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Le Christianisme ésotérique

ou Les Mystères mineurs
Annie Besant
© France-Spiritualités™






CHAPITRE PREMIER – LE CÔTÉ CACHÉ DES RELIGIONS (2/2)

Poursuivant notre enquête, nous arrivons maintenant à cette question : « A quels peuples ont été données les religions ? » Ici se présente immédiatement la difficulté que tout Fondateur de religion est appelé à résoudre ; elle est inhérente, comme nous l'avons vu, au but essentiel de la religion – l'accélération de l'évolution – et à son corollaire, la nécessité de tenir compte de tous les degrés d'évolution individuelle. Les hommes appartiennent aux stages évolutifs les plus divers ; certains d'entre eux présentent une extrême intelligence, mais d'autres une mentalité naissante ; ici une civilisation d'un développement et d'une complexité remarquables, là une organisation rudimentaire et naïve. Même dans les limites d'une civilisation donnée, nous trouvons les types les plus variés, les plus ignorants et les plus instruits, les plus réfléchis et les plus insouciants, les plus spirituellement doués et les plus brutaux. Il faut pourtant atteindre chacune de ces catégories d'êtres et les aider là où elles sont. Si l'évolution existe, cette difficulté est inévitable ; l'Instructeur divin doit l'aborder et la vaincre ; autrement Son œuvre n'aboutira point. Si l'homme, comme tout ce qui l'entoure, est soumis à l'évolution, ces différences de développement, ces degrés d'intelligence variés, doivent partout caractériser l'humanité, et partout les religions de ce monde doivent en tenir compte.

      Cela nous oblige à reconnaître qu'un seul et même enseignement religieux ne saurait suffire à une même nation ; bien moins encore au monde entier. S'il n'en existait qu'un, beaucoup de ceux auxquels il s'adresse échapperaient totalement à son influence. L'enseignement est-il approprié aux hommes d'intelligence bornée, de moralité rudimentaire, de sens obtus, de telle façon qu'il les aide, les forme et favorise ainsi leur évolution, cette religion ne conviendra en rien aux hommes appartenant à la même nation, faisant partie de la même civilisation, présentant une nature morale vive et impressionnable, une intelligence brillante et subtile, une spiritualité grandissante. Mais si, d'autre part, cette dernière classe doit être aidée ; si l'intelligence doit recevoir une philosophie qu'elle puisse admirer ; si la délicatesse des perceptions morales doit être plus affinée encore ; si la nature spirituelle naissante doit pouvoir, un jour, atteindre sa plénitude lumineuse, la religion devra réunir une spiritualité, une intellectualité et une moralité telles que sa prédication ne touchera ni la raison, ni le cœur des hommes dont j'ai parlé d'abord ; elle ne présentera, pour eux, qu'une suite de phrases sans signification, incapables d'éveiller leur intelligence engourdie ou de leur présenter aucun mobile qui leur permette de s'élever à des notions morales plus pures.

      En examinant ces faits, en considérant le but de la religion, son mode d'action, son origine, la nature et les besoins variés des hommes à qui elle s'adresse, en constatant l'évolution, dans l'homme, de facultés spirituelles, intellectuelles et morales et le besoin, pour chacun, d'une éducation appropriée à son degré d'évolution, nous nous trouvons amenés à reconnaître la nécessité absolue d'enseignements religieux variés et gradués qui satisfassent ces besoins différents et puissent aider chaque homme individuellement.

