LETTRE ENCYCLIQUE DE N. T. S. P. PIE IX
(09 novembre 1846)
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A tous Nos Vénérables Frères les Patriarches, les Primats, les Archevêques et Evêques
en grâce et communion avec le Siège Apostolique,
PIE IX, PAPE
Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction Apostolique.

Nous qui, depuis un nombre d'années assez considérable, Nous livrions comme Vous, selon toute la mesure de Nos
forces, à l'accomplissement de cette charge
épiscopale si pleine de travaux et de sollicitude de tout genre ; Nous, qui Nous efforcions de diriger et de conduire sur les monts d'Israël, aux bords des
eaux vives, dans les pâturages les plus féconds, la portion du troupeau du Seigneur confiée à Nos soins ; Nous voici, par la mort de Grégoire XVI, notre très
illustre prédécesseur, et dont la postérité, saisie d'admiration pour sa mémoire, lira les glorieux actes inscrits en lettres d'or dans les fastes de l'
Eglise ; Nous voici porté au faîte du Suprême
Pontificat, par un dessein secret de la Divine Providence, non seulement contre toute prévision et toute attente de Notre part, mais au contraire avec l'effroi et la perturbation
extrêmes qui alors saisirent Notre
âme. Si, en effet, et à toutes les époques, le fardeau du ministère
apostolique a été et doit être toujours
justement considéré comme extrêmement difficile et périlleux, c'est bien certainement de nos
jours et de notre temps, si remplis de difficultés pour l'administration de la république chrétienne, qu'on doit le regarder comme extrêmement redoutable. Aussi, bien pénétré de Notre propre faiblesse, au premier et seul aspect des imposants devoirs de l'
Apostolat suprême, surtout dans la conjoncture si difficile des circonstances présentes, Nous nous serions
abandonné entièrement aux larmes et à la plus profonde tristesse, si Nous n'avions promptement fixé toute Notre espérance en
Dieu. Notre salut,
qui ne laisse jamais défaillir ceux qui espèrent en Lui, et qui, d'ailleurs, jaloux de montrer de temps à autre sa toute puissance, se plaît à choisir pour gouverner son
Eglise les instruments les plus faibles, afin que de plus en plus tous les
esprits soient amenés à reconnaître que c'est
Dieu Lui-même, par son admirable Providence, qui gouverne et défend son
Eglise. D'ailleurs, ce qui Nous console et soutient aussi considérablement notre courage,
Vénérables Frères, c'est que, en travaillant au salut des
âmes, Nous pouvons Vous compter comme Nos associés et Nos coadjuteurs, Vous qui, par vocation, partagez Notre sollicitude, et Vous efforcez, par Votre zèle et Vos soins sans mesure, de remplir Votre saint ministère et de soutenir le bon combat.
Assis, malgré Notre peu de mérite, sur ce siège suprême du prince des apôtres, à peine avons-Nous reçu en
héritage, dans la personne du bienheureux apôtre Pierre, cette charge si auguste et si grave, divinement accordée par le prince éternel au souverain de tous les pasteurs, de paître et de gouverner, non seulement les
agneaux, c'est-à-dire tout le peuple chrétien, mais aussi les brebis, c'est-à-dire les chefs du troupeau eux-mêmes ; non, rien certainement n'a plus vivement excité Nos vux et Nos désirs les plus pressants, que de Vous adresser les paroles qui Nous sont suggérées par les plus intimes sentiments de
notre affection.
C'est pourquoi, venant à peine de prendre possession du suprême
pontificat dans notre
basilique de
Latran, selon l'usage et l'institution de nos prédécesseurs, sur le champ Nous Vous adressons les présentes lettres dans le but d'exciter encore Votre piété, déjà si éminente ; et afin que, par un surcroît de promptitude, de vigilance et d'effort, Vous souteniez les veilles de la nuit autour du troupeau confié à vos soins, et que, déployant la vigueur et la fermeté
épiscopales dans le combat contre le plus terrible
ennemi du genre humain, Vous soyez pour la maison d'Israël cet infranchissable rempart qu'offrent seuls les valeureux soldats de
Jésus Christ.
