CHAPITRE II LE CÔTÉ CACHÉ DES ÉCRITURES (2/2)
Ainsi prévenus, nous arrivons à comprendre bien des passages obscurs et d'un caractère sévère. Et quelqu'un dit : Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Et il leur dit : Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; car je vous dis que plusieurs chercheront à y entrer et qu'ils ne le pourront (46). Appliquez ces mots au salut, comme les Protestants le font d'ordinaire, et la déclaration de Jésus devient impossible à croire et choquante. Que beaucoup chercheront à éviter
l'enfer et à entrer dans le ciel, mais qu'ils n'y parviendront pas, voilà
une assertion qu'on ne saurait prêter à un sauveur du monde. Appliquez-la,
au contraire, à la porte étroite de l'Initiation et à la fin des renaissances, et elle deviendra parfaitement vraie et naturelle. Entrez par la porte étroite, lisons-nous ailleurs, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ; mais la porte étroite et le chemin étroit mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent (47). L'avertissement qui suit immédiatement ce passage, concernant les faux prophètes et ceux qui enseignent les Mystères « noirs », est très à sa place. Il est impossible pour l'étudiant de ne pas reconnaître ces expressions ; elles lui sont familières, car il les a vues employées ailleurs dans le même sens. Le « chemin ancien et étroit » est connu de tous ; le sentier « difficile à suivre comme le tranchant affilé d'un rasoir (48) » a été cité plus haut. Puis « la mort succédant à la mort » pour ceux qui suivent le sentier fleuri des désirs et ignorent Dieu, ceux-là seuls devenant immortels et échappant au gouffre béant de la mort et à une destruction sans cesse renouvelée qui ont abandonné tout désir (49). Cette allusion à la mort s'applique naturellement aux naissances répétées de l'âme dans une vie matérielle grossière, toujours regardée comme « la mort », par rapport à « la vie » des mondes plus élevés et plus subtils.
La « Porte étroite »
était la porte de l'
Initiation ; le candidat la franchissant pour entrer dans le « Royaume ». Il a toujours été, il sera toujours vrai qu'un petit nombre seulement peut entrer par cette porte, bien que des myriades,
une grande multitude que personne ne pouvait compter (50), et non la minorité, entrent dans la félicité d'un monde céleste. Près de trois mille ans auparavant, un autre grand Instructeur disait de même : « Sur des milliers d'hommes, un seul à peine lutte pour arriver à la perfection ; parmi ceux qui réussissent, c'est à peine s'il en existe un qui me connaisse comme je suis
(51). » Car les
Initiés sont rares dans chaque
génération ; ils sont la
fleur de l'humanité. Pourtant, le passage qui précède n'implique, pour la grande majorité de la race humaine, aucune affreuse condamnation à des peines éternelles. Les hommes sauvés, suivant
Proclus (52), sont ceux qui échappent au cercle des
générations qui enserre l'humanité.
Nous pouvons, à ce sujet, rappeler
l'
histoire du jeune homme qui vint à
Jésus et, l'appelant
Bon
Maître, lui demanda comment il pourrait arriver à la vie éternelle, à la libération des renaissances par la connaissance de
Dieu, libération dont la possibilité était reconnue
(53). La première réponse de
Jésus est le précepte
exotérique ordinaire :
Garde les commandements. Mais le jeune homme ayant répondu lui-même. :
J'ai observé toutes ces choses-là dès ma jeunesse, cette conscience qui se savait pure de toute transgression reçut la réponse du véritable Maître :
Si tu veux être parfait, vends ce que tu as et le donne aux pauvres ; et tu auras un trésor au ciel ; après cela viens et suis-moi. Si tu veux être parfait et devenir un sujet du royaume, il faut épouser la pauvreté et l'obéissance. Jésus explique ensuite à ses propres
disciples qu'un riche peut difficilement entrer dans le royaume des
Cieux, plus difficilement qu'un chameau ne passe par le trou d'une aiguille.
Quant aux hommes, cela est impossible, mais quant à
Dieu toutes choses sont possibles
(54). Le
Dieu qui est dans l'homme peut seul franchir cette barrière.