      Pour une autre raison encore, l'enseignement doit rester ésotérique, en ce qui concerne certaines vérités auxquelles s'applique essentiellement la maxime : « Savoir c'est pouvoir. » La promulgation d'une philosophie profondément intellectuelle, capable de développer des esprits déjà hors de pair et de recevoir l'adhésion des hautes individualités, ne peut nuire à personne. Cette philosophie peut être répandue sans hésitation, car elle n'attire pas les ignorants qui s'en détournent, la trouvent aride, difficile et sans intérêt. Mais il y a des enseignements relatifs à l'organisation de la matière, qui expliquent des lois cachées et éclairent des opérations occultes dont la connaissance donne la clef de certaines énergies naturelles et permet de faire servir ces énergies à des fins déterminées, comme le fait un chimiste avec le produit de ses combinaisons. De semblables connaissances peuvent être d'une grande utilité pour des hommes très avancés et leur permettre de servir beaucoup plus utilement l'humanité. Mais si ces conditions étaient vulgarisées, elles pourraient être, et seraient, mal employées, comme la connaissance de poisons subtils le fut au moyen-âge, entre autres par les Borgia ; elles passeraient à des hommes d'intelligence puissante, mais de désirs effrénés, à des hommes animés d'instincts séparatifs, cherchant leur bien personnel et indifférents au bien commun ; ces hommes, séduits par l'idée d'obtenir un pouvoir dont la possession les élèverait au-dessus du niveau général et mettrait l'humanité à leur merci, s'empresseraient d'acquérir des connaissances qui haussent leur possession à un rang surhumain ; les possédant, ils n'en deviendraient que plus égoïstes et plus confirmés dans leur séparativité, plus orgueilleux et plus repliés sur eux-mêmes, et se trouveraient ainsi forcément poussés dans la route qui mène au diabolisme, ce sentier de la Main Gauche dont le terme est l'isolement et non pas l'union ; non seulement ils en souffriraient dans leur nature intérieure, mais encore ils deviendraient un danger pour la société, qui a déjà suffisamment à souffrir de la part des hommes dont l'intelligence est plus développée que la conscience. D'où la nécessité de mettre certains enseignements hors de portée de ceux qui, moralement, sont encore inaptes à les recevoir ; elle s'impose à tout Instructeur disposant de ces connaissances. L'Instructeur désire transmettre à ceux qui les feront servir au bien général et à l'accélération de l'évolution humaine les pouvoirs qu'elles confèrent ; mais en même temps Il se refuse à en faire profiter les hommes qui, au détriment de leurs semblables, les appliqueraient à leur avantage personnel.

      Ce ne sont pas là de simples théories, nous disent les Annales Occultes, dans le récit détaillé des événements mentionnés dans la Genèse, chapitre VI et suivants. L'enseignement était donné, dans ces temps reculés et sur le continent Atlante, sans que les gages de l'élévation morale, de la pureté et de l'altruisme fussent rigoureusement exigés des postulants. L'instruction était donnée à ceux dont l'intelligence était suffisante, exactement comme de nos jours est enseignée la science ordinaire. La félicité qu'on réclame si fort aujourd'hui existait alors ; elle porta ses fruits, et les hommes devinrent non seulement des géants intellectuels, mais aussi des géants d'iniquité, jusqu'au moment où la terre gémit sous leur oppression et où le cri d'une humanité tyrannisée retentit à travers les mondes. Alors eut lieu la destruction d'Atlantis, la submersion de cet immense continent sous les eaux de l'océan. Le récit du déluge de Noé, dans les Ecritures Hébraïques, l'histoire de Vaivasvata Manou racontée par les Ecritures Hindoues, dans l'Extrême-Orient, donnent quelques détails sur cet événement.

      Il y avait donc danger à laisser des mains impures s'emparer d'un savoir qui donne la puissance et, depuis lors, les grands instructeurs ont imposé des conditions rigoureuses, exigeant la pureté, l'altruisme et l'empire sur soi-même de toute personne demandant à être instruite dans ces matières. Ils se refusent nettement à communiquer des connaissances de ce genre à qui refuse de se soumettre à une discipline étroite, destinée à éliminer des sentiments et des intérêts les tendances séparatives ; ils attachent plus d'importance à la force morale du candidat qu'à son développement intellectuel, car l'enseignement lui-même développera l'intellect, tout en mettant à l'épreuve la nature morale. Il est infiniment préférable, pour les Grands Etres, d'être accusés d'égoïsme par les ignorants parce qu'Ils ne divulguent pas leurs connaissances, que de précipiter le monde dans une nouvelle catastrophe Atlante.

