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Le courant Cathare resurgit...

article de Janine Reigner (1963)
© France-Spiritualités™



Cet article a paru originellement dans le N°56 de la revue Initiation et Science (Janvier-mars 1963). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.

      Ce n'est probablement pas un hasard si aujourd'hui, et depuis une dizaine d'années, environ, les recherches sur le Catharisme ont pris un regain d'actualité, tout en s'orientant dans une direction nouvelle. Ce n'est pas un hasard non plus si en ce moment, de nombreux regards se tournent, à travers les siècles, vers l'épopée des Albigeois...

      Déjà une première fois, en 1872, la parution d'un livre fondamental, aujourd'hui presque introuvable, l'Histoire des Albigeois par Napoléon Peyrat, avait donné le signal. Certes, le souvenir de la croisade contre les "Hérétiques" qui, au Moyen âge, ravagea le Midi de la France ne s'était jamais perdu dans les régions où elle s'était déroulée. Le romantisme, comme le mysticisme, pouvaient y trouver de nombreux thèmes exaltants, car rien de grand n'y manquait : le sang des martyrs, les sacrifices jusqu'à la mort, la coupe du Saint-Graal, les joyaux sacrés, l'épée de Parsifal, les apparitions d'Esclarmonde et de ses compagnes... Mais le livre de Peyrat venait remettre de l'ordre dans les idées, apportait des précisions inconnues ou oubliées, rétablissait des vérités. Ce fut le départ d'autres ouvrages d'érudition, presque tous entrepris dans un esprit de piété et de réhabilitation. Des mouvements naquirent pour perpétuer le souvenir des Purs.

      A présent, seconde phase dans la compréhension d'un passé mal connu encore, puisque l'Eglise militante du XIIIème siècle et l'Inquisition se sont ingéniées à brouiller le véritable visage de ce qu'elles nommaient l'Hérésie, à en déformer le sens, à camoufler ou à escamoter la pensée des vaincus.

      Depuis une dizaine d'années donc, les recherches sur le terrain, à Montségur et aux alentours, semblent avoir pris le pas sur les investigations proprement historiques. On s'oriente dans un sens technique et scientifique et il faut s'attendre sans doute à de nouvelles et prochaines révélations sur le Catharisme albigeois.

      Chose curieuse, une prophétie languedocienne – et en langue d'oc – disait : « Il faudra sept cents ans pour que verdoie l'olivier des cendres des Martyrs. »

      Or, la forteresse de Montségur tomba en 1244 et, au pied de ce dernier bastion de leur foi, périrent brûlés vifs les Parfaits et leurs défenseurs qui y avaient troupé refuge.

      Et c'est presque sept cents ans plus tard, année pour année, qu'on a commencé les fouilles sous le socle même de la forteresse.

      C'est à peu près de la même époque que date l'engouement – pas toujours très souhaitable ni très éclairé malheureusement ! – des touristes pour ce haut-lieu de notre passé.

      Mais c'est aussi de nos jours, exactement au printemps 1960, que fut élevée au pied du roc, dans le "prat des cramats", ou champ des brûlés, la croix du souvenir cathare. Au cours de la cérémonie due à l'initiative de la Société des Etudes Cathares que préside M. Déodat Roché, on put voir un vieux prêtre catholique embrasser cette croix et tous ceux qui furent témoins de ce geste le ressentirent comme un symbole de réconciliation et de réhabilitation...

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      A l'extrémité sud de la France, adossée aux Pyrénées, la région de l'Ariège est une des plus belles et des plus pittoresques qui soient. C'est le pays des cavernes, des antres et des grottes. Son sous-sol, creusé de part en part, frémit de l'étrange vie des pierres et de l'eau, renfermant des salles immenses au décor sculpté par la nature, des voies et des rivières cachées... On sait le rôle qu'ont joué les cavernes dans les mythes de toutes les religions !

      C'est en Ariège, au Mas-d'Azil, que furent découverts les restes d'une civilisation préhistorique appelée pour cette raison azilienne. Si, se dirent les explorateurs locaux, nos pierres ont pu conserver et enfermer le souvenir d'une époque aussi lointaine, à plus forte raison pourrions-nous, pour peu que nous nous en donnions la peine, retrouver des vestiges des temps, beaucoup plus proches du nôtre.

      Ils avaient en vue de faire un peu plus de lumière sur l'Albigéisme. On savait que les derniers Cathares, traqués par les barons venus du Nord, commandés par Simon de Monfort, s'étaient réfugiés, après que leur religion ait tenu une grande partie du Midi, au pays d'Olmes et dans le Razès – nom qui soit dit en passant évoque de curieuses réminiscences arabes comme ceux de Barbeira et de Rabat, que l'on rencontre également dans ces parages... Pour continuer à pratiquer leur culte, les Cathares (c'est-à-dire les Purs) vivaient clandestinement soit dans des refuges aériens, sur le sommet des montagnes, soit dans des refuges souterrains. Cathares comme eux, ou simplement sympathisants, les paysans d'alentour se faisaient leurs complices contre le Pouvoir, le royal et l'épiscopal, et toute une résistance s'était certainement organisée autour d'eux.