Ce texte a reçu différentes
interprétations, car on ne saurait évidemment accepter son sens
littéral l'impossibilité pour un riche d'être heureux
après sa mort. Cet état de
béatitude, le riche peut y parvenir
comme le pauvre ; du reste, les Chrétiens de tous pays montrent bien qu'ils
ne craignent pas un seul instant de voir leurs richesses compromettre leur bonheur
posthume. Mais si nous interprétons le texte dans son vrai sens, s'appliquant
au Royaume des
Cieux, nous y trouvons l'expression d'un fait naturel et réel.
Nul ne peut atteindre la connaissance de
Dieu, qui est la Vie Eternelle
(55),
avant d'avoir fait l'abandon de tout ce qui est terrestre, ni l'acquérir
avant d'avoir tout sacrifié. Non seulement l'homme doit renoncer aux richesses
de ce monde qui, désormais, ne feront que passer par ses mains comme par
celles d'un intendant, mais il doit encore abandonner ses richesses intérieures,
celles qu'il détient pour lui-même contre le reste du monde. Sans
s'être dépouillé entièrement, il ne saurait franchir
la porte étroite. Telle a toujours été la condition de l'
Initiation
; toujours le candidat a dû faire vu « de pauvreté, d'obéissance et de
chasteté ».
La « nouvelle naissance »
est un autre terme bien connu, synonyme d'
Initiation. De nos
jours, aux Indes,
les hommes appartenant aux castes supérieures sont appelés «
les deux fois nés », et la cérémonie qui leur donne
cette nouvelle naissance est une cérémonie d'
Initiation, aujourd'hui
pure formalité extérieure, mais
représentant les choses
qui sont dans le ciel (56). Dans son entretien avec
Nicodème,
Jésus déclare que
si un homme ne naît
de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Cette naissance, est-il dit,
est
d'eau et d'Esprit (57) ; c'est la première
Initiation ; plus tard vient celle
du Saint-Esprit et du feu (58),
baptême de l'
Initié parvenu à l'âge d'homme, comme la
première est le
baptême donné à la naissance, qui accueille
l'
Initié comme un
Petit enfant à son entrée dans le
Royaume
(59). La surprise exprimée par
Jésus,
quand
Nicodème se montre incapable de saisir Sa
phraséologie, montre
à quel point ces images étaient familières aux Juifs
mystiques
:
Tu es un docteur en Israël et tu ne sais pas ces choses (60).
Un autre précepte de
Jésus,
qui demeure pour ses fidèles une « parole obscure », est le
suivant :
Soyez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux
est parfait (61). Le Chrétien ordinaire se sait
incapable d'observer ce commandement : avec toute la fragilité, toute la
faiblesse propre à l'
âme humaine, comment pourrait-il devenir parfait
comme l'est
Dieu Lui-même ? Jugeant impossible la tâche qui lui est
soumise, il n'en tient pas compte et cesse de s'en préoccuper. En la considérant,
au contraire, comme l'effort suprême,
fruit de nombreuses existences toujours
en progrès, comme le triomphe du
Dieu qui est en nous sur la nature inférieure,
le précepte de
Jésus s'offre à nous dans ses véritables
proportions et nous nous rappelons que, suivant Porphyre, l'homme atteignant «
les vertus paradigmatiques est le Père des
Dieux (62)
», et que ces vertus s'acquéraient dans les Mystères.
Saint Paul suit les pas de son Maître, dont il reproduit
exactement les idées, mais, comme son uvre organisatrice dans le sein de l'
Eglise le donnerait à supposer, d'une manière plus explicite et plus nette. Que l'étudiant lise attentivement les chapitres II et III et le verset 1 du chapitre IV de la
Première Epître aux Corinthiens, en se rappelant pendant sa lecture que ces paroles s'adressent aux membres de l'
Eglise baptisés et admis à la Sainte
Cène, membres effectifs, au point de
vue moderne, mais que l'apôtre traite d'
enfants et d'êtres charnels. Ce n'étaient pas des
catéchumènes ou des
néophytes, mais des hommes et des femmes en pleine possession de tous les privilèges et de toutes les responsabilités attachés à la qualité de membres de l'
Eglise, considérés par l'Apôtre comme séparés du monde et moralement obligés à ne pas vivre comme des hommes appartenant au monde. Ils avaient reçu, en somme, tout ce que l'
Eglise moderne accorde à ses membres. Résumons les paroles de l'Apôtre.
