Pierre Commelin Dans certaines îles de la
Grèce, le culte des divinités archaïques, antérieures
à la
religion nationale, s'était perpétué
et maintenu, pendant de longs siècles, à côté
du culte pour ainsi dire officiel. Jusqu'à la conquête
de la Grèce, et même jusqu'aux derniers
jours de la République
romaine, ces divinités préhistoriques avaient encore,
sinon des ministres, du moins un certain nombre de fidèles adorateurs.
L'
initiation aux mystères de ces divinités,
les plus anciennes du monde mythologique, était une faveur toujours
recherchée. La suprématie des
dieux de l'
Olympe n'avait
altéré ni le souvenir de ces puissances mystérieuses
ni le sentiment de leur grandeur.
Dans cette classe, on doit ranger les
Cabires de
Samothrace, les Telchines de
Rhodes, les
Dactyles, les
Curètes,
les
Corybantes de
Crète. Il est bien difficile,
sinon impossible,
de donner des détails précis sur l'origine, le caractère
et le culte de ces
dieux. Les auteurs ne sont pas d'accord entre eux
sur tous ces points. Du reste, les
initiés aux mystères
étant astreints à garder un silence absolu sur leurs croyances
et leurs pratiques
religieuses, on conçoit qu'il ne s'est commis
que de rares indiscrétions. Dans l'antiquité même,
on en était réduit sur ce sujet à de simples conjectures.
Les
Cabires étaient fils de
Vulcain : c'était
là l'opinion la plus générale, bien que quelques
auteurs les disent fils de Jupiter ou de
Proserpine. Ils exploitaient
les mines de fer, et en particulier celles de
Samothrace, mais travaillaient
tous les métaux. Peut-être leur culte était-il venu
d'Egypte, puisque, à Memphis, ils avaient un temple ; cependant,
on le fait venir plutôt de
Phrygie. En
Samothrace, ils établirent
ces mystères fameux dont la connaissance était l'objet
des vux de quiconque s'était distingué par son courage
et ses vertus.
Cadmus, Orphée,
Hercule,
Castor,
Pollux,
Ulysse,
Agamemnon,
Enée, si l'on en croit la
fable, s'y firent
initier
; du moins, dans les temps historiques, Philippe, père d'Alexandre,
aspira et parvint à l'honneur de cette
initiation.
Les
Pélasges, à l'époque de
leur migration en Grèce, apportèrent ces fêtes mystérieuses
à Athènes. Lycus, sorti de cette dernière ville,
et devenu plus tard roi de Messénie, les établit à
Thèbes ; ses successeurs les firent célébrer dans
leurs Etats.
Enée fit connaître à l'Italie
le culte des
Cabires ; Albe le reçut, et Rome éleva dans
le Cirque trois autels à ces
dieux qu'on invoquait dans les infortunes
domestiques, dans les tempêtes et surtout dans les funérailles,
sans jamais les désigner par leur propre nom. On les appelait
seulement d'un terme général : "
Dieux puissants"
ou "
Dieux associés". Quelques auteurs ont prétendu,
mais sans preuve, que c'étaient
Pluton,
Proserpine et
Mercure,
divinités infernales ou présidant à la mort. Le
culte des
Cabires étant bien antérieur à celui
de ces
dieux, on ne doit retenir de cette supposition que le caractère
funèbre de ces puissances mystérieuses et divines. Dans
les
initiations, le postulant était soumis à des épreuves
effrayantes mais non dangereuses ; puis on le revêtait d'habits
magnifiques, on le faisait asseoir sur un trône éclairé
de mille lumières ; on lui mettait sur le front une
couronne
d'olivier, une ceinture de pourpre autour des reins, et les autres
initiés
exécutaient des danses
symboliques sous ses yeux.
D'autres auteurs ont prétendu que les
Cabires,
à l'origine, n'étaient que d'habiles magiciens qui se
chargeaient d'
expier les crimes des hommes au moyen de certaines formalités
ou cérémonies. Ils voyaient venir à eux les grands
coupables, et les renvoyaient absous et rassurés. Ces
Cabires
morts, on en aurait fait des
dieux, et leurs cérémonies
d'
expiation seraient devenues le fond de leurs mystères.
Sur une médaille de Trajan, un
dieu Cabire
est représenté : il a la tête couverte d'un bonnet
qui se termine en pointe ; d'une main, il tient une branche de cyprès,
et de l'autre une
équerre. Il porte un manteau déployé
sur ses épaules, et il est chaussé du cothurne.
A Thèbes, à Lemnos, et surtout à
Samothrace, les Cabiries, ou fêtes solennelles en l'honneur des
Cabires, se célébraient la nuit.
Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, p. 201-203.