Personne d'entre Vous n'ignore,
Vénérables Frères, dans notre époque déplorable, cette guerre si terrible et si
acharnée qu'a machinée contre l'édifice de la foi
catholique cette race d'hommes qui, unis entre eux par une criminelle association, ne pouvant supporter la saine doctrine, fermant l'oreille à la vérité, ne craignent pas d'exhumer du sein des ténèbres, où elles étaient
ensevelies, les opinions les plus monstrueuses, qu'ils entassent d'abord de toutes leurs
forces, qu'ils étalent ensuite et répandent dans tous les
esprits à la faveur de la plus funeste publicité. Notre
âme est saisie d'horreur, et Notre
cœur succombe de douleur, lorsque Nous nous rappelons seulement à la pensée toutes ces monstruosités d'erreurs, toute la variété de ces innombrables moyens de procurer le mal ; toutes ces embûches et ces machinations par lesquelles ces
esprits ennemis de la lumière se montrent artistes si habiles à étouffer dans toutes les
âmes le saint
amour de la piété, de la justice et de l'honnêteté ; comment ils parviennent si promptement à corrompre les mœurs, à confondre ou à effacer les droits divins et humains, à saper les bases de la société civile, à les ébranler, et, s'ils pouvaient arriver jusque là, à les détruire de fond en comble.
Car, Vous le savez bien,
Vénérables Frères, ces implacables
ennemis du nom chrétien, tristement entraînés par on ne sait quelle fureur d'
impiété en délire, ont poussé l'excès de leurs opinions téméraires à ce point d'audace, jusque là inouï, qu'ils n'ouvrent leur bouche que pour vomir contre
Dieu des blasphèmes ; qu'ouvertement et par toutes les voix de la publicité, ils ne rougissent pas d'enseigner que les sacrés mystères de notre
religion sont des
fables et des inventions humaines, que la doctrine de l'
église catholique est contraire au bien et aux intérêts de la société. Ils vont plus loin encore : ils ne redoutent pas de nier le Christ et jusqu'à
Dieu Lui-même. Pour fasciner encore plus aisément les peuples, pour tromper surtout les
esprits imprévoyants et les
ignorants, et les entraîner avec eux dans les abîmes de l'erreur, ils osent se vanter d'être les seuls en possession de la connaissance des véritables sources de la prospérité ; ils n'hésitent pas à s'arroger le nom de
philosophes, comme si la philosophie, dont l'objet est de rechercher et d'étudier la vérité de l'ordre naturel, devait rejeter avec dédain tout ce que le
Dieu suprême et très clément, l'auteur de toute la nature, par un effet spécial de sa bonté et de sa
miséricorde, a daigné manifester aux hommes pour leur véritable bonheur et pour leur salut.
C'est pour cela qu'employant une manière de raisonner déplacée et trompeuse, ils ne cessent d'
exalter la
force et l'excellence de la raison humaine, de vanter sa supériorité sur la foi très sainte en Jésus-Christ, et qu'ils déclarent audacieusement que cette foi est contraire à la raison humaine. Non, rien ne saurait être imaginé ou supposé de plus insensé, de plus
impie et de plus contraire à la raison elle-même.
Car, bien que la foi soit au-dessus de la raison, jamais on ne pourra découvrir qu'il y ait opposition et contradiction entre elles deux ; parce que l'une et l'autre émanent de ce
Dieu très excellent et très grand, qui est la source de la vérité éternelle. Elles se
prêtent bien plutôt un tel secours mutuel que c'est toujours à la droite raison que la vérité de la foi emprunte sa démonstration, sa défense et son soutien les plus sûrs ; que la foi, de son côté,
délivre la raison des erreurs qui l'assiègent, qu'elle l'illumine merveilleusement par la connaissance des choses divines, la confirme et la perfectionne dans cette connaissance.
Les
ennemis de la révélation divine,
Vénérables Frères, n'ont pas recours à des moyens de tromperie moins funestes lorsque, par des louanges
extrêmes, ils portent jusqu'aux nues les progrès de l'humanité. Ils voudraient, dans leur audace
sacrilège, introduire ce progrès jusque dans l'
église catholique : comme si la
religion était l'ouvrage non de
Dieu, mais des hommes, une espèce d'invention philosophique à laquelle les moyens humains peuvent surajouter un nouveau degré de perfectionnement.