« Je suis venu à vous,
apportant le témoignage de
Dieu ; je ne vous ai pas séduits par
une sagesse humaine, mais par la puissance de l'
Esprit. Nous parlons bien de sagesse
entre les parfaits, mais ce n'est pas de sagesse humaine. Nous prêchons
la sagesse mystérieuse de Dieu, les plans cachés que Dieu, de
toute éternité, avait arrêtés pour notre gloire et
que nul des princes de ce monde n'a connue. Ces choses sont trop hautes pour
l'entendement humain,
mais Dieu nous les a révélées par
l'esprit, car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu (63). Ces choses spirituelles, l'homme spirituel en qui est la pensée du Christ peut seul les discerner.
Moi-même, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais j'ai dû vous parler comme à des hommes charnels, comme à de petits enfants, en Christ... Vous
n'étiez pas assez forts ; et vous ne l'êtes pas même à
présent, car vous êtes encore charnels... J'ai posé le fondement,
comme un sage architecte (64)... Vous êtes
le temple de Dieu et l'esprit de Dieu habite en vous... Qu'ainsi l'on nous tienne
pour des ministres de Christ et des dispensateurs des Mystères de Dieu.
Comment lire ce passage et je n'ai fait, dans ce résumé, que mettre en
relief les points importants sans admettre que l'Apôtre possédait une sagesse divine donnée dans les Mystères, sagesse que ses
sectateurs Corinthiens ne pouvaient recevoir encore. Remarquez le retour constant des termes techniques : la sagesse, la
sagesse mystérieuse de Dieu, la
sagesse cachée connue seulement de l'homme spirituel, dont on ne parle que parmi les parfaits, sagesse dont sont exclus les non-spirituels, les
enfants en Christ, les
charnels,
sagesse connue du
sage architecte dispensateur des Mystères de Dieu.
Saint Paul ne cesse de mentionner
ces Mystères. Comme il l'écrit aux chrétiens d'
Ephèse : C'est
par une révélation, par un dévoilement
que j'ai été initié au Mystère. D'où
l'intelligence que j'ai du Mystère de Christ ; tous les hommes pourront connaître
l'économie du Mystère (65). Aux Colossiens, il répète qu'il est
devenu ministre de ce Mystère, savoir le Mystère de toute éternité et avant tous les âges, mais révélé aujourd'hui aux saints (pas au monde, ni même aux chrétiens, mais seulement aux saints). Devant eux a été
dévoilé ce glorieux
Mystère. Or, qu'était cette
gloire ? Christ EN VOUS expression significative se rapportant, comme nous le verrons plus loin, tout à l'heure, à la vie de l'
Initié. C'est ainsi que tous les hommes doivent finir par apprendre la sagesse et devenir parfaits en Jésus-Christ
(66).
Saint Paul exhorte les Colossiens à prier, afin
que Dieu nous ouvre une porte pour parler, en sorte que j'annonce le mystère du Christ (67), passage où, suivant saint Clément, l'apôtre indique clairement que la connaissance » n'appartient pas à tous
(68).
Saint Paul écrit de même à son
disciple aimé Timothée, lui recommandant de choisir ses diacres parmi ceux qui conservent
le mystère de la foi avec une conscience pure, ce grand mystère de la piété qu'il avait appris (69), et dont la connaissance était nécessaire aux instructeurs de l'
Eglise.
Or,
saint Timothée est une
personnalité importante, représentant la
génération suivante d'instructeurs chrétiens ; élève de
saint Paul, il avait été désigné par lui pour guider et gouverner une partie de l'
Eglise. Nous savons qu'il fut, par
saint Paul lui-même,
initié aux Mystères. Le fait est mentionné, comme nous le montreront, ici encore, les expressions techniques.