      Tels sont les arguments théoriques sur lesquels nous basons la nécessité de l'existence, dans toute religion, d'un côté caché. Si de la théorie nous passons aux faits, nous sommes naturellement amenés à demander : Ce côté caché a-t-il existé dans le passé, a-t-il fait partie des religions de ce monde ? La réponse doit être immédiatement et franchement affirmative.

      Toutes les grandes religions ont déclaré qu'elles disposaient d'un enseignement secret et qu'elles conservaient le dépôt, non seulement de connaissances mystiques théoriques, mais encore de connaissances mystiques pratiques ou sciences occultes. L'interprétation mystique des enseignements populaires était ouvertement donnée ; elle en montrait le caractère allégorique et rendait ainsi à des affirmations et à des récits étranges et peu rationnels un sens intellectuellement acceptable. Derrière l'enseignement populaire, le mysticisme théorique ; derrière le mysticisme théorique, le mysticisme pratique, enseignement spirituel caché qui n'était donné que sous des conditions expresses, ouvertement communiquées et obligatoires pour tout candidat. Clément d'Alexandrie mentionne cette division des Mystères. A la purification, dit-il, « succèdent les Mystères Mineurs ; ils constituent une base d'instruction et de préparation pour le degré suivant ; puis les Grands Mystères, dans lesquels il ne reste plus rien à apprendre sur l'univers : mais seulement à contempler et à comprendre la nature et les choses (9). »

      En ce qui concerne les religions de l'antiquité, cette affirmation ne saurait être accusée d'inexactitude. Les Mystères de l'Egypte étaient la gloire de cette terre vénérable, et les plus grands fils de la Grèce, tel que Platon, se rendirent à Sais et à Thèbes pour y être initiés par des Egyptiens, Instructeurs de la Sagesse. En Perse, les Mystères de Mithra, en Grèce les Mystères d'Orphée et de Bacchus et plus tard les semi-Mystères d'Eleusis – les Mystères de Samothrace, de la Scythie, de la Chaldée sont connus de tous, au moins de nom ; même sous la forme extrêmement dégénérée des Mystères d'Eleusis, les hommes les plus éminents de la Grèce, tels que Pindare, Sophocle, Isocrate, Plutarque et Platon, en ont la plus haute opinion. On attachait aux Mystères une importance spéciale au point de vue de l'existence d'outre-tombe – l'Initié acquérant les connaissances qui assuraient son bonheur à venir. Sopater affirme, de plus, que l'Initiation établissait une alliance entre l'âme et la Nature divine et, dans l'hymne exotérique à Déméter, nous trouvons des allusions voilées au saint enfant, Iacchus, à sa mort et à sa résurrection enseignées dans les Mystères (10).

      De Jamblique, le grand théurge des troisième et quatrième siècles après Jésus-Christ, il y a beaucoup à apprendre concernant le but des Mystères. La théurgie était la magie, « la partie la plus avancée de la science sacerdotale (11) » ; elle était pratiquée dans les Grands Mystères, pour évoquer l'apparition d'Etres supérieurs. Résumée en quelques mots, la théorie servant de base à ces Mystères est la suivante. D'abord l'UNIQUE, antérieur à tous les êtres, immobile, retiré dans la solitude de Sa propre unité. De CELA émane le Dieu suprême, engendré Lui-même, le Bien, la Source de toutes choses, la Racine, le Dieu des Dieux, la Cause Première, dont la manifestation est Lumière (12). De Lui naît le Monde Intelligible ou univers idéal, le Mental Universel, le Nous, dont dépendent les Dieux incorporels ou intelligibles. Du Nous procède l'Ame du Monde, à laquelle appartiennent les « formes divines intellectuelles, qui accompagnent les corps visibles des dieux ». Puis viennent différentes hiérarchies d'êtres surhumains, les Archanges, les Archontes (gouverneurs) ou Cosmocratores, les Anges, les Daïmons, etc. L'homme constitue un ordre moins élevé, mais d'une nature analogue à la leur ; il peut arriver à les connaître ; l'expérience en était faite dans les Mystères et conduisait à l'union avec Dieu (13).