Jamais hommes si déplorablement en délire ne
méritèrent mieux le reproche que
Tertullien adressait aux philosophes de son temps : «
Le christianisme que vous mettez en avant n'est autre que celui des
stoïciens, des platoniciens et des dialecticiens ».
En effet, notre très sainte
religion n'ayant pas été inventée par la raison, mais directement manifestée aux hommes par
Dieu, tout le monde comprend aisément que cette
religion, empruntant toute sa
force et sa vertu de l'autorité de la Parole de
Dieu Lui-même, n'a pu être produite et ne saurait être perfectionnée par la simple raison. Donc, pour que la raison humaine ne se trompe ni ne s'égare
dans une affaire aussi grave et de cette importance, il faut qu'elle s'enquière soigneusement du fait de la révélation, afin qu'il lui soit
démontré, d'une manière certaine, que
Dieu a parlé, et qu'en conséquence, selon le très sage enseignement de l'apôtre, elle lui doit une soumission raisonnable. Mais qui donc ignore ou peut ignorer que, lorsque
Dieu parle, on lui doit une foi entière, et qu'il n'y a rien de plus conforme à la raison elle-même, que de donner son assentiment et de s'attacher fortement aux
vérités incontestablement révélées par
Dieu, qui ne peut ni tromper ni se tromper ?
Et combien nombreuses, combien admirables, combien splendides sont les preuves par lesquelles la raison humaine doit être amenée à cette
conviction profonde : que la
religion de Jésus-Christ est divine, et qu'elle a reçu du
Dieu du
ciel la racine et le principe de tous ses dogmes, et que par conséquent il n'y a rien au monde de plus certain que notre foi, rien de plus sûr ni de plus
vénérable et qui s'appuie sur des principes solides. C'est cette foi qui est la maîtresse de la vie, le guide du salut, le destructeur de tous les vices, la
mère et la nourrice féconde de toutes les vertus ; consolidée par la naissance, la vie, la mort, la
résurrection, la sagesse, les prodiges et les prophéties de son divin auteur et consommateur, Jésus-Christ ; répandant de tous côtés l'éclat de sa doctrine surnaturelle, enrichie des trésors inépuisables et vraiment célestes de tant de prophéties inspirées à ses prophètes, du resplendissant éclat de ses miracles, de la constance de tant de
martyrs, de la gloire de tant de saints personnages. De plus en plus insigne et remarquable, elle porte partout les lois salutaires de Jésus-Christ ; et de
jour en
jour, acquérant et puisant sans cesse de nouvelles
forces dans les persécutions les plus cruelles, armée du seul étendard de la
croix, elle conquiert l'univers entier, et la terre et la mer, depuis le levant jusqu'au couchant ; et, après avoir renversé les trompeuses
idoles, dissipé les ténèbres épaisses de l'erreur, triomphé des
ennemis de toute espèce, elle a répandu les bienfaisants rayons de sa lumière sur tous les peuples, sur toutes les nations et sur tous les pays, quel que fût le degré de férocité de leurs mœurs, de leur naturel et de leur caractère barbare, les courbant sous le joug si suave de Jésus-Christ, et annonçant à tous la paix et le bonheur.
Certes, toutes ces magnificences resplendissent assez de toute part de l'éclat de la puissance et de la sagesse divines, pour que toute pensée et toute intelligence puissent saisir promptement et comprendre facilement que la foi chrétienne est l'uvre de
Dieu.
Donc, d'après ces splendides et inattaquables démonstrations, la raison humaine est amenée à ce point qui l'oblige
à reconnaître clairement et manifestement que
Dieu est l'auteur de cette même foi ; la raison humaine ne saurait s'avancer au-delà ; mais, rejetant et écartant toute difficulté et tout doute, elle doit à cette
même foi une soumission sans réserve, puisqu'elle est elle-même assurée que tout ce que la foi propose aux hommes de croire et de pratiquer, tout cela vient de
Dieu.
(suite)