Ce que je te recommande, Timothée, mon enfant, c'est que, suivant les prédictions faites autrefois à ton sujet... (70), c'est-à-dire la bénédiction solennelle de l'
Initiateur, reçue par le candidat. Mais l'
Initiateur n'était pas seul présent :
Ne néglige point le don qui est en toi, qui t'a été conféré par des paroles prophétiques lorsque le collège des anciens t'a imposé les mains (71).
Saint Paul rappelle ensuite à
saint Timothée d'avoir à saisir la
vie éternelle à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait ta belle profession en présence d'un grand nombre de témoins (72). Cette profession, ce sont les vux du nouvel
Initié, reçus en présence des
Frères plus anciens et de l'assemblée des
Initiés. Les connaissances alors communiquées sont le dépôt sacré auquel
saint Paul fait allusion, quand il s'écrie avec tant d'énergie :
Ô Timothée, conserve le dépôt qui t'a été confié ! non pas les connaissances familières à tous les Chrétiens elles ne lient pas spécialement
saint Timothée mais le dépôt sacré qui lui a été confié, en sa qualité d'
Initié et qui est essentiel à la prospérité de l'
Eglise. Plus loin,
saint Paul revient sur ce point ; il insiste sur son importance suprême d'une manière qui serait exagérée si ces connaissances avaient été la propriété commune de tous les Chrétiens.
Conserve... le modèle des saines leçons que tu tiens de moi... Garde ce précieux dépôt par l'Esprit Saint qui habite en nous (73)... La parole humaine ne saurait formuler une adjuration plus solennelle. L'
Initié devait encore assurer la transmission de ce dépôt sacré, afin que l'avenir en héritât et que l'
Eglise ne fût jamais laissée sans instructeurs.
Les enseignements que tu as reçus de moi, en présence d'un grand nombre de témoins, l'enseignement sacré oralement communiqué au sein de l'assemblée des
Initiés, garants de l'exactitude de la transmission,
confie-les à des hommes sûrs qui soient capables à leur tour d'en instruire d'autres (74).
La certitude ou, si l'on aime mieux,
l'hypothèse que l'
Eglise possédait ces enseignements réservés, jette un flot de lumière sur ce que
saint Paul dit, çà et là, de lui-même. Rapprochez ces passages ; ils vous donneront les grandes lignes de l'évolution d'un
Initié.
Saint Paul déclare qu'il est déjà du nombre des parfaits, des
Initiés, car il dit :
Nous tous qui sommes parfaits, ayons ce même sentiment, mais
qu'il n'est cependant encore ni
arrivé ni entièrement
parfait
; il n'a pas encore atteint
le point auquel Dieu m'a appelé d'en haut, en Jésus-Christ, la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances en reproduisant sa mort en ma personne... ; il s'efforce encore de parvenir à la
résurrection des morts
(75).
Cette
Initiation, en effet, libérait
l'
Initié, le transformait en Maître Parfait, en Christ ressuscité, le faisant échapper définitivement d'entre les « morts » de l'humanité emprisonnée dans le cercle des
générations des liens qui enchaînaient son
âme à la matière grossière. Ici encore se présentent beaucoup d'expressions techniques. Le lecteur superficiel, lui-même, doit comprendre que la
résurrection des morts dont il est ici parlé ne peut être la
résurrection ordinaire, telle que l'entend le chrétien à notre époque,
résurrection supposée inévitable pour chacun et, par suite, ne réclamant de personne, pour être obtenue, le moindre effort spécial.
Le mot même d'arriver ne serait pas à sa place s'il ne se rapportait qu'à une expérience humaine universelle et inévitable. Cette
résurrection-là,
saint Paul ne pouvait l'éviter, suivant les idées chrétiennes modernes. Qu'était donc cette
résurrection
qu'il recherchait avec tant d'efforts ? Une fois de plus, la seule réponse
possible nous vient des Mystères. L'
Initié, au moment d'atteindre
l'
Initiation qui libérait du cercle des renaissances, du cercle des
générations, était appelé « le Christ dans la souffrance » ; il partageait les souffrances du Sauveur du monde, subissait la crucifixion
mystique,
reproduisait sa mort en sa personne, atteignait ensuite la
résurrection, l'union, avec le Christ glorifié, après quoi la mort n'avait plus de prise sur lui
(76). Tel était le
prix vers lequel courait le grand Apôtre, et il exhortait tous
ceux qui sont parfaits (et non les croyants ordinaires) à faire de même, à ne pas se contenter de ce qu'ils ont obtenu, mais à persévérer toujours.