      Il était impossible que ce mouvement n'ait pas laissé des traces.

      Seconde partie du raisonnement : c'est principalement du côté de Montségur qu'il fallait chercher ces traces.

      Montségur a toujours été un haut-lieu de la Spiritualité.

      Lorsque, venant de Montferrier, le promeneur découvre soudain au détour du chemin le promontoire aux formes grandioses, portant l'extraordinaire forteresse, il ne peut manquer d'être frappé d'une sorte de "terreur sacrée". De tous temps, les hommes éprouvèrent la sainteté de l'endroit, et cela bien avant les XIIème et XIIIème siècles.

      M. Fernand Niel qui, le premier, s'est livré à une étude systématique serrée de Montségur, écrit :

      « ...Cette étrange construction recèle notamment, dans son plan, la curieuse possibilité de repérer, avec une étonnante précision, les principales positions du soleil à son lever. ...Si l'on se reporte à ce qui a été dit sur le symbolisme solaire dans la religion manichéenne, Montségur aurait été, à l'origine, un temple manichéen, ou, du moins, il aurait pu l'être. Sa situation dans une partie reculée des Pyrénées, l'aurait préservé des destructions ordonnées par l'Eglise. »

      Par deux fois au moins, le Manichéisme a pénétré notre monde : au IVème siècle, puis au XIIème et au XIIIème siècles sous sa forme cathare, tandis qu'entre temps il donnait naissance au mouvement Bogomile dans les Balkans. Religion de la Lumière, le Manichéisme a failli pacifier et unifier le monde de la Chine au pays occitan... Mais aucune religion. ne fut plus persécutée depuis le supplice de Mani son prophète, le 26 février 277, jusqu'au bûcher de Montségur où périrent ses derniers tenants.

      Quelle qu'ait été la destination première du château de Montségur, temple ou forteresse, que la montagne ait été consacrée avant ou après la venue du Manichéisme sur le sol languedocien, c'est principalement là que portent les investigations en cours de la Société Spéléologique de l'Ariège.

      La campagne spéléologique a lieu chaque année, à la belle saison, en août, seule époque de l'année où tous les membres de l'association peuvent se libérer de leurs occupations habituelles. Déjà ils ont trouvé la preuve qu'il existait sur la montagne, on dit là-bas le "pog", une véritable agglomération de maisonnettes où s'abritaient des réfugiés venus de différents points du Languedoc.

      Les textes latins relatifs à la guerre contre les Cathares laissaient entrevoir qu'il fallait diriger les recherches vers l'intérieur même de la montagne et en-dessous (infra). En déblayant des issues calfeutrées par des amas de pierre, depuis sept siècles, les spéléologues ont en effet découvert que Montségur (montis securus) était creux l... Des couloirs le traversaient de part en part, avec des carrefours et des salles souterraines. Le temps a colmaté les passages et il faut du temps et bien des efforts pour les dégager. Cependant, il apparaît qu'une vie enfouie, un peu semblable à celle d'une termitière, devait se dérouler sous la montagne. Ainsi s'explique qu'Esclarmonde de Foix, guide et inspiratrice des derniers Cathares, ait choisi de les conduire sur cette montagne si évidemment exposée. Les auteurs qui ont parlé de l'erreur monumentale d'Esclarmonde se trompaient !

      Ils ignoraient alors que loin de se livrer à leurs ennemis qui pouvaient les assiéger aisément, les Cathares se repliaient sur une position préparée à l'avance et d'où, par des voies invisibles, ils pourraient communiquer avec le pays environnant où ils avaient leurs partisans.

      M. F. Costes, qui est lui-même originaire de Montségur et connaît parfaitement sa montagne, avec quelques-uns de ses camarades spéléologues, a découvert des fragments de poterie d'argile, des boulets en calcaire et des armes, tous objets provenant du siège de 1244. On peut voir actuellement ces pièces dans divers musées régionaux, notamment au Musée de la Cité de Carcassonne.

      En septembre dernier, les explorations se sont arrêtées à une rivière souterraine coulant sous le "pog", ainsi qu'à des gouffres des environs.

      Le seul symbole trouvé sur les parois de Montségur a été une croix mystérieusement encerclée, près de l'entrée d'une excavation.

      On espérait beaucoup mettre la pioche sur la nécropole des Cathares. A la différence de la plupart des autres croyants à la réincarnation, les Albigeois ne brûlaient pas leurs morts mais les enterraient. Il serait donc logique dle retrouver sous Montségur des restes humains, puisque tant de personnes périrent au cours du siège. Ce résultat sera peut-être atteint au cours de la prochaine campagne de fouilles. On en saura alors plus long sur une des époques les plus extraordinaires de l'histoire, car il est probable qu'avec les corps furent ensevelis des biens, des textes sacrés, des objets du culte... voire ce fameux trésor des Albigeois qui a tant excité les imaginations et qu'on a dit être le Saint-Graal... à moins que ce fût une pierre tombée du ciel, chargée des vibrations d'un monde supra-terrestre.