      Suivant les doctrines communiquées dans les Mystères, « toutes choses procèdent de l'Unique et y retournent » ; « l'Unique est supérieur à tout (14) ». De plus, ces différents Etres étaient invoqués et apparaissaient tantôt pour instruire, tantôt pour édifier et purifier par la seule présence. « Les dieux bienveillants et miséricordieux, dit Jamblique, versent libéralement la lumière aux théurges, ils appellent à eux les âmes de ceux-ci, ils les unissent à eux et les habituent, bien que liées à des corps, à se séparer des corps et à évoluer autour de leur cause éternelle et intelligible (15). » – Car « l'âme ayant une double vie, l'une avec le corps, l'autre distincte de tout corps (16) », il est indispensable d'apprendre à séparer l'âme du corps, afin qu'elle puisse s'unir aux dieux par sa partie intellectuelle et divine et apprendre, avec les vrais principes de la connaissance, les vérités du monde intelligible (17). « La présence des dieux nous donne la santé du corps, la vertu de l'âme, la pureté de l'intelligence et, en un mot, la régression de tout ce qui est en nous aux causes propres... Ce qui n'est pas corps, elle le représente comme corps aux yeux de l'âme par l'intermédiaire des yeux du corps (18). » « Dans les épiphanies des dieux, elles (les âmes) reçoivent la perfection extraordinaire et extrême, l'acte le meilleur absolument, et elles participent à l'amour divin et à la joie indicible (19). » Par là nous obtenons une vie divine et devenons, en réalité, divins (20).

      Le point culminant des Mystères était la transformation de l'Initié en Dieu, soit par l'union avec un Etre divin extérieur à lui-même soit en ayant les yeux ouverts à l'existence en lui du Soi divin. Cet état portait le nom d'extase ; un Yogi Hindou l'appellerait le Samâdhi supérieur – le corps grossier étant en léthargie et l'âme libérée effectuant sa propre union avec le Grand Etre. Cette « extase n'est pas, à proprement parler, une faculté ; c'est un état de l'âme qui la transforme de telle façon qu'elle perçoit ce qui, jusqu'alors, était caché pour elle. Tant que notre union avec Dieu ne sera pas irrévocable, cet état ne sera pas permanent ; ici, dans notre vie terrestre, l'extase n'est qu'un éclair. L'homme peut cesser d'être homme et devenir Dieu, mais il ne peut être à la fois Dieu et homme (21). » Plotin dit qu'il n'avait encore atteint cet état « que trois fois ».

      Proclus, lui aussi, enseignait que l'unique salut de l'âme était le retour à sa forme intellectuelle ; l'âme se dérobait ainsi au « cercle de la génération et à toutes ses courses errantes » et atteignait l'existence véritable – « le retour à l'énergie toujours égale et simple de la période caractérisée par les différences ». Telle est la vie à laquelle aspiraient les candidats, initiés par Orphée dans les Mystères de Bacchus et de Proserpine ; tel est le résultat obtenu par la pratique des vertus purificatrices ou cathartiques (22).

      Ces vertus étaient exigées pour les Grands Mystères, car elles exerçaient une action sur la purification du corps subtil dans lequel fonctionnait l'âme quand elle quittait le corps grossier. Les vertus politiques ou pratiques appartenaient à la vie journalière ; elles étaient exigées jusqu'à un certain point, avant qu'un homme pût se présenter à l'admission dans une école comme celles dont nous allons parler. Puis venaient les vertus cathartiques, purifiant le corps subtil, celui des émotions et du mental inférieur ; troisièmement les vertus intellectuelles, propres à l'Augœides, ou côté lumineux de l'intelligence ; enfin, les vertus contemplatives ou paradigmatiques par lesquelles s'obtient l'union avec Dieu. Suivant Porphyre : « Celui qui exerce les vertus pratiques est un homme de bien ; mais celui qui exerce les vertus purificatrices est un homme angélique ou encore un bon daïmôn. Celui qui exerce les vertus intellectuelles seul est un Dieu – mais celui qui exerce les vertus paradigmatiques est le Père des Dieux (23). »

