Ce n'est probablement pas un hasard si aujourd'hui,
et depuis une dizaine d'années, environ, les recherches sur
le Catharisme ont pris un regain d'actualité, tout en s'orientant
dans une direction nouvelle. Ce n'est pas un hasard non plus si
en ce moment, de nombreux regards se tournent, à travers
les siècles, vers l'épopée des Albigeois...
Déjà une première fois,
en 1872, la parution d'un livre fondamental, aujourd'hui presque
introuvable, l'
Histoire des Albigeois
par Napoléon
Peyrat, avait donné le signal. Certes,
le souvenir de la
croisade contre les "Hérétiques"
qui, au
Moyen âge, ravagea le Midi de la France ne s'était
jamais perdu dans les régions où elle s'était
déroulée. Le romantisme, comme le
mysticisme, pouvaient
y trouver de nombreux thèmes exaltants, car rien de grand
n'y manquait : le sang des
martyrs, les sacrifices jusqu'à
la mort, la coupe du Saint-Graal, les joyaux sacrés, l'
épée
de Parsifal, les apparitions d'Esclarmonde et de ses compagnes...
Mais le livre de
Peyrat venait remettre de l'ordre dans les idées,
apportait des précisions inconnues ou oubliées, rétablissait
des vérités. Ce fut le départ d'autres ouvrages
d'érudition, presque tous entrepris dans un
esprit de piété
et de réhabilitation. Des mouvements naquirent pour perpétuer
le souvenir des Purs.
A présent, seconde phase dans la compréhension
d'un passé mal connu encore, puisque l'
Eglise militante du
XIIIème siècle et l'
Inquisition se sont ingéniées
à brouiller le véritable visage de ce qu'elles nommaient
l'Hérésie, à en déformer le sens, à
camoufler ou à escamoter la pensée des vaincus.
Depuis une dizaine d'années donc, les
recherches sur le terrain, à
Montségur et aux alentours,
semblent avoir pris le pas sur les investigations proprement historiques.
On s'oriente dans un sens technique et scientifique et il faut s'attendre
sans doute à de nouvelles et prochaines révélations
sur le Catharisme albigeois.
Chose curieuse, une prophétie
languedocienne
et en
langue d'oc disait : «
Il faudra sept cents
ans pour que verdoie l'olivier des cendres des Martyrs. »
Or, la forteresse de
Montségur tomba en 1244 et, au pied de
ce dernier bastion de leur foi, périrent brûlés
vifs les Parfaits et leurs défenseurs qui y avaient troupé
refuge.
Et c'est presque sept cents ans plus tard, année pour année,
qu'on a commencé les fouilles sous le socle même de
la forteresse.
C'est à peu près de la même
époque que date l'engouement pas toujours très
souhaitable ni très éclairé malheureusement
! des touristes pour ce haut-lieu de notre passé.
Mais c'est aussi de nos
jours, exactement au
printemps 1960, que fut élevée au pied du roc, dans
le "prat des cramats", ou champ des brûlés,
la
croix du souvenir cathare. Au cours de la cérémonie
due à l'initiative de la
Société des Etudes
Cathares que préside M. Déodat Roché, on
put voir un vieux
prêtre catholique embrasser cette
croix
et tous ceux qui furent témoins de ce geste le ressentirent
comme un
symbole de réconciliation et de réhabilitation...
*
* * A l'extrémité sud de la France,
adossée aux
Pyrénées, la région de l'
Ariège
est une des plus belles et des plus pittoresques qui soient. C'est
le pays des cavernes, des antres et des grottes.
Son sous-sol, creusé
de part en part, frémit de l'étrange vie des pierres
et de l'
eau, renfermant des salles immenses au décor sculpté
par la nature, des voies et des rivières cachées...
On sait le rôle qu'ont joué les cavernes dans les
mythes
de toutes les
religions !
