosophie du christianisme. Cette dénonciation, au lieu de perdre M. Bautain et ses disciples, fut justement ce qui les sauva en leur ouvrant les yeux. L'abbé Lacordaire fut l'instrument de la Providence dans cette affaire. Il prêchait l'avent à Metz lorsqu'il apprit qu'on sollicitait à Rome la condamnation du livre. N'écoutant que son amitié, il accourt à dans l'intervalle de deux sermons, passe deux jours dans la communauté, montre le péril et presse ses amis de partir sans délai pour Rome. Là, disait-il, ils se feront connaître ; on appréciera leur sacrifice, leurs opinions seront examinées, et quand ils se seront soumis, leur soumission ne fera l'objet d'aucun doute. Ce conseil fut suivi. Il fut résolu que l'abbé Bautain et l'abbé de Bonnechose feraient le voyage de Rome.

      L'abbé de Bonnechose partit le premier ; son maître le rejoignit à Lyon ; ils s'embarquèrent à , essuyèrent en mer une affreuse tempête et arrivèrent, le 25 février 1838, au terme de leur pèlerinage. Leur séjour à Rome dura près de trois mois. Ils écrivaient plusieurs fois la semaine à leurs frères de , leur racontant les impressions que leur piété éprouvait dans la visite des sanctuaires, l'accueil que leur faisaient les principaux personnages, les sages lenteurs que l'on mettait à examiner leur affaire, la joie qu'ils éprouvèrent à se soumettre, et les paternelles bontés dont le pape Grégoire XVI leur prodigua les marques.

      La correspondance et les mémoires de l'abbé de Bonnechose offrent sur ce sujet des pages pleines d'intérêt. Sa première lettre est datée de Lyon :

« Lyon, 16 février 1838.

      J'ai déposé mes effets à l'hôtel de l'Europe, et je suis allé à la cathédrale rendre grâces et demander de nouvelles bénédictions. Tandis que j'étais à genoux dans le coin d'une chapelle, un prêtre vient y dire la messe, et l'enfant de choeur, me reconnaissant sans doute une tournure de séminariste, s'adresse à moi pour la servir. Manteau, castorine, socques, saleté du voyage, tout cela formait obstacle, et je refusai. De la cathédrale j'allai dans le faubourg faire un petit pèlerinage à l'église de Saint-Paul, où, il y a quatre siècles, Gerson, revenu du concile de Constance, instruisait les petits enfants, leur faisait le catéchisme, puis priait avec eux, en leur disant : « Priez pour le pauvre Gerson. » Tout plein de ce pieux souvenir, je suis entré dans cette petite église avec un recueillement religieux ; et comme je crois Gerson bienheureux dans le ciel, je l'ai prié, au nom de toutes ces jeunes âmes qui forment maintenant sa couronne, de venir à notre aide, de nous obtenir d'aimer Dieu comme il l'aimait, et, dans les circonstances graves et solennelles où nous sommes, de nous obtenir que l'Esprit-Saint parle par la bouche du successeur de saint Pierre. J'ai prié pour vous tous, pour toutes nos soeurs et pour toutes les âmes que Dieu voudra appeler par notre ministère. La devise de Gerson était Sursum corda, telle doit être aussi la nôtre. »


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(67)  Lettre du général Laveuve.




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