      Dans les Mystères, beaucoup d'enseignements venaient encore des hiérarchies angéliques et autres. Pythagore, le grand Instructeur, qui avait reçu l'initiation dans l'Inde et qui communiquait à ses disciples « la connaissance des choses qui sont », passe pour avoir été versé dans la science musicale au point de la faire servir à dompter les passions humaines les plus sauvages et à illuminer les intelligences. Jamblique en cite des exemples dans sa Vie de Pythagore. Il paraît probable que le nom de Théodidaktos donné à Ammonius Saccas, le maître de Plotin, se rapportait moins à la sublimité de ses enseignements qu'à l'instruction divine qui lui avait été donnée dans les Mystères.

      Quelques-uns des symboles usités sont expliqués par Jamblique (24), qui exhorte Porphyre à oublier l'image de la chose symbolisée et d'en atteindre le sens intellectuel. Ainsi « la fange » représentait tout ce qui est corporel et matériel ; le « Dieu assis au-devant du lotus » signifiait que Dieu est supérieur à la fange et à l'intellect symbolisé par le lotus et qu'Il est établi en Lui-même (étant représenté assis). Etait-Il montré « sur un vaisseau en marche », le symbole indiquait qu'Il régnait sur le monde. Et ainsi de suite (25). Proclus dit – à propos de cet usage d'employer des symboles – que « la méthode orphique avait pour but la révélation des choses divines à l'aide de symboles : elle était commune à tous les auteurs traitant de la science divine (26) ».

      L'Ecole Pythagoricienne de la Grande Grèce s'était fermée vers la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ, à la suite des persécutions du pouvoir civil, mais il existait d'autres communautés gardant la tradition sacrée (27). Selon Mead, Platon la présenta sous une forme intellectuelle, afin qu'elle ne fût pas profanée davantage ; les rites d'Eleusis en gardèrent quelques formes sans en conserver l'esprit. Les Néo-Platoniciens furent les héritiers de Pythagore et de Platon ; il faut étudier leurs écrits pour se faire une idée de la majesté et de la beauté préservées, dans les Mystères, pour l'humanité.

      Nous pouvons prendre l'Ecole Pythagoricienne elle-même comme type de la discipline imposée aux disciples. Mead donne à ce sujet de nombreux et intéressants, détails (28) : « Les auteurs anciens, dit-il ensuite, sont d'accord pour déclarer que cette discipline était arrivée à former des modèles incomparables non seulement par la pureté parfaite de leurs mœurs et de leurs sentiments, mais encore par leur simplicité, leur délicatesse et leur goût extraordinaire pour les occupations sérieuses. Ceci est admis, même par les auteurs chrétiens. » – L'Ecole avait des disciples au-dehors, qui menaient la vie familiale et sociale ; la citation qui précède s'applique à eux. L'Ecole intérieure comprenait trois degrés successifs : les Auditeurs, qui travaillaient, sans parler, pendant deux années et assimilaient de leur mieux les enseignements ; les Mathématiciens, qui étudiaient avec la géométrie et la musique, la nature des nombres, des formes, des couleurs et des sons ; enfin, les Physiciens, qui apprenaient la cosmogonie et la métaphysique. Cela amenait aux Mystères proprement dits. Les personnes qui désiraient être admises dans l'Ecole devaient jouir « d'une réputation irréprochable et avoir un caractère égal ».