C'est en
Ariège, au
Mas-d'Azil, que furent découverts
les restes d'une civilisation préhistorique appelée
pour cette raison azilienne. Si, se dirent les explorateurs locaux,
nos pierres ont pu conserver et enfermer le souvenir d'une époque
aussi lointaine, à plus forte raison pourrions-nous, pour
peu que nous nous en donnions la peine, retrouver des vestiges
des temps, beaucoup plus proches du nôtre.
Ils avaient en
vue de faire un peu plus de
lumière sur l'Albigéisme. On savait que les derniers
Cathares, traqués par les
barons venus du Nord, commandés
par Simon de
Monfort, s'étaient réfugiés, après
que leur
religion ait tenu une grande partie du Midi, au pays d'
Olmes
et dans le
Razès nom qui soit dit en passant évoque
de curieuses réminiscences arabes comme ceux de Barbeira
et de Rabat, que l'on rencontre également dans ces parages...
Pour continuer à pratiquer leur culte, les Cathares (c'est-à-dire
les Purs) vivaient clandestinement soit dans des refuges aériens,
sur le sommet des
montagnes, soit dans des refuges souterrains.
Cathares comme eux, ou simplement sympathisants, les paysans d'alentour
se faisaient leurs complices contre le Pouvoir, le royal et l'
épiscopal,
et toute une résistance s'était certainement organisée
autour d'eux.
Il était impossible que ce mouvement
n'ait pas laissé des traces.
Seconde partie du raisonnement : c'est principalement du côté
de
Montségur qu'il fallait chercher ces traces.
Montségur a toujours été
un haut-lieu de la Spiritualité.
Lorsque, venant de
Montferrier, le promeneur
découvre soudain au détour du chemin le promontoire
aux formes grandioses, portant l'extraordinaire forteresse, il ne
peut manquer d'être frappé d'une sorte de "terreur
sacrée". De tous temps, les hommes éprouvèrent
la sainteté de l'endroit, et cela bien avant les XIIème
et XIIIème siècles.
M. Fernand Niel qui, le premier, s'est livré
à une étude systématique serrée de
Montségur,
écrit :
«
...Cette étrange construction
recèle notamment, dans son plan, la curieuse possibilité
de repérer, avec une étonnante précision, les
principales positions du soleil à son lever. ...Si l'on se
reporte à ce qui a été dit sur le symbolisme
solaire dans la religion manichéenne, Montségur aurait
été, à l'origine, un temple manichéen,
ou, du moins, il aurait pu l'être. Sa situation dans une partie
reculée des Pyrénées, l'aurait préservé
des destructions ordonnées par l'Eglise. »
Par deux fois au moins, le Manichéisme
a pénétré notre monde : au IVème siècle,
puis au XIIème et au XIIIème siècles sous sa
forme cathare, tandis qu'entre temps il donnait naissance au mouvement
Bogomile dans les Balkans.
Religion de la Lumière, le Manichéisme
a failli pacifier et unifier le monde de la Chine au pays occitan...
Mais aucune
religion. ne fut plus persécutée depuis
le supplice de Mani son prophète, le 26
février 277,
jusqu'au bûcher de
Montségur où périrent
ses derniers tenants.
Quelle qu'ait été la destination
première du château de
Montségur, temple ou
forteresse, que la
montagne ait été consacrée
avant ou après la venue du Manichéisme sur le sol
languedocien, c'est principalement là que portent les investigations
en cours de la Société Spéléologique
de l'
Ariège.
La campagne spéléologique a lieu
chaque année, à la belle saison, en août, seule
époque de l'année où tous les membres de l'association
peuvent se libérer de leurs occupations habituelles. Déjà
ils ont trouvé la preuve qu'il existait sur la
montagne,
on dit là-bas le "pog", une véritable agglomération
de maisonnettes où s'abritaient des réfugiés
venus de différents points du
Languedoc.