Cette ressemblance entre l'
Initié et le Christ est, à vrai dire, la base même des Grands Mystères ; nous le constaterons, avec plus de détails, en étudiant « le Christ
Mystique ». L'
Initié devait cesser d'envisager le Christ comme extérieur à lui-même :
Si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus (77).
Le croyant ordinaire
avait revêtu
Christ. Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez
revêtu Christ (78).
C'étaient les enfants en Christ dont nous avons parlé plus haut ; Christ était le Sauveur dont ils attendaient le secours, le connaissant
selon la chair. Mais, après avoir dompté la nature inférieure et perdu leur caractère
charnel, ils devaient aborder un sentier plus élevé et devenir eux-mêmes le Christ. Ce que l'Apôtre avait obtenu pour lui-même, il le souhaite ardemment pour ceux qui le suivent :
Mes chers enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Christ soit formé en vous (79). Déjà il était leur père spirituel, les ayant engendrés par l'
Evangile (80). Mais maintenant il leur donne de nouveau la vie, comme une mère, et les
amène à leur seconde naissance. Le Christ
Enfant, le
Saint Enfant, était né dans l'
âme,
l'être caché du cur (81) ;
l'Initié devenait ainsi ce
Petit Enfant ;
il devait dorénavant vivre, en lui-même, de la vie du Christ, jusqu'au moment de devenir
homme fait et d'atteindre
la hauteur de la perfection du Christ (82). Alors l'
Initié, comme
saint Paul,
achève en sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps (83) et porte sans cesse dans son
corps la
mort de Jésus (84). Il peut donc dire avec vérité :
j'ai été crucifié avec Christ et je vis... mais ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi (85). Voilà ce que souffrait l'Apôtre, voilà ce qu'il disait de lui-même. Et quand la lutte a pris fin, quel contraste entre le calme triomphant qui se dégage de ses paroles et la tension pénible des premières années ! Pour moi je vais être
immolé, et le moment de mon départ est
imminent.
J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé la course ; j'ai gardé la foi. Il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée (86). Cette
couronne était celle que recevait le vainqueur, celui dont disait le Christ dans la gloire :
Je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu et il n'en sortira plus (87). Car, après la
Résurrection, l'
Initié devenait l'Homme parfait, le Maître ; il ne sortait plus du
Temple, mais, de là, servait et guidait les mondes.
Il est peut-être bon de faire
remarquer, avant de terminer ce chapitre, que
saint Paul lui-même sanctionne
la pratique de l'enseignement
mystique théorique, dans sa manière
d'expliquer les événements historiques rapportés dans les
Ecritures. Il ne regarde pas l'
histoire selon la Bible comme une simple relation
de faits qui se seraient produits sur le plan physique ; en vrai
mystique, il
voyait dans les événements physiques les ombres des vérités
universelles qui se développent sans cesse dans les mondes plus exaltés
et plus profonds ; il savait que les événements choisis pour être
enregistrés dans les ouvrages
occultes étaient les plus typiques,
ceux dont l'interprétation était de nature à servir l'instruction
des hommes.
Saint Paul, citant, par exemple, l'
histoire d'Abraham, Sara,
Agar,
Ismaël et Isaac, dit que
tout cela a un sens allégorique et
en donne ensuite l'interprétation
mystique (88).
A propos de la fuite des Israélites hors du pays d'Egypte, il parle de
la mer
Rouge comme d'un
baptême, de la manne et de l'
eau comme d'une viande
et d'un breuvage spirituels, du rocher d'où jaillissait la source comme
de Christ
(89). Il voit dans le
mariage humain le grand
mystère de l'union entre Christ et
Son Eglise ; il parle des Chrétiens
comme étant la chair et les os du
corps de Christ
(90).