      L'exploration systématique des grottes et des gouffres, sport scientifique en voie de développement aujourd'hui, doit réserver encore des surprises dans l'Ariège. C'est dans les cavernes que se donnaient les neuf degrés de l'initiation selon le rite cathare. Trait caractéristique, c'était vers "le chemin de Montségur" que devait regarder le nouvel adepte... C'est aussi dans les grottes, avec leurs "églises souterraines", comme celles de Lombrives et d'Ussat que se terrèrent certains rescapés de Montségur avec d'autres fidèles ayant miraculeusement échappé à l'Inquisition. Ils y édifièrent de véritables métropoles cachées....

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      Les actuels habitants de Montségur, vieux village blotti au pied du "pog" mais postérieur aux événements de 1244, se sont peu à peu pris d'amour pour leur propre histoire locale et ils espèrent bientôt posséder leur musée à eux où seraient réunis les vestiges actuellement dispersés du Catharisme.

      En attendant, Mme Nita de Pierrefeu qui, depuis 1930, consacre ses efforts à faire connaitre les doctrines cathares et se rend fidèlement chaque année depuis cette date à Montségur, est en train d'aménager dans cette localité même une vieille maison paysanne qui servira de Centre aux chercheurs. Des fenêtres, on a l'indispensable vue sur la forteresse inspirée... Surtout, par la suite, des documents seront mis à la disposition de ceux qui veulent étudier le Catharisme, des conférences seront organisées, des colloques et des échanges de vue auront lieu... Création qui répond sans nul doute à la vague d'intérêt croissant soulevée, non seulement dans le Midi, mais en de nombreux pays, par une forme de spiritualité qu'on aurait pu croire révolue et qui apparaît au contraire singulièrement "moderne !".

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      Pourquoi en est-il ainsi ?

      Les Cathares n'étaient-ils pas en avance sur leur temps... en avance de sept siècles ? Il semble que oui. Leur aventure représente un vertigineux décalage. Ce qui ne pouvait être admis et compris au XIIIème siècle peut l'être au XXème.

      Dernier affleurement en Occident de la doctrine du Bien et du Mal, que l'on schématise trop vite comme une opposition Esprit-Matière, le Catharisme représente une religion de la libération. Les différentes écoles, d'inspiration manichéenne, proposaient à leurs disciples une ascèse, des exercices spirituels, une initiation à plusieurs degrés, tout ce qui s'apparente aux cultes orientaux, vers lesquels tant de regards se dirigent aujourd'hui. Comme les adeptes dans l'Inde, les Albigeois pratiquaient certaines formes de yoga, croyaient à la valeur effective du jeûne et de la non violence – non-violence mitigée, puisque Montségur, Quéribus et leurs autres refuges furent défendus par les chevaliers cathares, tandis qu'il est certain que les Bonshommes, ou Parfaits, comparables aux Brahmines, ne prenaient pas les armes.

      En même temps que des Mystiques, les Cathares étaient des rationalistes, ce qui les rapproche encore de nous.

      Lorsqu'on débarrasse leur souvenir des légendes, au reste très prenantes, qui les embarrassent, on découvre une tentative, presque impensable pour l'époque, pour instaurer une société laïque. On y constate la laïcisation des institutions, des gouvernements ainsi que du mariage, l'affranchissement des femmes... Il a même été parlé d'anarchie, à propos des Cathares... Leur mépris des biens matériels, selon eux sans existence réelle, leurs aspirations surhumaines vers l'Esprit, les rendirent suspects, jusqu'à les perdre. Il est permis de croire que si le Catharisme avait triomphé, et il fut sur le point de le faire à un certain moment, la face de l'Occident aurait été transformée.

      L'Europe aurait pu rééditer, dans son style propre, l'expérience de l'Orient, se fermer au monde extérieur et se tourner résolument vers l'Esprit. Le matérialisme n'aurait peut-être pu voir le jour, ni les progrès techniques s'accomplir... Une autre civilisation se serait dégagée, comme on peut l'imaginer d'après les actes et les travaux des Templiers ou des Rose-Croix, héritiers des traditions Cathares [Note F-S : Ceci est inexact.], qui se consacraient aux sciences de la nature dans un sens éminemment spirituel.

      Démocrates pour qui il n'existe pas d'autre aristocratie que celle de l'Esprit, laïques pour qui chaque homme est un prêtre en puissance, féministes qui se soumettaient volontiers à l'autorité d'une femme quand elle avait tous les "pouvoirs" comme Esclarmonde de Foix, pacifistes et tolérants mais prêts au martyre, les Cathares dominent une époque troublée où unité nationale et unité religieuse sont mises en question... Une époque qui rappelle la nôtre !

      Le Catharisme apporte-t-il une réponse ? Peut-il resurgir sept siècles après sa destruction autrement que comme un sujet d'études et de vénération ? La prophétie s'accomplirait alors pleinement...




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