Les textes latins relatifs à la guerre
contre les Cathares laissaient entrevoir qu'il fallait diriger les
recherches vers l'intérieur même de la
montagne et
en-dessous (infra). En déblayant des issues calfeutrées
par des amas de pierre, depuis sept siècles, les spéléologues
ont en effet découvert que
Montségur (
montis securus)
était creux l... Des couloirs le traversaient de part en
part, avec des carrefours et des salles souterraines. Le temps a
colmaté les passages et il faut du temps et bien des efforts
pour les dégager. Cependant, il apparaît qu'une vie
enfouie, un peu semblable à celle d'une termitière,
devait se dérouler sous la
montagne. Ainsi s'explique qu'Esclarmonde
de
Foix, guide et inspiratrice des derniers Cathares, ait choisi
de les conduire sur cette
montagne si évidemment exposée.
Les auteurs qui ont parlé de l'erreur monumentale d'Esclarmonde
se trompaient !
Ils ignoraient alors que loin de se livrer
à leurs
ennemis qui pouvaient les assiéger aisément,
les Cathares se repliaient sur une position préparée
à l'avance et d'où, par des voies invisibles, ils
pourraient communiquer avec le pays environnant où ils avaient
leurs partisans.
M. F.
Costes, qui est lui-même originaire
de
Montségur et connaît parfaitement sa
montagne, avec
quelques-uns de ses camarades spéléologues, a découvert
des fragments de poterie d'argile, des boulets en calcaire et des
armes, tous objets provenant du siège de 1244. On peut voir
actuellement ces pièces dans divers musées régionaux,
notamment au Musée de la Cité de
Carcassonne.
En septembre dernier, les explorations se sont
arrêtées à une rivière souterraine coulant
sous le "pog", ainsi qu'à des
gouffres des environs.
Le seul
symbole trouvé sur les parois de
Montségur
a été une
croix mystérieusement encerclée,
près de l'entrée d'une excavation.
On espérait beaucoup mettre la pioche
sur la
nécropole des Cathares. A la différence de
la plupart des autres croyants à la réincarnation,
les Albigeois ne brûlaient pas leurs morts mais les enterraient.
Il serait donc logique dle retrouver sous
Montségur des restes
humains, puisque tant de personnes périrent au cours du siège.
Ce résultat sera peut-être atteint au cours de la prochaine
campagne de fouilles. On en saura alors plus long sur une des époques
les plus extraordinaires de l'
histoire, car il est probable qu'avec
les
corps furent ensevelis des biens, des textes sacrés,
des objets du culte... voire ce fameux trésor des Albigeois
qui a tant excité les imaginations et qu'on a dit être
le Saint-Graal... à moins que ce fût une pierre tombée
du
ciel, chargée des vibrations d'un monde supra-terrestre.
L'exploration systématique des grottes
et des
gouffres, sport scientifique en voie de développement
aujourd'hui, doit réserver encore des surprises dans l'
Ariège.
C'est dans les cavernes que se donnaient les neuf degrés
de l'
initiation selon le
rite cathare.
Trait caractéristique,
c'était vers "le chemin de Montségur" que
devait regarder le nouvel
adepte... C'est aussi dans les grottes,
avec leurs "églises souterraines", comme celles
de Lombrives et d'
Ussat que se terrèrent certains rescapés
de
Montségur avec d'autres fidèles ayant miraculeusement
échappé à l'
Inquisition. Ils y édifièrent
de véritables métropoles cachées....
*
* * Les actuels habitants de
Montségur,
vieux village blotti au pied du "pog" mais postérieur
aux événements de 1244, se sont peu à peu pris
d'
amour pour leur propre
histoire locale et ils espèrent
bientôt posséder leur musée à eux où
seraient réunis les vestiges actuellement dispersés
du Catharisme.