L'auteur de l'
Epître aux Hébreux donne un caractère
allégorique à l'ensemble du culte Hébraïque. Dans le
Temple il voit un modèle du
Temple céleste ; dans le Souverain Sacrificateur il voit le Christ ; dans les sacrifices, l'offrande du Fils immaculé ; les sacrificateurs ne sont
qu'une image et une ombre du sanctuaire céleste, des
prêtres célestes ministres du véritable tabernacle. L'
allégorie, poussée au dernier point, remplit ainsi les chapitres III à X, l'auteur déclarant que, par le
Saint-Esprit, il faut entendre le sens profond. Tout cela était
une figure symbolique relative aux temps présents (91). Dans cette interprétation des
Saintes Ecritures, il n'est pas dit que les événements relatés n'aient pas eu lieu, mais seulement que leur réalisation physique a eu peu d'importance. Une semblable explication constitue l'enlèvement du voile cachant les Mystères Mineurs ou enseignements
mystiques qu'il est permis de divulguer ; elle n'est pas comme on le croit souvent, un simple
jeu de l'imagination, mais bien le résultat d'une intuition véritable,
voyant les modèles dans le
ciel et ne se bornant pas à regarder les ombres jetées par eux sur l'écran du temps terrestre.
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(46) St Luc, XIII, 23, 24.
(47) St Matthieu, VII, 13, 14.
(48) Kathopanishad, II, IV, 10, II.
(49) Brihadâranyakopanishad, V, IV, 7.
(50) Apoc., VII, 9.
(51) Bhagavad Gîta, VII, 3.
(52) Ante p. 26.
(53) Il ne faut pas oublier que les Juifs croyaient au retour sur la terre de toutes les
âmes imparfaites.
(54) St Matthieu, XIX, 16-26.
(55) St Jean, XVII, 3.
(56) Héb., XI 23.
(57) St Jean, III, 3, 5.
(58) St Matthieu, III, 11.
(59) St Matthieu, 11.
(60) St Jean, III, 10.
(61) St Matthieu, V, 48.
(62) Ante, p. 32.
(63) Notez comme ces mots s'accordent avec la promesse de
Jésus dans
St Jean, XVI, 12-14 :
J'ai encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont présentement au-dessus de votre portée. Quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute la vérité... et il vous annoncera ce qui doit arriver... Il recevra de moi ce qu'il vous annoncera.
(64) Autre expression technique, employée dans les Mystères.
(65) Eph., III, 3, 4, 9.
(66) Coloss., I, 23, 25, 28. Mais saint Clément d'
Alexandrie, dans ses
Stromata, traduit « tous les hommes » par « l'homme tout entier ». Voyez livre V, chap. X.
(67) Coloss., IV, 3.
(68) Ante-Micene Library, vol. XII. Clément d'
Alexandrie,
Stromata, livre V, chap. X. Le lecteur trouvera plusieurs autres paroles prononcées par les apôtres, parmi les citations de Clément, montrant le sens attaché à ces paroles par les hommes qui, succédant aux apôtres, vivaient dans la même atmosphère intellectuelle.
(69) 1 Tim., III, 9, 16.
(70) Ibid., 1, 18.
(71) Tim., IV, 14.
(72) Ibid., VI, 12.
(73) 2 Tim., I, 13, 14.
(74) 2 Tim., II, 2.
(75) Phil., III, 8, 10, 12, 14, 15.
(76) Apoc., I, 13. Je suis le vivant ; j'ai été mort, et voici, je suis vivant aux siècles des siècles.
(77) 2 Cor., V, 16.
(78) Gal., III, 27.
(79) Gal., IV, 19.
(80) 1 Cor., IV, 15.
(81) St Pierre, III, 4.
(82) Eph., IV, 13.
(83) Coloss., I, 24.
(84) 1 Cor., IV, 10.
(85) Gal., II, 2.
(86) 2 Tim., IV, 6, 8.
(87) Apoc., III, 12.
(88) Gal., IV, 22-31.
(89) 1 Cor. X, l-4.
(90) Eph., V, 23-32.
(91) Héb., IX, 9.