      L'étroite ressemblance existant entre les méthodes employées et le but poursuivi dans ces différents Mystères, d'une part, et ceux du Yoga Indien de l'autre, est évidente pour l'observateur le plus superficiel. Mais cela ne veut pas dire que les peuples de l'antiquité aient emprunté à l'Inde ; tous puisèrent à la source unique – la Grande Loge de l'Asie Centrale, qui envoya partout ses Initiés. Ceux-ci enseignaient tous les mêmes doctrines et employaient les mêmes méthodes menant au même but. Les Initiés des différentes nations étaient en relations suivies ; ils employaient un langage et un symbolisme communs. C'est ainsi que Pythagore fit un voyage dans l'Inde et y reçut une haute Initiation, et qu'Appollonius de Tyane y suivit, plus tard, ses pas. Plotin, mourant, prononça ces paroles, purement indiennes par les termes comme par la pensée : « Maintenant je cherche à ramener le Soi qui est en moi au Soi Universel (29). »

      Parmi les Hindous, le devoir de n'enseigner les connaissances suprêmes qu'à ceux qui en étaient dignes était rigoureusement imposé. « Le mystère le plus profond de la connaissance finale... ne doit pas être dévoilé à celui qui n'est ni fils, ni disciple et dont le mental n'est point calme (30). » Ailleurs nous lisons, après une définition du Yoga : « Lève-toi ! Tu as trouvé les Grands Etres ; écoute-Les ! La route est aussi difficile à suivre que le tranchant affilé d'un rasoir. Ainsi parlent les Sages (31). »

      L'Instructeur est nécessaire car l'enseignement par écrit, seul, ne suffit point. La connaissance finale consiste à connaître Dieu et non pas seulement à L'adorer de loin. L'homme doit savoir que l'Existence Divine est réelle ; il doit savoir ensuite – (une foi et une espérance vagues ne suffiraient pas) – que, tout au fond, son propre Soi fait un avec Dieu et que le but de la vie est de réaliser cette unité. A moins de pouvoir guider l'homme vers cette réalisation, la religion n'est que comme l'airain qui résonne ou comme une cymbale qui retentit (32).

      L'homme – enseignait-on également – devait apprendre à quitter son corps grossier : « Que l'homme doué de fermeté la sépare (l'âme) de son propre corps, comme un brin d'herbe de sa gaine (33). » Et il est dit ailleurs : « Dans la gaine d'or – la plus haute – demeure l'immaculé, l'invariable Brahman. C'est la Lumière des Lumières, rayonnante et blanche ; ceux qui connaissent le Soi La connaissent (34). » – « Quand le voyant contemple, dans Sa lumière d'or, le Créateur, le Seigneur, l'Esprit dont Brahman est la matrice – alors, ayant laissé là le mérite, et le démérite, entièrement pur, le sage atteint l'union suprême (35). »

      Les Hébreux possédaient, eux aussi, leur science secrète et leurs Ecoles d'Initiation. L'assemblée des prophètes que présidait Samuel à Najoth (36), formait une Ecole semblable dont l'enseignement oral fut transmis à leurs successeurs. Des Ecoles analogues existaient à Béthel et à Jéricho (37), et nous trouvons dans la Concordance de Cruden (38) cette note intéressante : « les Ecoles ou collèges de prophètes sont les premières (écoles) que nous trouvions mentionnées dans les Ecritures. Les enfants des prophètes – c'est-à-dire leurs disciples – y consacraient leur temps aux exercices d'une vie retirée et austère, à l'étude, à la méditation et à la lecture de la loi de Dieu... Ces Ecoles ou Sociétés des prophètes furent remplacées plus tard par les Synagogues. » La Kabbale, qui renferme les enseignements semi-publics, est, dans son état actuel, une compilation moderne due en partie au Rabbin Moïse de Léon, mort en 1305 après Jésus-Christ. Elle se compose de cinq livres – Bahur, Zohar, Sepher Sephiroth, Sepher Yetsirah et Asch Metzareth – et passe pour avoir été transmise oralement depuis les temps les plus reculés – historiquement parlant. Le docteur Wynn Westcott dit que « la tradition hébraïque fait remonter les parties les plus anciennes du Zohar à une époque antérieure à la construction du second Temple » ; d'autre part, Rabbi Siméon ben Jochai passe pour en avoir écrit une partie dans le premier siècle de l'ère chrétienne.