En attendant, Mme Nita de
Pierrefeu qui, depuis
1930, consacre ses efforts à faire connaitre les doctrines
cathares et se rend fidèlement chaque année depuis
cette date à
Montségur, est en train d'aménager
dans cette localité même une vieille maison paysanne
qui servira de Centre aux chercheurs. Des fenêtres, on a l'indispensable
vue sur la forteresse inspirée... Surtout, par la suite,
des documents seront mis à la
disposition de ceux qui veulent
étudier le Catharisme, des conférences seront organisées,
des colloques et des échanges de
vue auront lieu... Création
qui répond sans nul doute à la vague d'intérêt
croissant soulevée, non seulement dans le Midi, mais en de
nombreux pays, par une forme de spiritualité qu'on aurait
pu croire révolue et qui apparaît au contraire singulièrement
"moderne !".
*
* * Pourquoi en est-il ainsi ?
Les Cathares n'étaient-ils pas en avance
sur leur temps... en avance de sept siècles ? Il semble que
oui. Leur aventure représente un vertigineux décalage.
Ce qui ne pouvait être admis et compris au XIIIème
siècle peut l'être au XXème.
Dernier affleurement en Occident de la doctrine
du Bien et du Mal, que l'on schématise trop vite comme une
opposition Esprit-Matière, le Catharisme représente
une
religion de la libération. Les différentes écoles,
d'inspiration manichéenne, proposaient à leurs
disciples
une ascèse, des exercices spirituels, une
initiation à
plusieurs degrés, tout ce qui s'apparente aux cultes orientaux,
vers lesquels tant de regards se dirigent aujourd'hui. Comme les
adeptes dans l'Inde, les Albigeois pratiquaient certaines formes
de
yoga, croyaient à la valeur effective du jeûne et
de la non violence non-violence mitigée, puisque
Montségur,
Quéribus et leurs autres refuges furent défendus par
les chevaliers cathares, tandis qu'il est certain que les Bonshommes,
ou Parfaits, comparables aux
Brahmines, ne prenaient pas les armes.
En même temps que des
Mystiques, les
Cathares étaient des
rationalistes, ce qui les rapproche
encore de nous.
Lorsqu'on débarrasse leur souvenir des
légendes, au reste très prenantes, qui les embarrassent,
on découvre une tentative, presque impensable pour l'époque,
pour instaurer une société
laïque. On y constate
la laïcisation des institutions, des gouvernements ainsi que
du
mariage, l'affranchissement des femmes... Il a même été
parlé d'
anarchie, à propos des Cathares... Leur mépris
des biens matériels, selon eux sans existence réelle,
leurs aspirations surhumaines vers l'
Esprit, les rendirent suspects,
jusqu'à les perdre. Il est permis de croire que si le Catharisme
avait triomphé, et il fut sur le point de le faire à
un certain moment, la face de l'Occident aurait été
transformée.
L'
Europe aurait pu rééditer,
dans son style propre, l'expérience de l'Orient, se
fermer
au monde extérieur et se tourner résolument vers l'
Esprit.
Le matérialisme n'aurait peut-être pu voir le
jour,
ni les progrès techniques s'accomplir... Une autre civilisation
se serait dégagée, comme on peut l'imaginer d'après
les actes et les travaux des
Templiers ou des Rose-Croix, héritiers
des traditions Cathares
[Note F-S : Ceci est
inexact.], qui se consacraient aux sciences de la nature
dans un sens
éminemment spirituel.
Démocrates pour qui il n'existe pas
d'autre aristocratie que celle de l'
Esprit,
laïques pour qui
chaque homme est un
prêtre en puissance, féministes
qui se soumettaient volontiers à l'autorité d'une
femme quand elle avait tous les "pouvoirs" comme Esclarmonde
de
Foix, pacifistes et tolérants mais prêts au
martyre,
les Cathares dominent une époque troublée où
unité nationale et unité
religieuse sont mises en
question... Une époque qui rappelle la nôtre !
Le Catharisme apporte-t-il une réponse
? Peut-il resurgir sept siècles après sa
destruction
autrement que comme un sujet d'études et de vénération
? La prophétie s'accomplirait alors pleinement...