      Suivant Saadjah Gaon, mort en 940 après Jésus-Christ, le Sepher Yetzirah est un livre « très ancien » (39). Quelques fragments de l'ancien enseignement oral ont été introduits dans la Kabbale, telle qu'elle est aujourd'hui, mais la vraie sagesse archaïque des Hébreux reste sous la sauvegarde de quelques-uns des véritables fils d'Israël.

      Cette esquisse est rapide mais suffira pour montrer, dans les religions autres que le Christianisme, l'existence d'un côté caché. Examinons maintenant si le Christianisme faisait exception à cette règle générale.


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(9)  Ante-Nicene Library, vol. XII. Clément d'Alexandrie, Stromata, V, chap. XI.

(10)  Voyez l'article sur les Mystères, Encyclopœdia Britannica, 9ème édition.

(11)  Pselle, cité dans Jamblichus on the Mysteries, par T. Taylor, p. 343, note de la p. 23, 2ème édition.

(12)  Jamblichus, p. 301.

(13)  L'article « Mysticism », dans l'Encyclopœdia Britannica, donne les détails suivants sur l'enseignement de Plotin (204-206 ap. J.-C.) : « L'Unique (le Dieu Suprême dont nous avons parlé ci-dessus) est exalté au-dessus du nous et des idées ; Il est absolument au-dessus de l'existence ; Il échappe à la raison. Restant Lui-même en repos, Il fait jaillir, de Sa propre plénitude – comme un rayon – une image de Lui-même, nommée nous et qui forme l'ensemble des idées du monde intelligible. L'âme, à son tour, est l'image ou le produit du nous et, en se mouvant, engendre la matière physique. L'âme a donc deux faces : l'une tournée vers le nous dont elle émane, l'autre tournée vers la vie matérielle qu'elle a fait naître elle-même. L'effort moral consiste à se séparer de l'élément sensible ; l'existence matérielle est elle-même la séparation d'avec Dieu... Pour atteindre le but suprême la pensée elle-même doit être laissée en arrière ; car la pensée est une forme du mouvement, et l'âme aspire au repos immobilisé qui est le propre de l'Unique. L'Union avec la divinité transcendante n'est pas tant la connaissance ou la vision que l'extase, la fusion, le contact. » Le Néo-Platonisme est donc « tout d'abord un système rationaliste ; en d'autres termes, il prétend que la raison est capable d'esquisser le Système Cosmique en son entier. D'autre part, affirmant un Dieu supérieur à la raison, le mysticisme devient, en un sens, le complément nécessaire du rationalisme qui voudrait tout embrasser. Le système culmine dans un acte mystique. »

(14)  Le Livre de Jamblique sur les Mystères (Trad. Quillard), p. 29. Paris, 1895. Librairie de l'Art indépendant.

(15)  Le Livre de Jamblique sur les Mystères, p. 29.

(16)  Ibid., p. 75.

(17)  Ibid., p. 75.

(18)  Ibid., p. 58.

(19)  Ibid., p. 62.

(20)  Ibid., p. 206.

(21)  G. R. S. Mead, Plotinus, p. 42.

(22)  Taylor, Jamblichus on the Mysteries, p. 364, et note p. 134, 2ème édition.

(23)  G. R. S. Mead, Orpheus, pp. 285, 28.

(24)  Taylor, Jamblichus, p. 364, note p. 134.

(25)  Taylor, Jamblichus, p. 285 et suiv.

(26)  G. R. S. Mead, Orpheus, p. 59.

(27)  Ibid., p. 30.

(28)  G. R. S. Mead, Orpheus, pp. 263, 271.

(29)  G. R. S. Mead, Plotinus, p 20.

(30)  Shvetashvataropanishad, VI, 22.

(31)  Kathopanishad, III, 14.

(32)  1 Cor., XIII, 1.

(33)  Kathopanishad, VI 17.

(34)  Mandakopanishad, II, II, 9.

(35)  Mandakopanishad, III, I, 3.

(36)  1 Sam., XIX, 20.

(37)  2 Rois, II, 2, 5.

(38)  Art. « School ».

(39)  Dr Wynn Westcott, Sepher Yetzirah, p. 91.




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